Chapitre 44 - Renouveau
Au cours de ces dix mois passés au lycée Inarizaki, Akemi s'était répété maintes et maintes fois qu'elle n'avait pas besoin de quelqu'un d'autre que Ritsuka. Parler aux gens était important, qu'il s'agisse d'un besoin inconscient de sociabilisation ou bien de sa nature trop spontanée pour pouvoir l'éviter, mais il n'était pas nécessaire de se lier d'amitié avec eux. Échanger des repas, des réponses aux devoirs et des paroles dans l'enceinte de la salle de classe était une chose ; parler de sa presque-relation avec un volleyeur en était une autre.
Elle n'aurait su dire comment elle avait bien pu en arriver à la deuxième option avec Kasumi, assises sur un banc dans la cour du lycée.
Pourtant, si sa camarade aurait dû rejoindre ses activités de club, le simple fait qu'elle se soit suffisamment inquiétée pour rester avec elle la touchait. Et si Akemi n'aimait pas réellement s'étaler sur ce qui la tracassait – c'était d'ailleurs bien pour cette raison que Ritsuka n'était pas pleinement au courant de la situation avec ses parents – elle devait bien admettre que parfois, vider sa colère et ses remords ne pouvaient pas faire de mal.
— Donc si je comprends bien, il boude un peu parce que tu as dit à sa mère que vous étiez juste amis, alors qu'il t'avait embrassée ?
Le rouge monta aux joues de l'adolescente avant même que Kasumi ait le temps de terminer sa phrase.
Maintenant je comprends pourquoi Ricchan me disait toujours d'être discrète quand je parlais de Kita-senpai.
— J'ai du mal à savoir si c'est mignon ou puéril, admit sa camarade, dans un sourire visiblement étouffé.
Akemi leva un regard surpris à l'attention de son interlocutrice, avant qu'un léger rire ne lui échappe. D'une certaine manière, sa camarade n'avait pas tort : si la situation l'avait mise dans une position délicate au cours des trois derniers jours, elle devait bien admettre que maintenant qu'elle la voyait sous cet angle, sa colère s'amenuisait. Au fond, cela voulait bien dire que Suna accordait autant d'importance et de sentiments qu'elle à cette soirée.
— Je suis un peu partagée aussi, rit-elle. Mais en même temps, je sais pas, j'allais pas dire que j'étais sa petite-amie alors que j'en savais rien, non ?
— Non mais les mecs aussi... Ils peuvent pas être clairs, sérieux ? soupira Kasumi avec tant de lassitude qu'Akemi se demanda si ses propos ne s'adaptaient pas également à sa propre situation.
— Faut croire que non !
Un éclat de rire résonna à travers le souffle frais de la fin d'après-midi, au fil duquel Akemi eut le temps de se demander comment le simple fait d'extérioriser ses pensées, à une personne qu'elle considérait ne pas forcément bien connaître, avait-il bien pu l'alléger de la sorte. La poitrine gonflée d'un air nouveau, elle balaya ses doutes pour la soirée d'un revers de la main, avant de considérer qu'il était l'heure de relâcher sa camarade pour lui permettre de regagner son club. Une fois seule, et après l'avoir remerciée de mille sourires, elle se contenta de taper un message à l'attention de Suna.
✉️ Akemi
Demain j'aimerais te parler stp
(dis pas non ou fais pas le mort, sinon je campe devant ta salle de classe)
17:11
****
La matinée suivante était passée avec une lenteur aussi redoutable qu'une rapidité effrayante, pour Akemi. Suna avait simplement accepté sa proposition, et s'ils n'avaient échangé que quelques formalités par messages au cours de la soirée, notamment sur leurs devoirs respectifs, il avait au moins pris la peine de lui répondre – elle soupçonnait une forme de culpabilité quant aux paroles qu'il lui avait lâchées quelques heures auparavant.
C'était ainsi aussitôt que la sonnerie annonçant la pause déjeuner eut retenti que la jeune fille s'était levée d'un bond. Après une œillade circulaire à l'attention de ses camarades de classe, et notamment sur le pouce levé que Kasumi lui adressait en guise de soutien, elle s'était empressée de rejoindre le couloir des deuxième année ; lieu désormais aussi familier que ne l'était sa propre salle, et pourtant l'appréhension lui asséchait la gorge. Elle s'était répétée en boucle les paroles qu'elle avait prévues de lui exposer ; des excuses aux demandes de clarification de la situation.
