Chapitre 21
Le soleil filtrait doucement par sa fenêtre. Ses muscles étaient lourds. Son cœur était pesant. Son esprit était sourd, ignorant les protestations de son estomac criant. Son monde avait cessé de tourner. Elle avait cessé de fonctionner. Elle ne se levait que pour travailler et pour manger une barre de granola. Peu à peu, elle le savait, son corps se mourait. Lentement, ce cœur aux mille et une souffrances s'affaiblissait. Bientôt, Sakura rejoindrait ceux qui l'avaient laissée muette de douleur.
Des coups sur la porte d'entrée accompagnèrent la mélodie de son esprit hurlant. La médecin ne se leva pas. Pourquoi le ferait-elle ? Elle n'avait plus personne de vivant ou se souvenant d'elle pour toquer à sa porte. Derrière ce panneau, il n'y aurait qu'une autre déception.
La ninja ne s'extirpa que du lit lorsque la porte se déverrouilla. Des points noirs envahirent sa vision. Son cœur s'affola. Elle aurait tout donné pour retourner dans le confort des couvertures.
L'adolescente la regardait, un air sévère sur le visage. Ce corps, autrefois menu et malade, avait repris de la chair. Ces yeux marrons, auparavant éteints, brillaient d'une lueur de déception.
-Tu avais promis de m'amener à la fête du solstice d'été, expliqua Kana.
Sakura laissa un soupir intérieur s'échapper. Cette promesse semblait être celle d'une autre vie. La médecin ne voulait rien de plus que de retourner se coucher avant d'aller travailler, mais elle savait qu'elle ne pouvait pas l'abandonner.
-Donne-moi quinze minutes. Je vais me préparer et manger un truc.
L'adolescente lui sourit en se laissant tomber sur une chaise.
La robe verte pendait sur son corps affamé. Quelques semaines auparavant, le vêtement avait été parfait. Yugao l'avait aidée à serrer les lacets dans son dos. Sakura se souvenait des têtes que Genma et Hayate avaient faites lorsqu'elle était sortie de la cabine. Un sourire mélancolique décora ses lèvres. Elle ferma ses yeux, elle ne voulait plus affronter le reflet de cette ombre au milieu des pans de tissu. Elle donnerait tout pour ravoir ceux qu'elle avait dû enterrer trop tôt. La ninja rouvrit ses paupières. Les larmes inondèrent ses joues tandis qu'elle enfilait ses chaussons souples de danse.
Le duo s'enfonça dans le quartier civil. Leurs traits s'assombrirent quelques instants, les souvenirs remontant. L'odeur de nourriture envahit leurs narines. Les décorations en papier les surplombaient. Les enfants couraient, principalement des garçons. Les filles attendaient à l'ombre d'un arbre, toutes vêtues de robes similaires à celles de Kana et de Sakura. Même le soleil n'effaçait pas la pâleur malade des fillettes. Le cœur de la médecin se serra. Elle sentait sur elles ces dizaines d'yeux vides. Pendant qu'elle se laissait emporter, ces enfants se battaient pour survivre un autre jour. Une chevelure rose emplit son esprit. Elle avait menti. Elle n'arrivait pas à vivre pour deux, pas quand son cœur se faisait piétiner à chaque instant.
Kana la tirait par le bras, la bouche remplie d'une sucrerie. Elles coururent à travers la foule vers la place du village civil. Plusieurs rangées de personnes se faisaient face. Tous les adultes et les enfants se tenaient droits dans les rangs. Les garçons portaient fièrement un chapeau noir et les femmes, un lys blanc. Seules les personnes âgées ne participaient pas, assises sur les bancs aux alentours. Sakura secoua la tête. Kana lui sourit malicieusement en posant un chapeau sur les mèches roses de la médecin.
-Tu guides.
Sakura suivit l'adolescente, roulant des yeux. Du coin de l'œil, elle vit les ombres de ninjas curieux teintées les toits environnants. Elle savait qu'ils ne participaient jamais à cette fête, car ses mœurs n'étaient enseignées qu'aux civils. La médecin s'installa en face de sa partenaire. Quelques mètres plus loin, les cordes d'un violon se mirent à vibrer. Dès que le flûtiste rejoignit le violoneux, les hommes et Sakura commencèrent à danser. Les bras près du corps, ils ne faisaient bouger que leurs jambes. Leurs pieds heurtaient silencieusement les pavés. Concentrée à se rappeler ces pas de danse qu'elle avait appris enfant, elle négligea la douleur dans son torse. Pendant un instant, elle oublia cette souffrance la rongeant à petit feu.
