Chapitre 19 - Le masque tombe
Adossée contre le mur, Akemi laissait ses prunelles azurées alterner avec discrétion entre les volleyeurs sur le terrain et celui assis à ses côtés, pour constater que Suna suivait avec intérêt les échanges qui fendaient l'air. Rapidité et précision, longues passes à travers chaque partie du terrain, polyvalence ; il n'y avait aucun doute, il s'agissait d'un exercice complet. Et en dépit du sérieux qui emplissait le gymnase, quelques éclats de rire venaient parfois se mêler aux nombreuses balles perdues.
— Pourquoi t'as menti tout à l'heure ? s'enquit-il, sans se tourner vers Akemi pour autant – il lui fallut ainsi quelques secondes pour comprendre de quoi il voulait parler.
— Pas envie de jouer. J'suis en jupe, expliqua-t-elle en désignant d'un large geste sa tenue. En plus j'aime pas les deux contre deux, faut faire des passes.
Il plissa le front, reflet de son incompréhension face à ses derniers mots.
— Et ?
— Et mon truc à moi, c'était plutôt la réception, tu vois ?
— Tu jouais quel poste ? questionna-t-il, plus intéressé par la conversation qu'il ne l'admettrait.
— Libéro !
Un large sourire de fierté poignit sur les lèvres de l'adolescente, tandis qu'un plus taquin prenait naissance sur celles de Suna. Il tourna enfin la tête en sa direction, avant de considérer sans la moindre discrétion leurs vingt-sept centimètres d'écart.
— Ah oui, j'aurais dû m'en douter, lâcha-t-il avec un regard moqueur.
— Eh ! Arrête avec ça, je suis pas petite, pour une fille ! bougonna-t-elle en gonflant les joues.
Un éclat de rire résonna contre les murs du gymnase avant même que le volleyeur n'ait le temps de répondre quoi que ce soit. Le rouge aux joues à l'idée que ce soit dû à ses paroles, Akemi porta son attention en direction du terrain, sur lequel les quatre joueurs ne paraissaient pourtant pas leur porter le moindre intérêt.
Aux côtés d'Aran, Natsumi portait une main à sa bouche pour étouffer et contenir son amusement, tandis que de l'autre côté du filet, Ritsuka paraissait bien plus boudeuse, les joues gonflées et les pommettes écarlates. À quelques mètres d'eux, le ballon tricolore terminait avec lenteur sa course.
— Mais arrête de rire, j'ai pas fait exprès, souffla-t-elle, les lèvres tremblotantes, à cheval entre l'amusement et la gêne.
— Tu stresses trop, conclut sa coéquipière. C'est à cause du match ?
Pas que du match, affirma intérieurement Akemi, son regard rivé sur Kita.
— Regarde, mets-toi plutôt comme ça, intervint Kita en lui saisissant avec douceur le bras.
Le corps tout entier de la jeune fille se raidit au contact du volleyeur, qui ne sembla même pas le remarquer. Les pommettes toujours aussi rouges, elle tourna le plus naturellement possible la tête en sa direction pour écouter les conseils qu'il avait visiblement à lui donner, pas le moins du monde conscient que les erreurs qu'elle faisait étaient plus dû à sa présence qu'à des réelles lacunes.
Il ne manquait plus à Akemi que du pop-corn.
Le cou penché dans l'espoir de ne pas rater un seul détail, elle entrouvrit la bouche inconsciemment, au gré de sa concentration.
— C'est bizarre que ça ait tourné comme ça, non ? s'éleva à ses oreilles la voix de Suna, teintée d'une pointe de compassion qu'elle ne lui imaginait même pas.
— Bizarre ? s'étonna-t-elle en se tournant vers lui pour réaliser que ses prunelles olive fixaient avec insistance les deux capitaines. Tu rigoles, j'ai tout donné pour que ça tourne comme ça, justement.
— Hein ?
— Quoi ?
Un ange passa.
Puis un second. Et un troisième.
Akemi cligna des yeux à plusieurs reprises, comme si cela pouvait l'aider à prendre du recul sur la situation telle qu'elle se présentait. En vain.
— Attends... Qu'est-ce que tu imaginais ?
— Ben t'as pas fait tout ça pour être avec Kita-san ? questionna-t-il finalement, le front plissé sous l'incompréhension.
Sa bouche s'ouvrit et se referma à plusieurs reprises, alors qu'elle considérait tour à tour son interlocuteur et le capitaine de dernière année. Il lui fallut quelques secondes afin qu'elle se remémore les derniers jours, ainsi que ses dernières conversations avec Suna, pour essayer de comprendre ce qui avait bien pu l'emmener sur une telle piste.
