Juste un rêve

Je fais souvent ce rêve étrange et à force, cela m'arrive presque toutes les nuits.

À chaque fois, mon songe se déroule d'une manière à peu près exacte, si ce n'est qu'à chaque nouvelle nuit, les détails s'éclaircissent. Je comprends de mieux en mieux ce qui s'y déroule mais, surtout, j'ai de plus en plus l'impression que je participe activement à l'action.

C'est comme si j'étais dans la tête de la personne. Je vois avec ses yeux, je sens avec son nez, je goûte avec sa bouche, je touche avec ses doigts et j'entends avec ses oreilles. Comme si je la contrôlais... ou que ma conscience était enfermée à l'intérieur de son crâne.

Mes rêves se déroulent dans un monde étrange, qui m'est totalement inconnu. À l'instant où je clos mes paupières, je suis projetée dans une drôle de ville. Enfin, drôle n'est sûrement pas le terme le plus approprié. Sévère, stricte et surveillée seraient des mots plus justes. Car je crois bien n'avoir jamais vu de ville comme celle-là.

Les rues sont grises, ternes et tristes. Sans aucune touche de couleur. Les seules teintes différentes sont celles des uniformes qui varient selon le métier et le grade social. Les gens marchent la tête baissée, le dos courbé et en traînant des pieds. Personne ne parle, tous ont la bouche cousue, comme si un simple bonjour vous coûtait un séjour en prison. Au milieu de ces automates sans mémoires et sans sentiments, tous habillés de la même manière et avec une expression faciale similaire, il y a des robots. De vrais robots. De différentes tailles et formes, avec des rôles et des pouvoirs distincts. Ils sont tout aussi bien petits, tels des robots aspirateurs, que rapides, tels des drones, ou encore troublants et dérangeant, ressemblant dans leur manière de se tenir et d'agir, à des humains. Dès le début, j'ai remarqué à quel point ils semblaient détenir l'autorité ici. Cette impression est devenue plus forte au cours des rêves suivants, jusqu'à devenir une certitude absolue. Dans le monde de mes songes, les intelligences artificielles font la loi et la font respecter.

Je n'avais jamais cherché à m'attarder sur la couleur de mon uniforme. Je n'avais pas tellement envie de connaître mon rôle dans cette société dystopique, même si je supposais qu'il s'approchait du métier de policière. Puis, je n'avais pas tellement le temps de me regarder un miroir, même si ceux-ci tapissaient les murs et renvoyaient une image plus triste encore, mon attention était déjà accaparée par autre chose.

Les caméras.

Il y a des caméras. Beaucoup de caméras.

Dans chaque rue, devant chaque enseigne, dans chaque magasin, dans chaque coin d'une pièce, au-dessus et en dessous des présentoirs... dans chaque petit recoin où il est possible de coincer un dispositif de surveillance, il y a un petit objectif qui vous surveille.

Mes moindres faits et gestes étaient enregistrés, regardés, scrutés et analysés. Si jamais je faisais le moindre pas de travers, les autorités étaient mises au courant de ma faute dans la seconde. Je m'étais demandée, et je me le demande encore, si des petits boîtiers noirs avaient aussi été installés dans les habitations. Au final, avait-il un seul moment où les fantômes de cette ville pouvaient être eux-mêmes ? Et non pas ceux que la société voulaient qu'ils soient ?

Même lorsqu'ils n'y avaient pas de caméras, il y avait des robots. Des intelligences artificielles chargées de faire régner l'ordre et auxquelles il ne fallait mieux pas désobéir. Car ceux qui essayaient de parler aux autres, celles qui ne portaient pas l'uniforme mais des vêtements de mon monde, ceux qui sortaient du rang, celles qui étaient un peu trop différentes... les robots les attrapaient, les immobilisaient, puis, les traînaient au sol. Avant de les emmener dans un coin de la grande avenue. Et ils leur donnaient une leçon. Ils leur faisaient comprendre qu'ils avaient enfreint la loi et qu'ils allaient devoir le payer. Ils s'arrangeaient pour faire rentrer dans leur crâne qu'ils avaient tout intérêt à ne pas recommencer.