Pourtant, toutes ses convictions et ses idées volèrent en éclats à l'instant où sa silhouette se pencha à travers l'embrasure de la salle de classe : debout devant le pupitre de Suna, lui et Kisara paraissaient en pleine conversation visiblement importante, à en juger par les rougissements qui parsemaient le visage aux traits délicatement tracés de cette dernière. Elle agita les bras devant elle, visiblement gênée par les mots qu'ils échangeaient, et cette vision lui retourna le cœur plus encore qu'il ne l'était déjà. Au fond de la salle, Ritsuka notait quelque chose dans un cahier, et ne paraissait pas avoir remarqué sa présence – ce qui l'arrangeait bien.
Akemi hésita. L'espace d'une seconde, l'envie de faire volte-face pour retourner manger avec ses camarades de classe la saisit ; ce serait sûrement le plus simple pour eux trois. Elle n'en fut toutefois plus certaine lorsque le regard aux teintes sombres de la blonde croisa le sien, et que le sourire qu'elle lui adressa attira l'attention de Suna. Il se retourna avec rapidité, avant de laisser échapper un soupir inconscient lorsqu'il l'aperçut. Il salua sa camarade en lui indiquant de toute évidence qu'il y allait, avant de se planter face aux pupilles azurées qu'il connaissait désormais par cœur.
— Tu veux qu'on aille sur le toit ? Pour être tranquilles, lança-t-il si naturellement qu'Akemi en resta perplexe.
— Ah, euh... d'accord. Je pensais que tu viendrais pas alors j'avais pas réfléchi à la suite, en fait.
Il laissa bien malgré lui glisser un rire étouffé, avant de lui emboiter le pas en direction des escaliers. Les voix des lycéens se mêlaient autour d'eux dans un brouhaha duquel ne ressortait aucun mot en particulier, pourtant Akemi ne préféra pas lancer de sujet de conversation pour rythmer leur marche. Quelques regards glissaient çà et là sur leurs deux silhouettes, bien plus curieux que d'habitude, mais elle ne s'en formalisa pas. Ce fut seulement lorsque la porte qui menait au toit du bâtiment s'imprima sur sa rétine qu'elle se décida :
— Y'aura peut-être déjà des gens.
— Peut-être pas, ça fait seulement deux minutes que ça a sonné.
— Pas faux, répondit-elle simplement dans un haussement d'épaules.
De fait, il n'y avait pas âme qui vive exposée à la vue des rayons du soleil timide de février. Les buildings lointains de la ville immergèrent à travers leur champ de vision, mise en évidence par la hauteur des différents étages qu'ils venaient de gravir, et la vue rappela d'une certaine manière celle qu'Akemi avait l'habitude d'observer depuis le mirador improvisé de sa chambre.
Elle attendit seulement qu'il ait fermé la porte derrière eux pour se tourner direction de Suna.
— Je suis désolée ! s'inclina-t-elle, plus dans un réflexe que dans un réel besoin de s'excuser.
Le silence accueillit ses mots, pendant suffisamment longtemps pour qu'elle ne se décide à se redresser d'elle-même, dubitative quant à l'absence de réponse.
— Nan, c'est moi, rétorqua contre toute attente son aîné, d'une voix aussi lasse que concernée.
— Toi ?
— Qui suis désolé, balbutia-t-il, visiblement peu habitué à ce genre de formulations.
L'adolescente considéra avec attention ses mocassins, la joue pincée.
— Je... c'est à cause de ce que j'ai dit à ta mère, n'est-ce pas ?
Le soupir qui lui fit office de réponse se révéla bien plus éloquent que n'importe quel mot qu'il aurait pu prononcer.
— C'était démesuré, je sais.
Dans un élan de courage qu'elle ne réalisa qu'à peine, Akemi releva la tête pour affronter ces vingt-sept centimètres désormais trop familiers. L'astre du jour, haut dans le ciel, venait chatouiller le visage de Suna au moins autant qu'elle le sentait elle-même à l'arrière de son crâne. Ses rayons, posés avec délicatesse sur ses pommettes permirent de mettre en évidence le malaise auquel il était en proie, teinté par quelques légères nuances de rose. Ses prunelles olive lui parurent plus claires qu'à l'accoutumée, plus brillantes ; masque de transparence de ses émotions, de cette manière qu'il avait de la considérer, à tel point qu'elle en déglutit.
