Chapitre 15 - Demande saugrenue
Affalée sur son lit, écouteurs dans les oreilles, Akemi laissait ses doigts glisser par habitude sur l'écran de son smartphone. Elle n'était même plus réellement consciente des réseaux sociaux qu'elle actualisait en boucle, sans rien y trouver d'intéressant, ni même des musiques qui défilaient les unes après les autres contre ses tympans.
La lassitude guidait chacun de ses gestes, les répétait tel un refrain trop familier. Ce fut ainsi l'apparition d'une notification lui indiquant la mise à jour d'une fanfiction en ligne qu'elle lisait depuis quelque temps qui l'arracha à son rituel machinal. Un sourire étira spontanément ses lèvres à la perspective de sa lecture, avant qu'elle ne soit pourtant bien vite rattrapée par la réalité : aussitôt qu'elle débrancha ses écouteurs dans l'espoir de se concentrer davantage, ce furent les voix de ses parents qui résonnèrent contre les murs, depuis le rez-de-chaussée. Les paroles indistinctes paraissaient faire vibrer les murs de l'habitation, et la mâchoire serrée elle s'empressa de reconnecter à ses tympans le chemin de la musique.
Ils arrêtent jamais, c'est de pire en pire en ce moment, soupira-t-elle intérieurement.
Comme si le sort s'acharnait pour qu'elle ne puisse pas profiter de quelques minutes de tranquillité, son téléphone émit une vibration familière, signe d'un nouveau message.
✉️ Ricchan
La semaine prochaine j'ai mon premier match en tant que capitaine 😭
21:43
✉️ Ricchan
L'ANGOISSE
21:43
✉️ Akemi
Mais c'est trop cool ! Contre qui ?
21:44
✉️ Ricchan
Komorebi. On fait un match d'entraînement (pour elles ça servira d'entraînement pour les nationales)
21:44
Un sourire de fierté fleurit sur les lèvres de l'adolescente, qui commençait à agiter les pieds en même temps qu'elle tapait sa réponse. Comme si elle était elle-même concernée par la perspective de ce match, elle sentit l'impatience pétiller dans sa poitrine, alors que la conversation se poursuivait et que les messages défilaient sur l'écran tactile de son smartphone. Visiblement, le match amical aurait lieu au gymnase d'Inarizaki.
D'une certaine manière, même en ne jouant plus au volley, Akemi parvenait à sentir jusqu'à l'extrémité de ses doigts palpiter d'appréhension. Ce n'était peut-être qu'un match amical, retour de fortune d'une défaite de justesse quelques semaines auparavant en finale des qualifications préfectoriales, pourtant elle saisissait mieux que quiconque les enjeux qui en découlaient. La pression et le stress qui en résultaient chez sa meilleure amie. Et si elle ne doutait pas une seule seconde de ses capacités à pouvoir gérer et mener une équipe de la sorte, ce n'était pas le cas de la principale concernée.
Un soupir de lassitude face à l'impuissance de sa situation lui échappa, avant qu'elle ne décide d'aller se coucher. Après tout, la nuit portait conseil, paraissait-il. Peut-être lui permettrait-elle de réfléchir à ce qu'elle pouvait faire pour aider son amie.
****
Akemi y avait finalement réfléchi pendant quelques minutes, avant de tomber de sommeil. C'était seulement sur le matin, à demi réveillée et alors qu'elle se brossait les dents, que l'idée de faire venir Kita au match lui était parvenue. Les mots de sa meilleure amie avaient ainsi longuement résonné en écho, dans son esprit, pour la faire douter de cet éclair de génie. Après tout, Ritsuka lui avait bien sous-entendu qu'elle ne voulait rien tenter, et aller contre sa volonté en jouant les entremetteuses n'était peut-être pas la meilleure chose à faire.
Mais elle ne parvenait pas à se résoudre : elle ne pouvait pas rester à ne rien faire. Le simple souvenir du visage triste de son amie, le voile de mélancolie qu'elle avait distingué à la surface de son regard émeraude, la manière qu'elle avait eue de se crisper sur elle-même en avouant que cette histoire lui ruinait le moral... Chaque réminiscence de cet instant lui hurlait qu'en dépit de ce qu'elle disait, Ritsuka serait bien plus heureuse en n'ayant pas de regrets.
Pourtant, plus elle y réfléchissait, moins l'adolescente savait comment elle allait s'y prendre pour faire venir le capitaine, qu'elle ne connaissait même pas, à un tel match amical sans réelle importance. Ce fut toutefois lorsque ses pupilles accrochèrent la silhouette de Suna Rintarou, devant les casiers, que l'illumination se fit.
— Suna-senpai ! l'interpella-t-elle, alors qu'il claquait son propre casier après avoir changé de chaussures.
Le volleyeur tourna une tête intriguée vers la provenance de cette voix qu'il peinait à reconnaître, avant de plisser les yeux de manière quasiment imperceptible lorsqu'il aperçut la jeune fille, plantée devant lui. Il considéra comme par réflexe les alentours dans l'espoir qu'un autre Suna-senpai que lui pourrait y être : en vain.
