Chapitre 7 - Lourd sur le cœur







Akemi n'arrivait pas à croire que ces deux questions de mathématiques qu'il lui restait avaient pu sembler aussi simples, lorsque son aîné lui avait fourni les explications nécessaires. Quelques notes de brouillon quasiment illisibles plus tard, et déjà était-il retourné à son entraînement de volley, avec une excuse toute prête et son livre de littérature japonaise sous le bras.

Cette salle avait beau ne pas être la sienne, la jeune fille y était restée quelques longues minutes supplémentaires dans l'espoir de finaliser son DM, avant de finalement récupérer le train pour ne pas rentrer trop tard. La surprise d'apercevoir les chaussures de son père posées dans le genkan s'était dessinée sur son visage, avant d'être aussitôt remplacé par la déception lorsque sa voix avait retenti depuis le salon :

— Va falloir que tu arrêtes de catégoriser mes parents, à croire qu'ils sont comme ton imbécile de mère !

— T'as fini un peu de critiquer ma mère alors qu'elle n'a rien à voir avec le sujet ?

— Elle veut même plus te parler, comment tu peux encore la défendre !

L'adolescente plaqua ses deux mains sur ses oreilles avant d'avancer dans la maison. Un « je suis rentrée » habituel lui échappa, auquel elle ne reçut aucune réponse. D'un pas pressé, elle traversa le couloir, et son attention fut attirée par la silhouette qu'elle distingua dans la cuisine.

— Misa ? s'étonna-t-elle en pénétrant dans la pièce.

Sa sœur aînée fit volte-face pour s'éloigner du frigo, un yaourt dans la main. Sa longue chevelure noire vola au gré de son mouvement brusque, et elle considéra tour à tour l'horloge murale qui ornait la pièce et sa cadette qui avançait, sac de cours sur l'épaule.

— Tu rentres tard, lâcha-t-elle simplement.

— Je suis restée pour bosser un DM de maths sur lequel je galérais.

— Ah bon ? Fallait me demander, je t'aurais aidée !

Akemi roula des yeux, avant de réaliser la spontanéité de sa réaction. Un soupir franchit le mur de ses lèvres. Bien sûr qu'elle y avait pensé, mais demander de l'aide à sa sœur était bien la dernière chose dont elle avait envie.

— Pourquoi tu prends un yaourt ? questionna-t-elle pour esquiver la question. On va pas bientôt manger ?

— Laisse tomber, y'aura pas de diner ce soir. Ils sont partis pour quelques heures, là. J'te conseille de faire pareil.

Et à ces mots, Misaki se faufila à ses côtés pour quitter la cuisine et monter les escaliers. La dispute de leurs parents résonnait encore à travers les murs du salon sur des sujets divers et variés, s'imprimait dans l'esprit de la lycéenne. Comme gravée à l'encre noire ; indélébile.

La jeune fille considéra le frigo durant quelques secondes, avant de monter bredouille pour s'affaler dans son lit. La pénombre de la nuit traversait déjà les carreaux de sa chambre pour plonger la pièce dans une sombreur lourde et étouffante, ressenti amplifié par les voix au rez-de-chaussée qui éclatait encore. Et pour enfoncer le couteau dans la plaie, l'épaisse nébulosité obstruait tout espoir d'apercevoir le ciel étoilé qui la fascinait tant et l'apaisait lorsqu'elle en avait besoin.

Akemi ne savait plus vraiment à partir de quand la situation avait ainsi commencé à se dégrader. Aussi loin qu'elle pouvait s'en souvenir, elle avait toujours eu l'image de ses parents plus amoureux encore que la veille. Et si elle ne s'était jamais réellement mêlée aux problèmes familiaux dans lesquels elle baignait depuis bien longtemps, avec sa grand-mère maternelle, elle pouvait prendre suffisamment de recul pour assembler les pièces du puzzle : cette relation était aussi destructrice qu'elle avait été belle.

