Chapitre 1 : La femme et la mort
Elle était jeune. Dans cette salle, elle faisait face à son supérieur, Mahé, pour recevoir sa première mission. C'était Mahé qui l'avait recueillie, Mahé qui l'avait nourrie, et Mahé qui lui donna sa première mission ce jour là.
La guerre, qui eut lieu quelques dizaines d'années auparavant, opposa les humains à la Nature. Cette dernière remporta les batailles grâce à une invention de l'homme, et soumit la civilisation à elle, reprenant ses droits sur ses anciens territoires conquis par l'homme.
La seule façon de survivre était de vivre dans les airs, là ou la Terre ne pouvait pas envoyer de tsunami, de volcans, d'inondations, de séismes... ainsi, les hommes inventèrent les Robothouses, des capsules à lancer dans les airs qui explosaient dans un « pop ! » sonore et formaient des espaces habitables autosuffisants et aérodynamiques, qui utilisaient la friction et les aimants pour flotter de manière stable. De petites villes furent créées et les quelques milliers d'hommes restants vivaient dedans, en mangeant un régime composé de légumes et d'oiseaux.
Mahé la toisa de haut et lui dit d'une voix grave :
-Aujourd'hui, tu dois allez faire face à la mort. Tu dois acquérir le pouvoir qui te permettra de survivre. Tue pour vivre.
La femme acquiesça.
-Je compte sur toi, Helen, dit une nouvelle fois Mahé. Pars demain à la première heure et tue au moins quatre tigres. Ramène la preuve de leur mort ici avant la tombée de la nuit. Si tu meurs, ou que tu ne reviens que durant la nuit, alors tu resteras en bas, tu ne pourras pas remonter et ton corps ira servir de compost à notre ennemie.
Helen acquiesça une nouvelle fois, mais en déglutissant cette fois. Ce sera la première fois qu'elle touchera le sol de sa planète, et elle pria pour que ça ne soit pas la dernière.
La journée passa très vite, et l'après midi, elle dut préparer ses affaires : un arc archéonique, son armure de fer solide et élastique, pas du tout comme les anciennes armures des soldats du Moyen Âge, trop encombrantes. De quoi manger aussi, même si elle trouverait bien quelque chose sur la Terre...
Enfin, le soleil se coucha et Helen rejoignit son maitre dans sa Robothouse. Mahé lui donna encore quelques informations importantes pour sa réussite. Les heures passaient et le stress montait. Helen serra ses mains pour les empêcher de trembler. A minuit, elle se prépara pour descendre.
Son supérieur l'accompagna sur le balcon. On voyait toute une forêt en dessous. Dans le silence de la nuit, Helen respira calmement. L'air frais entrait dans ses poumons et en ressortait, ce qui lui donnait de la force et de l'énergie. Mahé regarda sa montre et souffla. Il donna une petite tape dans le dos d'Helen. Le front plissé, il dit à Helen que l'heure approchait.
Dans ses doux yeux noirs se lisait la peur. Sa peau, encore plus pâle que d'habitude, contrastait avec ses lèvres et ses joues rosies par le vent de la nuit. De petite taille, plus jeune qu'Helen, ses cheveux blonds rebondissants sur son visage rond, le jeune homme aurait pu être beau s'il n'avait pas le visage déchiré en deux par une large et profonde entaille qui traversait son visage dans la largeur, partant de son oreille gauche et se finissant à la fin de sa mâchoire droite.
Il disait, lorsqu'on lui demandait comment il s'était fait cette blessure : « Bof ! Rien de bien grave... c'était pendant une balade de récolte sur la terre ferme. »
Ce qui ne répondait pas à la question, mais l'esquivait admirablement. Personne ne connaissait la véritable histoire de cette cicatrice.
Enfin, Mahé ouvrit le portillon et fit descendre une corde pour permettre à Helen de se rendre par terre. Tandis qu'elle descendait, Mahé lui dit une dernière chose :
-Et n'oublie pas que la guerre n'est pas encore finie ! Prends garde à ne pas te retrouver dans une grotte, et... Bonne chance ! Tu as un jour à partir de maintenant pour me rapporter quatre tigres !
Puis il fit un dernier sourire à Helen avant que celle-ci ne rentre dans les profondeurs de la forêt infinie. La corde s'arrêtait à la cime des arbres. Helen saisit des branches et pénétra dans le coeur de l'arbre. Elle regarda en dessous d'elle et des larmes d'émotions montèrent en elle lorsqu'elle aperçut pour la première fois de sa vie le sol.
