Le cœur en miettes

J'ai besoin d’en parler, de coucher ce que je ressens sur le papier. Peut-être que mettre des mots sur cette étrange douleur dans ma poitrine mettra à aller mieux, à avoir moins mal.

Je crois savoir précisément où j’ai mal… j’ai mal au cœur.

Je me suis imaginée des choses. Je me suis imaginée que lorsque tu passais du temps avec moi, cela avait une signification pour toi.

Je me suis imaginée que chacune de tes paroles avait un sens caché, que je pouvais interpréter chacun de tes mots.

Je me suis imaginée que toutes ces fois où tu étais proche de moi, c’était car tu voulais l’être.

Je me suis imaginée que lorsque tu étais assise face à moi ou que nous étions l’une à côté de l’autre à table, c’est parce que tu me voulais à proximité de toi.

Je me suis imaginée que lorsque tu croisais nos regards, tu me parlais silencieusement. Que tu voulais me rappeler qu’il est possible de voir l’âme d’une personne, et donc ses sentiments les plus profonds, à travers ses yeux.

Je me suis imaginée que lorsque tu souriais, c’était un peu grâce à moi.

Je savais que tout ce que je me plaisais à interpréter n’était pas forcément vrai, que je rajoutais des paillettes là où elles n’avaient pas lieu d’être, que je voyais le monde en rose alors qu’il n’avait pas changé de couleur.

Mais je sais aussi que j’ai ressenti certaines choses et qui elles, étaient bien réelles.

C’était bien réel lorsque tu me complimentais. Un petit mot, parce que tu trouvais jolie ma tenue de la journée, mon mascara, mon fard à paupière, mes boucles d’oreilles. Un petit mot, et à chaque fois, mon esprit cessait de fonctionner.

C’était bien réel lorsque tu me parlais par message. Je commençais la conversation, mais c’était grâce à tes réponses qu’elle devenait intéressante. On se promettait d’aller voir des comédies musicales, des concerts, des films et on se promettait ensemble, de conquérir le monde. À travers l’écran, on devenait d’autres personnes, on s’inventait des personnages, et c’était d’autant plus amusant que ces petits détails de nos conversations virtuelles continuaient d’exister à travers nos conversations réelles. Lorsque je recevais une notification, l’écran s’illuminait et je répondais dans la seconde. Un soir, tu m’as envoyé un « bisous », et j’ai passé une partie de la nuit à fixer le plafond, sous ma couette, un sourire aux lèvres.

C’était bien réel lorsque tu étais proche de moi. On était assisses côte à côte et nos cuisses étaient collées. On était assises face à face et nos jambes se touchaient. On était assises loin l’une de l’autre et nos regards étaient en contact. Au moindre rapprochement, une flamme s’allumait à l’intérieur de moi. Mais lorsque tu m’as touché la main, un flot d’émotion m’a submergé alors que la flamme s’est embrassée. Pour la première fois de ma vie, j’ai été incapable de prononcer un son ou même de formuler une pensée cohérente. Juste de sentir ta main sur la mienne. Un geste et quelques secondes, qui s’étaient transformés en une éternité et quelques battement de cœur.

C’était bien réel. Les compliments, les messages, les rapprochements, tout cela existait.

Alors, forcément, mon imagination a fait des siennes. Les gestes d’amitié sont devenus des gestes d’amour et chaque instant passé à deux une tentative de rapprochement. J’ai interprété, j’ai vu des choses là où il n’y avait rien à voir.

Je savais bien que mon cerveau romançait une partie, mais venir en cours en sachant que je plaisais à quelqu’un, ça me donnait le sourire. J’aimais cette idée de plaire à une fille.

Je m’imaginais que toi, comme moi, tu t’interrogeais sur ce que pouvait ressentir l’autre. Je pensais qu’une partie, même infime, de ce que je ressentais, était réciproque.

Je me plaisais à imaginer qu’un jour, on se prendrait dans les bras. Juste un câlin. Mais il aurait signifié bien plus que de l’amitié. Chaque geste qu’on se serait accordé aurait eu un véritable sens. Peut-être qu’on serait allées plus loin. Peut-être. Mais moi, je rêvais simplement de câlins, d’avoir une personne qu’enfin, je pourrais serrer dans mes bras pour être réconfortée, pour être réchauffée, ou juste, pour me sentir aimée.

Car au fond, c’est peut-être ça le véritable problème.

Je voulais me sentir aimée et je voulais aimer. Je voulais savoir ce que cela fait. Est-ce vraiment la passion la pure de tous les films, le désir le plus charnel de toutes les musiques, le lien le plus éternel de tous les livres ? Est-ce vraiment aussi incroyable qu’on le prétend ? Est-ce vraiment un sentiment qui nous consume ?

Mais que ce soit l’aventure la plus tumultueuse comme la plus douce, la plus incroyable comme la plus catastrophique, la plus longue comme la plus brève, je voulais connaître l’amour. Comme je veux le connaître depuis des années déjà, comme j’essaie le connaître depuis des années déjà. À chaque fois qu’une personne s’attache à moi un peu à moi, je m’imagine qu’évidemment cupidon a tiré sa flèche. À chaque fois, le désir m’aveugle et ma vision est obstruée d’un voile rose, qui m’empêche de voir la réalité, de réaliser que je me fais des films.

