Chapitre 35 - Contre le micro




Lorsqu'elle était rentrée chez elle après cette éprouvante journée pleine d'interrogations, Akemi s'était inconsciemment attendue à ce que la situation dégénère, au sein de l'habitation des Fumiya. L'appréhension lui avait grignoté l'estomac petit à petit durant tout l'après-midi, parfois étouffée par le souvenir de ce moment passé avec Suna – la chaleur de sa main lui avait paru encore envelopper la sienne au fil de toutes ses heures de cours. Pourtant, Ryoichi était simplement rentré le premier peu de temps après elle, suivi par Misaki, puis de leur mère en début de soirée. Et le processus s'était répété trois jours d'affilés, sans que le sujet ne soit évoqué ni avec sa sœur, ni avec sa mère.

À plusieurs reprises, l'adolescente s'était même retrouvée à hésiter quant à la perspective de l'aborder avec son père, avant de bien vite se résigner. C'était par ailleurs cette incapacité à s'exprimer qui l'avait fait prendre conscience des distances qui étaient nées au sein de leur cocon familial paisible depuis tant d'années ; de la fissure trop large pour être rebouchée qui existait désormais.

La cohabitation était devenue d'autant plus pesante que les cris et les altercations se faisaient dorénavant plus rares, au fil des dernières semaines. La colère avait de toute évidence laissé place à l'indifférence, et Akemi ne savait plus dire ce qui était à son sens le pire des deux. Alors plus que jamais, sa chambre était devenue sa bulle de tranquillité, au même titre que sa bulle de déni.

Seule la vive lumière du couloir inondait sa chambre, au gré de l'ouverture de quelques centimètres de la porte, lorsque son téléphone s'illumina pour indiquer un message de Ritsuka. Allongée dans l'étreinte cotonneuse de son matelas et perdue dans ses pensées, le regard dans le vide, il fallut à la jeune fille quelques secondes pour saisir l'objet et en analyser le contenu.

✉️ Ricchan
Le parc d'attractions, top ou flop ???
22:12

Akemi arqua par réflexe un sourcil à la lecture des kanjis qui composaient le message. Elle resta ainsi en suspens, comme si le temps pouvait lui manquer dans le déchiffrage de ce qu'il pouvait bien signifiait. Mais Ritsuka restait Ritsuka, et quand bien même cela était inattendu de sa part, elle n'eut aucune difficulté à deviner de quoi il retournait.

✉️ Akemi
Si tu veux m'inviter quelque par pour me remercier d'être une super amie, top !!
22:13

✉️ Akemi
Mais si tu veux un date avec Kita-senpai...
on est en janvier Ricchan??
22:13

Malgré la distance qui existait entre leurs quartiers respectifs, Akemi eut l'impression de voir la mine déconfite de sa meilleure amie comme si elle se trouvait devant elle. Un fin sourire naquit sur ses lèvres à cette simple idée, reflet de son amusement et d'un certain sentiment de fierté. Au cours des derniers jours, Ritsuka avait fait plus d'efforts que jamais, et quand bien même elle transpirait le remord de s'être aussi longtemps braquée, elle tentait au mieux de ne plus rien regretter.

✉️ Ricchan
Désolée, mais pour toi je me contenterai d'un jus de pomme au distributeur <3
22:16

✉️ Ricchan
JE SAIS
Mais j'ai pas d'idées... Le zoo alors ?
22:17

Un soupir spontané fit frémir ses narines, au même titre qu'un léger rire lui échappait.

✉️ Akemi
Le zoo aussi c'est en extérieur Ricchan... Tu veux qu'il craque pour toi ou qu'il choppe une pneumonie ?
22:18

✉️ Ricchan
Je peux peut-être faire d'une pierre deux coups...
22:18

✉️ Ricchan
Non srx je sais pas alors... Un truc d'intérieur ? J'ai aucune idée, et un café ou un ciné c'est un peu bancal non ?
22:19

La voix de Misaki s'éleva depuis le couloir, et si Akemi se raidit de manière inconsciente, elle réalisa bien vite que sa sœur paraissait simplement être au téléphone. Le prénom de son petit-ami glissa sur la conversation, et ce fut en réalisant que seule leur discussion semblait rendre l'habitation vivante que son cœur se comprima dans sa poitrine.

Peu désireuse de s'attarder sur de telles pensées négatives, la jeune fille s'empressa de reporter son attention sur son smartphone, qui s'était déjà verrouillé de lui-même, et sur le dilemme qui paraissait saisir sa meilleure amie.

