Bonus 1 - Croissant de lune


Surprise, je suis toujours vivante ici ! Je SAIS que j'ai un retard monstre de plusieurs mois dans les commentaires ici, j'avais doucement commencé à rattraper mon retard, et je compte bien continuer (c'est tellement motivant de relire tous vos avis).

Je vous en avais parlé dans ma note de fin, mais j'avais depuis un moment une idée de one-shot bonus sur Ritsuka et Kita qui ne demandait qu'à être écrit, et mieux vaut que jamais ~

J'espère donc qu'il vous plaira, et je vous souhaite une bonne lecture c:


🌙


Le moins que l'on pouvait dire, c'est que Nagano Ritsuka n'était pas une jeune femme extravertie. Discrète et calme de prime abord, elle se fondait généralement dans les masses de lycéens malgré son mètre soixante-dix – taille relativement grande pour une fille de son âge. Ce n'était que lorsqu'on prenait la peine de creuser sur l'éventail de ses émotions qu'on pouvait davantage faire attention à elle. Shinsuke, lui, ne pouvait pas réellement dire à partir de quel moment sa silhouette avait bien pu commencer à lui apparaître plus nettement au milieu des autres, dans les foules.

Ils s'étaient côtoyés de manière cordiale pendant plusieurs mois, à n'échanger que banalités et conseils relatifs au volley-ball. Plus d'une fois il leur était arrivé de partager le gymnase au cours de leurs entraînements respectifs, et ils avaient encore plus eu l'occasion d'échanger depuis qu'elle était passée capitaine de son équipe.

Elle n'était pas très hardie, et tenait parfois des discours incohérents en sa présence. Il pouvait souvent apercevoir ses pommettes se colorer d'un rouge plus ou moins vif, tout comme il distinguait aisément la myriade d'émotions à la surface de ses prunelles aux éclats smaragdins. Ce n'était que lorsqu'elle passait sur le terrain, entourée de part et d'autre du filet et des lignes blanches, qu'elle paraissait être une toute autre personne, murée dans la concentration.

Dans un premier temps, se retrouver face à elle avait été plus que déroutant. Diamétralement opposés, le flux constant et expressif de ses sentiments toujours débordants, peu importe leur nature, l'avait entièrement dépassé. Lui qui agissait toujours de manière avisée et réfléchie, sans émotion superflue et doté de cette confiance indéfectible dans ce qu'il savait être ses points forts... Le contraste était bien déroutant.

Et pourtant, parfois – souvent même – il laissait sa confession résonner en boucle dans son esprit. Gravée au fer rouge pour une raison qui lui échappait, lui qui en avait reçu bien d'autres avant celle-ci, elle le ramenait constamment à cet échange à l'aquarium. Au souvenir de sa silhouette crispée, presque tremblotante ; de son visage tailladé de rougissements jusqu'aux oreilles ; de sa tête baissée et cachée de mèches châtains – qu'il s'était presque surpris à vouloir dégager pour mieux l'observer. Plus qu'il ne l'aurait pensé, sans qu'il ne parvienne pour autant à mettre des mots sur ce qu'il ressentait, il était forcé d'admettre que l'entendre de la sorte lui avait fait plaisir. Et aujourd'hui encore, peu habitué à de telles émotions, il ne savait trop comment réagir.

— Shin ? Tu as l'air songeur, ça ne te ressemble pas.

La voix douce qui serpenta jusqu'à lui au gré de la brise légère eut le mérite d'arracher Kita à ses songes. Il releva la tête pour considérer le visage délicat de sa grand-mère, étiré par le poids de l'inquiétude qu'elle laissait visible. Dans un sourire presque mélancolique, reflet de sa prise de conscience quant à la divagation de ses pensées, il porta son attention sur le linge pendu qu'ils étaient en train de plier.

— C'est rien, ne t'inquiète pas.

— Tu pensais au lycée ? s'enquit-elle avec bienveillance, et une pointe de préoccupation.

— Oui, entre autres.

— Ça va te manquer, n'est-ce pas ?