À chaque fois qu’on me donne un peu d’attention, j’y deviens accro et j’en réclame plus. À chaque fois, imaginer que l’autre pense à moi comme je pense à lui m’empêche de revenir à la raison.

Et pour toi, encore, mon besoin d’amour a vaincu ma raison.

Je t’ai envoyé une rose.

Cliché pas vrai ? Perdu d’avance n’est ce pas ?

Je m’en rends compte avec le recul. Mais à partir du moment où l’idée a commencé à s’immiscer dans esprit jusqu’à mon réveil au jour de la distribution des roses, j’étais sûre d’avoir fait le bon choix.

À chaque instant passé en ta compagnie durant les semaines qui ont séparé ces deux moments, je m’imaginais ton sourire lorsque tu la recevrais. Je m’imaginais que toi aussi, tu m’en avais envoyé une. Je m’imaginais qu’on la recevrait au même moment. Puis, qu’on se retrouverait, timidement, dans la cour, qu’on se regarderait en souriant, sans savoir quoi dire, ensuite, que tu me demanderais de sortir avec toi, comme ça, soudainement, tout à coup. Toujours dans mon songe, j’aurais rougi, fixé le sol, bafouillé, perdu mes moyens. J’aurais accepté. Tu aurais sourit. Ça aurait sonné. Tu m’aurais adressé un signe de la main, commençant déjà à partir. Je t’aurais appelé. Tu te serais retournée. Je me serais approché. Tu m’aurais fixé, sans rien dire. J’aurais déposé un baiser sur ta joue. Puis, je serais partie vers ma classe, sous le soleil, un sourire collé au visage.

Je n’ai pas reçu de rose.

C’est à ce moment que mon illusion de bonheur parfait a commencé à s’effriter. Une partie de la vérité avait déjà fait son chemin dans mon esprit, même si je refusais encore de l’accepter.

Je me suis réconfortée en me répétant que si j’avais eu le courage de déclarer ma flamme, mais que ce n’était pas le cas de tout le monde. Peut-être avais-tu eu peur ou avais-tu eu des doutes. Mais au moins, une rose avait été envoyé. Puis ne pas recevoir de rose pour ce jour là ne voulait pas dire que la personne n’éprouvait rien, peut-être souhaitait-elle l’envoyer un autre jour ? Il y avait encore toute une année pour déclarer sa flamme.
Voilà précieusement l’idée avec laquelle je me suis réconfortée le reste de la journée : tu m’aimais aussi, mais tu ne savais pas comment me le dire.

Tu ne m’aimais pas, mais tu ne savais pas comment me le dire.

Voilà ce que m’a révélé une de nos connaissances communes à la fin de la journée. Elle m’a demandé si tout allait bien.

J’ai souri. J’ai pas tout compris sur l’instant. Pus tard.

Lorsque je suis rentrée, je me suis allée me réfugier dans mon lit. Moi qui a tout le temps faim, j’avais l’appétit coupé et l’envie de vomir. Moi qui aime mes vêtements plein de couleurs, je les trouvais immondes. Moi qui adore la musique, je me suis morfondue dans le silence. Moi qui n’aime pas rester sans rien faire, toujours à regarder une série ou à lire un nouveau bouquin, j’ai fixé le plafond. Moi qui a toujours l’imagination qui tourne à milles à l’heure, j’avais l’esprit vide.

Je n’ai pas pleuré. Je suis restée incapable de quoi ce soit.

C’est bizarre comme état : être triste sans pleurer. Quand on est triste, on pleure non ? J’ai déjà été malheureuse et j’ai très souvent versé des larmes. Mais pour la première fois de ma vie, je ne pleurais pas, je n’étais pas triste, j’avais juste mal.

Et c’est bien pire.

Cette nuit, j’ai eu du mal à dormir, ne songeant qu’à la rose qui restera à jamais sans réponse. Et alors qu’aucunes larmes ne coulaient sur mes joues mais que j’étais plus peinée que je ne l’avais jamais été, j’ai compris d’où venait cette nouvelle douleur qui me rongeait.

J’avais le cœur en miettes.

Alors voilà, je sais que tu ne liras jamais cette lettre. Je sais que ces mots ne te parviendront jamais. Mais ça m’a fait du bien de t’écrire, d’écrire tout ce que je ressentais.

Coucher les mots sur le papier, ça m’a fait l’effet d’une thérapie, ça m’a fait du bien. Maintenant que j’ai retiré l’épine, il reste plus qu’à attendre que le temps fasse son effet. Demain est un autre jour et je me sentirais déjà mieux. Dans quelques jours, je sais que je sourirai à nouveau.

Je sais que mon cœur finira par être réparé et c’est en grande partie grâce à cette lettre.

J’ai peut-être le cœur en miettes, mais ce soir, j’y ai mis un pansement.


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