De fait, il valait mieux trouver quelque chose en intérieur à une telle période de l'année. Leur sortie à la patinoire semblait s'être bien passée, à en juger les explications plus que détaillée auxquelles elle avait eu droit – quand bien même Kita restait Kita – mais un endroit chaud serait sans aucun doute plus motivant. Akemi fronça les sourcils.

✉️ Akemi
Att déjà, tu lui as proposé de faire quelque chose déjà ou tu vas encore taper le sms et attendre 3 jours avant de l'envoyer ?
22:23

La voix de Misaki continuait de percer le silence de l'étage, trop lointaine pour qu'elle n'en distingue désormais le fil de la discussion, mais trop présente pour qu'elle puisse en faire fi. Les minutes défilèrent, lentes à en mourir, sans que l'écran de son smartphone ne s'illumine de nouveau. Alors tandis qu'un soupir peint de nostalgie lui échappait, l'adolescente se redressa pour quitter la chaleur de ses draps, téléphone en mains. Dans un geste qu'elle avait effectué tant de fois maintenant qu'il en relevait quasiment d'un automatisme, elle posa un pied sur sa table de chevet pour grimper jusqu'au large rebord de sa fenêtre et s'y asseoir.

Le quartier Kojidai n'avait pas spécialement l'avantage d'être posé sur les hauteurs de Kobe. Pourtant, aussi loin qu'elle s'en souvenait, Akemi avait toujours utilisé cette fenêtre comme poste d'observation. Mirador dans l'espace réduit de sa chambre, il lui permettait de contempler l'immensité infinie du firmament lorsque la voute céleste se trouvait suffisamment dégagée, comme aujourd'hui. La noirceur profonde de la nuit s'étendait à perte de vue au-dessus des toits, maculée d'une traînée de poussière étincelante de laquelle elle ne parvenait plus à détourner le regard. Étendu de la sorte sur sa rétine et aux confins de son champ de vision, le ciel semblait inépuisable ; aussi profond et vaste que les océans.

Les océans...

L'illumination s'imprima sur le visage d'Akemi au gré d'un étrécissement de ses pupilles et d'un large sourire. Ses doigts glissèrent avec hâte sur l'écran de son smartphone, plus décidés que jamais à taper un message pour sa meilleure amie, avant qu'elle ne reste en suspens... Peut-être valait-il mieux prendre la température, avant. Et Suna était de toute évidence le meilleur interlocuteur pour cela.

✉️ Akemi
Kita-senpai aime l'aquarium ?
22:36

Le calme ne miroita pas bien longtemps dans sa chambre avant qu'une vibration, indicatrice d'un nouveau message, ne résonne contre les quatre murs.

✉️ Sunarin
Mais pourquoi je saurais ça ?
22:37

Akemi gonfla instinctivement les joues devant la nonchalance dont il faisait preuve. Ils avaient été coéquipiers pendant deux années, il devait bien connaître certaines choses sur ses goûts, après tout ! Elle s'apprêtait à répondre, lorsqu'une nouvelle notification s'afficha sur l'écran :

✉️ Ricchan
J'ai rien envoyé encore, mais en fait laisse tomber, je vais rien lui demander, ça m'angoisse trop de me retrouver seule avec lui
Toute façon il est en plein dans ses révisions avec ses examens d'entrée à la fac et tout, donc je veux pas l'embêter
22:38

✉️ Ricchan
Il dira non c'est sûr
22:38

✉️ Ricchan
Imagine il avait dit oui par politesse pour la patinoire pcq il savait pas comment refuser??
22:39

Les trois messages coulèrent sous ses iris azurés avec rapidité, au gré des nombreux soupirs qu'elle laissa échapper à leur lecture. Ritsuka restait Ritsuka, et elle devait bien admettre que la simple idée qu'elle ait de nouveau envisagé la possibilité de l'inviter quelque part relevait du miracle. Son regard glissa avec nostalgie sur la fenêtre, dans une contemplation mélancolique des bavures étincelantes qui maculaient les cieux.

Les examens d'entrée à la fac... Objectivement parlant, sa meilleure amie n'avait pas vraiment tort, elle le voyait bien au quotidien avec sa sœur enfermée dans ses révisions. Kita était un élève studieux aux notes excellentes, il viserait sûrement une faculté réputée. Peut-être même quitterait-il la préfecture ?

Un frisson lui courut sur les bras à cette pensée, alors que son étreinte se resserrait inconsciemment autour de son smartphone. Quitter la préfecture. La voix de sa sœur qui emplissait toujours l'habituation lui sembla alors presque douloureuse, à cette pensée, avant qu'elle ne se ressaisisse : Misaki n'avait jamais évoqué la perspective de partir faire ses études, après tout. Et elle se doutait bien qu'elle resterait là pour elle, pour l'aider à supporter l'asphyxie de leur quotidien.

