Chapitre 20
Une porte séparait Sakura et Yugao. Les bruits environnants familiers submergeaient la médecin. Son cœur battait la chamade, appelant des personnes enfouies sous le sang et les décombres. Sa main poussa le panneau de bois. Le moniteur cardiaque bipait, seul indicateur de l'état vivant de l'ANBU. Les yeux chocolat dans lesquels elle avait autrefois trouvé du confort étaient vides, eux aussi criant pour ces hommes réduits à nourrir les vers. Les larmes ravalées coulaient dans la gorge de la jonin. Le souffle lui manquait. Elle voulait s'enfuir loin de ces prunelles vides qui cherchaient en vain des tignasses brunes.
-Yugao.
Le nom sortit arraché par sa curiosité guère espérante. Les deux syllabes rebondirent sur les murs ternes cherchant une oreille prête à les écouter. Le mot se répercuta une dernière fois, s'écrasant au sol. Aucun souffle ne franchissait la barrière de silence que cette interpellation avait apposé. En boucle, il n'y avait que le bruit strident du moniteur cardiaque. Il aurait pû crier une ligne plate, ce serait revenu au même. Au milieu de ce lit, il ne restait qu'un corps aux traits de son amie. Sakura voulait courir loin de ce cercueil de couvertures blanches.
Ses pas résonnèrent sur le plancher de l'hôpital. Les membres du personnel chuchotaient, la regardant avec des yeux remplis d'une pitié qu'elle haïssait. Elle détestait ces sympathies murmurées parce qu'au bout du compte, tout le monde avait perdu dans la guerre. Sakura savait que dans un village au sud elle était la raison pour laquelle des regards pitoyeux étaient lancés. Elle détestait savoir que cette souffrance même qui la consumait, elle l'avait causé à des enfants innocents attendant le retour impossible de leurs parents. La culpabilité et le deuil la consumaient. Chaque battement de cœur ventait sur ce feu lui brûlant les tripes. Les larmes ne suffisaient plus à éteindre ce souffle enflammé.
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Devant son miroir, la robe noire se transforma en robe rouge sanguinolente. Du liquide carmin s'égoulait lentement de ses manches. Il ne lui suffirait que de tourner sur elle-même pour couvrir la chambre de gouttelettes carmin.
Le soleil tapait sur la pierre gravée de centaines de noms. Une perle de sang, deux, trois s'écrasèrent sur ces lettres remplies d'honneur. Bientôt, le monument fut recouvert de cette substance visqueuse nourrissant de sa lenteur la culpabilité de Sakura. La souffrance la tiraillait. Sa gorge était prisonnière de ce soufre volcanique l'empoisonnant, l'étouffant. La nausée retenait tous ces mots superflus. Elle aurait pu crier pour qu'on la sauva de cette explosion détruisant ses organes internes. Or, elle savait que seule la bile ressortirait de son estomac vide, percé par les explosifs. Alors, Sakura se taisait attendant que ce feu la consume, ne laissant que derrière lui des cendres.
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Une semaine passa. La médecin ne se présenta jamais à l'hôpital ou au département de l'intelligence. Petit à peu, elle s'effondrait, se transformait en braises. Des braises mourantes sans quiconque pour souffler sur celles-ci, pour les réanimer.
Sakura ouvrit la bouche et tenta d'expirer sur ces lueurs s'éteignant. La bile tacha ces braises rougeoyantes. Une odeur nauséabonde émana. Encore plus de bile éteint ces charbons ardents.
Son père posa une main sur son épaule en soupirant. Shikamaru garda les paupières closes. Des reflets cachés de tristesse bordaient le vieux regard de Shikaku. Il adressa un sourire contrit à son fils tandis que ses yeux s'adoucirent.
-Tu peux me rendre un service ?
Shikamaru roula des billes.
-Oui.
-Pourrais-tu payer une visite à Sakura Haruno ?
