Chapitre 32 - Zéphyr
Le froid de l'hiver enveloppait toujours avec férocité Kobe, serpentait à travers les ruelles de la ville pour se glisser jusqu'aux espaces les plus reclus. La chute des températures se faisait ressentir tant dans l'air que dans l'image renvoyée par les habitants, emmitouflés dans manteaux, écharpes et bonnets. Mais aux antipodes de ce tableau, ce fut simplement vêtu de son tee-shirt de sport noir que Suna pénétra dans l'enceinte du gymnase, alors que l'entraînement avait déjà commencé depuis quelques minutes. Les regards se braquèrent ainsi aussitôt en sa direction.
— Ah, Suna ! C'est à cette heure-là qu'on arrive alors que son nouveau capitaine vient d'être désigné ? s'éleva la voix d'Atsumu à travers l'immense pièce.
Le central se contenta de rouler des yeux pour toute réponse, avant de considérer ses coéquipiers, ainsi que les balles qui fendaient l'air. Une semaine après leur match aux nationales, les entraînements reprenaient. Chargés d'un air nouveau et dépourvus de la présence des terminales, ils laissaient un sentiment singulier de nostalgie peser sur leurs épaules à tous.
— Tu me donnes froid, lâcha Osamu avec calme, sans que personne ne tienne compte de la réflexion du nouveau capitaine effectivement désigné. T'as pas ta veste ?
— Je l'ai oubliée, éluda l'adolescent, peu désireux de dévoiler la vérité devant tous ses coéquipiers.
— C'est pas dans tes habitudes d'arriver en retard, ajouta Ginjima sans prêter attention à sa réponse, tout en lui lançant le ballon qu'il tenait – ballon qui fut réceptionné sans mal. T'étais où ?
Dans un réflexe qui le surprit lui-même, Suna sentit son corps tout entier se raidir. Ses prunelles olive observèrent avec attention la mine curieuse de son coéquipier, pour constater qu'il n'y avait pas le moindre sous-entendu dans sa question. Mais s'il y avait bien une personne à qui il aurait aimé taire la raison de son retard, c'était bien lui.
— Ah oui, Narumi-san voulait te parler, non ? réfléchit Osamu alors qu'ils se regroupaient pour l'échauffement – et le numéro dix le maudit intérieurement pour son manque évident de délicatesse.
La semaine précédente, Narumi avait effectivement cherché à lui parler, avant qu'il ne s'échappe pour partir chez Akemi. Et si les circonstances de leur journée du lendemain les avaient empêchés de reporter cette conversation, ils avaient dû attendre ce jour, après un week-end au cours duquel il avait totalement oublié ce détail. Suna n'aurait su dire s'il avait été surpris ou non par cette déclaration. Si ce n'était pas le genre de choses auxquelles il faisait attention ou auxquelles il s'intéressait, il ne pouvait pas nier avoir constaté un comportement étrange de la part de sa camarade de classe au cours des dernières semaines. Sans réellement s'en être formalisé pour autant.
— Désolé, souffla-t-il simplement à l'attention de Ginjima, avant de faire volte-face pour rejoindre l'autre côté du filet, peu enclin à s'étaler sur le sujet.
— Attends, l'interpella son ami.
Un fin soupir lui échappa, plus rythmé par le malaise que par un quelconque agacement. Suna ne disait rien, mais il observait. Il observait suffisamment pour avoir pris conscience du fait que Narumi et son coéquipier s'étaient de toute évidence rapprochés, depuis leur voyage scolaire. Au moins suffisamment pour que l'attention que ce dernier lui portait ne lui échappe pas.
— Tu lui as dit quoi ?
S'il considéra la perspective de répondre dans les détails avant de bien vite se résigner, l'adolescent ne put se montrer surpris d'apprendre que Ginjima savait de quoi il retournait. Sa poigne se resserra de manière inconsciente autour de la balle qu'il avait précédemment attrapée, avant qu'il ne fasse volte-face.
Maudite conscience, maudite culpabilité.
— Je l'ai rejetée.