Cette paix désillusoire éclata en morceaux lorsqu'un ANBU lui fit un signe d'un toit.
La porte du bureau de l'Hokage se referma derrière Sakura. Les yeux de Tsunade, de Shikaku et d'Ibiki se posèrent sur elle. La ninja s'avança devant la chef du village. Le seul avertissement des futures paroles fut la lueur de malaise dans les prunelles noisettes de la Senju.
-Mebuki et Kizashi Haruno seront exécutés demain pour trahison.
La voix d'Ibiki résonna dans le silence lourd. Le rythme cardiaque de Sakura ne s'arrêta pas. Elle se foutait de savoir ce qui arriverait à ses parents. Elle était même contente de savoir que demain ils ne seraient plus jamais une nuisance dans sa vie, que plus jamais ils ne la menaceraient de mort.
-Ils ont délivré des informations de Konoha aux ennemis et payeront de leur vie cette trahison, conclut Shikaku en avançant un Bingo Book vers Sakura.
Là sur le papier, une image de son propre visage lui rendait son regard. Un A décorait le coin de sa tête et les mots ''tuer à vue'' étaient imprimés en rouge écarlate sur son torse. Une colère grandit dans son ventre brûlant ces cendres douloureuses. Cette rage lui remonta dans la gorge. Elle s'étouffa sur ce nuage de poussière et de lave. Sa trachée toussa cet air râpeux. La toxine lui fit tourner la tête. Les larmes lui montèrent aux yeux. L'air lui manquait. Ces parents lui avaient arraché tout ce qu'elle possédait. Ils lui avaient arraché son enfance, son adolescence, sa profession, sa vie. Ils avaient voué leur vie à pourrir la sienne. Ils savaient qu'ils allaient être pris la main dans le sac, mais ils avaient continué parce que dans leur mort, ils causeraient la sienne. Demain, ils verseraient ce sang impur, ignoble, horripilant. De cette rivière écarlate naîtrait une épée de Damoclès, une épée qui goutterait de ce liquide, dégoulinerait de ce fluide infâme sur sa tête jusqu'à son propre sang tache l'arme.
Le lendemain, elle se leva pour voir ces deux têtes rouler, la bouche pleine de cendres et de braises.
Assise sur une chaise à l'extérieur de la cellule, elle attendait avec impatience qu'enfin le sang de ses géniteurs tache la terre humide et froide. Le feu brûlait en elle, avide de violence, de vengeance. Les flammes brûlaient son larynx.
Son ventre était noué d'anticipation. Ses yeux brillaient d'une rage incontrôlable. Toujours, le feu continuait de la consumer, de noircir ses cellules. Elle se donnait à bras ouvert à cette colère revigorante.
Lorsque le sang coula finalement, les flammes brûlèrent sa bouche, expulsant les cendres. La furie ragea dans ses veines pendant quelques instants. Elle se sentit vivante. Pendant quelques instants, ceux qui lui avaient enlevé le goût de vivre le lui redonnèrent. Ce ne dura que quelques secondes, minutes ou heures. Le temps lui échappait. Rien n'importait si ce n'était de cette chaleur énergisante. Elle était ivre de ce sentiment. Elle voulait se noyer dans ce feu.
Peu à peu, le feu se mourut. L'entièreté de Sakura avait brûlé. Il n'y avait plus rien pour nourrir ces flammes. Il ne restait que des cendres. Des cendres grises volatiles. Perchée dans un arbre, son être se perdit dans l'air du vent. Ses cendres balayèrent les rues. Elle s'éparpilla, espérant oublier son passé, sa douleur.
Quand elle ne put plus se cacher, elle descendit de son perchoir.
Le cœur lancinant, elle se dirigea vers l'hôpital.
Elle se força à sourire à ses patients comme tous les jours. Ses yeux ne cessaient de revenir vers une horloge. La médecin voulait fuir loin de ces visages peinés et souffrant ne lui rappelant que trop la douleur laissée par sa colère apaisée.
Lorsque l'aiguille pointa sur son heure de liberté, Sakura se départit de sa blouse blanche, ignorant ses collègues tentant de lui parler. Elle prit ses jambes à son cou, le torse comprimé par toutes ces émotions.