L'adolescent ouvrit un œil avant de soupirer à son tour. L'inquiétude se lisait dans le visage du patriarche. La même émotion lui prit les tripes lorsque son père lui avoua que la médecin n'avait pas été vue depuis une semaine.
-Quelle galère.
L'eau coulait. L'odeur de vomi était lentement lavée de son corps. Le liquide bouillant brûlait sa peau sans jamais arriver à la réchauffer. Des plaques rouges commençaient à se former. Le savon ne toucha jamais sa peau abîmée. Sakura attendit sous le jet que les cloques se forment. Elle attendit vainement que la chaleur de l'eau l'enveloppe.
Le tissu du chandail glissa sur sa peau. Le matériau s'écrasa contre ses cuisses. Son corps tomba sur son lit. Le sommeil la happa.
Des coups sur sa fenêtre la sortirent de son havre de paix temporaire. Elle les ignora.
-Debout, femme-galère.
Elle ne fit aucun mouvement vers sa fenêtre. Quelques instants plus tard, Sakura entendit le loquet se soulever. Shikamaru apparut devant sa forme allongée.
-J'ai apporté de quoi manger.
Il présenta à ses yeux vides un panier rempli de nourriture. Elle se leva. Shikamaru suivit des yeux cette fille anéantie. Sakura disparut dans l'ombre du couloir. Il avait peur qu'elle ne sorte jamais de cette noirceur la noyant.
Le corps de la médecin se figea lorsque la cuisine entra dans son champ de vision. L'air lui manqua. Soudainement, la cuisine s'anima. Elle s'anima de rires passés, de morts revenant à la vie. Sa respiration se hacha. Des paroles d'un autre temps résonnaient dans sa tête. Son visage plus jeune et terrifié regardait les trois adultes rigoler, décontenancé. Le trio lui avait appris à vivre, à rire à gorge déployée. Maintenant qu'il ne restait que deux tombes et une poupée aux traits morts, elle n'avait plus personne avec qui sourire, rire. De cette famille reconstituée, il ne restait que des cœurs explosés.
Elle le remercia pour le souper. Ce fut la seule parole qu'elle lui adressa, perdue dans un monde rempli de souffrance. Il ne demanda rien de plus. Il n'oserait jamais demander plus, pas quand l'univers lui explosait dans le visage à chaque virage.
Shikamaru repartit avec un panier vide et un cœur lourd.
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Le psychiatre expliquait les deux mots qui avaient menacé de faire céder les genoux de Sakura. Elle ne l'écoutait pas. Elle savait ce que signifiait l'amnésie systématisée. Elle voulait crier jusqu'à ce que ses cordes vocales emplissent de sang sa trachée.
Assise contre le mur la séparant de Yugao, la médecin écoutait son amie confuse répondre aux questions du docteur. Les perles d'eau s'amoncelaient sur ses joues. Chaque phrase appuyait le diagnostic du psychiatre. Chaque mot enfonçait un peu plus le couteau dans la plaie ouverte qu'était devenu le torse de Sakura. Elle, Genma et Hayate avaient totalement disparu de la mémoire de Yugao. Là où ils avaient été aux côtés de l'ANBU, il ne restait d'eux qu'un souvenir perdu confus. Elle était tombée aux oubliettes, enterrée aux côtés de ses amis. Un haut-de-cœur secoua son corps. Une agonie dévorait son esprit. Son âme cria à l'infini tandis que le feu ravagea ses reins.
Le corps, quelques jours auparavant, inanimé se leva de son cercueil sous les prunelles agonisantes de Sakura. Un sourire décora ce visage si similaire. Les yeux brillaient doucement marqués par les horreurs d'être ninja. Il n'y avait aucune douleur éternelle ancrée dans ces perles brunes. Elle ressemblait à celle qu'elle avait toujours été. Un rire échappa à la ninja à la chevelure violette. Une larme s'écrasa au sol. Sakura observa une dernière fois cette amie aux traits inhabités du deuil. Elle mémorisa ce visage qu'elle ne verrait plus jamais. Quand chaque trait fut gravé dans sa mémoire, Sakura prit ses jambes à son cou. Elle courut loin de cette femme pour que jamais elle n'ait à porter à nouveau ce regard hagard, pour que jamais Sakura ne lui remémore son passé.
