Chapitre 33 - Coup de massue







Au fond, ce n'était pas qu'Akemi ne supportait pas ses camarades de classe. Personne ne lui avait jamais manqué de respect, et son caractère spontané faisait qu'elle ne peinait jamais à dialoguer avec chacun d'eux. Le souci venait plutôt des discussions qui volaient la plupart du temps dans l'air, qui lui parvenaient parfois au gré d'une oreille distraite, ou de manière frontale. Ce n'était pas toujours le cas, et quelques précieuses exceptions demeuraient, mais la bulle hermétique dans laquelle l'adolescente avait choisi de s'enfermer depuis des mois, à se fermer au monde qui ne serait pas Ritsuka, ne parvenait pas à voler en éclats.

Aussi, lorsque sa meilleure amie ne pouvait pas manger avec elle, la corvée des commérages la heurtait à chaque fois.

— Et donc là tu vois, je marchais tranquillement dans la cour quand Atsumu-senpai m'a interpellée, expliquait à ses côtés Makoto, qu'elle n'écoutait qu'à moitié.

— Mais non ?!

— Mais si !

— Il était tout seul ? Il voulait quoi ?

— Non, il était avec Osamu-senpai et Suna-senpai. En plus, je te raconte même pas comment Suna-senpai me dévorait du regard...

Bien malgré elle, et en dépit de combien elle s'efforçait de rester de marbre, Akemi sentit la crispation étirer l'ensemble de son visage. Ses iris azurés quittèrent le morceau d'omelette encore présent au fond de son bento pour glisser jusqu'à ses camarades de classe, qui ne lui prêtaient pourtant pas attention. Leurs lèvres continuaient de se pouvoir au gré de paroles qui n'atteignaient même plus ses tympans.

Elle le connaissait désormais bien assez pour pouvoir affirmer avec certitude que Suna n'était pas du genre à « dévorer » une inconnue des yeux – au mieux, il se moquait intérieurement de cette mèche rebelle étrange qui ressortait de la chevelure de sa camarade. Pourtant, l'agacement demeurait.

— Fais pas gaffe à ce qu'elles disent, s'éleva à proximité d'elle la voix de Miuri Kasumi.

Akemi tourna une moue surprise en direction de son interlocutrice, assise à leurs côtés aux pupitres groupés. L'esquisse d'un fin sourire de compassion étirait ses lèvres et brillait dans son regard noisette, alors même que personne dans la salle de classe ne paraissait les écouter. La jeune fille prit la peine d'analyser ces mots, le sens caché qu'ils pouvaient bien contenir, et fronça ainsi naturellement les sourcils de perplexité.

— Comment ça ? risqua-t-elle.

— Tu t'entends bien avec Suna-kun, non ?

Le silence tomba entre elles. « Bien s'entendre ». Il était difficile de décrire leur relation, et si elle avait dans un premier temps commencé à sens unique sous sa propre volonté et son envie de rapprocher Ritsuka et Kita, c'était bien en direction du Suna qui l'écoutait, que ses sentiments s'étaient finalement tournés. Le Suna taquin et moqueur, mais qui prenait la peine de considérer ce qu'elle avait à dire. Le Suna nonchalant, mais qui prenait la peine de l'aider à réviser ses mathématiques. Le Suna flemmard, mais qui prenait la peine de venir jusqu'à chez elle voir si elle était toujours malade.

Au fond, sûrement s'entendaient-ils effectivement bien. Peut-être même plus que bien. Elle n'en savait trop rien.

La curiosité engendrée par la provenance de cette question prit rapidement le dessus sur cette réflexion. Et sans doute Kasumi dut-elle le deviner, car elle reprit en se penchant vers elle, dans un chuchotement :

— Désolée, j'ai menti la dernière fois. Je vous avais dit que même si on habitait dans le même quartier, je connaissais pas bien Michinari... En fait c'est faux, et comme on finit tous les deux assez tard avec lui le volley et moi le club de musique, on rentre ensemble quasiment tous les jours.

