Chapitre 39 - Cours particuliers
— T'es sûre que c'était une bonne idée de les laisser comme ça ?
L'air glacé de l'hiver glissait sur la peau nue de son visage, pour rappeler à Akemi qu'elle n'était de fait pas vraiment sûre de son choix. Le ciel, aussi bleu et dégagé que son regard, lui soufflait que continuer la visite de l'aquarium dans un intérieur chauffé aurait pu être une bonne idée, pourtant c'était naturellement que les choses s'étaient profilées. Et si elle s'attendait à ce que Suna peste, soupir ou lui indique simplement qu'elle était une cause désespérée, il s'était contenté de la suivre.
Ritsuka risquerait de râler, c'était une évidence. Mais confrontée à la situation de la sorte, elle pourrait sûrement donner le meilleur d'elle-même...
— Je sais pas si c'était une bonne idée. J'avais juste envie que Ricchan finisse de passer sa journée avec Kita-senpai, surtout que j'étais un peu stressée ce matin et que j'ai déconné.
Heureusement pour elle, Suna ne demanda rien quant à la raison de ce stress, alors que la jeune fille se maudissait intérieurement que les mots lui aient échappé de manière inconsciente. Elle se reprit toutefois bien vite.
— Du coup, tu me dois trois mille neuf cents yens, lâcha-t-elle sur un ton chantant, un large sourire au bord des lèvres.
Le front du volleyeur se plissa dans un réflexe qui l'amusa d'autant plus.
— Sérieux, c'était aussi cher l'entrée ?
— Ça coûte cher de jouer les Cupidons, qu'est-ce que tu crois ?
— J'ai pas signé pour ça, moi, souffla-t-il avec une spontanéité qui n'avait rien à envier à celle d'Akemi.
L'éclat d'un rire échappa à la jeune fille, pour résonner dans la ruelle qu'ils traversaient à pied. Les rares passants sur les trottoirs se tournèrent en leur direction, sans que cela ne leur importe pour autant. Et devant le visage décontracté qu'elle affichait, Suna laissa un fin sourire presque imperceptible naître sur ses lèvres.
— Je plaisante, c'est moi qui paye, reprit la lycéenne en vrillant son regard sur l'horizon. Et puis c'est moi qui t'ai trainé ici, après tout.
— J'avais dit que ça me dérangeait pas.
— C'est bon, de toute façon c'est l'argent de poche que j'ai de ma grand-mère !
Suna roula des yeux, mais ne rétorqua rien. Depuis le temps, Akemi commençait à suffisamment le connaître pour deviner l'hésitation qui le tiraillait, entre l'idée d'être invité de la sorte et de se sentir redevable, et la perspective de l'accepter. Elle n'ajouta toutefois rien sur le sujet et resserra la pression exercée sur la hanse de son sac, au gré du silence qui s'imposait naturellement. Le volleyeur sembla remarquer son geste car il jeta un regard en coin en sa direction, avant d'observer de nouveau la rue qui s'étendait au loin.
— Les cookies de ton père étaient bons. C'est cool qu'il ait fait ça.
La bouche entrouverte de surprise, Akemi sentit quelque peu ses pommettes s'échauffer sous ces mots, et l'empathie dont ils semblaient empreints. Si elle lui avait simplement étalé quelques détails sur sa situation familiale, et s'il avait eu droit aux quelques actualisations de la situation, elle ne s'attendait pas à ce qu'il considère ainsi les faits. À ce qu'il prenne conscience de combien le fait que son père ait fait ces gâteaux pour elle la touchait.
Comme à son habitude au cours des dernières semaines, Suna se montrait là où on ne le l'attendait pas.
— Mon père est maladroit, mais je sais que c'est sa manière de nous montrer qu'il nous aime.
Le sourire nostalgique qu'elle laissa poindre sur son visage n'échappa pas au lycéen, qui laissa ainsi le silence les bercer. Il n'était peut-être pas toujours le plus adroit avec les mots, il savait que le calme parlait bien souvent à sa place.
Il finit par stopper sa marche à hauteur d'une intersection, sous le regard surpris et perplexe de la jeune fille à ses côtés.