— Qu– mais non ! finit-elle par lâcher. Me dis pas que depuis tout ce temps, c'est ce que tu pensais ?
Visiblement piqué à vif dans son égo, le volleyeur fronça les sourcils.
— Ben je sais pas, tu m'as demandé son genre de filles et tu voulais qu'il vienne au match aujourd'hui. T'as même trouvé une excuse pour venir à notre entraînement.
Le silence s'écrasa sur eux, si lourd qu'Akemi resta de longues secondes figée. À chacune de ces explications, elle put constater à quel point ces détails cités pouvaient effectivement porter à confusion. Pourtant, aux antipodes d'un quelconque sentiment de gêne, d'embarras ou de malaise, un éclat de rire des plus spontanés franchit le mur de ses lèvres.
— Ça veut dire que depuis tout ce temps, tu croyais que..., articula-t-elle, tandis que ses prunelles azurées arpentaient avec rapidité chaque silhouette présente dans le gymnase.
— Ben oui, j'ai pas cherché plus loin. Ça me regardait pas.
— Mais alors tout à l'heure, tu voulais jouer avec Ojiro-senpai pour me laisser avec lui, réalisa-t-elle soudain – et la manière dont il détourna la tête suffit en guise d'approbation. En fait, tu es assez attentionné, j'aurais pas deviné.
— N'importe quoi, bougonna-t-il. Mais alors je comprends pas le sens de tous tes manèges, dans ce cas.
À ces mots, l'adolescente riva les yeux vers sa meilleure amie, qui écoutait toujours avec toute son attention les conseils avisés de Kita. Les quelques mètres de distance qui les séparaient ne lui permettaient pas de percevoir le détail de leur conversation, pourtant elle n'en avait pas besoin pour reconnaître la position de réception qu'il lui faisait prendre. Le sourire figé qui habillait le visage de Ritsuka quelques minutes plus tôt n'était plus, remplacé par une moue bien plus sincère et spontanée, à travers laquelle elle fut sans doute la seule à percevoir de la joie.
Et à côté d'elle, le visage détendu du capitaine agissait tel un miroir. Concentré dans ses propres paroles, il laissait un fin sourire fendre ses lèvres, reflet probable d'un semblant d'enthousiasme qu'il portait au volley, lui qui tendait habituellement à afficher une mine plus neutre et calme.
— C'était pas pour moi, déclara simplement Akemi, sans les lâcher des yeux pour autant. Désolée d'avoir éludé ta curiosité depuis le début, j'avais même pas réalisé que mes propos pouvaient être interprétés comme ça.
Sans un mot l'espace de quelques secondes, Suna suivit son regard.
— C'est pour Nagano-san ?
— Ouais, admit Akemi dans un long soupir. Évite de l'ébruiter, elle veut que personne soit au courant... Et surtout pas lui.
Le volleyeur cligna des yeux à plusieurs reprises, tandis que ces derniers observaient à tour de rôle sa camarade de classe, son coéquipier et la jeune fille à ses côtés. De fait, maintenant qu'il se retrouvait confronté à la réalité, elle lui semblait bien plus évidente qu'il n'aurait pu l'imaginer. Il n'avait qu'à observer Ritsuka avec Kita et à se remémorer ses différents échanges avec Akemi pour comprendre que tout coulait effectivement de source.
Et il devait bien admettre qu'il préférait de loin ce scénario à celui qui lui avait effleuré l'esprit, lorsque la jeune fille avait insisté pour savoir ce qu'il pensait de sa camarade de classe.
— La dernière fois, tu m'avais dit que le genre de Kita-senpai serait sûrement une fille calme. Et là, quand je les vois ensemble, j'ai vraiment envie de faire ce que je peux pour aider Ricchan, même si elle ne veut pas...
— Je vois pas souvent Kita-san aussi expressif, admit simplement Suna pour toute réponse.
— Je m'improvise pas Cupidon quand c'est vain, en même temps ! rétorqua Akemi, les paupières closes et la poitrine gonflée de fierté.
Et si son ainé leva les yeux au ciel, un semblant de sourire amusé sur le visage, il ne retorqua rien pour autant.
Au cours des dernières semaines, depuis qu'elle avait appris pour les sentiments de sa meilleure amie, il s'agissait de la première fois que la lycéenne les voyait ainsi ensemble. Et elle devait bien admettre que le faciès rayonnant de Ritsuka la confortait dans l'idée qu'elle avait bien fait de lui dire de venir jusqu'ici, mais également dans le fait que donner un coup de pouce et se sentir ainsi utile était agréable.