Le murmure de sa voix ne parut pas interpeller leurs deux camarades, visiblement trop plongées dans cette discussion toujours axée sur les jumeaux Miya et dans leur superficialité habituelle. Akemi cligna des yeux à plusieurs reprises, signe qu'elle étudiait la situation, avant que l'illumination ne se fasse. Kasumi se fichait bien de ce que son lien avec le volleyeur de terminal pouvait lui apporter. Bien au contraire, elle préférait visiblement s'en éloigner. Pourtant, ses pommettes rosissantes dans une teinte légère et douce se firent bien plus éloquentes que les conclusions auxquelles elle parvenait.

— Je sais pas grand-chose rassure-toi, reprit Kasumi devant le mutisme peu habituel de la jeune fille. Juste que vous êtes assez proches.

Elle parut hésiter, les lèvres pincées et un doigt enroulé autour de l'une des mèches de sa chevelure violacée, mais reprit :

— Depuis un... certain événement dont j'ai aussi entendu parler.

Akemi gonfla les joues à cette mention. Elle ne pouvait faire référence qu'au service dans la tête...

— Je vois que t'es au courant qu'il a essayé de me tuer, alors.

Un éclat de rire sincère lui fit office de réponse, ce qui ne manqua pas d'arracher à la jeune fille un large sourire. Et en moins de temps qu'il ne lui fallait pour le penser, Akemi réalisa qu'elle venait d'appliquer les conseils transmis : ne pas faire gaffe à ce que leurs camarades disaient. Car après tout, à l'exception de quelques camarades de classes avec qui il restait, Suna ne paraissait pas vraiment proche d'autres lycéennes. Et de toute évidence, elle était bien la seule qu'il avait assommée...

— Mais du coup tu m'as pas dit pourquoi Atsumu-senpai t'a interpellée ! s'éleva la voix de sa camarade à côté, d'un ton dramatique qui couvrit toutes les conversations de la pièce.

— En fait, il–

— Oh d'ailleurs, je sais pas si t'as remarqué mais on le voit souvent avec cette fille brune de sa classe, en ce moment. Tu la connais ?

— Celle avec laquelle il se dispute souvent ? s'enquit Makoto, sans même se formaliser de s'être faite couper la parole ainsi.

— Oui ! Mais c'est bizarre de rester autant avec quelqu'un que t'apprécierais pas, non ?

Akemi s'apprêtait presque à tendre une oreille à l'attention de leur conversation, lorsqu'elle aperçut les prunelles de Kasumi faire les navettes entre sa personne et l'entrée de la salle. Comme pour mettre fin à ses courtes secondes d'interrogation silencieuse, elle finit par désigner d'un signe de l'index la porte qui se trouvait dans son dos. Et quelle ne fut pas sa surprise lorsque la silhouette de sa sœur s'imprima sur sa rétine depuis l'embrasure.

Quelques murmures s'élevèrent dans la pièce, reflets de la surprise générale quant à la présence de Fumiya Misaki à l'étage des première année. Et si Akemi darda sur elle un regard interrogatif, son aînée se contenta de lui faire signe de la rejoindre.

— Il s'est passé quelque chose ? s'enquit la cadette, une fois qu'elle eut posé un pied dans le couloir.

Un voile d'inquiétude passa à la surface des prunelles bleues de Misaki, d'une manière si fugace qu'Akemi eut le temps de s'inquiéter, avant de se demander si elle n'avait pas rêvé.

— Je sais pas trop, répondit Misaki avec une sincérité perturbante. Je voulais te parler d'un truc, ça te dérange si on monte jusqu'à la salle du conseil ?

Bien malgré elle, la plus jeune ne put empêcher son palpitant d'entamer une accélération presque douloureuse. Le ton de sa sœur paraissait trop sérieux pour qu'elle ne vienne lui annoncer qu'un coup de fil des parents lui avait indiqué que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Ce fut ainsi dans un silence lourd de sens qu'elles montèrent jusqu'au dernier étage, pour pénétrer dans la salle dénuée de monde.

— Les autres membres sont pas là ? s'enquit Akemi, alors que ses pupilles curieuses arpentaient chaque détail de cette pièce dans laquelle elle n'était que très rarement venue.

— Non, on mange pas ici tous les jours.