— J'habite juste là, indiqua-t-il en désignant l'immeuble qui occupait la majeure partie de leur champ de vision, sur leur droite.
Akemi écarquilla les yeux. Ses prunelles confuses vagabondèrent sur le paysage tout autour d'elle, qu'elle finit bien effectivement par reconnaître pour y être déjà venue plus d'un mois auparavant. La déception lui traversa la poitrine, courut dans ses veines avec rapidité lorsque cette intersection sonna ainsi comme une séparation. Si elle avait su que quitter l'aquarium en début d'après-midi de la sorte signifierait que leurs routes se sépareraient dans la foulée, sans doute aurait-elle considéré la question par deux fois.
Quand bien même ce sentiment était égoïste, elle n'en avait nullement envie.
Face à elle, Suna hésita. Elle le vit à travers le voile qui glissa dans ses iris. Le temps flotta autour d'eux.
— Tu veux venir ? lâcha-t-il contre toute attente, en désignant du menton l'immeuble dans lequel il vivait.
Les pupilles brillantes d'étonnement et d'enthousiasme, Akemi ne se formalisa pas de ses joues qu'elle sentit rougir. Le doute l'assaillit l'espace de quelques secondes, avant de capituler sous l'instance de cet horizon couleur olive qu'elle aurait pourtant put fixer de longues minutes durant :
— Pourquoi pas !
— Ma sœur et mon père seront là, par contre, ajouta le lycéen en tournant les talons pour rejoindre le bâtiment.
— Pas ta mère ?
— Elle a pas pu rentrer, ce week-end.
Ils n'échangèrent que formalités le temps de rejoindre l'avant-dernier étage via l'ascenseur. Akemi avait beau n'être venue qu'une seule fois, les différents couloirs lui apparurent presque familiers – toutefois étonnamment moins que la porte face à laquelle ils s'arrêtèrent. Une déglutition coula dans la gorge de la jeune fille lorsqu'il glissa une clé dans la serrure.
— J'suis rentré, lança-t-il en pénétrant dans le genkan, avant de fermer derrière eux.
Akemi l'imita tandis qu'il se déchaussait, et lui emboita le pas.
— Rintarou ? s'éleva une voix masculine depuis la pièce la plus proche. Je pensais que tu rentrerais plus tard.
La silhouette de Suna Takahiro découpa l'embrasure du salon, et les traits de son visage s'étirèrent en une mine surprise lorsque ses prunelles sombres se posèrent sur Akemi. L'adolescente serra les poings, reflet d'une vague d'intimidation qui la saisit. Si Suna était grand, son père n'avait de toute évidence rien à lui envier, et c'était même de toute évidence de lui qu'il tenait ce trait. Ses prunelles, d'un vert plus vif que celui de ses deux enfants, se posèrent avec force sur sa silhouette, à tel point qu'elle put y déceler toutes les questions qu'il se posait de toute évidence sur sa personne. La pression et l'embarras furent tels que la jeune fille déglutit inconsciemment.
— Fumiya Akemi, une camarade, indiqua Suna en guise de présentation. Akemi, mon père, Takahiro.
— Bonjour ! salua-t-elle en s'inclinant.
— Enchanté, répondit avec calme l'homme face à eux. Je pensais pas que tu serais déjà là, Rintarou.
Le volleyeur se contenta de hausser les épaules, dans ce qui signifiait sans aucun doute « moi non plus ».
— Atsuko est pas là ?
— Elle est sortie avec une copine, je lui ai dit de pas rentrer trop tard comme elle n'a pas fait ses devoirs de japonais.
De nouveau, des formalités volèrent dans l'air de l'habitation. Suna brisa ainsi ces quelques échanges pour indiquer qu'ils allaient dans sa chambre, et ce fut le couloir principal et son porte-photos qui retinrent l'attention de la jeune fille, comme cela avait été le cas la première fois. Elle s'immobilisa en passant devant, pour considérer à la fois les fossettes d'enfant de son aîné, ainsi que la vue de la Voie Lactée prise depuis Tottori, qu'elle avait eu le temps d'envier au cours de ce mois et demi à ne pas être venue.
