Chapitre 9
Dès que ses paupières papillonnèrent et que les souvenirs du soir précédent lui revinrent en mémoire, une honte teintée de colère envers elle-même l'envahit. Ses prunelles se durcirent face à ses actes. Le manque d'oxygénation la rendait, apparement, complètement stupide. Ses pas la dirigeant vers la salle de bain exprimaient sa colère. Elle voulait retirer cette partie de son cerveau qui contenait sa mémoire pour ne plus affronter ces souvenirs honteux. Son reflet dans le miroir lui renvoya un regard brûlant. Elle voulait arracher ses prunelles pour ne plus avoir à regarder son visage se déformer de sentiments la tuant à petit feu. Son torse se souleva lourdement. Elle voulait détruire sa trachée pour ne plus avoir à ressentir le fantôme des mains de son géniteur sur celle-ci. Elle voulait juste pouvoir vivre sans manquer de s'étouffer sur ces émotions qui lui obstruaient la gorge.
Les portes automatiques de l'hôpital s'ouvrirent pour laisser place à ce travail dans lequel elle se perdait depuis ses onze ans. Sa tasse de café finit dans un bac de recyclage tandis qu'elle avançait vers ces patients pour lesquels elle se forçait à ravaler ses sentiments.
Les efforts de la médecin ne suffirent pas. Toutes ses émotions grimpèrent dans sa gorge à la seule vue d'un autre cadavre d'une fillette civile. La fille avait été si chétive, si jeune. Elle ne méritait pas son sort, comme tous ceux l'ayant précédée. Combien succomberaient aux injustices que la société leur imposaient ? Combien de corps s'ajouteraient à cette pile que la société piétinait ? Leur sang inondait déjà les rues. Il imbibait les chaussures, se longeait entre les orteils de tous. Pourtant, c'était normal. Ce aurait été même bizarre qu'aucune substance poisseuse ne tâche les perrons. C'était l'habitude de rentrer dans une maison où le sang d'innocents bordait ses chevilles. Sakura pouvait presque sentir l'odeur du fer lui emplir le nez, la rendant nauséeuse. Ses oreilles étaient habitées par tous les rires innocents de ces enfants ne demandant qu'à pouvoir vivre. Sa bouche contenait toutes ces voix criant à l'injustice. Elle n'était personne pour exprimer leurs désirs. Pourtant, enchantée par leur mélodie, elle se laissa séduire.
Les doigts de Sakura s'enfièvraient, laissant derrière eux des mots emplis de toute l'horreur de leur société. Chaque syllabe cachait un sanglot d'un enfant, chaque lettre criait le désespoir de ces âmes. L'encre s'écoulait comme les larmes de la médecin, de ces innocents. Et même si chaque caractère exprimait une douleur lancinante, ce papier était une lueur d'espoir dans ce tunnel sombre. Sakura espérait juste que ce serait assez pour secourir ces mains s'accrochant faiblement aux parois d'un puits sans fond.
Le soleil se coucha une multitude de fois, bordant sa cuisine d'une lumière orangée. Sakura ne remarqua pas le temps passé, absorbée dans des démarches qui auraient dû être entreprises des années plus tôt. Ses quarts de travail s'enchaînaient, mais contrairement à la semaine passée, elle ne se noyait plus dans la routine. Elle se noyait dans ce projet qui lui permettait d'avoir une légère paix d'esprit.
Tsunade l'observait, fascinée par ces papiers dans lesquels la sueur de Sakura s'était incrustée. Les yeux marrons pétillaient. La Senju était au courant de la situation familiale de sa pupille et elle était heureuse de voir que la kunoichi avait enfin le courage d'affronter les critiques qui s'en suivraient face à son idée. Ce serait un projet ridicule aux yeux des civils, ancrés dans leurs croyances, mais la Sannin ne doutait pas que la médecin y arriverait. Après tout, qu'elle le sache ou pas, c'était le premier pas sur le chemin de guérison pour Sakura. Tsunade s'assurerait que le sol ne se dérobe pas sous le pied de son ancienne élève.
-Tu présenteras ton projet au conseil mardi prochain.
Sakura lui offrit un petit sourire. Elle honorait sa sœur et toutes ces vies gaspillées. Elle honorait cette fillette aux cheveux roses qui ne voulait que pouvoir se lever sans que des points noirs n'envahissent sa vision.
