Le conte des trois petits chats

Quittons la ville et toutes ces voitures qui se livrent bataille pour traverser la ville au plus vite, la fumée grise et acre que leurs moteurs dégagent, le bruit qu'elles produisent et qui est si intense qu'on pourrait presque le voir se matérialiser sous nos yeux.

Traversons les monts et collines qui encerclent la cité.

Rejoignons la forêt et ses arbres centaines qui nous éloignent de la civilisation un peu plus à chaque pas.

Et lorsqu'enfin chênes, jeunes pousses, ronces et autres racines perdent en intensité, que les épais feuillages n'empêchent plus les rayons du soleil de venir caresser notre épiderme, que tous les bruits de la ville se sont tus et qu'il ne se subsiste plus rien d'autre que ceux de la nature... nous pouvons avoir la certitude que notre destination est là, toute proche, à quelques petits pas à peine.

Nous pouvons toujours choisir de nous arrêter et de rebrousser chemin. De retourner là d'où nous nous, retrouver la société, ses lois et ses interdits, ses obligations et ses contraintes, ses règles et ses tabous. De laisser tout ce que nous aurions pu découvrir en poursuivant notre expédition derrière nous, quitte à ne jamais pouvoir oublier le regret que ce geste fera naitre au fond de notre cœur. Ainsi il nous est toujours possible de revenir sur nos traces. Seulement, si nous consentons à faire ces quelques petits pas ...c'est un tout autre monde qui s'ouvre à nous.

C'est là que les ronces interrompent leur course, que les jeunes pousses s'immobilisent et que les arbres ont fait le choix de rester figer dans l'éternité. C'est là que s'arrête la forêt et qu'elle, elle commence.

La clairière.

Une immense plaine s'étend à l'horizon. Elle ne connait ni limites, ni contraintes. Il n'y a là qu'un espace infini où tout semble possible. Courir. Sauter. Danser. Virevolter. Hurler. Nous pourrions accomplir tout ce qu'il nous semble bon de faire et il n'y aurait personne pour nous en empêcher, personne pour nous l'interdire, personne pour nous faire changer d'avis.

Cet endroit est à l'écart de toute civilisation. La société humaine que nous avons précédemment quittée semble bien loin à présent. Peut-être n'est-elle-même rien de plus qu'un rêve. Et si celle-ci n'est rien de plus qu'un songe, qu'est ce qui nous empêcherait d'en bâtir une toute nouvelle ici même ? Nous pourrions tout reprendre à zéro, apprendre de nos erreurs, ne pas les reproduire, décider de nos propres règles et bâtir un monde nouveau. Un monde meilleur.

Notre monde.

- Mojito, combien de temps penses-tu encore nous faire attendre ?

Un matou se dresse fièrement à quelques coups de pattes. Ses moustaches encore frétillantes d'avoir pris la parole de sa voix suave, il relève son museau, plantant son regard ambré dans celui-ci du nouveau venu.

- Nous t'attendons depuis plus d'une heure. Puis-je donc savoir ce qui a tant retardé ta venue ?

Bien portant, il nous serait facile de croire que ce chat pourrait éprouver d'énormes difficultés à se déplacer. Et pourtant, il n'en est rien. Lorsqu'il quitte sa position pour s'approcher du nouveau venu, il le fait avec une grâce que bon nombre de chats de noble naissance seraient bien en peine d'imiter. Ses coussinets se posent délicatement sur le tapis de neige et s'en décollent avec agilité, ne laissant à peine quelques traces de son passage.

Lorsque celui arrive devant lui, son homologue félin détourne son regard du sien et baisse le museau, un immense sourire derrière ses moustaches. C'est alors tout son corps qui suit le moment de son museau et qui s'abaisse exagérément en une sorte de révérence.

- ô grand félin, ayez la grâce de me pardonner mon imprudence. J'ai dû traverser des bois effrayants, affronter des dragons et autres créatures gigantesques, braver vents et marées...

Il ne fallut pas plus que quelques secondes au félin à pelage rayé pour éclater de rire. Bien que les chats possèdent une manière bien singulière de rire, ils en ont tout autant la capacité que les humains. Ainsi, lorsque l'occasion s'en présente – même si cela est une chose qu'ils évitent au maximum d'effectuer devant les humains - ils ne s'en privent pas. Quand bien même s'ils rigolent jusqu'à s'étouffer et à devoir recracher une boule de poils !

De ce fait, alors que le chat sage se laisse séduire par la blague de son compère, Mojito se retrouve bien vite dans le même état. Ses moustaches frétillent, ses oreilles s'inclinent et une drôle de lueur apparait dans ses pupilles. Il finit par se rouler au sol tant le fou rire est incontrôlable. Le chat au pelage rayé est dans le même état et il éprouve de ce fait quelques petites difficultés à reprendre la parole.

Et quand enfin il y parvient, ils sont tout deux rappeler à l'ordre par Mistigri.

- Mojito, Vodka, ramenez vos coussinets par ici !