Shinsuke prit le temps d'étudier la question, le regard perdu dans l'immensité blanche du drap qu'il tenait. Il n'aurait su dire si c'était le mot qui pouvait résumer son état d'esprit. Après tout, quitter le lycée n'avait rien d'extraordinaire, et c'était quelque chose à quoi il s'était habitué au fil de ces trois années. Tout comme il savait qu'il allait un jour avoir à arrêter le volley-ball. Nagano n'était qu'un élément qu'il n'avait pas anticipé, pourtant il était agréable de les croiser dans les couloirs, elle et sa bonne humeur, elle et sa moue crispée, ses pommettes rosissantes.

— Un peu, concéda-t-il. Mais c'est le cours normal des choses de finir le lycée un jour.

— Bien sûr. Tu vivras d'autres moments encore qui te marqueront, puis qui te manqueront un jour aussi.

Un fin sourire aussi doux que poli aux lèvres, le jeune homme approuva ses dires, déjà prêt à mettre Nagano dans un coin de son esprit afin de se concentrer sur l'instant présent. Ce fut sans compter sur cette dernière, peut-être interpellée en sentant être au cœur d'un sous-entendu, et de son smartphone qu'il entendit sonner à deux reprises depuis sa poche.

✉️ Nagano Ritsuka
Hello, je repensais à demain, ça te dirait le cinéma du centre-ville ?
Enfin si tu veux bien sûr.
18:24

✉️ Nagano Ritsuka
Mince sans le point dsl !!
18:24

Malgré lui, un léger rire lui échappa à la lecture de ces deux messages. Elle restait toujours fidèle à elle-même, et ce jusqu'au travers d'un écran de téléphone. Distrait quelques secondes par la forme de ses mots, il revint finalement sur le fond, et sur le cinéma. Il était vrai qu'ils avaient prévu de se voir le lendemain, comme ils le faisaient souvent ces derniers temps, sans pour autant avoir réussi à mettre un mot sur leur relation. Il l'appréciait, c'était indéniable, mais jusqu'à quel point ? Ressentait-il la même chose que ce qu'elle lui avait avoué ressentir ? Ce n'était pas évident de mettre des mots là-dessus.

Une chose était certaine, c'était qu'il l'appréciait suffisamment pour accepter sans une once d'hésitation sa requête...

La pénombre engloutissait la centaine de mètres carrés de la pièce. L'atmosphère, rendue pesante par le silence qui s'écrasait, se trouvait seulement transpercée de l'angoissante musique qui frappait depuis les haut-parleurs. Confortablement installée sur le fauteuil pliant de la salle de cinéma, Ritsuka suivait avec une attention infaillible les détails du film qu'elle avait elle-même choisi. De temps à autre, l'émeraude de son regard glissait sur la silhouette de Kita, qui suivait lui également l'immense écran sans un clignement de paupières. Les bras croisés sur le torse, il ne démontrait comme à son habitude d'aucune émotion superflue.

En dépit des apparences, Ritsuka n'était pas très intimidable lorsqu'il s'agissait de films d'horreur. Elle en arrivait même à en jouer pour faire peur à Akemi, à chaque fois qu'elles avaient eu l'occasion d'en regarder ensemble, et de s'amuser chaque fois de la réaction de sa meilleure amie. Alors en tant qu'amatrice, et après avoir elle-même proposé un cinéma, elle avait été honnête avec Kita lorsqu'il lui avait demandé ce qu'elle voulait aller voir. Maintenant, à le voir ainsi figé sur son siège, elle commençait à le regretter...

Peut-être devrait-elle agir de manière plus mignonne et féminine ? Akemi lui avait conseillé de faire semblant d'avoir peur afin qu'il la réconforte, si jamais les choses tournaient mal. Et là, quand bien même il avait accepté cette sortie alors qu'il n'avait toujours pas fait de réponse claire à sa confession, elle ne pouvait pas vraiment dire que les choses se passait bien. Elles se passaient, voilà tout.