—
Les bruits de mastication de Chouji et les babillages d'Ino accompagnaient Shikamaru dans son observation des nuages. Il ne porta pas attention au monologue de la blonde jusqu'à ce qu'elle l'interpella.
-Shika, as-tu déjà rencontré ton âme-soeur ?
Il secoua la tête. Ino ne s'arrêterait à rien pour découvrir l'identité de cette fille si elle apprenait que sa réponse était positive.
-Menteur. Temari a dit que tu l'avais déjà rencontrée.
Il soupira. Des yeux verts peinés apparurent sur les nuages.
-Je ne veux pas en parler, Ino.
La blonde protesta. Des émeraudes torturées continuaient de danser derrière ses paupières.
-Arrête.
Sa voix s'enroua. L'intention douloureuse camouflée dans son ton n'échappa pas à ses deux coéquipiers. Ino se tut, non sans lancer un coup d'œil au Nara.
—
La terre était dure sous son crâne. L'herbe collait à ses jambes nues couvertes par un short. La pluie s'écrasait à grosses gouttes sur son visage se mélangeant à ses larmes. Elle pleurait Keiko, Harui, Genma, Hayate et Yugao. Elle pleurait tous ceux qu'elle avait perdus, tous ceux qu'elle n'avait jamais pleurés. Le feu intérieur la dévorant contrastait contre sa peau glacée. Elle brûlait d'une fièvre affamée engloutissant tout ce qu'il lui restait. Le sang battait difficilement dans ses veines. Son cœur criait au naufrage. Bientôt, il sombrerait. Il n'y avait plus d'équipage pour tenter de la sauver. Ils avaient déjà tous sauté par-dessus bord. Telle Rose, elle attendait qu'une main glacée enserre de nouveau la sienne, que ces corps coulés reviennent lui sourire.
L'équipe 10 se dirigeait lentement vers le cimetière, là où Asuma reposait. La pluie drue les aspergeait. La terre s'affaissait sous leurs pas. Une tache de rose attira l'œil de Shikamaru. Il distingua la forme de Sakura, allongée dans la boue. Ses bras étaient couverts de gadoue.
Entendant le trio arriver, elle tourna ses yeux vers eux.
Les perles émeraudes se fixèrent dans les siennes. La tristesse débordait de son regard. La douleur se lisait dans tous les traits de son visage. Son dos était arc-bouté tentant de fuir ce mal la rongeant. Les larmes tachaient de sel son cou. Elle ressemblait à un papillon duquel on aurait arraché les ailes, privé de liberté. Elle était la prisonnière de cette douleur la tourmentant. Chaque bourrasque de vent faisait vibrer les barres de cette cellule l'enfermant. La clé brillait dans les mains de la ninja, mais Sakura farfouillait sans jamais réussir à entrer l'objet dans le verrou.
Sakura observa avec mélancolie Shikamaru arriver à son niveau. Il se laissa tomber, s'allumant une cigarette la protégeant de la pluie de ses mains. Elle accota son crâne boueux contre sa jambe profitant de la chaleur. Elle n'avait plus rien à perdre. Elle n'avait plus personne pour qui vivre, plus rien pour quoi vivre. Sakura était une boussole sans pôle magnétique.
Shikamaru inspira, la fumée emplissant ses poumons. Il renverserait le plateau pour que cette dame se libère de la douleur l'enchaînant. Il n'était pas un preux chevalier comme dans les contes. Il n'était qu'un homme tentant de protéger celle qui avait impudemment volé son cœur.
***Merci pour l'attente et de la lecture ! Joyeuses Pâques à ceux qui le fêtent !***
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