Youko venait d'une famille plus qu'aisée, elle s'en rendait compte de nouveau à chaque fois qu'elle pénétrait dans l'immense maison luxueuse de sa grand-mère. Mais les discours de cette dernière lui avaient bien fait comprendre qu'elle n'avait jamais approuvé ce mariage avec son père. Sans doute les conflits étaient-ils nés de là : elle n'avait jamais réussi à poser la moindre question à ce sujet. Tout ce qui comptait, c'était simplement le lien fort qui les unissait.

Pourtant, depuis des jours, des semaines, des mois ; c'était la même chose. De pire en pire, le lien s'effilochait, plus éphémère et indistinct chaque jour encore. Chaque parole, chaque reproche entre eux qui fusait à travers l'enceinte de l'habitation lui paraissait glisser sur sa peau, s'insinuer par chaque pore, et résonner en boucle dans son esprit. C'était en partie pour cette raison qu'elle restait parfois au lycée pour travailler lorsqu'elle en avait besoin. Et si parfois elle se disait qu'un bon défouloir ne serait pas de refus, elle se contentait du silence, et d'un large sourire.

Après tout, c'était ce qu'il y avait de mieux à faire.

La vibration de son smartphone, caractéristique d'un nouveau message, trembla contre la paume ouverte de sa main pour piquer sa curiosité et l'arracher au fil de ses pensées.

✉️ Ricchan
<3
19:03

Akemi arqua un sourcil perplexe à la lecture de ce simple coeur. Ses doigts s'apprêtaient à glisser sur l'écran tactile pour y taper quelques points d'interrogation, lorsque le grondement inattendu du tonnerre fit tressaillir l'intégralité de son corps. Un cri étouffé manqua de lui échapper sous la surprise, avant que les prévisions météorologiques indiquées par son téléphone le matin même ne lui revienne en mémoire : orage dans la soirée. Et la couche nuageuse de plus en plus opaque et obscure qui avait surplombé la ville tout au long de la journée aurait dû suffire à ne pas lui ôter cette perspective de l'esprit – ce DM de maths lui avait de toute évidence retourné le cerveau.

Au second grognement du tonnerre, les doigts légèrement tremblotants, l'adolescente saisit sa couverture pour s'y emmitoufler. Si le message de Ritsuka prenait tout son sens, elle en oublia bien vite son existence. Et le repas prévu chez sa grand-mère dans deux jours lui apparut alors comme le dernier de ses soucis.

****

— Sérieux, chez ta grand-mère ?

— Ouais, demain, mais juste pour manger. T'imagines même pas comment j'ai la flemme...

Assises toutes les deux à la cafétéria, Akemi et Ritsuka échangeaient des banalités depuis de longues minutes maintenant. Et si le sujet de l'orage avait été esquivé avec soin, c'était naturellement que celui du week-end s'était posé sur la conversation, tel une feuille morte sur un étang. Morte, c'était probablement le seul mot qui venait à l'esprit de la lycéenne à la simple idée de l'ennui qu'elle devrait subir, alors que Misaki semblait généralement contente de se rendre chez leur aïeul.

— Bon courage, soupira Ritsuka d'un ton compatissant. Tu me diras les phrases sympas auxquelles t'auras eu droit, cette fois.

— Très drôle, ça. Et en plus comme si ça suffisait pas, j'ai maths en dernière heure aujourd'hui. Histoire de bien m'achever...

Elle se laissa tomber de désespoir le front contre la table, sous le regard amusé de sa meilleure amie.

— En parlant de maths, tu t'en es sortie pour ton DM ? Désolée d'être partie un peu comme une voleuse, d'ailleurs.

— C'est rien, j'allais pas te retenir éternellement de toute façon. Mais ça a été, Suna-senpai a pris quelques minutes pour m'expliquer les deux dernières questions sur lesquelles on bloquait toutes les deux. Il en avait pas vraiment l'air enchanté, mais bon...