Alors que son cerveau en surchauffe se détachait petit à petit des scènes supposées angoissantes qui coulaient sur le grand écran face à eux, perdue dans ses pensées, l'ex-volleyeur la rattacha brusquement à la réalité. Sa proximité se manifesta contre son épaule, lui arrachant au passage un sursaut – accomplissement que le film d'horreur n'était pas parvenu à réaliser.

— Nagano-san, ça va ? lui murmura-t-il au creux de l'oreille, dans l'intention d'être discret.

Ritsuka sentit tout son corps répondre au contact de son souffle sur sa peau et se tendre. Son cœur exécuta un looping contre sa cage thoracique, avant qu'elle n'ose tourner lentement le visage en sa direction.

— O-oui, pourquoi ça n'irait pas ? répondit-elle en chuchotant à son tour.

— T'avais l'air crispée. J'ai cru que tu te sentais pas bien, ou que le film ne te plaisait pas.

Toujours bien trop proche pour ne pas alerter son palpitant, il lui lança une œillade interrogative qui avait pour but d'accompagner ses mots. Seuls existaient entre eux quelques courts centimètres, et si la jeune fille savait qu'il s'était rapproché ainsi afin de pouvoir lui parler sans déranger les autres spectateurs, elle ne parvenait pas à se calmer.

— Non désolée, c'est juste que... J'avais un peu soif, en fait.

Son cerveau s'étala dans des pensées dénuées de sens et de liens et, incapable de réfléchir convenablement, elle se contenta d'attraper distraitement le gobelet de soda posé dans le porte-boissons entre leurs deux sièges. Ses lèvres saisirent avec rapidité la paille, et elle s'empressa d'avaler le liquide... qui n'avait pas le même goût que celui de tout à l'heure. Le visage crispé par l'incompréhension et le stress, elle considéra à bout de bras le gobelet.

— Mon..., commença-t-elle, avant d'apercevoir son gobelet, incrusté dans l'autre porte-boisson.

La honte lui fit monter le sang aux joues encore plus que ce n'était déjà le cas. Dans les allées devant eux, elle distingua quelques têtes se tourner légèrement en sa direction, interpellées par le bruit qu'elle devait faire, à des années lumières du film dont elle avait même déjà oublié l'existence. Ce n'était pas sa boisson, mais bien celle de Kita qu'elle venait de boire à pleine gorgée dans l'espoir de détendre l'atmosphère – échec cuisant. La boisson qu'il avait lui-même commencée à déguster quelques minutes auparavant. Avec la paille qu'il avait par conséquent utilisée.

— P-pardon, s'inlina-t-elle. Je croyais que c'était la mienne c'est pour ça...

L'écran de cinéma n'éclairait que faiblement le visage de l'ex-capitaine, tapi dans l'obscurité de la pièce, pourtant elle distingua ses traits se plisser quelque peu. Toujours tourné en sa direction et toujours trop proche, quand bien même elle avait réussi à reculer au gré de ses gestes, il la sondait de son regard brun si perçant.

— De quoi ? s'étonna-t-il.

— Le gobelet, c'est le tien, et j'ai bu avec ta paille... Désolée, expliqua la jeune fille, avant de se redresser d'un bond. Attends, je vais aller t'en chercher une autre.

Elle s'apprêtait à se lever afin de quitter la pièce, lorsque la main de Kita se resserra autour de son poignet. La chaleur dégagée se répandit sur sa peau aussi vite qu'un frisson, avant qu'il ne laisse ses doigts glisser pour lui saisir simplement la main. Comme si le film qui continuait toujours devant eux n'existait plus, ils se considèrent avec insistance et incrédulité.

— Reste là, y'en a pas besoin. Si c'est toi ça me dérange pas.

Et pour accompagner ses paroles, alors que Ritsuka sentait son visage chauffer plus encore qu'elle ne le pensait possible, il récupéra le gobelet qu'elle tenait toujours. Avant de porter à son tour la paille à ses lèvres.

Cette manie qu'il avait de jouer avec son cœur sans même sembler le réaliser finirait par avoir raison d'elle...