Les deux chats tigrés tournent leur tête d'un même mouvement. La voix qui les a interrompus trouve son origine un peu plus loin et après un dernier regard, les deux se décident à la rejoindre. Mais comme bien évidemment ces chers chats sont de véritables petits farceurs, ils ne peuvent pas se contenter de retrouver leur ami en marchant normalement. Sans s'être concernés et ne s'étant même pas accordé un regard, ils se lancent subitement dans une course endiablée. En les voyant ainsi, avec le même pelage et la même force dans leurs mouvements, Vodka et Mojito pourraient presque être pris pour des frères jumeaux. Il n'en est rien évidemment mais ces détails et l'amitié incommensurables qui les lie prêtent souvent à confusion.

C'est Mojito qui arrive le premier, suivit de près par un Vodka essoufflé. Le chat qui les a interpellés les attend bien sagement, posé sur ses pattes arrière, ses oreilles bien droites et le museau relevé. A sa gauche, allongé les pattes en l'air pour profiter au mieux de l'agréable chaleur qu'offre le soleil malgré les températures hivernales, se trouve Newton.

Mais le meilleur reste sans doute ce que les deux nouveaux venus découvrent en dernier : le pique-nique. Grâce aux aliments réunis par le chat d'un certain prof de philo et Newton – sans doute plus par le premier que par le second – un véritable festin se dresse sous leurs yeux ébahis. Il n'y a beau ne pas avoir d'une nappe blanche, des chandelles ou des verres à pied, il ne suffit qu'un coup d'œil pour réaliser que c'est là un repas de fête. Souris, quelques oiseaux, poissons tous frais de la rivière, plantes diverses conservée par le froid de l'hiver, tout cela donne l'eau à la bouche. D'ailleurs, en se tournant pour vérifier comment se porte Vodka désormais, Mojito a l'immense surprise de voir son compagnon occupé à se lécher les babines, bavant à l'idée même de savourer toute cette délicieuse nourriture.

Tandis que la douce et magnifique créature féline se tourne vers le chat qui a préparé le repas, il le trouve non pas en train de baver mais plutôt occupé à le toiser d'un air sévère. De sa voix haut perché, le matou aux poils aussi blancs que la neige immaculée lui demande la raison de son retard. Alors à nouveau, se dressant bien droit et retrouvant son air sûr de lui, Mojito reprend l'anecdote qu'il s'apprêtait à raconter à Vodka.

Et c'est ainsi qu'il leur livre sa dernière découverte à propos de leurs maitres et maitresses communs. Le chat y ajoute métaphores, comparaisons, euphémismes et autres figures de style. Il se plait à partager ce potin et les autres chats l'écoutent attentivement. Et quand son exposé est enfin terminé, il ne faut pas plus de quelques secondes aux premières théories pour voir le jour. De la simple hypothèse à la croyance la plus fondamentale, les arguments et les contre arguments s'affrontent, donnant vie à une discussion des plus animées.

Le fameux festin commence donc ainsi et en plus de se régaler, les quatre comparses s'amusent beaucoup. L'après-midi se poursuit et d'autres anecdotes sont racontées, certaines sur leur vie de chat domestique, d'autres sur la vie sauvage qu'ils mènent sans que leur maitre ou maitresse n'en sache rien, et d'autres encore sur ces fameuses personnes. On pourrait quelque fois croire le contraire, mais ces quatre-là sont très fortement attachés à leur maitre et même s'ils savent qu'ils ne le montrent pas toujours, ils seraient prêts à faire bon nombre de choses pour eux.

Une fois les quatre histoires terminées, les quatre comparses constatent que la table est vide. Ayant bien bu et bien mangé, ils remercient le chat d'un certain prof de philo pour ce repas.

Ensuite, lorsque Newton déclare qu'il est temps pour lui de rentrer au chaud - sa maison se trouvant être la plus lointaine des quatre – les autres amis décident de se séparer. Newton prit le chemin du retour.

Bientôt cela sera tout autant le cas des trois autres chats.

Mais pour le moment encore, ils profitent de cet endroit. Cette étendue infinie, où la liberté prend sa source et où les rêves semblent à portée de main. Cette plaine que la couverture de neige rend magique, presque irréelle. Ce monde si éloigné de tout et qui portant, n'est pas si lointain si l'on a le courage de faire quelques pas à travers la forêt.

Alors un jour, si vous en avez le courage - quand bien même est-il pour le moment encore dissimulé tout au fond de vous - peut-être quitterez-vous la civilisation pour quelques instants. Peut-être vous laisserez-vous porter par vos pas et sans vous retourner, vous vous enfoncerez dans la forêt, avec ses arbres centenaires, ses ronces aux multiples histoires et ses jeunes pousses qui ont soif de découverte, jusqu'à cet instant exact où la clairière vous apparaitra.

Et ce jour-là peut-être, vous aurez la chance de rencontrer ces trois fameux chats pour qu'ils vous racontent d'autres belles histoires... car c'est ainsi que le conte des trois petits chats se termine.

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