À cette pensée, ce fut Narumi Kisara qui surgit dans son esprit. Sa moue se crispa inconsciemment, tandis qu'elle prenait la peine de tourner avec discrétion la tête vers Suna. Ses prunelles claires, étrange couleur entre le vert olive et l'or, fixaient avec une attention sans pareille le ballon de volley qui fendait de nouveau l'air. Ses fins sourcils bruns se fronçaient et s'arquaient au gré des réceptions et passes faites sur le terrain, signe qu'il suivait chaque détail des échanges. Akemi n'avait jamais réellement pris la peine et le temps de l'observer ainsi, pourtant chaque détail de sa silhouette lui parut étonnamment familier, et ce jusqu'à la mèche rebelle qui se détachait de sa chevelure.
— Dis, l'interpella-t-elle d'une voix peu assurée. Et toi, c'est quoi ton genre de filles ?
— Aucune idée.
— Ah bon ? marmonna la jeune fille, une pointe de perplexité dans la voix.
Ce n'était pas que cette réponse ne lui convenait pas. Ce n'était pas comme si elle en avait attendu une autre, le poing crispé. Et ce n'était pas comme si la culpabilité qui lui retourna l'estomac à cette pensée lui avait échappé.
Après avoir aidé Ritsuka avec Kita, elle pouvait bien obtenir ne serait-ce que des informations de ce genre, pour sa camarade de classe. Pourtant, étonnamment, cette volonté d'aider et ce besoin de se sentir utile ne se faisait pas ressentir pas de la même manière, lorsqu'il était question de le faire pour Kisara.
— Les filles calmes, lâcha Suna après d'interminables secondes de silence.
S'il ne se tourna pas en direction de son interlocutrice, il l'observa avec discrétion du coin de l'œil pour prendre connaissance de sa réaction. Tête baissée vers le sol, regard comme aimanté à ses chaussures, elle resta ainsi immobile sans répondre, comme perdue dans des pensées houleuses.
Et devant son mutisme et sa baisse soudaine d'enthousiasme, l'esquisse d'un fin sourire sincère et inconscient prit naissance sur les lèvres du volleyeur. De toute évidence, sans qu'il ne sache réellement à quel niveau, les mots avaient eu leur effet.
Ils n'eurent pas le temps d'ajouter quoi que ce soit à cette conversation clôturée de la plus étrange des manières, car Aran prit conscience de l'heure et du temps qui avait filé bien trop vite. L'équipement fut ainsi rangé à la vitesse de l'éclair, avant qu'ils ne se dirigent tous les six en direction du gymnase principal.
Et si en temps normal, Akemi aurait profité de ces quelques minutes pour parler avec sa meilleure amie, elle se contenta de marcher derrière d'une allure robotique, alors que cette dernière continuait de converser avec le capitaine de terminal.
Les filles calmes. Les mots résonnaient dans son esprit et lui paraissaient plus irritants et désagréables encore à chacun de ses pas, à chaque minute qui défilait. Du peu qu'elle la connaissait, Kisara semblait être une personne relativement calme, posée et réfléchie. Pourtant, Akemi ne parvenait pas à comprendre si ce qui la perturbait le plus venait du fait que Suna paraissait avoir volontairement décrit son opposée à elle, ou bien de savoir que l'amie de Ritsuka correspondait ainsi aux goûts du volleyeur.
Mais chercher une réponse à cette interrogation n'était de toute évidence pas une bonne chose, aussi se contenta-t-elle d'observer en silence le match de sa meilleure amie depuis les gradins, aux côtés des trois garçons.
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Hello ! Et oui, finalement me voici héhé, avec en prime l'un des chapitres que j'apprécie le plus (je crois ?). Ça y est, le quiproquo tombe enfin ! Pas trop déçus j'espère...
Pour m'expliquer sur ce point, bon déjà je trouvais ça drôle de voir ce pauvre Suna perdu, mais j'avais aussi besoin que du coup, il ne se questionne pas trop sur Akemi et la proximité qu'elle instaure bien malgré lui. Ça sera de nouveau évoqué par la suite héhé.
Bref, j'espère que ce chapitre vous a plu ! Qu'en avez-vous pensé ? N'ayez pas peur de vous manifester, vraiment je mords pas promis ptdr, et je suis toujours affreusement heureuse de voir vos commentaires 🥺
Je vous dis à bientôt pour la suite <3
(et n'oubliez pas de fangirler sur l'épisode 19 d'Haikyuu sorti hier– ah non ça c'est moi)
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