La patinoire, le cinéma, les salons de thé, le parc d'attraction ; c'était frustrant. Chaque fois qu'ils sortaient quelque part, Shinsuke se disait que ce serait pour lui le moyen de mettre enfin des mots sur ce que Nagano pouvait représenter pour lui. Pourtant, chaque fois, il finissait dépassé par la situation et se laissait porter par l'instant. Ce n'était qu'une fois à la maison, lorsque sa grand-mère le saluait d'un « j'espère que tu t'es bien amusé » que les rétrospectives des dernières heures lui brouillaient l'esprit. Maintenant, le temps avait trop filé, et ne restaient que les quelques jours qui les séparaient des vacances de fin d'année... Et de la fin du lycée. Les examens, la White Day, tout lui semblait étonnamment dérisoire à côté de la sensation étrange logée dans sa poitrine.

— Kita ? T'as l'air dans la lune, ça te ressemble pas.

Interpellé par la voix d'Ojiro Aran, aux côtés de qui il marchait, Shinsuke redressa la tête pour croiser les prunelles noires de son ami. La ruelle longée depuis quelques minutes déjà lui réapparut, le portant à réaliser qu'il s'était effectivement perdu dans ses pensées.

— Excuse-moi, tu disais ?

Face à lui, Aran arqua un sourcil perplexe. De toute évidence, il ne s'attendait pas à une telle réponse. Il se ressaisit toutefois rapidement dans sa marche, alors qu'ils atteignaient les rues passantes et commerciales de la ville.

— Je disais que ça fait déjà plus de deux mois, et pourtant j'ai du mal à quitter le lycée sans réaliser que je vais plus au club.

— Pourtant on est en semaine de révisions. Y'a jamais eu entraînement en semaine de révision.

— Rah oui je sais, mais c'est sur le principe ! T'es toujours trop laconique ! s'emporta Aran à l'air de grands gestes.

Shinsuke ne lui prêta pas davantage attention, nullement blessé par ces paroles qu'il savait être véridiques. Pourtant, la simple mention de cette fin de club – et par extension de fin d'année – le fit se crisper. Il n'avait jamais été du genre à ne serait-ce que penser aller contre le sens du circuit scolaire. Après le collège venait le lycée, et après le lycée venaient les études. Il n'était pas triste. Mais après avoir réfléchi des jours durant sur les paroles de sa grand-mère, peut-être bien que quelque chose allait lui manquer.

— C'est bizarre, reprit Aran. C'est nos derniers exams au lycée... Tu crois que le club ira bien ?

Un fin sourire étira les lèvres de l'ex-capitaine.

— J'en suis sûr. Atsumu fera un super capitaine.

— J'en suis moins sûr...

— Dis, qu'est-ce que tu offrirais à une fille pour la White Day ?

Aran s'arrêta brusquement de marcher à ces mots, arrachant ainsi un râle de mécontentement au passant qui lui emboitait le pas depuis quelques dizaines de mètres déjà. Ses paupières se fermèrent et se rouvrirent à plusieurs reprises, comme s'il s'agissait là du seul geste qu'il paraissait capable de faire.

— Tu..., commença-t-il, avant de se raviser, incapable de mettre de l'ordre dans le flux de son esprit.

Il se frotta les yeux à l'aide de son pouce et de son index.

— Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait à Kita ?

Un léger rire échappa à l'intéressé, qui ne rétorqua rien pour autant. Plus que la surprise, c'était un réel choc qui peignait le visage de l'attaquant. Nullement perturbé, Kita se contenta de continuer sa marche à travers les ruelles passantes, et son regard noisette accrocha inconsciemment les vitrines des différentes boutiques.

— Attends, reprit Aran en rejoignant sa hauteur. Toi, tu te poses ce genre de question ?

— Bien sûr, c'est la moindre des choses, non ?

— Tu vas offrir quelque chose à chaque fille qui t'a donné des chocolats ?

— Non, juste à Nagano-san.