Parfois, aussi surprenant cela semblait-il et bien malgré lui, il pouvait se montrer trop expressif.
— Non, c'est juste que je savais pas quoi dire d'autre.
— J'étais énervé.
— Oui, ça j'ai bien vu, souffla l'adolescente dans un gonflement de joues. T'as carrément arrêté de répondre à mes messages !
Il haussa les épaules, avant de plisser les yeux, reflet d'une lutte cruelle et féroce entre sa fierté et sa raison. Le regard qu'elle vrillait sur lui ne l'aidait en rien à trouver ses mots, si bien qu'il finit par simplement lui pincer le nez.
— J'me suis dit que tu regrettais peut-être, c'est tout.
Akemi n'aurait su dire si elle avait été plutôt surprise ou outrée par une telle pensée. Sa bouche s'entrouvrit spontanément, signe de la dubitativité croissante qui s'emparait d'elle, et Suna sembla bien le remarquer car il se contenta de poser son poing contre son crâne sans la moindre force, comme il avait pris l'habitude de le faire.
— N'importe quoi, finit-elle par soupirer, les joues aussi rougies que gonflées. Je vois pas ce qui aurait pu laisser penser ça dans mon attitude...
Et c'était bien vrai. Depuis quelque temps maintenant, son corps tout entier hurlait les sentiments qu'elle éprouvait, indépendamment de sa volonté. Elle en était bien consciente, et quand bien même elle aurait souhaité pouvoir le taire, elle n'y parvenait plus.
— T'as préféré dormir à côté d'Atsuko, lâcha simplement le volleyeur dans un haussement las des épaules.
— Rah, j'étais gênée ! Arrête de me le rappeler à voix haute !
L'écho d'un rire aussi faible que délicat résonna à ses tympans, aussi spontané que le visage du garçon lui-même. Ses joues avaient bien rapidement retrouvé de leur teinte habituelle, et si Akemi aurait souhaité les voir rosir un petit peu plus longtemps, elle se délecta des fossettes que son sourire faisait naître au creux de ses yeux. Avec une douceur et un calme qui la surprirent elle-même, elle saisit les deux mains de son aîné pour entrelacer leurs doigts.
Si le soleil de février ne déversait pas la moindre chaleur sur elle, il n'en allait pas de même pour cette peau brûlante contre la sienne. La manière discrète, quasiment imperceptible, avec laquelle il serra son étreinte pour toute réponse manqua de lui retourner le cœur.
— J'avais peur que ça veuille rien dire pour toi, admit-elle. On en a... même pas parlé. Quand ta mère a débarqué, j'ai paniqué et je me suis demandé ce qu'on était.
— On est amis, c'est évident non ?
La jeune fille pesta et libéra sa main droite pour lui asséner un coup de poing dans l'épaule, sans y mettre la moindre force pour autant. Le sous-entendu se révélait plus moqueur que sérieux, elle le savait très bien, pourtant comme à son habitude elle ne marchait pas : elle courrait.
— Et pourquoi quand c'est moi qui le dis, monsieur est vexé et se sent obligé de faire la tête pendant trois jours ?
— T'as qu'à faire la tête pendant trois jours, répondit-il seulement en lui pinçant le nez de ses doigts libres.
— Je devrais faire ça, c'est tout ce que tu mérites.
Le sourire taquin qu'il arborait depuis quelques minutes désormais s'évanouit peu à peu, au même titre que l'éclat du soleil maintenant obstrué par quelques nuages solitaires. Si elle sentit son estomac se nouer quelque peu, ce fut plutôt en raison de la manière dont les traits du visage de Suna se détendirent que de cette vision. Dans un réflexe, elle se contenta de baisser légèrement la tête, et de souffler sur les cheveux qui lui tombèrent ainsi sur le nez.
Le geste n'échappa pas au volleyeur, qui saisit du bout des doigts la mèche noire pour essayer de la lui coincer derrière l'oreille – geste vain en raison de la longueur, si bien qu'il en fronça les sourcils sans le réaliser.
— De quoi tu voulais me parler, dimanche soir ? questionna-t-il dans un ton aussi sérieux que détaché.
