Chapitre 12 - L'écho du tonnerre






Il arrivait souvent que les gymnases soient réquisitionnés pour différentes raisons, qu'il s'agisse de répétitions, de préparations d'événements sportifs ou plus souvent de réunions administratives. Et le gymnase utilisé par le club de volley de l'équipe masculine étant le plus grand, il était généralement requis en priorité. Comme aujourd'hui, au grand dam d'un Suna de corvée de nettoyage qui ne pouvait pas prétexter un entraînement pour s'échapper plus rapidement.

— Suna-kun, tu veux bien aller chercher des craies ? Elles sont dans la réserve du premier étage. Je m'occupe du cahier, lui indiqua Narumi Kisara, en charge avec lui ce jour.

Le lycéen considéra la requête au même titre qu'il considéra la moue réservée de sa camarade de classe, avant d'approuver d'un hochement de la tête. De toute évidence, aller chercher un paquet de craies lui paraissait moins pénible que de devoir remplir le cahier de classe : il n'allait pas refuser.

Il quitta ainsi la salle, alors qu'il sentait le regard de sa camarade posé sur lui avec insistance, mais ne s'en formalisa pas. L'obscurité dominait dans le couloir, malgré les luminaires au plafond encore éclairés : la nuit enveloppait déjà la ville, comme chaque jour à cette heure de l'hiver. Mais non contente de cette atmosphère déjà presque sinistre, elle laissait également l'orage s'insinuer avec insistance, se faufiler entre chaque bâtiment, glisser sur la surface du ciel tout entier.

Le bruit du vent sifflait à travers les fenêtres, le tonnerre résonnait de temps à autre, et si la pluie ne paraissait pas encore décidée à venir s'écraser sur Kobe, ce n'était de toute évidence plus qu'une question de temps. Cela faisait quelques jours déjà que la situation météorologique ne s'arrangeait pas, et s'ils avaient visiblement réussi à échapper à l'orage jusque-là, ce soir semblait être sans issue.

Il n'avait d'ailleurs pas intérêt à trop traîner, s'il voulait être chez lui avant l'averse.

Ce fut en traversant le couloir désert des première année pour remonter, un paquet de craies en main, que la lumière d'une salle de classe retint son attention. Comme tous les lundis, ils avaient normalement terminé les cours une heure plus tôt que les deuxième et troisième année, ce qui expliquait l'absence de vie de l'étage.

Mais la silhouette qu'il distingua au fond de la pièce, assise à un pupitre, lui aurait presque paru familière. Visiblement, Fumiya Akemi avait adopté la classe comme bureau pour ses devoirs – ce fut en tout cas ce qu'il déduit à la vue de son livre ouvert devant elle et du rythme d'écriture qu'elle maintenait dans son cahier. Il n'y prêta toutefois pas plus attention que cela et continua de marcher pour rejoindre les escaliers.

De nouveau, le tonnerre vibra contre ses tympans, plus fort encore que les fois précédentes. À travers la vitre qui habillait le couloir, et comme pour venir lui répondre, un éclair découpa le firmament avec grâce ; net et distinct, sans aucun doute visible à des kilomètres à la ronde.

Et à cette pensée, ce fut le visage tétanisé d'Akemi qui s'imprima dans son esprit. Cette peur qui l'avait visiblement paralysée, une semaine auparavant lorsqu'elle était venue au gymnase, lui avait paru liée à la perspective de l'orage.

Suna resta en suspens. Les secondes s'écoulèrent avec une lenteur infinie et assommante, bercées par le grondement capricieux du ciel. Remonter, terminer le rangement et vite rentrer chez lui, ou bien aller voir pour absolument aucune raison une fille peut-être en train de trembler de peur ?

Sur le papier, le choix était vite fait. Pourtant, ce fut presque instinctivement qu'il fit un pas en arrière, avant de faire demi-tour, sans qu'il ne comprenne vraiment pourquoi. Dans un soupir, ses jambes le guidèrent jusqu'à la salle des 1-6, et les conclusions qu'il avait émises se confirmèrent lorsqu'il aperçut la jeune fille affalée sur sa table, et ainsi sur ses cours.