La mâchoire d'Aran aurait pu se décrocher, alors que sa moue pensive indiquait qu'il venait de lancer les divagations de son esprit afin d'aligner tous les éléments qu'il venait de percevoir. De fait, Kita ne se souvenait pas lui avoir parlé de quoi que ce soit au sujet de la jeune fille, mais ce n'était pas comme si cette histoire regardait quelqu'un d'autre qu'eux, après tout. Les chocolats promis, ceux qui avaient découlé sur une confession à l'aquarium, avaient bel et bien été préparés et offerts, alors maintenant c'était à son tour.

Du coin de l'œil, l'ex-capitaine devina que son ami devait probablement se retenir de lui poser mille et une questions sur le contexte d'une telle situation – à coup de « c'est pour ça que vous sortez des fois ensemble ? » – et cela l'arrangeait bien. Nagano était un sujet qui mettait bien trop son cerveau sens-dessus-dessous pour qu'il ne se risque à en expliciter les détails à voix haute. Aran se ressaisit, avant de plonger les mains dans les poches de sa veste et de laisser ses iris courir sur les vitrines alentours.

— Un petit bijou, peut-être ?

— Tu crois que c'est ce que les filles aiment ?

— T'es trop pragmatique, à tel point que t'es des fois un peu à côté de la plaque, rit l'attaquant.

Sans doute la bijouterie devant laquelle ils arrivaient avait-elle influencé la réponse d'Aran, en tout cas ils s'immobilisèrent tous deux devant la vitrine dans un même geste. C'était difficile de se mettre dans la tête de Nagano, pour quelqu'un comme lui. Elle était toujours si expressive qu'il n'était pas certain de réussir à chaque fois la suivre, à déceler l'intégralité de ses humeurs ; là où lui ne laissait jamais rien paraître de superflu. Peut-être aimerait-elle un bijou, peut-être préfèrerait-elle autre chose. Pire, même, que se passerait-il si elle n'avait finalement rien à faire d'un cadeau de White Day, ou si à force d'attendre une réponse de sa part elle avait fini par passer à autre chose ?

Il l'aurait mérité, à la ballotter dans tous les sens depuis un mois sans parvenir à lui donner une vraie réponse...

— Nagano-san te fait pas penser à la lune, toi ? l'interrogea Aran, et en suivant son regard Kita aperçut un bracelet tressé sur lequel brillait un pendentif en forme de croissant de lune. Je saurais pas l'expliquer...

Sans qu'il ne comprenne vraiment pourtant, Kita sentit son cœur entamer une série de battements plus rapides que les autres à la vue du bijou, mais surtout à l'écho des mots de son ami. Parce qu'il n'avait pas tort. Il avait même totalement raison. Nagano était discrète, pas toujours visible mais bel et bien présente ; éclatante à sa manière, elle brillait pour éclairer le chemin de ceux qui en avaient besoin, pas comme le soleil, non, c'était bien plus délicat. C'était lorsqu'il faisait sombre, et qu'on en avait le plus besoin, qu'elle venait s'illustrer avec un naturel déconcertant pour nous inonder de son éclat. À l'image de l'astre de la nuit.

Il comprenait enfin...

Il n'y avait aucune autre image qui pourrait décrire ce qu'il ressentait pour Nagano Ritsuka mieux que ce croissant de lune.

Ritsuka avait appréhendé la fin d'année pendant des mois. D'abord murée dans le déni, elle avait fait de son mieux pour ignorer la perspective de cet événement inévitable, avant de capituler. Que ce soit les mots d'Akemi, aussi durs que criants de vérité, que ses sentiments pour l'ex-capitaine qui avaient grandi bien malgré elle, elle avait bien dû se rendre à l'évidence. Pourtant, maintenant qu'elle arrivait face au mur, elle commençait à regretter. Dès le lendemain, les terminales quitteraient le lycée Inarizaki ; certains rejoindraient les facultés alentours, d'autres iraient jusqu'à l'autre bout de l'île... Et si Kita ne faisait pas partie de ceux qui allaient vraisemblablement s'éloigner, elle ne voyait pas comment maintenir le lien sans avoir l'impression de le forcer à traîner un boulet.