Akemi arqua un sourcil d'incompréhension, avant de faire le lien avec le message qu'elle lui avait envoyé à la fin du week-end, et auquel il n'avait pas répondu. Trois jours plus tard, elle ne savait plus vraiment sur quel pied danser... Il semblait que le fait d'avoir pu mettre les choses à plat leur avait été utile à tous : des conversations pour le moins formelles coulaient de nouveau dans l'habitation, malgré la distance, et elle avait même pu prendre le temps de parler brièvement avec Misaki au sujet de ses études et de Todai, quand même le ressentiment demeurait. La pilule avait certes toujours un peu de mal à passer, l'adolescente avait l'impression d'enfin voir le bout du tunnel, petit à petit. Et ce quand bien même la perspective de ce futur au sein d'une famille séparée se faisait douloureux.
— Il s'est passé... pas mal de choses, avec mes parents. Mais je veux plus te déranger avec ça.
Une main toujours enlacée à la sienne, Suna se servit de ses doigts libres pour lui pincer de nouveau le nez, comme si ce geste était désormais devenu familier. Et comme à son habitude, Akemi ne répondit que d'un gonflement de joues, en dépit de la chaleur qui courut ainsi sur ces dernières.
— Je t'ai déjà dit que tu me dérangeais pas.
— Mais...
— Pas de mais.
Si elle hésita quelques secondes supplémentaires, la lycéenne finit par bien vite capituler – de toute évidence, le regard plissé qu'il lui lança se révéla convainquant. Comme à son habitude, Suna se contenta de l'écouter dans le silence, après qu'ils furent allés se mettre à l'abri des regards, dans le cas où quelqu'un aurait également l'idée de monter jusqu'au toit en ce début de février. Pupilles sombres et attentives vrillées dans l'azur de ses yeux, il considéra avec attention chaque mot.
Lorsque le silence finit par tomber à la suite du récit, il parut durer des heures et des heures. Les lèvres du volleyeur s'ouvrirent et se refermèrent à plusieurs reprises, signe qu'il cherchait ses mots et l'ordre qu'il devrait leur donner. Et sans doute un semblant de culpabilité naquit-il à l'idée qu'elle ait été tant peinée, alors qu'il faisait le mort sans répondre à ses messages.
— Ça sera difficile au début, mais c'est le mieux pour tout le monde, lâcha-t-il enfin.
— Je sais bien. J'ai l'impression d'en faire trop, c'est même plus original des parents qui divorcent dans le monde, mais c'est juste que...
Akemi marqua une pause, le temps de considérer les nuages blancs qui approchaient doucement.
— J'ai grandi avec l'idée que mes parents pouvaient tout surmonter, ensemble. C'était leur relation qui a divisé ma famille avant ma naissance, et pourtant ils ont toujours tout continué comme ça. Ça me fait... bizarre.
— C'est pas parce qu'ils se séparent maintenant qu'ils vont regretter ce qu'ils ont vécu. Et encore moins votre présence, à toi et ta sœur.
Dans un réflexe qu'elle ne réalisa pas tout de suite, l'adolescente plaqua une main sur ses lèvres, alors qu'elle sentait les larmes lui monter aux yeux – sans qu'aucune d'elles ne roule pour autant sur ses joues rougies. Après avoir divisé leur famille pendant si longtemps, Youko et Ryoichi ne risquaient-ils pas de se demander ce qu'auraient pu être leur vie s'ils ne l'avaient pas gâché ainsi, à en passer une partie avec quelqu'un qui ne resterait pas éternellement ? L'indifférence, la peur constante de la voir à son égard dans les yeux de ses parents, le regret et le déni ; en une seule phrase, Suna venait de mettre le doigt sur ses peurs les plus enfouies, les plus secrètes, et les plus inconscientes.
Ses bras s'enroulèrent avec naturel autour du garçon, avant qu'elle ne vienne enfouir son visage contre son torse qu'elle sentait brûlant, en comparaison avec l'air encore hivernal. Suna hésita, sans doute peu certain quant à la réaction qu'il devait avoir, mais finit par répondre à l'étreinte en la plaquant contre lui d'une main dans la nuque. Elle ne tremblait pas, ne pleurait pas ; pourtant ce fut comme si chaque seconde passée ainsi lui permettait d'évacuer ce trop plein d'émotions négatives. Il n'y avait pas besoin de mots. Bercée par sa chaleur et par les battements de son cœur qu'elle sentait résonner contre son visage, elle se surprit à fermer les yeux.