— Rejetée ? s'immisça la voix d'Atsumu au beau milieu de leur conversation, et le central regretta d'avoir baissé sa garde l'espace de quelques secondes – surtout maintenant que Kita n'était plus là. Suna, t'as rejeté une fille ? Petit cachotier, pourquoi tu nous en as pas parlé ?
— C'est pas la première fois, rétorqua Osamu de loin, tandis que les première année de l'équipe commençaient tous à leur porter attention.
— Mais c'est qu'il est populaire notre Suna ! reprit Atsumu, sous le regard lassé de tous ses coéquipiers.
— C'est eux qui disent ça, souffla Ginjima dans son coin.
Leurs voix se mêlèrent dans un débat qui n'intéressait pas le moins du monde Suna : s'il aimait les ragots, il y trouvait un certain désintérêt lorsqu'il en était la cible. Sans un mot, il s'éloigna du rassemblement créé pour commencer à s'échauffer dans son coin avant que le coach n'arrive. Débattre sur une potentielle popularité était bien la dernière chose qu'il voulait, et encore plus devant son ami dont il ne parvenait pas à évaluer le ressentiment.
Mais s'il espérait se concentrer sur le volley, il déchanta bien vite. Le pire, ce n'était pas sa culpabilité qui lui nouait l'estomac, ni même le souvenir de la mine concernée de Ginjima qui s'imprimait dans son esprit ; mais bien la conversation qu'il avait pu entretenir avec sa camarade de classe, et qui résonnait en écho contre les parois de son crâne. Ça avait été une confession, mais ça avait plus eu l'air d'un au revoir.
Parce qu'au final, Narumi avait plus parlé de Fumiya que d'elle-même.
Et de cette conversation, seule avait découlé l'envie de voir la jeune fille, de lever les interrogations nées. Alors être populaire lui importait bien peu. La palette d'émotions que représentait Akemi, le naturel de leurs conversations et de leur relation, cette manière qu'elle avait de gonfler les joues pour un oui ou pour un non, de constamment revenir telle une fleur vers lui. Ces détails avaient bien plus de valeur à ces yeux.
Et si les sentiments de sa camarade n'avaient pas manqué de le toucher et de le flatter, ce n'était malheureusement pas vers elle que l'envie de se tourner se faisait.
Un brouhaha arracha le volleyeur à ses pensées, avant qu'il ne réalise s'y être égaré. Les portes du gymnase s'étaient de nouveau ouvertes sur les silhouettes du coach et des élèves de terminale, et la vision de leur uniforme scolaire ne put qu'amplifier la nostalgie qui les étreignait tous depuis leur entraînement du matin.
— On voulait passer vous voir un peu ! expliqua Akagi devant le regroupement qui s'était déjà formé – regroupement que Suna rejoignit naturellement.
— Ça se passe bien ? continua Aran. On a appris que c'était toi qui passais capitaine, Atsumu. Vous n'avez peur de rien, coach Kurosu, lança-t-il dans un rire à l'attention de leur coach, chez qui un fin sourire s'était dessiné.
Un éclat de rire groupé fit ainsi écho au sien pour envahir le gymnase à ces mots, et glisser dans l'air. Air qui parut s'imprégner de l'instant présent comme si aucune coupure n'y avait jamais existé, comme si chaque moment pouvait se figer dans le temps ; comme s'ils ne seraient jamais séparés.
— C'est ça moquez-vous, vous verrez je serai un super capitaine !
— Pour l'instant le super capitaine il a passé plus de temps à parler de la popularité de Suna qu'à remplir son rôle.
— Samu ! geignit ledit capitaine pour toute réponse.
Les sourcils de Suna se froncèrent naturellement lorsqu'il aperçut les visages de ses aînés se tourner en sa direction sous la curiosité, sans que personne ne porte attention aux chamailleries des jumeaux. Un soupir las franchit le mur de ses lèvres.
— Il s'est passé quelque chose ? s'enquit Kita, un sourcil arqué et une mine concernée imprimée sur ses traits.