— Oh, y'en a des nouvelles, réalisa-t-elle en saisissant l'un des cadres pour considérer les paysages développés.
Parmi les trois photos, ce fut avec naturel et force que son regard accrocha celle sur laquelle les couleurs grisonnantes, douloureusement familières, laissaient un éclair couper le cliché. Comme posé sur la ville depuis les nuages, le filament de lumière vive et sinueuse tailladait le ciel. Un frisson lui courut sur la peau, alors que l'écho du tonnerre lui semblait résonner dans l'appartement, et pourtant Akemi ne pouvait s'empêcher de s'émerveiller sur cette image, de penser au temps et au talent qu'un tel timing nécessitait.
Suna remarqua la focalisation de son attention, immobile à côté d'elle, et ce fut seulement lorsqu'elle reposa le cadre qu'il consentit à prendre la parole, tout en reprenant sa marche en direction de sa chambre :
— Mon père a pris cette photo pendant l'orage de la dernière fois. Le même que celui qu'on s'est pris à la plage.
Alors qu'il poussait la porte de sa pièce, Akemi releva vers lui un regard surpris, songeur. Le souvenir encore omniprésent de cette journée ensevelit son esprit, et la chaleur de cette étreinte singulière entre eux lui parut glisser de nouveau sur sa peau. L'orage était effrayant ; mais celui-là restait spécial.
— C'est beau l'orage, lâcha-t-elle en pénétrant dans la chambre d'une voix étonnamment nostalgique.
Suna la considéra par-dessus son épaule, alors qu'elle prenait la peine de dévisager sans gêne les détails de sa chambre pour la seconde fois. Le lien avec la photo qu'elle avait observée se fit naturellement, et dans le silence après avoir fermé la porte, il s'affala sur son lit.
— T'avais jamais vu de photo d'éclairs ?
— Si, sur internet. Mais ça m'a jamais donné l'impression que ça existait vraiment, du coup. Là, le fait que ce soit ton père qui ait pris la photo, ça fait plus réel, tu vois ?
Ils laissèrent tous deux le calme retomber, et après qu'Akemi eut parcouru du regard les différents murs, elle s'assit sur le tapis de la chambre, le dos contre le lit.
— T'as toujours eu peur de l'orage ?
La question ne manqua pas de dérouter l'adolescente, qui riva en sa direction une mine surprise irrépressible. Dans l'attente d'une réponse, Suna se tourna pour s'allonger dans la largeur de son lit, les pieds contre le mur et le visage ainsi à côté de celui de la jeune fille.
— Quasiment, ouais, finit-elle par lâcher. Depuis que je suis petite.
— C'est pas le genre de peur liée à un traumatisme, en général ?
Un léger rire échappa à Akemi.
— Tu mets les pieds dans le plat avec une telle franchise, ça te va pas, Sunarin. J'ai l'impression de me voir.
Suna haussa les épaules pour toute réponse puis enfonça son visage dans la couverture sur laquelle il se trouvait. Akemi l'observa faire du coin de l'œil, et finit par tourner la tête plus franchement en sa direction. Ses pupilles accrochèrent la chevelure brune du volleyeur, et le détail de chacune de ses mèches parfois rebelles, parfois étonnamment bien coiffées. Ses doigts n'hésitèrent que quelques courtes secondes avant de venir les frôler, et dans toute l'audace qu'elle réussit à rassembler, sa main entière glissa contre son crâne. Le volleyeur tressaillit à ce contact qu'il n'avait de toute évidence pas imaginé, mais se laissa toutefois faire.
Ses pommettes s'étaient embrasées, elle le devinait à la chaleur qui lui traversait l'entièreté du corps. Son cœur lui paraissait effectuer looping sur looping, comprimé dans sa poitrine à en devenir douloureux sous le stress, et pourtant elle continua. Avec une douceur dont elle ne prit pas réellement conscience, les mèches s'enroulèrent les unes après les autres autour de son index, sa peau bercée par la chaleur corporelle du lycéen qu'elle sentait à travers le contact furtif avec son crâne.