Les lourdes portes de chêne arrivèrent dans le champ de vision de Sakura. Elle pouvait entendre quelques murmures s'échapper de derrière celles-ci, cachant à la vue de tous le conseil. Elle savait que ces chuchotements seraient bientôt adressés à sa personne, mais elle ne pouvait s'en foutre plus. La majorité était la raison pour laquelle elle avait passé son enfance à vomir et supplier, son adolescence à cacher son corps. Une colère réfrénée durant des années bordait sa confiance. Assez de personnes avaient été sacrifiées.
Les paroles s'écoulaient de la bouche de Sakura fluidement. Ses parents la fusillaient du regard. Elle sentait leur haine s'évaporer par chacun de leurs pores. Ils ne manquèrent pas de tenter de l'interrompre plusieurs fois. Elle les ignora. Elle ne pouvait pas les laisser savoir combien leur emprise sur elle était grande. Elle ne voulait pas que d'autres marques sa gorge, que d'autres larmes soient versées pour ces gens ignobles.
Shikamaru l'observait monologuer, dissimulé dans l'ombre de Shikaku. Il la vit exposer sa propre expérience dans des sous-entendus qu'il croyait être le seul à saisir. Il vit cette même lueur de souffrance qu'elle avait eu le soir où il l'avait trouvée sur le sol avec une sévère gueule de bois, confirmant que ce processus lui était douloureux. Une fascination prit le garçon. Shikamaru voulait savoir ce qui l'avait poussée à s'engager sur ce chemin sinueux.
Les exclamations indignées s'ensuivirent. Sakura en fit fi. Elle s'y attendait. Un ne changeait pas la société sans s'exposer aux critiques. Les voix escaladèrent, criant leur mécontentement, hurlant la folie de son projet. Une voix qu'elle reconnut les interrompit.
-Je pense que c'est une bonne idée, Sakura.
Son prénom roula sur la langue du garçon. Elle tourna sa tête vers cet humain qu'elle avait diabolisé. Il le savait. Pourtant, il l'avait laissée trouver sa paix d'esprit dans son contact et lui offrait son soutien. Une colère injustifiée à son égard brûlait toujours au fond de cette fillette qui avait coupé ses cheveux, mais pour une fois, Sakura fit taire cette gamine qui criait au diable. Un petit sourire décora ses lèvres.
-Merci, Shikamaru.
Les cris d'outrance reprirent de plus belle en fond. Shikamaru ne les remarqua qu'à peine, trop focalisée sur la mimique bordant le visage de la médecin.
Le soir suivant la présentation de son projet d'un hôpital mental pour les enfants abusés et orphelins de guerre, Yugao la traîna au bar. Hayate et Genma étaient en mission, ne laissant que les deux femmes à une table remplie de boissons. Sakura ne s'en tint qu'à la bière dans sa main. Le liquide coulait dans sa gorge alors que Yugao la félicitait. La concentration de Sakura faiblit tandis que la conversation évolua vers des sujets plus triviaux. La fatigue pesait sur ses épaules. Sa bouche s'ouvrit pour bâiller et un cri indigné couvrit le bruit d'aspiration qu'elle fit. Les yeux de Sakura se dirigèrent vers le bruit, repérant Ino, Chouji et Shikamaru. Ce dernier sembla sentir son regard, car il se tourna vers elle. Le ninja sourit faiblement en levant sa bière. Ce aurait été cruel d'ignorer ce garçon qui n'avait rien fait de mal, alors elle répondit en hochant de la tête. Une partie d'elle haïssait ce qu'elle considérait comme des actes de faiblesse, mais plus le temps passait, plus ces actes semblaient une simple courtoisie. Elle n'était pas assez stupide pour rechercher à nouveau un toucher dont la signification l'effrayait. Toutefois, elle pouvait peut-être envisager une amitié avec le Nara. Il sembla lire les réflexions sur son visage parce que le sourire de Shikamaru s'agrandit.
Son lit l'attendait à bras ouvert. Sakura s'y laissa tomber, appréhendant déjà le chiffre de douze heures qui l'attendait le lendemain à l'hôpital.