Un sourire amusé fleurit sur le coin de ses lèvres au souvenir de la moue penaude qu'il avait esquissé, avant de lire l'énoncé.

— C'est marrant mais même si je le connais pas vraiment, je l'imaginais pas du tout capable de venir m'aider. Et encore moins dans une horrible matière comme celle-là...

— C'est vrai qu'il dort dans quasiment tous les cours sauf les maths, réfléchit l'aînée. Et les sciences, aussi, un peu. Mais j'étais surprise aussi qu'il vienne. Peut-être qu'il se sentait un peu coupable pour la bosse, déduit-elle en posant un doigt sur le crâne enfin plat de nouveau d'Akemi.

L'adolescente haussa les épaules, peu convaincue. Pourtant, elle ne chercha pas tant à s'en formaliser. Ce qui comptait, c'était bien qu'elle avait réussi à terminer son exercice avant de rentrer chez elle, et en plus sans demander à Misaki. Le pourquoi du comment Suna avait accepté de l'aider ne relevait plus de ses priorités.

— Peut-être, éluda-t-elle. Et sinon, histoire de parler de trucs plus sympas, t'as parlé à Kita-senpai dernièrement ?

— Pas plus qu'hier, c'est-à-dire la dernière fois que tu m'as posé la question, soupira Ritsuka. Tu comptes me le demander tous les jours ?

— Peut-être, peut-être pas.

Le voile d'espièglerie qui passa à la surface de ses prunelles azurées arracha à Ritsuka un soupir. Elle n'aimait pas la sensation de se sentir surveillée et épiée de la sorte, pourtant, au fond d'elle, elle savait très bien que si Akemi n'était pas là pour la booster un peu, elle ne ferait jamais rien. Et si une part d'elle se persuadait qu'il était trop tard pour faire quoi que ce soit, elle ne parvenait pas à lâcher entièrement prise.

— Moi je vais aller le voir lundi, déclara la plus jeune avec un sérieux retrouvé. T'as qu'à venir avec moi, ça te fera une excuse !

— Pourquoi tu veux aller voir Kita-san ? s'enquit la volleyeuse, les yeux plissés sous la suspicion.

— Pour le remercier d'avoir été là quand Suna-senpai m'a assommée. J'ai pas encore eu l'occasion, je savais pas trop si je devrais aller au gymnase ou prier pour le croiser dans le couloir alors qu'on est sur deux étages différents...

Parce que oui, quand bien même elle avait beau n'avoir été qu'à demi-consciente de la situation, ce soir-là, c'était bel et bien la chevelure grise de Kita qu'elle distinguait encore dans ses souvenirs, lorsqu'elle se retrouvait avec les paupières closes. C'était bel et bien sa voix compatissante et calme qui résonnait dans son esprit. Alors la moindre des choses était bien de le remercier.

— Je passe, conclut Ritsuka. Je préfère me débrouiller toute seule. Par contre, je te conseille d'aller directement au gymnase si tu veux le voir.

Contre toute attente, Akemi ne protesta pas et se contenta d'approuver d'un hochement de la tête, plongée dans sa réflexion. Retourner au gymnase et croiser potentiellement les joueurs de volley avec l'écriteau « service dans la tête » gravé sur son front ne l'enchantait guère. Mais avec un peu de chance, personne ne se souviendrait de cet événement – c'était en tout cas l'espoir auquel elle se raccrochait.



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Un chapitre un peu plus calme dans lequel on en apprend un petit peu plus sur Akemi et sur sa famille ! J'espère qu'il vous a tout de même plu~ si c'est le cas, n'oubliez pas de cliquer sur la petite étoile !

Et sur ce, je souhaite une bonne rentrée aux concernés, et je vous dis à bientôt pour la suite, qui arrivera en principe samedi (avec la rentrée, je pense reprendre mon rythme de un chapitre chaque samedi !) <3

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