Si leur proximité n'avait pas été telle qu'elle ne pouvait qu'observer ses cheveux, la tête posée sur le côté sur le lit, sans doute aurait-elle pu prendre conscience de la chair de poule que ce contact réveillait dans la nuque de son aîné.
— Quand j'étais petite, j'allais souvent chez mes grands-parents, commença-t-elle sans bouger. Même s'ils avaient coupé les ponts avec ma mère, j'ai grandi avec eux aussi. Mon grand-père... était quelqu'un de très strict. Il venait d'une famille riche et a été élevé à la dure, tu vois ?
Suna laissa échapper un grognement, le visage toujours dans la couverture, en guise d'approbation.
— Pour me punir, je devais rester enfermée dans ma chambre, chez eux. Alors quand y'avait de l'orage, je pouvais passer autant de temps que je voulais à pleurer pour pas rester toute seule, y'a jamais rien eu à faire. C'est comme ça c'est que c'est devenu une telle source d'angoisse.
La pulpe de ses doigts continua de glisser dans la chevelure du volleyeur, alors même qu'elle avait inconsciemment rapproché son visage. La tête toujours en arrière pour pouvoir être posée sur le lit, de par sa position assise, Akemi ramena ses jambes contre sa poitrine pour terminer les quelques bribes de récit qu'elle venait de faire :
— C'était pas quelqu'un de mauvais, au fond, peut-être juste d'un peu rustre. Mais le problème, c'est qu'il a eu une mauvaise influence, et qu'il a fini par déchirer ma famille...
Contre toute attente, Suna saisit de sa main droite celle de l'adolescente pour permettre à ses mèches de retrouver leur liberté. Loin du geste brusque, le contact électrisant et doux remua le cœur de la jeune fille, qui l'aperçut relever légèrement le visage pour retrouver son champ de vision – ce qu'elle devient ainsi lorsqu'il vrilla sur elle son regard olive.
Le temps parut danser entre eux. Une seconde. Deux, trois, dix, soixante, ils n'en savaient plus trop rien. La chaleur corporelle du volleyeur se propageait toujours jusqu'à elle à travers le contact de leurs mains, lorsqu'Akemi réalisa combien leurs visages étaient désormais proches.
Le souffle qu'elle sentait effleurer son visage. Le regard empli d'audace qui lui faisait face, et qui glissa aussi furtivement qu'une étoile filante sur ses propres lèvres. L'entrelacement naturel de leurs doigts. L'espace qui se réduisait au gré des trop courtes secondes.
L'univers aurait pu s'effondrer qu'ils auraient refusé d'en prendre conscience.
En dépit de cette pensée fugace, ils furent toutefois brusquement rattachés à la réalité par le fracas qui découla de l'ouverture de la porte d'entrée de l'appartement. La jeune fille se redressa dans un sursaut qui lui échauffa les pommettes, sans même avoir le temps de se demander ce qu'il venait de se passer.
— J'suis rentrée ! s'écria au loin une voix féminine, qu'Akemi identifia bien rapidement comme celle d'Atsuko.
Le feu aux joues et le menton posé sur ses genoux après ce sursaut, elle ne parvint pas à prendre conscience de la situation dans son ensemble. Son cœur lui paraissait tambouriner avec une telle rapidité contre sa poitrine que cela en devenait douloureux. La chambre ne lui apparaissait plus, seule l'image du visage de Suna à proximité du sien et imprimée dans son esprit lui semblait emplir encore son champ de vision. Le doute glissa dans ses pensées, soudain omniprésent : étaient-ils réellement sur le point de s'embrasser, ou avait-ce été un tour de son imagination ?
Le léger rire qui échappa à Suna eut le mérite de la reconnecter au monde qui l'entourait.
— Évidemment, murmura-t-il, et elle se rendit compte qu'il avait de nouveau enfoui son visage dans les draps.
— Pourquoi y'a des chaussures de filles dans l'entrée ?