— Rien d'important–
— Juste une confession visiblement, ajouta Kosaku, un sourire amusé au coin des lèvres avant même que Suna n'ait pu terminer sa phrase.
Un « oh ! » de surprise échappa à Aran, avant qu'il ne réalise que la situation n'avait, en réalité, rien d'étonnant au vu de la popularité dont jouissaient ses coéquipiers. L'esquisse d'un sourire taquin étira la commissure de ses lèvres, sans qu'il n'ait le temps de dire quoi que ce soit :
— C'était cette fameuse Fumiya ? questionna Atsumu, qui avait visiblement arrêté de se battre avec Osamu après s'être faits remettre à leur place par le coach.
Les regards alternèrent tous d'un même mouvement entre le central et le passeur à ces mots.
— Fumiya-san ? s'étonna l'ancien capitaine.
— C'est pas la fille de la dernière fois, ça ?
— Tu l'as rejetée ? continua Atsumu avec un sérieux surprenant, auquel se mêlait sans doute une pointe d'amusement. Mais je croyais que tu l'aimais bien ?
Suna tiqua.
— J'ai jamais dit ça, signala-t-il, les sourcils froncés de perplexité.
— Et c'est qui qui a passé plus de temps à parler avec elle qu'à visiter Kyoto ? reprit le passeur, un sourire bien plus prononcé et joueur sur les lèvres.
À court d'arguments et incapable de réagir de manière rationnelle face à l'étrange sensation qui pétillait dans son torse, Suna resserra l'étreinte de ses doigts autour du ballon de volley qu'il maintenait toujours. Si la plupart de ses coéquipiers et ex-coéquipiers s'étaient engagés dans une autre conversation à quelques mètres d'eux, les regards insistants et taquins de Ginjima, Akagi, et Aran finirent d'achever son calme.
— La ferme, finit-il par lâcher, en lançant d'un geste dénué de force son ballon sur le crâne du nouveau capitaine.
— Il a pas tort en même temps, ajouta Ginjima.
— Je vois pas ce que ça fait, reprit le central dans un haussement d'épaules détaché.
Le souvenir du voyage scolaire refit surface dans son esprit, tel un écho à ces mots. Ses coéquipiers n'avaient pas tort, d'une certaine manière il avait passé beaucoup de temps à parler avec Akemi par Line, au cours de ces trois jours de visite de Kyoto – et maintenant qu'il y repensait, il prenait réellement conscience de combien Narumi avait pourtant essayé de partager quelques moments avec lui. Plus que l'irritation de voir ces visages face à lui se fendre de sourires taquins, une sensation de quiétude singulière brûla dans son ventre à cette pensée, avant que les réminiscences des instants passés aux côtés de la jeune fille ne se bousculent dans sa mémoire.
Le toucher brûlant de sa peau fiévreuse, la chaleur de cette étreinte partagée à la gare. L'image de ses réceptions à la fois adroites et maladroites sur le sable de la plage. Sa présence inopinée entre les quatre murs de sa chambre, et la façon dont son odeur lui avait paru répandue dans la pièce au cours de toute la soirée après son départ. Le pétillement dans ses prunelles lorsqu'elle avait aperçu les photos affichées dans son couloir. Ce semblant de soulagement qui l'avait enlacé lorsque le quiproquo amorcé par Akemi s'était levé – avec du recul, maintenant, il ne savait dire si cela été lié aux potentiels sentiments de sa camarade de classe à son égard ou bien aux siens.
Sans même qu'il ne le réalise, elle était entrée dans sa vie, telle une bourrasque, une tempête. Prête à souffler un vent nouveau sur son quotidien au gré de son dynamisme et de son manque de gêne, de son incapacité à abandonner. Sa présence avait commencé à s'illustrer telle une évidence, et avant même qu'il n'en prenne conscience, voir son nom affiché sur l'écran de son smartphone était devenu chose normale.
Akemi était ce zéphyr dans sa vie ; avec elle sonnait l'arrivée du printemps.
Alors peut-être bien que face aux réflexions de ses coéquipiers et dans l'objectif de nier en bloc, Suna commença à manquer d'arguments.
