Chapitre 17 - Matinale
Les premiers rayons du soleil chatouillaient le ciel étonnamment dégagé de Kobe, à cette heure encore matinale. Bavures grises dans l'immensité azurée, semblables à un encrier renversé, les nuages maculaient toutefois le paysage çà et là pour s'imprégner de la teinte orangée qui émanait de l'astre du jour encore timide. Le reflet éblouissant de cet éclat jaunâtre de lumière s'imprimait ainsi sur la ville, illuminait les bâtiments les plus hauts pour leur donner davantage encore l'impression de caresser l'éther.
Akemi devait bien l'admettre, elle n'avait pas souvent l'habitude de pouvoir observer le lever du soleil. Généralement à la limite du retard, lorsqu'elle arrivait au lycée, le jour était chaque fois déjà entièrement présent, et ne lui permettait ainsi pas de s'émerveiller sur ce tableau de couleurs chaudes qui baignaient la ville.
— Et ben, c'est rare qu'on parte en même temps, petite sœur, releva son aînée avec qui elle partageait le trottoir sur les quelques centaines de mètres qui les séparaient de la station de train.
— Tu pars vraiment aussi tôt tous les jours ?
— Évidemment, qu'est-ce que tu crois ?
— Wah, trop dur. Je sais pas comment tu fais...
L'esquisse d'un sourire étira le visage de Misaki, qui tourna une expression amusée en sa direction. De la buée blanche quittait leurs lèvres à chaque syllabe prononcée, reflet de la différence de température entre leur souffle et l'air encore glacé, pour leur rappeler que l'hiver était désormais plus proche que jamais.
— C'est pas comme si j'avais vraiment le choix. Je m'occupe du conseil des élèves le matin et de mes révisions après les cours...
— Trop galère, j'ai pas du tout hâte d'être en terminale, moi, soupira Akemi, déjà dépassée rien qu'à la perspective de ses propres révisions.
— Et toi, qu'est-ce que tu fais à aller au lycée à cette heure ?
— J'ai des recherches à faire à la bibli' avant mes cours.
Si, peu désireuse de voir sa sœur lui proposer son aide pour ses mathématiques, Akemi parvint à éluder les questions qui suivirent, elle ne put empêcher une pointe de culpabilité de venir se nicher dans son estomac. Misaki excellait dans toutes les matières, et quand bien même elle était conscience que cela était dû à toutes les heures qu'elle passait à réviser et à s'investir pour le lycée, la plus jeune ne pouvait s'empêcher de l'envier, d'une certaine manière. Elle-même s'était toujours donné à fond scolairement parlant, mais jamais autant.
Et quand bien même elle était parfaitement conscience de l'aide que pouvait lui apporter son aînée dans ses révisions, et de combien elle le ferait avec joie ; c'était dans ce genre de situation anodine que ce besoin de se détacher se faisait le plus sentir.
— Au fait Misa, tu sais toujours pas où tu veux aller à la fac, l'année prochaine ?
Misaki tourna la tête en sa direction, et une grimace quasiment imperceptible étira ses traits l'espace d'une seconde, face à la moue souriante et décontractée que sa cadette lui offrait. Une déglutition nerveuse et peu discrète plus tard, déjà orientait-elle ses prunelles bleues en direction du ciel, peu désireuse d'affronter celles d'Akemi.
— Non, pas encore, souffla-t-elle, et le mensonge lui pesa plus encore qu'elle ne l'aurait cru.
— Toute façon, les facs à Kobe sont bien réputées, réfléchit Akemi, une main sur le menton de manière pensive. J'espère que ça ira, avec Hiromi-kun, avec la distance et tout, s'il va à Todai...
Un haussement d'épaules de la part de sa sœur lui fit office de réponse, signe que ce n'était pas vraiment ce dont elle avait envie de parler. Les sujets de conversation se succédèrent ainsi tout au long de ce trajet qu'elles n'étaient pas habituées à partager. Akemi apprit par conséquent que leur mère était rentrée assez tard, dans la soirée, à une heure où elle dormait déjà, sans un bruit.
Et si les questions se bousculèrent dans son esprit, elle se contenta du silence, et de toutes les potentielles réponses qu'il pouvait apporter à lui seul.
Le lycée Inarizaki était pratiquement désert, à cette heure. Seules quelques silhouettes découpaient l'horizon dès que l'on pénétrait à l'intérieur des grilles de l'établissement, parfois pour rejoindre le bâtiment principal, parfois pour partir en direction des gymnases – certains clubs disposaient d'entraînements matinaux.