Des bruits de pas retentirent depuis le couloir. Et sans laisser aux deux adolescents le temps de réagir d'une quelconque manière, la porte de la chambre s'ouvrit à la volée pour dévoiler la silhouette de Suna Atsuko. Ses cheveux bruns se posèrent sur ses épaules, signe qu'elle venait de courir trop vite pour leur laisser la possibilité de rester simplement posés le long de son dos, et ce simple constat arracha à la lycéenne l'esquisse d'un sourire amusé. Les prunelles d'Atsuko, couleur singulière et pourtant si familière, alternèrent entre eux d'eux quelques très courtes secondes, avant qu'elle ne se décide à prendre la parole :
— Akemi-chan, c'est trop cool que tu sois là ! s'enthousiasma-t-elle, le regard pétillant de cette malice qu'elle avait pu observer la première fois – expression qui se transforma en une moue surprise lorsque Suna redressa la tête pour quitter sa couverture. Ben, Rin, pourquoi tu rougis comme ça ?
La tête d'Akemi pivota à quatre-vingt-dix degrés sans même qu'elle ne le réalise, à ces mots. Les yeux écarquillés de surprise, elle prit conscience des rougissements qui parsemaient effectivement les joues de son aîné, en dépit du regard mauvais qu'il lançait à sa cadette. Cette simple observation lui hurla que tout n'avait peut-être pas été qu'un rêve ; de toute évidence elle n'était pas la seule à avoir pris conscience de la situation telle qu'elle aurait pu être... Son visage à elle également s'embrasa de nouveau.
— Dégage, souffla le volleyeur, sans prendre la peine de répondre.
La collégienne n'afficha pour toute réponse qu'une mine contrariée.
— Je peux pas rester avec vous ? minauda-t-elle.
Si elle n'avait pas eu l'occasion de le voir bien longtemps et encore moins d'échanger avec lui, Akemi avait plus ou moins cerné leur père : à l'image de son volleyeur de fils, il ne paraissait de premier abord pas très loquace. Totale opposée, Atsuko semblait étonnamment plus extravertie. Et tandis que Suna prenait la peine de répondre par la négative sans qu'elle ne l'écoute, Akemi en arriva à se demander quel personnage pouvait bien être leur mère, pour qu'elle hérite de tels traits...
— Papa m'a dit que t'avais des devoirs à terminer. Faudrait pas qu'il apprenne que tu repousses encore, un dimanche à cette heure-ci, non ?
— T'es méchant, conclut la jeune fille. C'est pas que j'ai pas envie, c'est que j'y arrive pas, en plus.
— C'est dans quelle matière ? s'enquit Akemi.
— En japonais...
— Tu veux que je t'aide ? se proposa-t-elle. J'adore ça !
Le regard olive face à elle retrouva les étincelles perdues quelques secondes auparavant.
— T'es en quelle classe ?
— En première année !
— Trop bien ! s'enthousiasma Akemi en se relevant par réflexe.
Elles échangèrent quelques phrases qui firent soupirer Suna, pourtant il finit par laisser l'esquisse d'un sourire naître sur ses lèvres.
— Ramène le kotatsu, lança-t-il à sa sœur, dans un sous-entendu qui lui fit de toute évidence plaisir.
— Et mes cours ! Je reviens dans deux minutes !
Elle quitta la pièce aussi vite qu'elle était arrivée, sans oublier de fermer la porte derrière elle. Toujours debout, Akemi parcourut les quelques mètres carrés de la chambre dans une curiosité inconsciente, pour se planter devant la petite bibliothèque qui trônait fièrement. Ses iris glissèrent sur les tranches des différentes collections, avant qu'un petit porte-clé ne retienne son attention.
— C'est mignon, constata-t-elle en saisissant l'objet à l'effigie d'un renard souriant. J'imaginais pas quelque chose comme ça traîner ici...
Aucune réponse ne lui parvint, et si le silence flotta entre eux deux courtes secondes, l'adolescente finit par se tourner en direction du volleyeur pour observer sa réaction. L'étonnement semblait étirer ses traits, comme s'il redécouvrait l'existence de ce porte-clé. Akemi arqua un sourcil.
— Prends-le, lâcha-t-il contre toute attente.