— Tu triches Suna, t'es au courant de tout à cause de ta copine.

À quelques mètres d'elle, profitant de l'interclasse, Ginjima échangeait avec Suna d'un sujet qu'elle avait visiblement raté. Il observait du coin de l'œil Kisara, concentrée dans son rattrapage de la dernière leçon d'anglais, au gré de quelques œillades pas le moins du monde discrètes, qui arrachèrent à la volleyeuse un sourire attendri. La vie continuait, sans elle. Parce qu'elle était la seule à se tracasser de la sorte.

— C'est pas de ma faute si elle fait des gaffes, se défendit le central – et même si Ritsuka ne savait pas de quoi ils parlaient elle laissa échapper un rire à la simple image d'une Akemi gaffeuse.

— Tu cherches quelque chose, Kita-san ?

L'adolescente releva brusquement la tête lorsqu'elle entendit ces mots prononcés par la voix de Miya Osamu. L'espace d'une courte seconde, elle se dit même qu'elle devait sans doute avoir halluciné, jusqu'à apercevoir la silhouette de son aîné dans l'embrasure du couloir. Appuyé contre la porte, il laissa son regard brun arpenter la salle de classe, répondant d'un signe de la main aux quelques élèves qui le saluaient de loin les joues en feu, jusqu'à le poser sur elle. Le temps parut flotter dans la pièce, comme mis sur pause pour leur permettre de se considérer sans avoir à faire attention aux autres lycéens.

— Nagano-san, je peux te parler ? lança-t-il à travers la classe, et passer ainsi au centre de l'attention fit s'embraser les pommettes de l'adolescente.

Elle se leva docilement, les jambes tremblotantes sous les nerfs, jusqu'à quitter la pièce. Le couloir paraissait aussi étouffant que libérateur, dépourvu des regards scrutateurs, mais pourtant rempli de monde. Il l'enveloppait dans une boule d'angoisse, la rendant incapable de poser ses prunelles sur la silhouette de Kita qui avançait devant elle, et qu'elle suivait machinalement. Ils arrivèrent à hauteur du distributeur automatique de boissons, coin renfoncé de l'étage des seconde année qui leur offrait ainsi un peu d'intimité pour discuter du sujet qu'il avait à aborder, et qu'elle ignorait encore.

— Tiens, c'est pour toi.

Il lui tendit sans détour une petite boîte cadeau surmonté d'un nœud, que Ritsuka ne saisit pas immédiatement. Restée en suspens, incrédule, elle se contenta de les observer tour à tour, lui et la boîte rectangulaire.

— Pour moi ? répéta-t-elle de perplexité.

— C'est pour la White Day.

La White Day. Elle avait complètement oublié le combien ils étaient, en cette veille de dernier jour de l'année, pourtant cela faisait sens, désormais. Mais si Kita s'était montré touché par les chocolats qu'elle lui avait offert – sans pouvoir lui faire croire à des giri après sa confession – elle ne s'attendait pas à recevoir quelque chose en échange. Un sourire irrépressible vint étirer ses joues déjà rougies, alors qu'elle saisissait la petite boîte.

— Merci d'avoir pensé à moi, sourit-elle en serrant instinctivement contre elle le présent. Je peux l'ouvrir ?

— C'est fait pour ça.

L'estomac noué d'appréhension et d'un stress qu'elle ne savait expliquer, la jeune fille ne se fit pas prier pour ouvrir l'emballage. D'un regard circulaire sur le couloir, elle s'assura que personne n'était à proximité, avant de soulever le couvercle. Son cœur lui sembla louper un battement lorsqu'elle aperçut le bijou posé à l'intérieur, duquel le pendentif en forme de croissant de lune retenait toute l'attention. L'éclat smaragdin de ses iris se posa sur le visage d'un Kita impassible, puis de nouveau sur le bracelet. Elle referma la boîte, incertaine quant à la situation, se pinça la peau du poignet, avant de la rouvrir de nouveau.

— Tu..., commença-t-elle, sans savoir vraiment quoi dire.

— Tu me fais penser à ce croissant de lune.