— Fumiya ? lança-t-il sans détour en pénétrant dans la pièce.

L'intéressée se redressa d'un bond sous le coup d'une surprise qu'elle peina bien à dissimuler. L'incompréhension vola à la surface de ses prunelles azurées, et si elle tenta de garder contenance du mieux qu'elle le put, la crispation toute entière de son corps ne trompait pas.

— Tu connais mon nom ? s'étonna-t-elle toutefois, contre toute attente.

Suna haussa les épaules pour toute réponse. Nagano avait bien eu l'occasion de le lui dire au détour d'une conversation dont il ne se souvenait qu'à peine, mais il ne voyait pas vraiment l'intérêt de l'exposer de la sorte.

— T'as pas entraînement ? questionna l'adolescente, sans se formaliser du silence qui envahissait la pièce – et laissait ainsi l'orage résonner en échos parfois encore timides.

— Y'en a pas aujourd'hui.

— Tu t'es perdu jusqu'à ma classe, alors ? Je vais avoir du mal à croire à un hasard.

Un soupir ; lourd comme le plomb. En la voyant aussi taquine et assurée, le volleyeur en arriva à se demander pourquoi diable avait-il fait demi-tour pour revenir la voir. Elle ne paraissait pas si perturbée que cela par la situation, aussi se contenta-t-il de mettre en avant le paquet de craies qu'il tenait toujours.

— Ah, t'es de nettoyage, conclut Akemi. Donc tu sèches en te baladant dans les couloirs.

Vraiment, il ne comprenait pas pourquoi il était revenu.

Le lycéen s'apprêtait à faire demi-tour lorsque le tonnerre éclata de nouveau. Plus fort, plus ferme et plus assourdissant encore qu'il ne le faisait depuis de longues minutes maintenant, il retentit, avant que le cri aigu spontané de la jeune fille ne vienne lui répondre. Comme si elle n'en prit conscience qu'en s'entendant, elle plaqua avec rapidité une main sur sa bouche, pour plonger la salle de classe dans un silence écrasant.

L'ahurissement étira les traits du visage de Suna, au même titre qu'un certain étonnement. Alors c'était bel et bien le temps à l'extérieur qui la perturbait. Et ça avait bien été le cas la dernière fois, au gymnase. L'esquisse d'un sourire aurait pu naître au coin de ses lèvres, si elle ne s'était pas recroquevillée sur elle-même dans l'espoir de cacher ses pommettes rosies de honte.

— Pourquoi t'es encore là si t'as peur de l'orage ?

— Aux dernières nouvelles, je sais pas encore me téléporter, bougonna-t-elle, sans relever la tête pour autant.

— Fallait rentrer avant que ça commence à gronder, alors.

— Je pensais pas que ça arriverait aussi vite, je voulais terminer mes devoirs avant de rentrer.

Le volleyeur arqua un sourcil dubitatif, immobile dans l'entrée de la pièce, sans répondre pour autant. Inévitable et indomptable, le silence tomba, tel une sentence fatidique prononcée. Et si les arbres paraissaient toujours gratter contre la façade, si le vent paraissait toujours siffler contre les vitres ; le tonnerre ne vint pas répliquer. 

— Tu te moques pas ? s'éleva la voix renfrognée d'Akemi, la tête de nouveau dans ses bras, sur son bureau. Tu te moques toujours, dès que t'en as l'occasion.

Un ange passa.

Incrédule, Suna se gratta la nuque, avant de soupirer, les yeux plissés.

— Je suis pas un monstre, t'es quand même à deux doigts de fondre en larmes.