— T'es occupé ? s'enquit l'adolescente une fois à sa hauteur.
— Comme quelqu'un qui va en cours, quoi.
— Nickel ! J'aurais un petit... service à te demander.
Pour toute réponse à ses mots, son aîné arqua un sourcil inquisiteur et dubitatif, le front plissé. Les lycéens passaient à côté d'eux, parfois avec rapidité malgré l'heure encore matinale et le fait que la sonnerie n'ait pas retenti, parfois avec lenteur. Pourtant Akemi ne se formalisa pas le moins du monde des quelques regards en coin qu'elle sentait peser sur leurs personnes.
— C'est pour le service dans la tête, ajouta-t-elle, un large sourire sur le bout des lèvres.
— Tu comptes utiliser cette excuse à chaque fois que t'as quelque chose à me demander ?
— C'est pas impossible.
Un ange passa.
— Je crains le pire, soupira finalement Suna, avant de commencer à marcher tout en se décalant pour lui laisser la place de le suivre. Mais dis toujours.
La jeune fille passa une main exagérément pensive sur son menton, signe qu'elle cherchait ses mots et la manière d'aborder le sujet.
— Comme tu le sais sûrement, Ricchan fait partie de l'équipe de volley, commença-t-elle – et il plissa le front en guise d'approbation. Mais leur équipe est pas qualifiée pour les nationales, du coup comme on est déjà en novembre, les terminales quittent le club.
De toute évidence, la version courte n'était pas en option.
— Sauf que ! s'exclama-t-elle en rythmant ses mots de gestes théâtrales dont le volleyeur ne voyait pas l'utilité. Elle va devenir capitaine, tu vois ? Et la semaine prochaine–
— Viens-en aux faits, je comprends pas où tu veux en venir et ça va bientôt sonner...
— J'arrivais à la fin, bougonna Akemi en gonflant les joues. En fait elle a son premier match de capitaine la semaine prochaine, je vais aller la voir. C'est un match amical contre Komorebi, l'équipe qualifiée pour les nationale... Et je me demandais si tu pouvais pas venir, en emmenant avec toi Kita-senpai ?
Le volleyeur stoppa sa marche au beau milieu des couloirs pour la considérer longuement, un sourcil arqué. Comme s'il pensait avoir mal entendu ou mal compris, il pencha de manière presque imperceptible la tête sur le côté, ce qui n'échappa pas à Akemi. Cette demande n'avait aucun sens, au même titre que l'air exagérément sérieux qui peignait son visage.
— S'il te plaît, ajouta-t-elle en joignant les mains devant elle.
— Pourquoi t'as besoin de moi pour assister à un match ?
— Je peux pas demander moi-même à Kita-senpai... Et puis, ça fera plaisir à Ricchan ! S'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît.
Avec un peu de chance, et au vu de l'agacement qui étirait petit à petit son faciès, elle l'aurait à l'usure. Ce n'était pas comment si ça lui faisait plaisir de devoir se servir de lui de la sorte, mais elle ne pouvait définitivement pas aller voir Kita et le lui demander directement de venir – après tout, leurs seules conversations se résumaient à « tu devrais aller à l'infirmerie » et quelques remerciements.
Et puis, si Suna possédait quelques côtés agaçants, à commencer par cette manie qu'il avait de se moquer d'elle, elle devait bien admettre qu'au final, elle appréciait bien sa présence.
Il n'eut toutefois pas le temps de trouver une quelconque excuse, que la sonnerie vint bousculer le flux de ses pensées, et au passage le flux du couloir du rez-de-chaussée. Ils levèrent tous deux d'un même geste un regard vers le plafond, comme par réflexe, et Akemi profita des quelques courtes secondes qu'il leur restait pour le soudoyer à l'aide du regard de chien battu qui n'avait pourtant jamais marché sur sa sœur.
— Je peux pas, on a entraînement nous aussi le soir, je te rappelle, répondit-il finalement avant de faire volte-face, prêt à continuer sa marche en direction des escaliers.
— Mais non, c'est samedi aprem justement ! Et puis, t'aimes le volley non, tu dois bien aimer regarder des matchs ?
— Je préfère jouer, déclara-t-il en un haussement d'épaules.
— Senpai, s'il te plaît, c'est important pour moi.
Son ton plus sérieux attira l'attention du volleyeur, qui lui jeta une œillade par-dessus son épaule. Un long soupir franchit le mur de ses lèvres pour se heurter à l'air automnal qui s'engouffrait dans le couloir et glissait sur les murs. De toute évidence, elle ne mentait pas, et si la perspective de n'être qu'un tremplin ne l'enthousiasmait pas des masses, il devait bien admettre qu'il devait exister pire corvée que d'aller voir une camarade jouer au volley.
— Je vais voir, conclut-il après quelques courtes secondes de silence. Je vais en cours, salut.
Il fit volte-face avant de disparaître au milieu de la foule de lycéens qui bondaient les lieux, sous le regard azuré et pétillant de la jeune fille.
Il n'avait pas dit oui.
Mais concrètement, il n'avait pas non plus dit non.
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