Aussi direct et franc qu'à son habitude, il avait cette manie de toujours prendre son cœur au dépourvu. La jeune fille n'avait pas la moindre idée de ce qu'il pouvait sous-entendre avec cette phrase, ni même de si cela était quelque chose de positif ou non. Pourtant, le simple fait qu'il ait pensé à elle, qu'il ait pris la peine de lui acheter quelque chose, de descendre à l'interclasse venir lui offrir... Toutes ces choses valaient tout l'or du monde – ou littéralement tous les chocolats du monde. Leurs routes se sépareraient sûrement à force de ne plus se côtoyer dans le cadre du lycée, Ritsuka pouvait continuer d'avancer avec l'idée qu'elle avait fait de son mieux et qu'elle avait tout donné.

Tout... « Tout » qui n'était pourtant pas assez.

— Je voulais aussi te parler, et– Nagano-san ?

Le sursaut qui l'étreignit fit tomber la larme qui avait commencé à perler au creux de son œil droit sans même qu'elle ne le réalise. Une seconde suivit pour s'écraser sur le couvercle de la boîte à bijou, et bientôt elles furent plusieurs à suinter les unes après les autres. Comme si la boule d'émotions venait d'exploser, de voler en mille éclats à travers le couloir, elle sentit comme un poids glisser à son gré. Kita allait partir. Après avoir nourri ces sentiments incontrôlables pendant des mois, après être sortie à ses côtés à plusieurs reprises pour qu'ils puissent apprendre à mieux se connaître au point qu'elle en avait presque développé des espoirs inconscients, leurs moments touchaient à leur fin. C'était frustrant.

— Il te plaît pas à ce point ?

— N– non c'est pas... Désolée, se reprit-elle en s'essuyant l'œil d'un revers de la main. Il est magnifique, merci beaucoup. Je suis même pas sûre de le mériter. C'est juste que... Je suis triste.

— Triste ?

— J'ai adoré tous ces moments qu'on a partagés, je suis juste triste que ce soit terminé. Triste à l'idée de plus... te voir...

Quand bien même Ritsuka avait l'impression que les mots s'étaient bloqués dans sa gorge avant de réussir à sortir, ils lui avaient en réalité échappé avec naturel. Trop longtemps contenus pour être gardés.

— Tu ne comptes plus me voir ?

S'il était toujours honnête et qu'elle avait appris à ne plus s'en étonner, l'adolescente réalisa la réelle perplexité que ses mots transportaient. Elle cligna des paupières à plusieurs reprises.

— Non c'est... C'est toi qui quittes le lycée, c'est pour ça ?

— Ça change rien, non ? Je reste à Kobe.

De nouvelles larmes vinrent rougir la sclère de ses yeux, avant qu'un sanglot ne lui échappe – elle s'empressa de se cacher à l'aide de sa main. Il venait d'énoncer ça comme une évidence, sans la moindre once d'hésitation et sans qu'une quelconque émotion ne vienne tordre son si beau visage. À aucun moment il n'avait envisagé que ces jours puissent être les derniers, et encore moins que leurs routes devraient se séparer...

— Je t'aime vraiment, Kita-san. Tellement... Merci pour cette année.

Sans faire attention au feu que représentaient ses pommettes, à l'état dans lequel devait être son visage tordu par un mélange de gêne et de larmes, Ritsuka s'inclina. Jamais elle ne lui avait prononcé des paroles aussi sincère ; c'était plus fort encore que lorsqu'elle l'avait dit la première fois à l'aquarium. Ses sentiments étaient impérissables, ils continuaient de fleurir au gré du printemps qui se rapprochait, et pouvoir les exprimer de la sorte une nouvelle fois avec davantage d'assurance était libérateur.

Contre toute attente, avant même qu'elle n'ait eu le temps de se redresser, elle sentit les mains de l'ancien volleyeur glisser dans son dos, avant qu'elle ne se retrouve plaquée contre son torse. Le visage ramené à hauteur du sien, seulement séparé par leurs six centimètres d'écart, le contact inattendu lui remonta un million de frissons sur tout le corps.

