Chapitre 26 - Éphémère





En dépit de ce à quoi Akemi s'était attendue, le voyage scolaire auquel elle n'avait pas participé ne s'était pas révélé si désastreux et insurmontable que cela. Bien au contraire, il avait de son point de vue filé à une vitesse surprenante, et s'était par la suite vu remplacé par le calme des vacances de Noël – la notion de calme étant relative. Qu'il s'agisse des messages échangés avec Ritsuka et avec Suna, ou bien encore toutes les photos qu'elle avait reçues et qui lui avaient presque donné l'impression d'être présente, la jeune fille l'avait sans doute mieux vécu qu'elle ne l'aurait imaginé.

Et avec du recul, elle réalisait même que cette distance physique lui avait permis de parler davantage encore avec le volleyeur qu'à l'accoutumée. L'idée qu'il s'ennuie lui avait effleuré l'esprit, avant qu'elle ne balaye cette perspective d'un revers de la main : elle n'en avait que faire des raisons. La surprise s'était toutefois mêlée au noeud de culpabilité lorsqu'elle avait constaté que sur l'entièreté des photos que sa meilleure amie lui avait envoyées, Kisara n'était que rarement avec Suna – soit elle avait passé davantage de temps avec Ginjima, soit Ritsuka avait bien choisi les photos à lui envoyer. Plus étrange encore, lorsqu'elles avaient partagé au téléphone sur le voyage, la volleyeuse n'avait pas fait le moindre commentaire quant à ses soi-disant « plans » qui auraient consisté à les rapprocher.

Plusieurs hypothèses s'étaient entrechoquées dans son esprit, la pire étant la possibilité que ses mots aient tant blessée son amie, quelques jours plus tôt, qu'elle ait renoncé à tout cela. Mais loin de paraître rancunière, Ritsuka avait semblé plus chaleureuse et ouverte d'esprit que jamais, et avait même considéré l'idée d'envoyer un message à Kita pour leur souhaiter bonne chance pour les nationales – et après avoir quémander son numéro auprès de Suna pour le transmettre, il semblait qu'elle avait même joint les gestes à la parole.

Le froid de l'hiver avait pesé sur la ville de Kobe pendant toutes les vacances, pourtant les températures s'étaient faites encore trop douces pour que les flocons ne se décident à venir recouvrir le paysage. Aussi loin qu'elle s'en souvienne et quand bien même le printemps restait de loin sa saison favorite, Akemi avait toujours apprécié cette période de l'année. L'ambiance de fête qui dansait dans l'air, les immenses sapins qui bordaient la place du centre-ville jusqu'à laquelle elle allait ainsi exprès se promener, et les décorations installées dans tous les quartiers lui avaient toujours paru être l'une des plus belles images. Pourtant, cette année, ces vacances lui avaient écrasé le cœur.

Misaki avait de toute évidence décidé de passer une partie de celles-ci avec son petit-ami. Elle n'avait d'abord été que peu chez elles, puis s'était volatilisée le temps de la deuxième semaine. Aussi la présence de ses parents à la maison s'était-elle révélée plus étouffante que jamais. Plus de possibilité de rester tard le soir au lycée pour les fuir, et même s'ils semblaient déjà se fuir eux-mêmes, leur cohabitation avait été inévitable. À tel point que l'immense demeure de sa grand-mère qu'elle exécrait tant s'était retrouvée être son meilleur exutoire.

Akemi aurait aimé partagé la soirée de Noël avec Ritsuka, et même une partie de son temps sur ces deux semaines. Mais comme chaque année, sa meilleure amie passait les deux semaines de congés chez son père à Sapporo – les photos de neige qu'elle lui envoyait ne manquaient pas de la faire rêver. Elles ne s'étaient pas revues depuis la fin de leurs examens, et si elles avaient beaucoup échangé par téléphone et par messages, cela ne valait pas un peu de temps seules à deux.

Alors à défaut de pouvoir lui poser toutes les questions qui lui obstruaient la réflexion, sur le voyage scolaire, l'adolescente se contentait de regarder encore et encore les nombreuses photos qu'elle lui avait transférées. Qu'il s'agisse de paysages, de selfies, de clichés de groupe, elles avaient toutes coulé sous son regard azuré un nombre incalculable de fois. Mais Akemi devait bien l'admettre, sa favorite restait bien celle où Suna, une moue perplexe face à l'objectif, affichait ses deux doigts en un signe « V ».

Enroulée sous ses couvertures et incapable de trouver le sommeil à la veille de la rentrée, la jeune fille fit défiler une nouvelle fois sa galerie, puis ses conversations sms. Ses quelques récentes discussions avec Ritsuka s'imprimèrent sur sa rétine, avant d'être remplacées par la notification d'un nouveau message de Suna.