— Qu-quoi ? Non, c'est pas ce que je voulais dire...
Il hésita, avant d'enfouir de nouveau son visage contre les draps avec lassitude, comme si ces derniers pouvaient représenter sa carapace contre le monde.
— C'est pour toi.
Surprise et presque incertaine quant à ce qu'elle venait d'ouïr, elle laissa ses prunelles alterner entre sa silhouette et l'objet qu'elle tenait toujours. Ses lèvres s'entrouvrirent et se refermèrent à plusieurs reprises.
— Tu..., commença-t-elle, avant de s'arrêter sans trop savoir quoi dire.
— Je l'ai acheté à Kyoto.
Il fallut à Akemi quelques secondes d'assimilation pour considérer ces mots dans leur ensemble. Un certain malaise enveloppait de toute évidence Suna, reflété par cette manière qu'il avait de rester face contre la couverture, immobile et silencieux ; constat qui fit déglutir la lycéenne de nervosité.
— Je trouvais qu'il te ressemblait. C'est le même sourire que celui que t'as quand tu vas m'entraîner dans un plan foireux sans t'en rendre compte, ajouta-t-il en relevant la tête, pour laisser une moue taquine et narquoise étirer ses traits.
— Rin, aide-moi au lieu de rester affalé comme ça !
Atsuko pénétra à l'intérieur de la chambre les bras chargés, sans prendre réellement conscience de l'ambiance qui y volait. Dans un soupir lourd de sens, sûrement désireux de pouvoir se décharger du malaise qui l'étreignait à la vue de sa camarade immobile, le regard vrillé sur le porte-clé et les pommettes rougies, l'intéressé finit par se lever. Le kotatsu fut installé en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, et la collégienne y prit aussitôt place.
Un fin sourire sur les lèvres, Akemi ferma le poing autour du petit porte-clé, qu'elle finit par glisser dans la poche de sa jupe.
— C'est sur quoi, ton exercice ? s'enquit-elle en s'asseyant à son tour, sous le regard attentif du volleyeur toujours à plat ventre sur son lit.
— C'est de l'expression écrite sur des textes.
Akemi saisit le bouquin qu'elle lui tendit, avant de s'y plonger dans toute la concentration dont elle était pourvue. Les souvenirs de ses années collèges refirent surface à la lecture de l'extrait qui coulait sous ses iris, enveloppés d'une douce nostalgie. Du coin de l'œil, elle pouvait s'apercevoir que Suna continuait de l'observer sans un mot, sans un geste, pourtant elle en oublia ce qui l'entourait et qui n'était pas du japonais.
— Je vois, réfléchit-elle. En fait, c'est moins compliqué que ce que ça en a l'air. Les textes sont surtout faits pour vous aider à apprendre les kanjis. Regarde celui-là, il t'a pas perturbée à la lecture ? indiqua-t-elle en posant l'index sur la troisième ligne.
— Si, je l'avais vu en cours mais j'ai du mal à le retenir...
Un sourire étira les lèvres d'Akemi, alors qu'Atsuko semblait sujette à une illumination. Elles ne surent toutes deux pas dire combien de temps elles étaient restées ainsi, attablées sur le kotatsu à descendre chaque ligne de l'extrait pour une meilleure compréhension de la plus jeune. Les quelques questions écrites plus bas parurent ainsi à la collégienne prendre une nouvelle dimension de simplicité.
Pas une seule fois la voix du volleyeur ne vint briser la bulle de concentration. Il resta immobile à les fixer quelques minutes, avant que son intérêt ne finisse porté par son smartphone et les différents réseaux sociaux qui y étaient installés. Et puis il finit par s'occuper comme il le pouvait...
— Rin, arrête avec les photos zoomées de mon visage que tu comptes m'envoyer dans une semaine pour me voir faire la tête, souffla Atsuko, sans quitter des yeux son crayon et les réponses aux questions qu'elle notait.
Le regard amusé d'Akemi remonta à ces mots jusqu'à un Suna qui plissait le front – était-ce sa manière de se montrer vexé ? – avant qu'il ne tourne l'objectif de son smartphone en sa direction.