Pourvue de tous les mots réconfortants et encourageants qu'elle trouva, Akemi se lança dans des échanges visiblement vains afin de résonner Ritsuka. Calme et patience furent toutefois rapidement laissés de côtés, avant que des menaces soient lancées sur le ton de la rigolade – et au gré des messages et des minutes qui filèrent, elle en oublia de répondre à Suna. Ce fut ainsi lorsque son surnom apparut de nouveau dans ses notifications, signe d'un nouveau message, que l'adolescente en prit conscience :

✉️ Sunarin
ça va mieux avec l'histoire de ta mère ?
23:03

La surprise s'imprima sur son visage à la lecture de ces quelques mots, qui représentaient à eux seuls l'intérêt que le volleyeur paraissait porter à sa situation. Akemi n'avait jamais vraiment aimé se confier, et si les regrets l'avaient assaillie lorsqu'elle avait parlé de sa famille à Suna, lorsqu'il était venu la voir, elle commençait à relativiser. Parce qu'en dépit de sa nonchalance, il parvenait chaque fois à la surprendre.

✉️ Akemi
Comme on dit, pas de nouvelle = bonne nouvelle
le sujet a toujours pas été évoqué
23:04

✉️ Sunarin
L'ambiance doit être pesante...
23:05

✉️ Akemi
Disons que la seule vie dans la maison là, c'est Misa au téléphone :')
23:07

Une minute. Deux minutes. Trois minutes. Akemi arrêta de compter lorsque même observer les étoiles ne parvint plus à étouffer le nœud d'appréhension dans son estomac. Suna ne paraissait plus décidé à répondre, après avoir lui-même lancé ce sujet qu'elle aurait pourtant préféré éviter. Mais contre toute attente, alors qu'elle s'apprêtait à lancer son téléphone sur son lit pour rejoindre la chaleur de ses draps, plusieurs vibrations en émanèrent. Signe d'un appel entrant.

Son cœur lui parut louper un battement lorsqu'elle aperçut le surnom du volleyeur affiché sur l'écran, si bien que l'étonnement qui en découla manqua de la faire décrocher trop tard.

— Allo ? s'enquit-elle, en saisissant de sa main libre les écouteurs qui traînaient sur sa table de chevet.

Ouais, répondit-il simplement Suna, d'un ton dénué de tout entrain.

— Me dis pas juste « ouais » comme si t'étais aussi surpris que moi, c'est toi qui appelles je te ferais remarquer, Sunarin, chantonna-t-elle, incapable de camoufler l'amusement qui découla de ce bref échange.

J'ai pas fait exprès, en fait.

Un ange passa.

Il fallut à l'adolescente quelques courtes secondes pour prendre conscience de ces mots. Et réflexe spontané, elle gonfla les joues, les sourcils froncés et un écouteur en suspens à hauteur du menton.

— Je plaisante. En plus, tu viens de gonfler les joues, je le sais.

Un fin sourire au bord des lèvres, Akemi laissa son regard arpenter de nouveau la voûte céleste.

— Dis pas ça avec autant de conviction, je vais croire que t'es planté devant chez moi, après.

— Regarde par la fenêtre.

— Pour de vrai ?!

La réaction fut immédiate, elle se redressa au gré de ses propres paroles pour observer la vue plongeante sur la rue que sa chambre offrait. La réponse de son aîné lui parvint toutefois avant qu'elle n'ait pu voir quoi que ce soit :

Non, il fait beaucoup trop froid. Je suis sous ma couette.

— Évidemment, lâcha-t-elle dans un soupir de déception, bien qu'un brin amusée – même au téléphone, il restait bien trop fidèle à lui-même pour qu'elle ne sente pas sa poitrine pétiller d'aise. Pourquoi tu m'appelles, alors ?

Le silence s'écrasa l'espace de quelques secondes, suffisamment longues pour que son sourcil finisse par s'arquer d'incompréhension. Pourtant, le souffle du volleyeur continuait de s'écraser contre le micro en continu – et ainsi contre ses oreilles – signe qu'il cherchait sa formulation.

— Comme ça, y'a pas que ta sœur qui met de la vie dans la maison, chuchota-t-il.

Le calme de sa voix fit tressaillir le cœur de la jeune fille, et au passage les dernières barrières qu'elle s'efforçait encore d'ériger. Ses pommettes s'échauffèrent au gré du sous-entendu qui se faufilait jusqu'à son esprit, et elle se maudit intérieurement de l'effet qu'il pouvait avoir sur elle lorsqu'il s'adoucissait de la sorte.