— Merci, souffla-t-elle après un temps infini. T'es vraiment un ami attentionné.
Suna cligna des yeux à plusieurs reprises, avant que l'esquisse d'un sourire amusé n'étire ses lèvres.
— Évidemment, s'en amusa-t-il. Et toi une amie un peu trop tactile.
— C'est marrant, t'es pas le premier à me le dire.
Pour toute réponse, il se recula quelque peu pour dégager son visage, et ainsi lui pincer le nez, encore une fois. Et à ce nouveau contact, Akemi ne put s'empêcher de se questionner quant à leur relation : à partir de quel moment se toucher ainsi et se montrer tactile, comme il venait de le relever, avait bien pu devenir une évidence ?
— Suna...rin– kun ?
À force d'avoir accumulé les formulations à son attention, la jeune fille devait bien admettre ne plus savoir sur quel pied danser. S'il n'aimait pas le « senpai », elle ne se voyait pas l'appeler familièrement par un surnom de la sorte lorsqu'ils étaient en public. Ainsi, à force de le côtoyer au lycée, elle s'était habituée à un honorifique simple. Mais face à la question sérieuse qui lui brûlait les lèvres, ce n'était pas évident.
— Rintarou.
— Hein ? s'étonna-t-elle en se détachant et en brisant ainsi leur étreinte.
— Me fais pas répéter, sérieux.
— Tu veux que je t'appelle par ton prénom ?
— J'utilise bien le tien.
— Pas faux... Mais genre, même en public ?
— Même en public. Le gueule juste pas dans la cafétéria, soupira-t-il.
Un sourire lui traversa le visage et lui étira les joues, pour venir amplifier le feu qui brûlait à leur surface. La sensation d'apaisement qui lui enveloppa la poitrine étouffa jusqu'à chaque sentiment négatif qui l'avait étreinte jusque-là. Face à elle, elle distinguait les pommettes légèrement rougies du volleyeur, qu'il cacha d'une main en prenant conscience de son regard insistant, et la bouffée de sentiments qui s'écrasa sur elle fut réparatrice. Son regard azuré captura les lèvres de l'adolescent dans un besoin de les sentir contre les siennes. Et sans doute cette pensée s'imprima-t-elle sur ses traits, car elle les distingua s'étirer en un fin sourire taquin.
Pourtant, il ne bougea pas.
Akemi resta figée. Si elle faisait une quinzaine de centimètres supplémentaires, peut-être se serait-elle mise sur la pointe des pieds pour espérer les saisir. Le simple fait qu'il ne se penche pas la fit toutefois douter : cette conversation, de même que tous les événements passés, la confortaient quant à la réciprocité de ses sentiments, alors pourquoi ne répondait-il pas aux signaux silencieux mais explicites qu'elle envoyait ?
— T'attends quelque chose ? lança-t-il, un brin amusé par la situation.
Son visage tout entier s'embrasa à ces mots. Elle passa toutefois ses mains dans la nuque du volleyeur dans un gonflement de joues, pour y faire pression et l'enjoindre à se pencher en sa direction. Elle le sentit toutefois résister.
— Tu– À quoi tu joues ?! s'agaça-t-elle de la situation, ne sachant plus comment réagir.
— Un mètre cinquante-neuf, c'est ça ?
Piquée à vif dans sa fierté, en dépit de la pointe d'amusement qui demeurait – pour l'instant trop étouffée pour être le sentiment dominant – Akemi s'apprêtait à retirer ses mains dans une capitulation, lorsque celles de Suna se posèrent dessus pour l'en empêcher.
— Tu veux m'embrasser ? Mais on n'était pas juste amis ?
— Alors rends-moi mes mains si on est juste amis, bougonna-t-elle.
Le sourire taquin sur le visage du volleyeur s'étira davantage encore, sans qu'il ne paraisse se formaliser des rougeurs qui parsemaient avec autant de subtilité que de délicatesse ses propres joues. Si elle espérait pouvoir rentrer dans son jeu, Akemi capitula bien rapidement, portée par ses sentiments et par l'appel des lèvres qui lui faisaient face.
— OK, bon, il en faut bien un pour mettre les pieds dans le plat, je suppose. Et ça me correspond plus qu'à toi...
Suna arqua un sourcil.