Ce fut après avoir changé de chaussures, à hauteur des casiers, que les chemins des deux sœurs Fumiya se séparèrent. Alors que Misaki montait jusqu'au dernier étage, où se trouvait la salle réservée pour les membres du conseil des élèves, Akemi longea le couloir du rez-de-chaussée jusqu'à la bibliothèque déjà ouverte.
À sa surprise, quelques élèves y étaient déjà présents. Principalement des terminales dont elle ne connaissait pas le nom, ils s'étalaient tous au milieu de leurs révisions sur une à deux tables, et ce nouveau constat rassura la jeune fille quant au fait qu'elle n'était pas le moins du monde pressée de découvrir la joie de cette dernière année de lycée. Elle avança ainsi jusqu'au fond de la bibliothèque, qui contenait les manuels et autres livres scolaires.
Une heure. Akemi ne disposait que d'une petite heure pour trouver le bouquin de mathématiques, dont Miura Kasumi lui avait parlé, et commencer à le ficher. Car elle le savait bien, ce n'était pas avec tout ce qu'elle avait déjà à préparer qu'elle pourrait bien avancer au cours de la soirée.
Les minutes défilèrent ainsi avec rapidité. À travers la fenêtre à côté de laquelle elle s'était installée, les rayons du soleil se firent plus épais, plus assurés, et bientôt cette teinte orangée et éparse qui habillait le ciel s'évanouit, pour ne laisser place qu'à un peu de gris, et beaucoup de bleu. Pourtant, il suffisait de considérer la condensation qui glissait sur les vitres pour prendre conscience de la différence de températures qui existait entre l'intérieur et l'extérieur.
La sonnerie n'allait plus tarder à retenir pour indiquer le début des cours, lorsque l'adolescente rangea ses affaires. Et concentrée sur son smartphone, alors qu'elle se retournait d'un geste brusque, son manuel dans une main, elle ne fit pas attention au lycéen derrière elle qui ne faisait que traverser l'allée principale de la bibliothèque. Les trois livres qu'il tenait embrassèrent ainsi la moquette du sol dans un bruit qui, bien qu'étouffé par la matière, résonna à travers le silence de la pièce, attirant au passage l'attention des quelques élèves encore présents.
— Oh non, désolée ! s'exclama Akemi en faisant volte-face, avant de s'arrêter net face à la silhouette de Kita Shinsuke.
Sa mâchoire manqua de se figer face à ce hasard et cette chance que les cieux lui offraient. Aussi, sans rien laisser transparaître de son étonnement, elle s'empressa de s'accroupir pour ramasser le bouquin à ses pieds, rapidement imitée par le capitaine. Alors qu'il semblait répondre quelque chose à ses excuses, la couverture du livre qu'elle attrapa retint son attention. Tactiques et Pratiques du joueur de volley.
— Je savais même pas qu'on avait ce genre de livre ici, admit-elle en le retournant pour considérer la quatrième de couverture sur laquelle rien n'était écrit, avant de gonfler les joues. Tu devrais plutôt emprunter un livre qui explique comment apprendre aux gens à servir droit.
— Oh, t'es la fille de la dernière fois, c'est ça ? réalisa le volleyeur en reconnaissant son visage, mais aidé par ses mots.
— Fumiya Akemi, s'empressa-t-elle de se présenter tout en lui tendant son livre. « La fille de la dernière fois » ça me rappelle un peu trop cet événement embarrassant que j'aimerais oublier.
Alors qu'il rangeait de nouveau en une belle pile ses trois futurs emprunts, un rire étouffé échappa au capitaine. Rire qui glissa jusqu'aux oreilles de la jeune fille, comme porté avec douceur par l'air léger ; mélodieux.
— C'était plus embarrassant pour Suna, si tu veux mon avis, rétorqua-t-il, et Akemi en oublia aussitôt combien son rire lui avait paru harmonieux et spontané.
— Honnêtement, j'ai beaucoup de mal à y croire.
— Il en entend encore parler aux entraînements, je crois que les jumeaux ne sont pas prêts de le lâcher.
— Sérieux ? s'étonna-t-elle, un sourcil arqué d'étonnement.
