Chapitre 5
Ils venaient de s'arrêter pour la nuit quand un des genins, Ado, aborda un sujet qui paralysa Sakura. Les doigts de la médecin se fermèrent en poing, mordant sa paume douloureusement. Sa respiration se coupa quelques secondes avant qu'elle ne se rappela d'inspirer et d'expirer. Les plus jeunes piaillaient, enthousiastes par rapport au sujet. La jonin ne les entendait pas, plongée dans une scène similaire arrivée des années plus tôt. Cependant, les visages souriants étaient remplacés par des pommettes émaciées et des yeux aux lueurs défaitistes. Ce n'avait été qu'une récréation où les garçons avaient rappelé leur supériorité à la face de gamines ayant entendu ce discours des milliers de fois. Rien d'anormal dans une cour d'école civile. C'était presque un rituel d'initiation à la vie pour ces enfants. Une vie à laquelle ces adolescents devant elle avaient échappé par la seule chance de naître dans une famille ninja. Des fois, dans des nuits d'insomnie, un ressentiment face à ces gens qui avaient les moyens de changer les chose, n'en faisant rien, l'emplissait. Puis, elle se rappelait qu'elle était l'une d'eux et qu'elle ne tentait rien pour secourir ces innocents enfants. Alors, la médecin se perdait dans sa haine d'elle-même. Un phénomène qui menaçait de l'avaler encore en ce moment même. Toutefois, la voix stridente d'une fille la ramena au moment présent. Sakura força un sourire sur son visage en lui demandant, appréhensive, de répéter sa question.
-Est-ce que vous avez hâte de rencontrer votre âme sœur si ce n'est pas déjà fait, Sakura-senpaï ?
La genin n'avait aucune intention malicieuse, juste une curiosité enfantine, mais cela n'empêcha la médecin de se rembrunir.
-Ce n'est pas ma préoccupation principale.
-Aaah, Shikamaru-senpaï a dit la même chose. Pff, les vieux de nos jours, répliqua la jeune fille en roulant des billes.
Malgré le malaise que la situation lui amenait, la médecin sourit légèrement. La mimique bordait encore ses lèvres lorsque ses yeux croisèrent les bruns du Nara. Elle ne savait pas ce qu'il y lut, mais une once de fascination brûla dans le regard foncé. Cette appariation fit tomber le sourire. Elle ne voulait pas qu'il puisse envisager une relation plus que cordiale. Elle ne pouvait pas le permettre, pas quand un fil noir pendait à son annulaire, pas quand elle se déchirait mentalement.
Sakura prit le premier tour de garde pour la deuxième fois. Ses pensées virevoltaient, l'empêchant de pouvoir, ne serait-ce qu'une seconde, considérer l'option de dormir. Elle se perdait dans le dédale de son esprit, ballotée entre les possibilités et les souvenirs, perdant le fil du temps jusqu'à ce que les lueurs orangées de l'aube ne bordent sa silhouette tourmentée.
Le soleil indiquait environ sept heures du matin quand la sueur commença à s'accumuler sur le front de la ninja. Les nuits du désert de Suna étaient glacées et les journées, chaudes à étouffer. Elle se leva, retirant ses pantalons épais couvrant une paire de shorts. Une certaine angoisse la prit, comme à chaque fois qu'elle découvrait ses cuisses portant des anciennes vergetures. Des marques qu'elle détestait parce qu'elles lui rappelaient ses parents, parce qu'elles avaient été causées par eux et qu'elles restaient un souvenir de leurs abus. Sakura en caressa une en pensant à Keiko. Certainement, sa sœur n'en aurait rien eu à faire. Ces traces ne la définissaient pas, après tout.
Dès qu'ils arrivèrent à Suna, les genins se séparèrent du duo pour aller se préparer à l'examen du lendemain tandis que les diplomates étaient escortés jusqu'à la salle de réunion. Sakura soupira. Sa patience, déjà petite en temps normal, était écourtée par le manque de sommeil. Elle n'était pas sûre de ce que ce cocktail explosif donnerait face à des vieux aigris irrespectueux. Ils le découvriraient bien assez vite.