— Je vais devoir trouver une autre victime, alors.
— Ah non attends ! Prends-moi avec Akemi-chan, s'enthousiasma Atsuko en relevant brusquement la tête de son cahier.
L'instant photos sonna comme une pause, au cours de laquelle la plus jeune insista par la suite pour les prendre tous les deux. Ce fut lorsque la dernière réponse trouva son point final, un quart d'heure plus tard dans une clameur de satisfaction, que le volleyeur se débarrassa de son téléphone. Désormais assis autour du kotatsu et adossé à son lit, conséquence de la séance photos à laquelle il n'avait pu échapper, il observa avec un sourire doux les deux filles face à lui.
— Ils sont trop bien tes trucs mnémotechniques pour retenir les kanjis, Akemi-chan !
— N'est-ce pas ? Ils m'ont sauvé la vie, au collège !
— Tu expliques vraiment bien, ça paraît beaucoup plus simple avec toi, souffla la jeune Suna.
Akemi laissa la commissure de ses lèvres s'étirer.
— J'avais l'habitude d'aider mes cousines à faire leurs devoirs et à réviser, c'est pour ça !
— Alors tu veux pas devenir ma prof ? J'suis sûre que j'aurais des meilleures notes.
Si l'envie de vivement approuver dans un rire lui effleura l'esprit, l'adolescente afficha une moue plus surprise que réjouie. Plus d'une fois, elle avait eu l'occasion d'entendre ses cousines prononcer une telle phrase, et si les tensions familiales qui avaient régné sur les derniers mois l'avaient empêchée de reprendre cette habitude de tutorat, elle n'avait jamais réellement réalisé combien ces moments lui avaient manqué.
Pourtant, à cet instant et installée à son aise dans la chambre de son aîné, elle en prenait conscience. Enseigner était amusant, et la satisfaction qui en découlait n'était que plus grande.
— Rin, Akemi-chan elle pourra revenir à la maison pour m'aider ?
Le silence s'écrasa sur leurs trois silhouettes, au fil duquel ils se considèrent en chien de faïence. La main d'Akemi glissa jusqu'à la poche de sa jupe dans laquelle elle avait glissé le porte-clé de renard.
— Si t'es sage, lâcha finalement Suna en s'affalant sur la table.
« Si t'es sage ». Les mots sonnèrent si familiers aux oreilles de la lycéenne qu'elle en sentit ses pommettes s'embraser sur le coup, pour les avoir entendu à chaque fois qu'elle lui avait demandé quelque chose. Et à cette réflexion, son cœur de s'emballer de nouveau dans une course aussi douloureuse que délicate.
C'était une réponse positive, elle arrivait à le deviner, maintenant.
****
J'étais super impatiente de vous présenter ce chapitre, et de vous montrer le développement de la relation de mes deux petits loups. Là on est au paroxysme du mutual pinning, exactement ce que j'adore écrire héhé~
Et n'en voulez pas à Atsuko au passage, c'est juste une collégienne de 12 ans qui veut passer du temps avec son frère (enfin, c'est comme ça que je l'ai créée) !
J'espère que ce chapitre vous a plu en tout cas, car je me suis éclatée à l'écrire ! Si c'est le cas, n'oubliez pas de cliquer sur la petite étoile, et n'hésitez pas à laisser un petit commentaire c:
En ce qui concerne les petits facts:
• L'idée du porte-clé m'est venu suite à un commentaire de @awsenne (je n'arrive pas à te taguer sur téléphone 🙁) sur le chapitre 24. J'y avais pas pensé, mais après réflexion je l'imaginais trop ramener un truc, puis finalement ne pas le donner. Mais Akemi cette fouine est là pour le trouver~
• Comme Akemi l'a expliqué dans ce chapitre, c'est principalement son grand-père qui est responsable des tensions dans la famille (un peu malgré lui au fond). C'est en partie pour ça qu'Akemi et Misaki sont restées proches de leur grand-mère suite à son décès, malgré le manque de tact ahah
Et sur ce, je vous dis à samedi prochain <3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top