— C'est pas juste..., murmura-t-elle en ramenant ses jambes contre sa poitrine.

— De quoi ?

Un fin soupir franchit le mur de ses lèvres, chargé de tous les sentiments écrasants et contradictoires qu'elle contenait. Akemi laissa ces quelques mots s'imprimer dans un coin de son esprit, peu désireuse de les oublier, avant de bien vite se ressaisir.

— Rien, rien. Dis, en fait tu voulais me parler de tout ce que Kita-senpai aime pour pouvoir aider Ricchan, c'est ça ?

— Je t'ai déjà dit, j'ai aucune idée de ce qu'il aime, souffla Suna.

— Mais l'aquarium, tout le monde aime ça, non ? Même toi avec ta nonchalance, je suis sûre que tu aimes !

— Mouais, ça va...

— Bon, maintenant va falloir que j'aille secouer Ricchan. Sérieux, c'est à croire que si j'étais pas là elle se contenterait de baver sur son passage.

Akemi crut dans un premier temps rêver, pourtant ce fut bien un fin rire qui perça ses tympans. Doux, délicat. Peu audible, mais bien réel. Il lui parut glisser sur sa peau en un million de frissons, comme s'il avait réellement éclos entre les quatre murs de sa chambre. Écouteurs toujours dans les oreilles, la lycéenne considéra avec attention le smartphone dans ses mains.

— Qu-quoi ? Pourquoi tu rigoles ? risqua-t-elle.

— J'arrive pas à croire que je m'inquiétais. T'es encore plus bavarde qu'au lycée, en fait.

S'il lui fallut quelques secondes pour analyser ces propos, ses joues se gonflèrent dans un nouveau réflexe spontané, réflexe dont elle prit cette fois conscience. La commissure de ses lèvres s'étira de quiétude.

— C'est que ça m'a changé les idées de te parler, je crois. Puis j'suis sur le rebord de ma fenêtre, je regarde les étoiles. Ça m'aide toujours de faire ça quand ça va pas trop.

Ils n'auraient tous deux pas su dire combien de temps ils étaient restés au téléphone, à échanger de la sorte, si leur temps d'appel n'avait pas été inscrit sur leurs écrans. Dix minutes, vingt, trente, quarante-et-une ; chacune d'elle leur avait paru glisser sur la nuit avec un tel naturel, emplie de leurs souffles, leurs voix, leurs secrets. À tel point que lorsqu'elle se rendit compte que minuit venait de passer, la jeune fille crut dans un premier temps que son réveil-matin ne fonctionnait plus.

Ce fut ainsi à contre cœur et peu désireuse de rejoindre les bras de Morphée qu'Akemi se résolut à couper cet appel. Plus libérateur qu'elle n'aurait jamais pu l'imaginer, il paraissait avoir détourné le cours tout entier de ses pensées, de ses maux. Et peut-être était-ce bien ce que Suna avait cherché – le sous-entendu plus qu'explicite lui courrait encore sur la peau.

De nouveau blottie dans l'étreinte chaleureuse de ses couvertures, Akemi réalisa avoir manqué un message de sa meilleure amie, quelques minutes auparavant :

✉️ Ricchan
En fait, laisse tomber l'idée du date
Je me rends compte que depuis la patinoire, je flippe trop de me retrouver seule avec lui ??
23:51

Un soupir lui échappa, avant que l'illumination ne naisse dans son esprit. Il était désormais hors de question que Ritsuka ne se dégonfle, tout comme il était désormais hors de question que ses propres barrières résistent. Maintenant, elle en était certaine.

✉️ Akemi
OK, t'inquiète je gère 😤
00:09



~ ~ ~




Règle numéro 1 quand on s'appelle Ritsuka et qu'Akemi nous dit qu'elle gère: avoir peur.
Je suis curieuse de savoir ce que vous imaginez de sa part ?

Héhé je suis contente d'enfin vous présenter la première conversation téléphonique de Suna et Akemi~
Et j'espère que ce chapitre vous a plu, il m'avait pas mal faite galérer ahah. Si c'est le cas, n'oubliez pas de cliquer sur la petite étoile et de laisser un petit commentaire c:
Au passage, je suis désolée pour la notification d'hier soir, petite erreur de manip de ma part mdr (note à moi-même: ne plus c/c mes chapitres sur Wattpad le soir quand je m'endors sur mon PC)

Et je ne vous embête pas plus longtemps avec les NDA de trois kilomètres, et vous dis à samedi prochain <3

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