L'air humide frappa le visage de Sakura alors qu'elle quittait la tour du Kazekage. Malgré la lourdeur de l'air, rien n'aurait su la satisfaire plus, cela signifiait qu'elle échappait enfin aux conseillers de Suna pour la journée. La réunion s'était déroulée comme elle l'avait prévue. Des personnes âgées arrogantes leur interrompant la parole pour ajouter quelconque commentaire pernicieux. Shikamaru était un as pour les ignorer. Elle ? Elle avait été tentée plusieurs fois de les envoyer voir les nuages. Pourtant, là, inspirant à pleins poumons, son irritation se calmait pour se muer en dédain à l'égard des conseillers. N'avaient-ils rien de plus productif à faire de leur journée que d'insulter des adolescents ? Un sourire supérieur décora le visage de la kunoichi, laissant son regard vagabonder. La fille eut à peine le temps d'enregistrer l'image d'une dame enceinte se démener avec ses sacs de course que l'odeur du tabac la frappa. Elle ignora la présence s'approchant d'elle pour porter secours à la femme en détresse. Des cheveux bruns encadraient le visage éreinté de la dame. Sans hésitation, Sakura la soulagea de ses courses en lui souriant. Elle ne savait pas qu'en faisant ainsi, elle se retrouverait autour d'une table le soir-même avec la femme, son mari et Shikamaru. Et quand bien même l'aurait-elle su, elle doutait de ne pas avoir aidé la dame tout de même.
Des effluves délicieuses embaumaient l'air dans la petite maison de la dame, Isami. Son mari était aux fourneaux tandis que Sakura et Isami discutaient. Shikamaru fumait dehors sur le patio. Il l'avait accompagnée, connaissant déjà le couple de sa dernière visite à Suna. Pour sa part, la kunoichi aurait pu se passer de sa présence. Toutefois, alors qu'Isami lui resservait du vin, elle était rassurée qu'il soit là pour la raccompagner. Plus, le Nara était ami avec les deux quarantenaires. Qui était-elle pour le préserver de ce moment à cause de raisonnements puérils ? Encore plus quand elle se sentait faiblir dans ses convictions avec chaque jour passant.
L'estomac plein, ils déplaçaient de leurs doigts des pions au rythme des conversations fluides. Les verres de digestifs s'étalaient à la limite du plateau de jeu. Les lumières jaunes des ampoules dessinaient des ombres passives sur leur visage amusé. Pendant quelques instants, quelques heures, du plomb ne semblait plus peser dans les intestins de Sakura. Pendant quelques minutes, elle n'était qu'une adolescente normale.
Un sentiment de normalité qui vola en éclat lorsque le duo fit ses au revoir. Tout d'un coup, elle redevenait celle qu'elle essayait de fuir dans l'alcool. Une larme perla. Frustrée, Sakura l'essuya rapidement, mais la bille d'eau fut vite suivie d'autres, l'alcool et la fatigue faisant leur magie. Pendant une infime période de temps, elle avait entraperçu une vie qu'elle aurait pu avoir si ses parents avaient été aimants. Une vie que sa sœur aurait pu vivre. Comment elle haïssait ses géniteurs. Ils continuaient de l'hanter alors qu'elle essayait tous les jours d'avancer sans sentir leur emprise glacée sur sa nuque. Une fureur indescriptible grandit en elle. Pourquoi devait-elle se démener chaque jour pour se lever quand des enfants auraient le support de leurs parents pour les mettre debout ? La respiration de la médecin s'accéléra imperceptiblement, les larmes l'aveuglant. Elle était fatiguée de se battre. Elle voulait que tout s'arrête, que le monde cesse de tourner pour qu'enfin elle puisse reprendre son souffle retenu depuis des années. Malgré ses prières silencieuses, la nature n'en fit rien, la laissant se perdre dans son désespoir, la laissant s'exposer au seul humain qu'elle tentait d'éviter. Pourtant quand des yeux bruns transpercèrent les siens, elle ne tint pas rigueur du fait qu'il était son âme sœur, car sur le moment, il n'était qu'un humain lui offrant sa compassion.