— Mais je croyais que c'était Narumi-san que t'avais rejetée ? questionna Osamu, visiblement confus par le sens qu'avait pris la conversation, l'arrachant ainsi à sa réflexion.
Un ange passa.
Dans un même geste, tous les volleyeurs se tournèrent en direction de l'attaquant, alors que le silence s'écrasait sur le gymnase. Le coach y mit fin avec suffisamment de persuasion pour qu'ils choisissent de se tourner de nouveau vers leur entraînement. Et sans que personne n'ait pris la peine de répondre à Osamu, le central laissa finalement échapper un long soupir, avant de se baisser pour récupérer le ballon qu'il avait précédemment lancé sur Atsumu et de s'éloigner.
— Suna, l'interpella Kita de son calme habituel. Il s'est passé quelque chose avec Fumiya-san ?
Le volleyeur plissa le front à cette interrogation dont il ne saisissait pas le sens. Ginjima rejoignit leur hauteur avant de passer une tête curieuse entre eux, détail qui laissa Suna comprendre qu'il avait entendu la question de l'ancien capitaine.
— Non, qu'est-ce que tu veux qu'il se soit passé ?
— Le sujet t'irrite, lâcha Kita, sans laisser cette fois l'ombre d'un questionnement tournoyer dans l'air, vêtu de son masque d'impassibilité. Comme Nagano-san m'a dit que tu étais allé la voir chez elle la semaine dernière.
La moue désabusée du numéro dix s'amplifia, au même titre qu'une déglutition coulait dans sa gorge – le sourire taquin qui étira les lèvres de son coéquipier muet à leurs côtés n'était de toute évidence pas étranger à cette réaction. Pourtant, aucune réponse ne parvint ; seul demeurait le dilemme de répondre que la situation ne les regardait pas, ou de demander comment avait-il bien pu en arriver à évoquer ce genre de sujet avec Nagano.
— Oh, alors c'est pour ça que t'étais aussi pressé après les cours jeudi dernier alors, lâcha Ginjima de son entrain habituel, auquel venait se mêler une pointe de taquinerie.
La commissure des lèvres du central s'étira au gré du voile de malice qui glissa furtivement à la surface de son regard olive. Ses pupilles alternèrent entre les deux lycéens l'espace de quelques secondes, avant qu'il ne se tourne entièrement vers Kita. Acculé de la sorte et bien peu désireux de capituler, il songea à la seule carte qu'il possédait dans sa manche, seule chance de victoire s'il voulait réussir à détourner à sa guise la conversation.
— J'espère que c'était cool la patinoire en tout cas, lança-t-il dans un sous-entendu qu'ils ne pouvaient qu'être les seuls à comprendre.
L'incompréhension qui étira les traits de l'attaquant à leur côté confirma cette pensée, tandis que, chose rare, le visage de Kita se déformait de manière quasiment imperceptible sous le coup de la surprise. Fier de son effet et sans un mot supplémentaire, Suna rejoignit le reste de ses coéquipiers.
Ses sentiments n'appartenaient qu'à lui, après tout. Prendre du recul sur ce qu'il ressentait était une chose. L'exposer à toutes ces oreilles curieuses de la sorte en était une autre.
~ ~ ~
Un petit chapitre du point de vue de Suna, et focus sur ces chers volleyeurs, que j'avais hâte de vous partager ! Ça vous permet de vous rendre également compte d'où il en est ce ptit loup dans ses sentiments héhé.
Je suis désolée de vous faire ce petit spitch, mais s'il vous plaît, n'oubliez pas de voter ! Je sais que c'est un geste anodin pour certains, mais c'est très important pour un auteur, c'est ce qui lui offre de la visibilité et l'encourage ! C'est pour cela que c'est assez frustrant de voir les vues monter sans que les votes ne suivent...
Bref, j'espère que ce chapitre vous a plu en tout cas, parce que j'avais adoré l'écrire héhé !
Et sur ce, je vous dis à samedi prochain <3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top