✉️ Sunarin
Oui 😴 (il fait encore plus froid à Tokyo)
22:09

Un sourire fleurit sur les lèvres de la jeune fille, alors que l'exaltation faisait palpiter son rythme cardiaque. La simple notion de la capitale l'aida à prendre conscience de la réalité dans laquelle elle évoluait, et des événements qui leur tendaient les bras.

Ils y étaient. Les nationales.

Dès le lendemain matin, l'équipe masculine de volley d'Inarizaki disputerait son premier match, contre les représentants de la préfecture de Miyagi. Et l'effervescence qui découlait de cette perspective se reportait à l'échelle du lycée tout entier, puisque une matinée de repos avait été accordée sur ce créneau horaire, afin de pouvoir suivre le match à la télévision – en raison également de l'importance des membres de la grande fanfare qui avaient fait le voyage avec l'équipe, dont Kisara et Kasumi faisaient au passage partie.

Akemi aurait aimé pouvoir assister au match depuis les gradins. Plus que jamais, l'envie de se retrouver face à un terrain de volley-ball l'étouffait. La volonté de sentir l'odeur du spray de lidocaïne emplir l'intégralité du gymnase, d'entendre les bruits de semelles glissées sur le sol ; tous ces détails qu'elle avait fuis au même titre que son club, neuf mois auparavant, se faisaient ressentir sous forme de manque à la simple idée d'être spectatrice.

Mais à défaut de pouvoir y être, elle suivrait avec minutie chaque détail derrière un écran.

Une vibration de son téléphone l'ôta à ses réflexions.

✉️ Ricchan
Kita-san vient de m'envoyer un message !! 🥺
22:17

✉️ Ricchan
... bon c'était surtout pour rep à mon msg de cet aprem, mais ça compte non ??
22:17

Ses lèvres se fendirent en un large sourire amusé à la lecture de ces deux messages. Ritsuka avait échangé à plusieurs reprises avec le capitaine au cours des vacances d'hiver, et quand bien même batailler avec Suna pour obtenir son numéro ne s'était pas révélé être une mince affaire, le résultat en valait de toute évidence le coup. Dernièrement, et même si elle ne l'avait pas admis à voix haute, sa meilleure amie paraissait faire des efforts pour se rapprocher de Kita. Et après l'avoir écoutée durant des semaines affirmer qu'elle ne voulait rien tenter, Akemi se sentait presque intimidée de la voir si déterminée. Et enthousiaste.

Après avoir tapé une réponse à l'attention de sa meilleure amie pour lui conseiller de proposer directement un date à Kita – proposition rejetée fermement quelques secondes plus tard, il ne fallait pas non plus abuser – ses doigts glissèrent avec naturel pour revenir sur sa conversation avec le numéro dix de l'équipe.

Quand bien même ses réponses se faisaient bien plus espacées depuis qu'il était arrivé à Tokyo, il continuait lui également d'alimenter la conversation qu'ils entretenaient déjà depuis plusieurs jours.

✉️ Akemi
Prêt pour demain???
22:22

L'exaltation atteignait son paroxysme. Plus que jamais, la hâte d'une nouvelle journée se faisait ressentir jusque dans l'extrémité pétillante de ses doigts. La chaleur qui lui apaisait la poitrine à chaque nouveau message du volleyeur étirait chaque fois encore plus le sourire de ses lèvres.

✉️ Sunarin
Faut bien 🥱
22:26

✉️ Sunarin
Je vais dormir, bonne nuit
(les fouines à côté de moi essaient de voir mon tel, si tu reçois un message de Atsumu ça sera normal)
22:27

Blottie sous sa couverture aux motifs abstraits et aux teintes de rouges et d'oranges, Akemi s'y emmitoufla davantage encore, alors qu'un léger rire quittait ses lèvres pour voler dans le silence de sa chambre. L'hôtel dans lequel ils avaient déjà passé le week-end, le gymnase où se dérouleraient les matchs, et même l'ambiance qui se dégageait de l'équipe ; la jeune fille avait presque l'impression d'y être, à travers ces nombreux échanges Line.

Sensation trop éphémère qui l'étreignait sans relâche.

****

La voix du commentateur retentissait toujours à travers les hauts-parleurs de la télévision. Chacun de ses mots s'écrasait avec véhémence contre les murs du salon, résonnait avec force en écho aux oreilles d'Akemi pour les faire siffler. Les images défilaient, se succédaient les unes aux autres pour afficher tour à tour les joueurs des deux équipes. Rapidement, trop rapidement pour qu'elle puisse même en prendre conscience. L'euphorie paraissait emplir les gradins, au vu des éclats de joie qui parvenaient jusqu'à elle, pourtant parfois il lui semblait apercevoir des flots de larmes sur les visages de certains spectateurs – ceux de Kisara et de Kasumi, sa camarade de classe, glissèrent sur sa rétine sans qu'elle ne les voit réellement, depuis les gradins de supporters d'Inarizaki.

Et assise sur un zabuton à quelques mètres de l'écran, Akemi restait immobile, le regard dans le vide.