— Su– Rintarou, t'es un petit peu plus qu'un ami. Genre, un petit peu. Et j'aimerais qu'on sorte ens–
La fin de sa phrase mourut dans l'air... ou plutôt contre son aîné. Akemi n'avait même pas eu le temps de prendre conscience du fait que la chaleur de ses mains avait quitté les siennes pour venir saisir son visage, que déjà s'était-il emparé de ses lèvres. À la fois doux et brut, empli de sentiments bien plus abrupts et forts que le baiser échangé sous les éclats de lune quatre jours plus tôt, ce fut comme si toutes les émotions partagées affluaient en elle à travers ce simple contact.
Sûrement aussi avide qu'elle ne l'était, Suna captura de nouveau ses lèvres après les avoir pourtant quittées, et l'exaltation manqua de lui faire perdre pied. Une main glissante à travers sa chevelure brune, elle s'accrocha à lui comme si la mer pouvait l'emporter à tout moment. Comme si un rien pouvait briser à tout moment leur bulle. Une seconde. Deux, dix, soixante. Au diable le temps qui filait.
Le sentir s'éloigner d'elle agit comme un crève-cœur, pourtant elle oublia tout lorsqu'il saisit l'une de ses mèches noires pour la lui glisser derrière l'oreille, et surtout lorsqu'elle prit conscience de combien leurs visages rougis opéraient tels un miroir.
— Je prends ça pour un oui, sourit-elle, fière de cette victoire.
— Difficile de prendre ça autrement, en même temps, soupira le lycéen, tiraillé entre un sourire ou une pichenette sur le front.
Ses larges mains de volleyeur enserraient toujours ses joues comme si leurs vies en dépendaient, seule avait changé la proximité de leurs visages. Pourtant, au fond d'elle, malgré la satisfaction et l'apaisement, Akemi sentait une pointe lui enserrer la poitrine. La situation avec sa famille s'arrangeait peut-être doucement – si encore il était possible de parler « d'arrangement » dans ce cas – il n'en changeait rien au fait qu'elle aurait besoin de temps. Une certaine tension existait entre elle et sa sœur. Ritsuka n'avait été mise au courant de rien : ni du divorce, ni des baisers échangés. Et avant que Kisara n'apprenne quoi que ce soit, pour avoir enduré et retenu cette culpabilité au cours des dernières semaines, la jeune fille savait qu'elle devait mettre les choses à plat. C'était comme si un nouvel obstacle s'était formé devant elle, après qu'elle eut passé le premier.
Pour l'instant, elle n'avait pas besoin de faire davantage de bruits dans les couloirs du lycée Inarizaki. L'équipe de volley masculine restait l'un des piliers de cette école, et si elle en avait fait fi au cours des derniers mois, elle était consciente de leur popularité à tous. Si Akemi se fichait des rumeurs qui courraient, elle n'était pas prête à en devenir la cible. Pas aujourd'hui.
— Dis... Ça t'embêterait qu'on garde ça pour nous, pour l'instant ?
Le visage de Suna se ferma. Il se ressaisit toutefois bien vite, et se contenta d'arquer un sourcil de perplexité.
— Ça va pas passer inaperçu et... j'ai des trucs à régler avant d'en entendre parler partout dans le lycée.
La déception vint obstruer cet horizon olive familier, à tel point que l'envie de tout envoyer balader étreignit la jeune fille. Pourtant, elle n'eut le temps de prononcer aucun mot supplémentaire que la main de Suna se posa sur son crâne dans ce qui s'apparenta à de la compassion et de la compréhension.
— Je suppose que j'ai pas le choix.
— Si ! Si ça t'embête vraiment, je comprendrais !
— Dis pas n'importe quoi, souffla-t-il. Ça me va, tant que ça dure pas des mois.
Un sourire aussi spontané qu'amusé fleurit sur le visage d'Akemi.
— Si t'es sage, alors.
Fière de l'effet qu'elle venait de provoquer, à en juger par le plissement de paupières qu'il effectua, elle bomba le torse, sans se formaliser du fait qu'il lui pinça pour toute réponse le nez. Des voix parvinrent jusqu'à leurs tympans, en provenance de l'intérieur, et ils brisèrent toute proximité afin de s'élancer vers la porte, prêts à quitter ce toit. Lorsque celle-ci s'ouvrit, pour laisser apparaître les silhouettes de trois élèves de troisième année qu'Akemi ne connaissait que de vue, la surprise se dessina sur chaque faciès, sans que personne ne prononce le moindre mot pour autant – qu'ils quittent tous deux le toit de la sorte n'avait après tout rien de discret.