— Bon, de quoi tu voulais me parler ?

Le calme tomba de nouveau entre elles, bien rapidement brisé par un soupir de l'aînée.

— Bon je vais pas y aller par quatre chemins alors, concéda-t-elle, l'esquisse d'un sourire amusé face à l'aplomb dont sa cadette faisait preuve, comme à son habitude. Je crois bien que maman a repris contact avec mamie.

Il fallut à Akemi plusieurs secondes pour être capable d'assimiler ce que ces mots signifiaient. Le temps lui parut tournoyer à l'infini, rythmé par le tic incessant de l'horloge murale. Depuis des années maintenant, suite à son mariage avec leur père, leur mère et leur grand-mère avaient rompu tout lien, en dépit de celui du sang. Youko s'était toujours contentée des faits, et quand bien même elle avait tout fait pour qu'il n'en aille pas de même avec les deux jeunes filles vis-à-vis de leur aïeule, il n'avait jamais été question de reprendre contact.

— Comment tu le sais ?

— Hier soir je suis passée voir mamie après les cours, je comptais m'arrêter à la base. Mais j'ai vu la voiture de maman garée dans sur le parking... J'ai voulu m'approcher, mais comme j'ai rien pu voir je suis rentrée.

Plus dur qu'un coup de massue, plus violent qu'un service dans la tête, les paroles de son aînée s'écrasèrent avec force sur les épaules de la lycéenne. Les absences répétées de sa mère au cours des dernières semaines furent justifiée avec un tel naturel qu'un frisson lui remonta le long de l'échine. Et si elle tenta, au cours de secondes interminables, de comprendre quelles pouvaient être ses motivations ou encore celles de leur grand-mère, l'incompréhension dominait.

Ce n'était pas qu'elles ne s'étaient plus jamais revues au cours de ces vingt dernières années, mais plutôt que les contacts s'étaient faits brefs, en cas de nécessité. Quand bien même Youko n'avait jamais réellement caché l'amertume que ce lien brisé avec sa mère laissait en elle, elle n'avait à aucun moment laissé sous-entendre que cette situation arriverait, bien trop amourachée de son mari.

Mais aujourd'hui, les choses avaient visiblement changé.

— Qu'est-ce qu'on doit faire ? risqua-t-elle, brisant au passage le calme pesant de la pièce.

— Rien, répondit Misaki dans un haussement d'épaules. C'est pas vraiment à nous de faire quelque chose, ils doivent régler leurs histoires comme les grands adultes qu'ils sont.

Un sourire au bord des lèvres, elle posa avec douceur un poing sur le front de sa cadette, dans un geste qui se voulait réconfortant. Les altercations du soir, le silence du reste de la journée ; elles étaient deux à le vivre au quotidien, et chacune demeurait consciente de ce sentiment qu'elles partageaient. Plus que jamais, Akemi réalisa le soutien nécessaire qu'était sa sœur dans sa vie.

— Heureusement que t'es là, Misa, souffla-t-elle. Je sais pas ce que je ferais si je devais vivre ça toute seule...

L'adolescente de première année n'aurait su dire quel était cet étrange mélange d'émotions qui venait de serpenter à la surface des prunelles azurées qui lui faisaient face. Palette de sentiments visiblement confus et contradictoires, elle n'eut toutefois pas le temps de s'interroger sur chacun d'eux, que déjà sa sœur laissait ses doigts courir dans sa chevelure pour l'ébouriffer.

— Te tracasse pas trop avec tout ça, d'accord ? Je vais voir si j'arrive à parler avec maman.

Et alors qu'Akemi approuvait d'un hochement peu convaincu de la tête, son aînée embraya sur leurs cours respectifs de la matinée, avant que la vice-présidente du conseil ne fasse irruption dans la petite salle qui leur était réservée. Ce fut ainsi sans réel enthousiasme qu'elle quitta les lieux pour rejoindre le premier étage, dénuée de cet entrain qui lui était si propre. Les silhouettes de ses camarades se succédaient les unes les autres sur sa rétine sans qu'elle n'en prenne conscience, incapables de bouleverser l'écho tumultueux de ses maux qui résonnait contre les parois de son crâne.