La forêt était dense, extrêmement calme et humide, mais aussi très sombre. Le ciel était invisible, caché par le feuillage des arbres. Ces derniers étaient très, très hauts. La seule source de lumière était celle que produisaient les lucioles, et les nombreux insectes volants bioluminescents. Des animaux par centaines gambadaient, volaient, buvaient dans la rivière...
« En même temps, je reste en territoire ennemi » se disait Helen. « Il ne faut pas que je me fie aux apparences des animaux... »
Elle resta immobile et essaya de trouver un des félins qu'elle devait traquer. Ce fut rapide, un jeune tigre apparu derrière un des arbres pour aller s'abreuver au lac. Il n'attaqua aucun animal, mais c'était normal car la Nature avait fait une alliance entre les animaux, et les animaux carnivores ne mangeaient que les animaux morts. Ils ne pouvaient manger et attaquer que des humains. Ainsi, l'homme était passé de prédateur suprême à proie mondiale.
Le tigre s'approcha d'un pas aérien de la surface brillante. Dans le noir et le calme, il était presque invisible. Helen attendit qu'il finisse de boire et qu'il parte pour l'attaquer de manière efficace. Ainsi, le tigre finit de boire et quitta les abords du lac pour disparaître derrière les arbres. Helen était sur le point de s'élancer à sa poursuite lorsqu'un gros oiseau, qui ressemblait à un toucan, l'aperçut et lâcha son cri qui résonna dans la forêt. Tous les animaux aux alentours sursautèrent et se tournèrent vers l'arbre dans lequel, terrifiée, se tenait Helen, totalement immobile.
Cependant, elle ne perdit pas plus de temps et s'élança à la poursuite du tigre qui avait décampé dès qu'il avait entendu l'alarme du toucan. Tous les animaux commencèrent à grimper à l'arbre pour l'attraper, mais elle sautait de branche en branche sur les différents arbres, trop rapidement pour les mammifères du bas. Mais les oiseaux l'empêchaient d'avancer rapidement car ils lui donnaient des coups de bec. Helen dut en blesser plus d'un pour passer enfin. Elle suivit les traces du tigre sur le sol, puis enfin s'arrêta pour observer l'avancée de ses adversaires. Ces derniers, trop fatigués et désavantagés, avaient cessé la poursuite.
Helen observa les alentours sombres, mais rien ne bougeait et un pressentiment lui disait qu'elle était seule, à part le tigre qui s'enfuyait toujours. Alors, avec beaucoup de discrétion et de douceur, elle toucha le sol du bout de son pied. Elle sauta à quatre pattes, pour ne pas que la Nature repère ses pas lorsqu'elle était debout, une technique très pratique et simple pour mettre la terre en confiance avec soi. Un frisson parcourut le sol et les herbes au sol tremblèrent légèrement lorsque Helen se leva. Elle ne risquait plus rien, lorsqu'elle était debout, maintenant que la terre l'avait « rencontrée ».
Helen respira et s'amusa à courir dans la direction de sa proie. Elle joua avec les feuilles et chantonna. Ce premier contact s'était très bien passé. Mais il fallait qu'elle se dépêche avant que la Nature ne remarque sa présence. Elle courut et bientôt, elle vit que les empreintes au sol étaient plus courtes, signe que le tigre fatiguait. Elle continua à courir, jusqu'à ce que les empreintes n'aient totalement disparu. Elle s'arrêta alors et tourna autour d'elle.
Dans un buisson, brillants dans le noir de la nuit, deux yeux dorés remplis de haine l'observaient. Helen sursauta et saisit ses lames. Le tigre sortit de derrière son buisson et sa majestueuse carrure scintilla dans la nuit. Ses griffes étaient immenses et étaient aussi brillantes que des barres de fer mouillées.
Soudain, la créature légendaire sauta sur Helen. Cette dernière esquiva et planta ses lames dans la fourrure luisante de la bête. Celle ci gémit mais s'éloigna et essuya le sang qui coagulait. Le tigre repartit à l'attaque et cette fois-ci, il griffa le bras de la jeune fille. Celle ci saigna et elle poussa un cri perçant, mais elle monta vite fait dans un arbre et stoppa l'hémorragie tandis que le tigre montait sur le tronc pour la rejoindre. Une fois son bandage terminé, elle sauta élégamment de l'arbre et lança sa lame sur le tigre, encore en train de grimper. La lame traversa la chaire de l'animal et se planta entre le cœur et l'épaule. Le tigre poussa des gémissements, tomba du tronc, se roula au sol et des râles puissants s'échappaient de sa bouche béante.