-Quel gaspillage d'eau dans un désert, se moqua-t-il en pointant du menton ses larmes.
Un rire entrecoupé d'hoquets remplit la gorge de l'adolescente en acceptant la main que le garçon lui tendait. Finalement, elle était plutôt reconnaissante qu'il soit venu.
Shikamaru oeillait Sakura tandis qu'ils marchaient contre la brise nocturne. Ses joues étaient colorées par l'alcool et le froid environnant. Ses cheveux virevoltaient. Son visage arborait une expression presque paisible. En cette soirée, l'adolescente lui semblait la plus ouverte qu'elle n'ait jamais été. Aucun mot n'était dit, mais la façon dont elle n'essayait pas de marcher plus vite pour le devancer en disait plus que n'importe quelle parole. L'esprit du stratège était toujours embrumé d'ignorance par rapport à sa collègue. Pourtant, à ce moment-là, il en oubliait le mystère que la fille était pour admirer la personne qu'elle était derrière la façade qu'il voyait toujours.
Le lendemain, à la surprise du Nara, la fille arborait la même ouverture que le soir précédent. Il n'avait aucune idée de ce qui s'était passé dans la tête de l'adolescente et honnêtement, il ne voulait pas le savoir. Ce semblait trop galère, surtout maintenant qu'elle lui adressait la parole sans animosité. Il avait voulu comprendre pourquoi elle semblait vouloir mourir à chaque fois qu'elle le voyait. Pourtant, quand elle avait l'air d'avoir réglé le problème par elle-même, cela lui paraissait comme une préoccupation moins importante. Détrompez-vous, il voulait toujours savoir. Il était un Nara, tsk, sa curiosité ne dormait que quand elle avait obtenu ses réponses. Juste une partie de lui semblait apaisée, car elle savait qu'il se rapprochait des réponses.
Shikamaru se surprenait à observer plus souvent qu'auparavant la fille. Il analysait comment ses mains s'agitaient au rythme de ses paroles durant les négociations ou comment ses yeux verts brillaient d'intelligence à chaque nouvelle proposition. La même réflexion revenait à chaque fois qu'il l'entendait soulever un point auquel la plupart n'aurait pas pensé, à chaque fois qu'elle étendait sans le savoir sa vivacité d'esprit. À quoi ressemblerait une partie de Shogi contre elle ? Dans sa jeune vie, le Nara n'avait pas rencontré beaucoup de personnes pouvant lui opposer un défi. En la voyant là, il était sûre qu'elle faisait partie de cette minorité. Surtout, il était sûre qu'elle était la seule qui lui retire autant d'énergie, juste en existant. Un soupir franchit ses lèvres gercées. Pourquoi il s'embêtait avec cette femme-galère déjà ?
Sakura sentait souvent le regard de son collègue sur elle. Une partie d'elle se révoltait encore qu'elle l'ait laissé passer ses barrières dûment construites. Toutefois, l'adolescente savait qu'il aurait été cruel de le repousser encore une fois après son aide et elle savait ce qu'était de marcher sur des œufs avec quelqu'un, elle ne pouvait continuer d'appliquer ce supplice à Shikamaru, lequel n'avait rien fait que de naître en tant que son âme sœur. De plus, un poids se libérait lentement de ses épaules plus le temps passait. Sakura se sentait de moins en moins emprisonnée, moins déchirée par ses actes et ces temps-ci, il lui semblait plus facile de tenir la promesse faite à sa petite sœur.
***Un peu court, mais je préférais poster un nouveau chapitre aujourd'hui, plutôt que d'attendre. En passant, le verbe oeiller n'existe pas, mais c'est une fanfic, alors tant pis. Cependant, je tenais à vous avertir pour pas que vous l'utilisiez. Sinon, merci d'avoir lu !***
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