La cloche de la porte tinta derrière Sakura. L'adolescent derrière la caisse releva sa tête du comptoir à son entrée. Elle ignora le regard irrité qu'il lui lança. La ninja ouvrit un frigo. Le froid tapa doucement sa peau. Elle saisit un pack de bière sous les yeux curieux du civil.
-Je ne peux pas te vendre ça.
Elle déposa quelques billets sur le comptoir et sortit sous les cris de l'employé. Il préviendrait un ninja aux alentours et celui-ci ne ferait qu'hausser les épaules. Il n'y avait pas de conséquence pour les adolescents ninjas qui buvaient. La plupart mouraient avant d'avoir pu toucher le goulot d'une bouteille de toute façon.
La bière coulait à flot dans sa gorge. Deux pierres tombales se tenaient à ses pieds, vides de tout corps. Une musique jouait. Sakura sautait au rythme de la mélodie enfonçant cette terre qui n'était pas retournée. Son ventre était noué, ses émotions négatives noyées sous l'alcool. Une certaine euphorie l'habitait. Elle prenait plaisir à danser sur les tombes de ses parents. Elle prenait plaisir à renverser le fond de sa bouteille sur leur pierre tombale. Elle prenait plaisir à massacrer le caractère sacré de ce site de recueillement.
Lorsque le soleil commença à se lever, elle quitta le cimetière, le ventre à nouveau lourd et les yeux vides.
—
Pour la deuxième fois en une semaine, elle entra dans le bureau de l'Hokage. La pièce était vide si ce n'était de Tsunade et elle-même. Les ongles vernis tapaient doucement sur le bois du bureau. La chef du village la regarda, un air doux sur le visage.
-Prends des vacances, Sakura.
-Mais...
La blonde la coupa.
-Voyage à Suna, prends des petits boulots. Fais ce que tu veux, mais prends du temps loin de Konoha. Shizune va te remplacer en attendant.
L'adolescente sentit une boule monter dans sa gorge. La honte remplissait son estomac. Elle était misérable et même l'Hokage l'avait remarqué.
-Reviens quand tu te sens prête.
Sakura hocha la tête.
—
La lune brillait sur sa peau. Le sac à dos pesait dans son dos. Tsunade lui donnait cette occasion dont elle avait toujours rêvée. Ce soir, elle fuirait ses problèmes. Elle courrait loin de ce village qui lui rappelait tout ce qu'elle avait perdu.
Il l'attendait, une cigarette aux lèvres. Shikamaru l'observa avancer. Il remarqua comment elle semblait sur le point de trébucher comme si à chaque pas, elle devait passer par-dessus une autre barrière. Les ombres jouaient sur ses traits, amplifiant ses cernes et la noirceur dans ses billes vertes. Ses vêtements pendaient. Ses cheveux étaient attachés en toque pour dissimuler les nœuds. Même ainsi, il la trouva magnifique. Même ainsi, elle lui coupa le souffle.
Elle ne le remarqua que lorsqu'elle le passa. Il lui adressa un demi-sourire. Sakura lui offrit un mouvement de tête, continuant sa route. Il soupira, attrapant doucement l'avant-bras de la fille. Les mots lui manquèrent. Shikamaru voulait tout dire et ne rien dire. Il voulait lui dire que tout irait bien, que la douleur diminuait, que son coeur s'apaiserait. Hélas, il savait que ce n'était pas vrai. Ces mots étaient ceux d'un cœur déchiré par la souffrance sur le visage de cette bien-aimée. En réalité, il n'avait aucune idée si elle arriverait, un jour, à vivre avec ces trous béants dans sa vie. Il était terrifié de cette possibilité. Peut-être parce qu'il était aussi apeuré qu'elle oublie celle qu'elle était, il lui glissa un cadeau dans la main. Il lui offrit cet objet de métal pour qu'elle n'oublie pas qu'il la tirerait de ce puits sans fin si elle lui demandait.
—
Ses doigts jouaient lentement avec le capuchon, l'ouvrant et le refermant à répétition. La flamme caressait son pouce. Sans qu'elle ne le sache, il lui avait promis d'être sa lueur dans sa noirceur. Sans qu'elle le sache, il lui avait donné une partie de son passé. Au milieu de la vallée, le briquet brilla, éclairé par les rayons lunaires.
***Merci pour l'attente et la lecture !***
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