Enfin, il cessa de bouger et le sang forma une large flaque autour de son corps sans vie. Helen tomba au sol et respira profondément. Sa plaie ne la faisait pas tant souffrir, c'était son âme qui était touchée. Une part de son âme semblait s'être échappée avec l'âme du tigre. Voilà donc ce que cela faisait de tuer. A partir de maintenant, elle ne pourra plus jamais regarder un félin sans culpabiliser sur la mort de celui ci.
Des larmes coulèrent. Pourquoi ? Pourquoi cette guerre ? Elle le savait déjà. À cause de ses aïeux. Ses parents, ses grands parents et tous les autres, ils avaient usé, usé, usé la Terre et un jour, elle s'était retournée contre eux, incapable de vivre avec des gens pareils. Elle leur avait tout donné, mais ils voulaient plus encore. En dernier recours, des hommes auraient créé une IA pour les sauver alors que la guerre semblait perdue, mais elle a planté et s'était retournée contre eux, aidant ainsi la Nature. Ainsi, les survivants devaient survivre sans l'aide de leur planète, qui ne leur fournissait que l'oxygène, et parfois l'eau lorsque les nuages étaient assez hauts, mais seulement à contrecœur.
Ainsi, elle devait porter le poids de ses imbéciles de parents et survivre dans un monde qui la détestait déjà alors qu'elle n'avait jamais rien fait de mal.
Elle venait de tuer. D'un simple mouvement, elle avait ôté l'âme d'un être. D'un simple mouvement, elle avait brisé le travail de la vie, elle avait coupé le souffle de ce tigre. Jamais plus il ne pourra respirer, jamais plus il n'ira boire de l'eau au lac, jamais plus son pelage ne brillera dans l'obscurité. L'animal ne verra plus jamais les couleurs, ne sentira plus les odeurs, les parfums des fleurs que sa mère la Nature lui aura offert, il n'écoutera plus jamais le silence de la forêt les yeux fermés...
C'était ça, la mort. C'était véritablement la fin de la vie. Ce n'était... plus rien. C'était la perte de tous les présents, aussi simples soient-ils, que le monde pouvait offrir. Helen sanglota et se releva, essuyant ses larmes. Elle s'approcha du cadavre et en retira son arme. Avec des tremblements, elle découpa la queue du tigre et ses deux oreilles pour prouver qu'elle l'avait tué.
Ensuite, elle se leva et grimpa à un arbre pour voir combien de temps il lui restait avant de devoir remonter chez elle.
Le soleil semblait sur le point de se lever. La nuit était devenue très claire et on apercevait les premiers rayons découper la nuit.
Ainsi, cela faisait plusieurs heures qu'elle était descendue...
Elle jeta un regard au dessus d'elle et aperçut des humains dans leurs Robothouses. Un instant, elle cru qu'elle pourrait appeler les gens pour qu'ils lui offrent une corde et qu'elle aille avec eux dans un foyer chaud et accueillant. Malheureusement elle savait que tout ceci n'était qu'un simple rêve et elle soupira avant de replonger sous la couche de feuillages.
La forêt aussi semblait être devenue plus claire. Peut-être que cela facilitera sa tâche ? En tout cas, elle était à présent certaine de son objectif, et elle se battra contre les tigres et contre sa propre conscience, car si le tigre meurt, elle survit, mais elle peut aussi mourir. Dans le silence de la forêt, la jeune femme humait les parfums suaves de la vie au petit matin, les yeux clos.
Au bout d'un moment, elle ouvrit les yeux et s'élança a travers les bois à la recherche de sa prochaine proie.
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Étrange personnage, ce Mahé...
Quel était votre ressenti par rapport aux descriptions des sentiments ?
Désolée pour la mort du tigre, j'ai été très attristée aussi... 😭 mais elle est essentielle pour continuer l'histoire.
Comment vous sentiriez vous si vous deviez tuer un animal de sang froid ?
N'oubliez pas de voter si ça vous a plu ! ⚜️
Jiji
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