Ils avaient perdu.

Les joueurs d'Inarizaki avaient perdu dès leur premier match aux nationales.

Posé à côté d'elle à même le sol, son smartphone émit des vibrations à répétition, signe d'un appel entrant. Une simple oeillade en sa direction pour constater qu'il s'agissait de Ritsuka, et l'adolescente ramena ses genoux contre sa poitrine sans décrocher.

Le visage de Suna s'imprima en gros plan sur l'écran de télévision, rapidement remplacé par celui de Miya Atsumu, et pourtant durant cette fraction de seconde, la lycéenne ne manqua pas son regard tristement rivé vers ses pieds. Cet éclat de malice et de moquerie si caractéristique auquel elle avait tant été confrontée n'existait plus, au même titre que la concentration extrême qu'elle avait pu y déceler au cours du match.

Bientôt, les deux équipes durent libérer le terrain, et le focus se refit ainsi sur le commentateur qui n'avait de cesse de parler de cette défaite « surprenante » à laquelle « personne ne s'attendait ». La jeune fille perdit bien vite patience, si bien qu'elle s'empressa de trouver la télécommande pour vite le couper dans ses mots. Le visage mélancolique de son aîné s'imprima de nouveau dans son esprit, avant que le souvenir de cette soirée révisions passée dans sa chambre ne lui revienne en mémoire.

Suna aimait vraiment le volley. En dépit de ce qu'il accepterait sans doute de montrer, cette défaite allait l'affecter.

Son coeur rata un battement. Elle n'était peut-être personne pour s'inquiéter ainsi et vouloir le réconforter. Les sentiments qu'elle tentait vainement d'étouffer depuis quelques jours se faisaient plus persistants encore, à tel point qu'elle devait lutter pour maintenir les dernières barrières.

Son téléphone indiqua un nouvel appel de Ritsuka, et cette fois elle ne put se résoudre à faire attendre sa meilleure amie. Après tout, si Suna avait peut-être encore une dernière chance de participer aux nationales l'année suivante, ce n'était plus le cas de Kita.

— Salut Ricchan, lâcha-t-elle du ton le plus enthousiaste qu'elle le pouvait en décrochant.

T'as suivi le match Aki ?

Le fameux surnom qui ne présageait rien de bon.

— Ouais, depuis chez moi. Je vais aller me préparer pour les cours de cet aprem, là.

Le silence s'installa de lui-même, naturel et apaisant ; comme s'il pouvait contenir et déverser tous les sentiments qui oppressaient leurs coeurs à toutes les deux.

— Tu veux qu'on aille manger quelque part ? finit par demander Akemi, consciente qu'elles avaient sûrement besoin de simplement être ensemble.

Ça me va, accepta la volleyeuse. Mais que si c'est des ramens.

Elle l'entendit sourire à travers le haut-parleur de son téléphone : elle adorait les ramens, et Ritsuka le savait très bien. Un sourire miroir naquit sur ses lèvres, et elle approuva vivement avant de raccrocher. L'adolescente resta en suspens quelques secondes à fixer son fond d'écran – une photo souvenir d'elles deux – et dans un réflexe quasiment inconscient, ses doigts glissèrent fébrilement sur le tactile pour l'amener jusqu'à sa conversation Line avec Suna. Il lui fallut toutefois quelques secondes d'hésitation pour envoyer le message tapé.

✉️ Akemi
Le match était génial, vous avez vraiment été bons. Je l'ai suivi sur ma télé et j'étais captivée. T'as bien joué, et je sais que c'est difficile mais j'espère que ça va, et ne regrettez rien ok ??
10:56

Il était peut-être trop formel. Trop maladroit. Trop sobre. Elle n'en savait plus trop rien. Mais il était sincère, au reflet de chaque sentiment qui l'avait étreinte au visionnage. Ils avaient tous fait de leur mieux, elle pouvait l'affirmer. Qu'il s'agisse des services, des passes, des smashs, des blocks et des réceptions. Aucun détail n'avait été laissé au hasard. Au cours de ces deux mois qu'elle avait passés à côtoyer Suna, jamais la lycéenne ne l'avait-elle vu être aussi sérieux, aussi concentré. Et jamais elle n'avait été aussi fascinée.

Pourtant, le message ne reçut jamais de réponse.



~ ~ ~



Bon... Je m'excuse pour le petit côté pas très joyeux et un peu amer de ce chapitre. Mais bon, il fallait bien que ça arrive (en vrai je suis toujours dans le déni mais yolo).

J'espère quand même qu'il vous a plu malgré tout et malgré la petite ellipse. Akemi et Suna continuent tout de même de se rapprocher, et j'espère que le prochain chapitre aidera à me faire un peu pardonner pour celui-ci~
En tout cas s'il vous a plu, n'oubliez pas de cliquer sur la petite étoile, et de laisser un petit commentaire !

Et je vous dis à samedi prochain <3

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