— Oh, mais ce serait pas Fumiya-san, ça ? s'éleva une voix à proximité d'elle.

Il fallut toutefois que le visage de Miya Atsumu pénètre l'entièreté de son champ de vision, penché devant elle, pour qu'elle ne réalise sa présence. Un sursaut de surprise lui échappa, à tel point qu'elle manqua de glisser sur la marche de l'escalier sur laquelle elle se trouvait ; réaction qui n'échappa de toute évidence pas au passeur, à en juger par le sourire qui étira la commissure de ses lèvres.

— Si tu commences à tomber à chaque fois que je te vois, je vais me poser des questions.

Un rire étouffé parvint aux oreilles de la lycéenne, qui remarqua ainsi la présence de Suna derrière lui. Rattachée de force au monde qui l'entourait, elle resta immobile et silencieuse, alors que ses prunelles serpentaient sans vraiment les voir sur les quatre volleyeurs de seconde année à ses côtés dans les escaliers, qui montaient visiblement jusqu'au deuxième étage.

— Désolée, je t'avais pas vu alors tu m'as surprise, lâcha-t-elle simplement en toute franchise.

Du coin de l'œil, elle aperçut Suna plisser le front devant cette réponse, détail qui ne parut pas échapper à Atsumu. Son regard noisette alterna entre eux deux à plusieurs reprises, alors qu'un calme trop pesant pour être naturel s'écrasait sur la conversation. Peu désireux de rester éternellement planté dans les escaliers, Osamu délaissa leurs côtés

— Le malaise, releva le nouveau capitaine de l'équipe, une moue exagérément pensive imprimée sur le visage. C'est à cause de Narumi-san ?

Un soupir de lassitude échappa à Suna, si bien qu'Akemi plissa le front d'une manière inconsciente, interpellée par ce que Kisara pouvait bien venir faire dans la conversation. En avait-elle manqué une partie ? Il ne le lui semblait pourtant pas.

— Faut vraiment que t'apprennes à lire entre les lignes, sérieux, lâcha Ginjima dans un soupir d'exaspération, avant de suivre Osamu dans un rapide « salut » à l'attention d'une Akemi perplexe.

— Ah ?

À son tour, Atsumu s'élança pour gravir les quelques marches qu'il lui manquait, suivi par Suna qui ne prononça pas un seul mot.

— C'est moi où on dirait qu'elle allait pleurer ? s'enquit Ginjima une fois que le passeur eut atteint sa hauteur.

— Je sais pas, mais c'est vrai que je l'imaginais pas comme ça. Tu devrais pas aller la voir, Suna ?

Prononcés sans le moindre ton qui se serait voulu moqueur ou taquin, sans la moindre arrière-pensée, les mots virevoltèrent dans l'air ardent et trop chauffé du couloir.

Pourtant, aucune réponse ne leur fit écho.

— Comme s'il y était pas déjà allé, sourit Ginjima dans un haussement d'épaules, avant de désigner du pouce l'espace derrière eux, vide de la présence de leur ami.





~ ~ ~





Et oui, je n'oublie pas du tout les petits bouts d'intrigue familiale dispersés çà et là au fil de l'histoire. C'est assez secondaire, (et on n'atteint évidemment pas le niveau de drama que j'ai l'habitude de faire mdrr), mais Akemi reste humaine et, surtout, une adolescente de seize ans, alors elle prend les choses à cœur !

Kasumi est une OC que j'aime énormément, elle est très très secondaire dans cette histoire mais elle est très développée dans un petit coin de ma tête (et dans mes MP avec deux amies qui se reconnaîtront). Ceux qui me suivent sur Instagram l'ont d'ailleurs déjà vue~

Bref, trêve de bavardages, j'espère que ce chapitre vous a plu ! Si c'est le cas, n'oubliez pas de cliquer sur la petite étoile, et n'hésitez pas à laisser un petit commentaire~
Et désolée d'avoir coupé ici, mais ne vous en faites pas, on retrouvera les deux loustics ensemble dans le prochain chapitre c:

Sur ce, je vous dis à samedi prochain <3

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