— Désolé, ça m'a pris longtemps pour te répondre, lâcha-t-il avant même qu'elle n'ait eu le temps de faire le point sur ses émotions. C'est en voyant ce croissant de lune que j'ai compris...

— Compris ? risqua la jeune fille, sans bouger pour autant ni opposer la moindre résistance.

— Que je ressentais la même chose que toi.

Le cœur de Ritsuka rata un battement. Elle ne rêvait pas, elle le savait pour s'être pincée à deux reprises déjà depuis le début de cet échange, pourtant elle ne parvenait pas à assimiler toutes les informations qui lui arrivaient depuis les quelques minutes de discussions déjà. Tout ce qui comptait, dans un premier temps, c'était les derniers mots qu'elle venait d'entendre...

Elle ne rêvait pas, mais c'était tout comme. Trop beau pour être vrai, et pourtant la chaleur qu'elle sentait contre elle était bien réelle. L'odeur qui enivrait ses sens l'était tout autant. Les frissons résultant du souffle de ses mots contre son oreille n'avaient rien d'un mirage. Après plus d'un mois à avoir attendu une réponse à sa confession spontanée, à miroiter sans savoir comment réagir mais à tomber plus amoureuse encore chaque jour passé à le côtoyer, elle était là.

— Ça veut dire qu'on pourra continuer de sortir quelque part les week-ends ?

— Bien sûr.

— On perdra pas contact ?

— Non.

— Tu m'enverras des messages sur Line ?

— J'ai pas trop l'habitude des messages, mais je peux le faire.

Au fond, ce n'était pas bien différent de ce que leur relation était la semaine précédente, voire même de ce qu'elle était la veille. La seule différence, et pas des moindres, ce fut que, lorsque la sonnerie annonçant la fin de l'interclasse retentit et qu'elle se recula pour quitter l'étreinte de son aîné, Ritsuka put apercevoir le visage de Kita étiré par la gêne. Joues aux teintes rosies comme elle ne les lui avait jamais vues, lèvres pincées et regard noisette plus brillant que jamais, il la fixait avec une douceur qu'elle ne lui avait jamais observée.

Une douceur qu'il lui destinait, rien qu'à elle, et qu'elle était bien prête à chérir plus que n'importe quoi.



🌙



Après avoir tracé toute la relation de Suna et Akemi, je ne me voyais pas refermer ce livre sans avoir tracé toute celle de Ritsuka et de Kita ! Même si ce n'est que le début et qu'ils ont encore beaucoup à vivre, je voulais au moins vous montrer comment ils se sont mis ensemble ~
J'avais cette idée depuis un petit moment, alors je suis vraiment contente d'enfin vous la présenter ! J'espère qu'elle vous a plu, en tout cas, car moi ça m'a fait trop trop plaisir de les retrouver ! N'hésitez pas à laisser un petit avis et à cliquer sur la petite étoile hihi

J'ai également d'autres idées de one-shots que j'aimerais écrire (notamment un sur Suna et Akemi bien sûr, mais j'aimerais aussi écrire un petit quelque chose sur Kisara et Ginjima, à défaut d'écrire la ff sur eux).
Je ne sais pas quand ça arrivera par contre, sûrement pas tout de suite car j'aimerais d'abord avancer sur mes deux autres fanfics, notamment Au rythme du vent et D'un souffle sur les braises (hésitez pas à y faire un tour si jamais hihi – oui je m'auto-pub et alors)
D'ailleurs, en parlant d'auto-pub, j'en profiter pour vous dire que la boomeuse (nulle en vidéo) que je suis à créé un compte tiktok si jamais vous voulez passer dessus ahah c'est @/Tilays ~

Je suis également occupée à corriger ALEI, en ce moment, afin de pouvoir l'imprimer (rien de majeur, ce sont surtout des corrections de fautes ou de remaniement de phrases maladroites). Donc voili voilou.
J'espère que vous allez bien depuis juillet que je n'avais pas publié ici, et je vous dis à bientôt <3

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