Akemi observa avec attention les premières marches du dernier étage, sur lesquelles elle avait passé du temps avec le volleyeur quelque semaines auparavant. D'une certaine manière, les choses avaient sûrement autant changé qu'elles n'étaient restées les mêmes, entre eux. C'était toujours aussi doux, aussi mouvementé qu'un Grand Huit sur lequel elle pouvait passer par mille et une émotions ; et surtout aussi précieux.
Le souvenir de ce baiser qu'elle lui avait plaqué sur la joue lui revint en mémoire lorsqu'elle posa un pied sur la marche en question, et si elle aurait aimé en faire de même, elle dû s'abstenir. Ce fut toutefois au gré de cette pensée qu'elle se souvint également que, ce jour, elle avait appris la confession de Kisara. Estomac serré et gorge nouée, elle se décida à sauter le pas, pour ne pas nourrir de nouveaux quiproquos.
— Rin...tarou. De quoi vous parliez avec Narumi-san, quand je suis arrivée devant ta classe tout à l'heure ?
— Je parlais avec elle ? s'étonna-t-il, et il parut réfléchir sincèrement. Ah, oui. Je lui ai demandé si elle pouvait rendre un truc à Gin de ma part, mais elle a pas voulu.
— Elle a pas voulu ?
Akemi plissa les yeux. Le lien entre un éventuel refus et les rougissements qu'elle avait aperçus sur le visage de la blonde ne s'opérait pas.
— Elle avait l'air gênée, répondit Suna dans un haussement d'épaules las. Ils s'entendent bien, dernièrement.
Un ange passa.
Kisara ? Et Ginjima ?
L'incompréhension la saisit, autant que la culpabilité et la honte d'avoir tergiversé sur de faux questionnements.
— Si tu restes plantée là, je te laisse toute seule.
Posté en bas des escaliers, il considéra les marches des distances qui étaient nées entre eux. Les couloirs quasiment déserts, signe que chacun avait déjà trouvé un endroit où manger, s'illustra tel une aubaine pour la jeune fille, qui les descendit d'une rapide enjambée. Et une fois sur la dernière, ainsi quasiment à hauteur du volleyeur géant, elle en profita pour déposer furtivement un baiser au coin de ses lèvres.
— Quand on fait un mètre cinquante-neuf, on trouve des solutions alternatives, lâcha-t-elle dans un clin d'œil, avant de faire volte-face pour rejoindre le premier étage.
Un sourire aussi amusé que tendre poignit sur les lèvres de Suna, alors qu'il observait sa silhouette disparaître au gré des marches qui séparaient leurs deux étages.
~ ~ ~
Héhé heureusement pour eux, Suna et Akemi se sont bien vite réconciliés au final (Suna peut-il vraiment lui résister, en même temps~). Il a été bien naze dans le chapitre précédent, mais au moins il s'en rend compte cet idiot hihi
J'ai eu énormément de mal à écrire cette scène, car sachez que c'est un peu la première fois que j'écris une officialisation de couple comme ça, et je ne savais pas trop ce qui leur correspondrait le mieux... J'espère avoir été cohérente avec leurs personnages !
J'espère tout de même que ce chapitre vous aura plu, il était quand même tout fluffy héhé. Si c'est le cas, n'hésitez pas à laisser un petit commentaire, et n'oubliez pas de cliquer sur la petite étoile :3
(d'ailleurs en parlant de commentaires j'ai toujours du retard, que ce soit sur cette histoire et sur mon histoire avec Hawks, mais je compte bien le rattraper héhé)
Pour les petits facts :
• Kisara est gauchère (bon on est loin de la révélation sur Ushijima vu qu'elle ne joue pas au volley ahah, mais perso j'aime trop ce genre de détails~)
• À la base, dans le premier jet des chapitres 43 et 44, Suna avait complètement ghost Akemi pendant trois jours (à même ne pas répondre quand elle lui envoyait plusieurs messages en lui disant que c'était important et qu'elle voulait lui parler). J'ai corrigé ça car même boudeur je préférais qu'ils échangent un petit peu, même si ça revenait à tourner autour du pot ! Il a été vexé mais il voulait pas la pousser à bout pour autant !
Et je vous dis à samedi dans deux semaines <3
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