Les mèches s'échappant de la queue de cheval de la médecin caressaient ses pommettes au rythme des enjambées qu'elle prenait pour traverser l'hôpital. La caféine courait dans ses veines lui permettant de garder les yeux ouverts. Il ne lui restait que deux heures avant de pouvoir récupérer le sommeil qu'elle avait dépensé sur son projet au cours des dernières semaines.
Le visage en sang de Shikamaru l'arrêta dans sa marche vers la sortie du bâtiment. L'arcade sourcilière du garçon laissait une rivière de sang serpenter sur ses joues et sa mâchoire. La fille soupira en replaçant sa blouse blanche dont elle avait quitté un bras.
Le chakra vert de Sakura soignait doucement la blessure, liant à nouveau les couches de peau ensemble. Le silence les accompagnait, aucun des deux ne souhaitant le briser. L'adolescente ne savait pas quoi dire, torturée par ses sentiments contradictoires. Ce fut le Nara qui coupa le voile de silence les entourant.
-Je ne savais pas qu'autant périssait à cause de ce mode de vie, admit-il dans un souffle.
Mille enfants avaient déjà succombé à cette maltraitance et l'année n'en était qu'à son troisième mois. En toute honnêteté, le nombre l'avait elle-même surprise, alors qu'un shinobi n'ait pas le moins ordre du nombre était normal.
-C'est déjà un exploit que tu aies été au courant de cette réalité.
-Ce ne devrait pas être le cas.
Un soupir échappa à Sakura.
-Le concept est plus dur à intégrer pour des gens qui cherchent un corps pouvant leur permettre de courir des jours durant.
Il ne dit rien, partageant son accord avec son silence. Le duo retomba dans un mutisme pour le reste de la procédure.
Le vent sifflait dans les oreilles de Sakura alors qu'elle courait vers la tour de l'Hokage. Tsunade avait rompu son sommeil si désiré pour la convoquer en plein milieu de la nuit. La lune tapait dans son dos tandis qu'elle accélérait. La Senju ne la réveillait à cette heure que pour une bonne raison et l'inquiétude pulsait légèrement dans son corps.
L'escouade de Sakura se dirigeait à toute allure vers Suna. Naruto à la réputation de ninja bruyant était silencieux durant cette nuit. Il avait toutes les raisons. Temari avait été enlevée par des ninjas d'Oto. S'ils ne ramenaient pas la kunoichi vivante, l'alliance entre Konoha et Suna prendrait le large, en raison d'Orochimaru. Le village ne pouvait pas se permettre la perte de cet allié, pas après les marchés conclus. Alors, elle pressa les trois garçons derrière elle.
Le groupe ne s'arrêta qu'après un jour de course quand une tempête de sable se prépara. Cachés dans une grotte, ils mangèrent silencieusement. La lourdeur de l'implication de la mission pesait sur tout le monde.
Sakura s'assit sur une roche, attendant que les secondes s'égrènent. Le vent criait contre les parois rocheuses et pendant un instant, elle s'inquiéta que le bruit ne l'empêche de dormir. Néanmoins, l'épuisement menaçant de la faire tomber endormie sur sa garde, elle n'aurait pas de problème à rejoindre Morphée.
Sakura sentit Shikamaru se lever pour venir la remplacer. Leurs regards se croisèrent, transportant tous les deux la gravité de la situation. Ils ne pouvaient vraiment pas échouer cette mission.
La fumée s'échappait de la cigarette du jonin, emplissant l'air de tabac. L'inquiétude transparaissaient dans la façon dont ses doigts triturait la cigarette. S'ils venaient à échouer, Kumo se jetterait avidement sur Konoha.
Dès qu'ils arrivèrent à Suna, la méfiance pesa sur les épaules des ninjas de Konoha. Les gardes étaient distants, cachant une menace dans leur position et sous-entendant des sévices. Shikamaru vit la façon dont le visage de Sakura se rembrunit. Il put presque voir la dame se dissimuler dans l'ombre du roi, tentant d'échapper aux pions se rapprochant dangereusement. Peut-être qu'il déplaça un cavalier pour la cacher encore plus à ces regards durs. Ou peut-être qu'elle fut celle qui le fit.
***Je ne sais pas trop quoi en penser, mais j'espère que ça vous aura plus quand même. Merci encore de votre patience et de votre lecture !***
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