Visiblement surprise par une telle honnêteté et un tel calme à la limite de la bienveillance, l'adolescente se redressa légèrement. Ses prunelles bleues arpentèrent les lieux avant qu'il ne les sente se poser sur lui, si bien qu'il ne sut pas comment réagir. D'un côté, il n'avait pas vraiment le temps de rester ici à la regarder dans le blanc des yeux éternellement, d'autant plus que Narumi risquait de penser qu'il s'était volontairement échappé pour la laisser ranger seule. D'un autre côté, même lui ne pouvait pas rester de marbre devant à la panique face à laquelle elle semblait en proie.

— Merci, marmonna-t-elle d'une voix peu audible.

— De ?

— Ben de pas te moquer.

Une goutte s'écrasa contre la vitre. Suivie d'une deuxième, puis d'une troisième, et bientôt, en seulement quelques secondes, la pluie commença à tomber dru, à s'écraser avec virulence sur la façade du bâtiment. Elle couvrit le sifflement du vent, le bruit des arbres, les « tic » incessants de l'horloge murale, et même les quelques voix lointaines de lycéens encore présents. Il leur sembla même qu'elle devenait suffisamment frénétique et impétueuse pour couvrir le tonnerre qui devait sans doute encore hurler à travers le ciel. L'odeur d'humidité flottait dans l'air jusqu'à l'intérieur de la salle de classe, à en attaquer les narines.

— Le déluge, souffla Suna d'un ton nonchalant, exténué rien qu'à l'idée de devoir rentrer sous cette pluie si elle ne se calmait pas rapidement.

Mais avant de pouvoir rentrer, il allait lui falloir se dépêcher de rejoindre son étage pour terminer le rangement, avant que Narumi ne le fasse. Non pas que la perspective de cette corvée l'enchantait – une élève de première année à rassurer, c'était une bonne excuse, après tout – mais il ne pouvait pas la laisser se charger de tout.

— Senpai, l'interpella Akemi d'un ton hésitant qu'il ne lui avait pas encore vu. Est-ce que tu... peux rester un peu. Genre, cinq minutes, pas plus. Tu sais, histoire que ça se calme ? Puis après, tu sortiras cette image de ta mémoire pour toujours.

L'adolescent considéra tour à tour et à plusieurs reprises Akemi et sa moue boudeuse, la boite de craies qu'il tenait toujours, ainsi que le couloir dans son dos. Il le savait : il n'aurait jamais dû faire demi-tour dans les escaliers. Si encore il ne l'avait pas assommée quelques jours auparavant, peut-être aurait-il pu envisager l'hypothèse de s'éloigner...

Maudite culpabilité. Agir comme Atsumu et se faire détester sans en avoir quoi que ce soit à faire devait parfois être bien utile.

— Parce que dans cinq minutes tu comptes rentrer ?

— Je préfèrerais me prendre un autre service dans la tête que devoir rentrer toute seule comme ça avec un temps pareil. C'est juste que d'ici cinq minutes, je penserai à autre chose, genre à ma rédaction de littérature, par exemple.

— Je préfère encore penser à l'orage, grinça le volleyeur en laissant son visage s'étirer en une grimace à la mention de la littérature. Je peux pas rester, par contre.

Malgré les quelques mètres qui les séparaient, il n'eut aucun mal à apercevoir ses traits se décomposer. Décidément, cette fille avait prévu de lui en faire voir de toutes les couleurs, c'était une évidence.

— Range tes affaires et suis-moi, tu vas pas rester ici toute seule, conclut-il dans un soupir, avant de faire volte-face pour quitter la salle.



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Je sais pas si ce qui me hype le plus est de vous partager ce chapitre ou le fait d'avoir vu Inarizaki (surtout Suna et ses superbes micro-secondes d'animation lol) animé hier, et d'être encore plus motivée pour l'écriture de cette fanfic !

Bref, mon premier point de vue de Suna ! C'était assez difficile de se mettre dans sa tête au début ahah, mais j'aime bien le rendu de ce chapitre. J'espère que ça vous a plu en tout cas (puis il est pas si méchant que ça hihi). Si c'est le cas, n'oubliez pas de cliquer sur la petite étoile et de laisser un ptit commentaire, y'a rien de plus motivant vous savez !

Et je vous dis à bientôt ! <3

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