Certains finissaient avec une simple leçon de morale un peu traumatisante, d'autres roués de coup. Ils hurlaient, comme s'ils profitaient de leur unique occasion de faire du bruit pour vérifier qu'ils avaient encore une voix. Ils hurlaient et les coups se faisaient plus forts. Ils hurlaient et personne ne levait le petit doigt. Ni même n'interrompait son intense contemplation de ses pieds. Comme si c'était une attraction courante sur le chemin du travail. Comme si c'était normal.

D'autres étaient emportés je ne sais où. Ce que je sais en tout cas, c'est que je ne les ai jamais revu dans un seul des mes autres songes. Ils étaient emmenés et ne revenaient jamais.

Au départ, je pensais que c'était seulement l'environnement qui était radicalement opposé à ce que je connaissais... puis, dans l'une des nombreuses caméras de la ville dystopique, j'avais vu mon reflet.

J'étais un robot. Un putain de robot.

Et ce soir encore, dans ce rêve, je suis un automate.

Et ce soir encore, je comprends pourquoi j'ai eu l'impression d'être une policière. C'est car le robot que j'anime l'est réellement, mais peut-être que cela s'approche plus d'une milice. Car mes actions n'ont rien de celles d'une simple policière, je suis beaucoup plus... violente.

C'est moi qui suis chargée de punir les réfractaires au régime.

J'ai beau vouloir faire le contraire, essayer de retenir mes membres, de stopper mes actions, je finis toujours par frapper. Je ne suis pas capable de raisonner le robot dont je suis la conscience. Je ne peux que subir. Je ne peux qu'assister, impuissante, au moment où je traîne le résistant dans la ruelle, à celui où je lève ma matraque pour la première fois. Je ressens l'onde de choc de premier coup, j'entends les hurlements, j'ai le goût du sang sur mes lèvres et je ne peux rien faire pour empêcher cela.

Puis vient le moment de rentrer, de retrouver de cagibis obscur et exigu où je suis rangée pour la nuit, d'être à nouveau plongée dans l'obscurité.

Et alors que je m'endors, ou peut-être que je me mets en état de vieille, j'ai toujours des flashs de la journée passée. Ça me semble si réel, le rêve me semble si réel, que parfois, je pourrais le confondre avec la réalité.

Puis le chargement commence et mon système s'éteint pour quelques heures.

C'est toujours à ce moment là que je me réveille.

Je me redresse dans mon lit, le cœur battant à milles à l'heure. Je n'arrive plus à respirer correctement. Alors que j'essaie tant bien que mal d'avaler de grandes goulées d'air, je pose une main sur ma poitrine. M'assurant qu'il y a bien un organe qui pulse là dessous et non pas une batterie. Puis je me touche.

Moi et mes jambes, moi et ma taille, moi et ma poitrine, moi et mes bras, moi et mes épaules, moi et ma nuque. Moi et mon visage.

Ce n'est qu'une fois ayant pleinement la certitude d'avoir retrouvé mon cœur, ma chaire, mes dix doigts et mes cheveux bleus, que je peux commencer à me calmer. À reprendre mes esprits.

Soudain, je me souviens qu'il n'y a pas que moi que je dois regarder, mais aussi l'environnement qui m'entoure. Alors, doucement, tout doucement, je relève la tête. Et là, c'est le choc.

C'est coloré.

C'est le premier mot qui me vient à l'esprit pour définir ma chambre. Ce n'est pas que je n'aime pas les couleurs, mais là, ce n'est pas normal. Il y a quelque chose de dérangeant, qui me met mal à l'aise.

C'est trop coloré.

Ça l'est au point que ça ne me paraît pas réel. Comme si c'était un rêve. Comme si le robot n'en pouvait plus de sa ville terne et qu'il avait décidé de rêver d'un autre monde, tout en couleur. Oui, voilà, c'est à ça que me fait penser cette chambre : à un rêve, juste un rêve.

Je passe les heures suivantes à lutter contre le sommeil, par crainte qu'à la seconde même où j'aurais clos mes paupières, je ne sois renvoyée dans ce monde de cauchemars. Alors je reste éveillée, fixant le plafond, incapable de différencier le réel de ce qui ne l'est pas, avec cette même pensée qui me tourne, encore et encore, dans le crâne.

Cette nuit, j'ai rêvé que j'étais un robot, et à présent que je suis réveillée... je suis incapable de savoir si je suis une humaine ayant rêvé d'être un robot, ou un robot, rêvant d'être une humaine.

Mais ce n'était qu'un rêve après tout. Juste un rêve. Pas vrai ?

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