Il hocha la tête pour toute réponse, et les faits ne manquèrent pas d'interpeller Akemi. Les quelques moqueries auxquelles elle avait droit étaient-elles sa manière d'extérioriser ce qu'il subissait ? D'une certaine manière, elle en était peu convaincue – il paraissait naturellement taquin, après tout. Une œillade discrète lui permit de constater qu'en plus de ses trois livres assez imposants, Kita portait toujours son sac de cours ainsi que son sac de sport, sur l'épaule, si bien qu'elle en oublia bien vite cette interrogation.
— Donne, je vais t'aider, ton sac va glisser, indiqua-t-elle en désignant d'un signe du doigt la hanse dudit sac qui tombait sur son épaule.
Il n'eut pas le temps de protester que déjà la jeune fille s'était saisie des livres et avançait en direction de la bibliothécaire, qui leur lançait des regards agacés depuis le début de leur conversation.
— Merci, lâcha simplement le lycéen une fois qu'ils furent sortis.
Ils longèrent ainsi le couloir en direction des casiers, comme dans un accord silencieux. Quelques élèves seulement arpentaient encore le rez-de-chaussée de temps à autre, aussi rares étaient les pas qui faisaient écho aux leurs.
Le moment parfait, en gros.
— T'es le capitaine de l'équipe, tu connais un peu les joueuses de l'équipe féminine ? questionna la jeune fille d'un ton qu'elle s'efforça de rendre naturel, tout en faisant semblant d'observer la couverture du bouquin sur le volley-ball qu'elle tenait toujours.
— Un peu, oui. Matsuda-san, la capitaine de l'équipe, est dans ma classe. Enfin, ancienne capitaine, se corrigea-t-il. Puisque c'est Nagano-san qui reprend le rôle de capitaine.
Aussitôt le nom de sa meilleure amie atteignit-il ses tympans qu'Akemi avait déjà tourné brusquement la tête en direction de son interlocuteur.
— Oui, d'ailleurs samedi c'est leur premier match avec ce changement de capitaine, s'enthousiasma-t-elle, en sautant au passage sur l'occasion.
— Ah oui, le match contre Komorebi, c'est ça ?
Ils arrivèrent devant les casiers bondés de monde, et ce fut avec une légère hésitation que l'adolescente le suivit jusqu'à son casier, vers lequel il allait visiblement pour déposer ses affaires. Pourtant, la gêne s'évanouit bien rapidement, si bien qu'elle finit par trottiner pour le rattraper sur les quelques mètres d'avance qu'il venait de prendre.
— T'es au courant pour le match ? s'enquit-elle une fois de nouveau à sa hauteur.
— Suna m'en a parlé.
Le nom résonna dans l'esprit d'Akemi, au gré de l'étonnement palpable qui s'imprima sur son visage. Suna lui en avait parlé ? Là où elle pensait que, d'une certaine manière, l'approbation qu'il lui avait faite deux jours plus tôt n'avait été que pour se débarrasser d'elle, elle fut bien surprise de constater qu'il semblait avoir tenu parole.
Décidément, en dépit de sa nonchalance, il parvenait de nouveau à la surprendre.
— Ah, ouais, c'est moi qui lui en ai parlé parce que je voulais y aller ! Tu vas venir le voir aussi, du coup ? risqua-t-elle, peinant tant bien que mal à refouler son entrain.
Le silence se fit insoutenable, alors même que le brouhaha des nombreuses conversations qui se déroulaient désormais autour d'eux suffisait à faire bourdonner ses oreilles. Sous son regard azuré, Kita récupéra les livres qu'elle tenait toujours pour les glisser dans son casier – quand l'avait-il ouvert ? – au même titre que son sac de volley-ball.
L'esquisse d'un fin sourire plus poli que chaleureux sur les lèvres, il ferma la porte pour se retourner vers Akemi, qui en aurait presque retenu son souffle. Et finalement, la réponse tomba comme un couperet :
— Pourquoi pas.
~ ~ ~
Allez promis j'arrête de tourner autour du pot, le prochain chapitre concerna le jour du match ! J'ai toujours du mal à écrire Kita, quand bien même j'aime énormément ce personnage, alors j'espère que ce chapitre vous a tout de même plu !
Vous êtes de plus en plus nombreux sur cette histoire, c'est dingue ! Alors merci beaucoup, vraiment, sachez que chaque vote, chaque commentaire me réchauffe le cœur et me motive encore plus à continuer à écrire, alors merci de prendre ce temps-là pour moi <3
Et du coup je vous dis à bientôt pour la suite <3
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