Chapitre 15
L'odeur d'antiseptique brûlait les narines de Shikamaru. Sa respiration était légèrement hachurée, rendue sifflante par la douleur de son échographie hépatique. Peut-être parce qu'il respirait si fort, il n'entendit pas les pas s'approcher de lui. Pourtant, quand il sentit les arômes fétides de la mort, le garçon sut que les murs rendaient l'écho des sandales claquantes de Sakura. Le Nara l'écouta partir sans tenter de la confronter. Il savait qu'elle serait aussi muette que son père. Il obtiendrait ses réponses par lui-même.
Des portes claquèrent derrière le ninja. Une voix féminine s'éleva. Des feuilles se firent feuilleter. Au milieu des senteurs putrides de décomposition, l'odeur de vérité se faufila.
-
Sakura avait passé la nuit précédente à étudier les propriétés de la toxine aux côtés de Shizune. La nostalgie l'avait emplie. Elle se rappelait des multiples nuits où la brunette et elle avaient analysé un poison jusqu'à ce que les lueurs de l'aube caressent leur silhouette. Ce que Sakura n'aurait pas donné pour retourner à cette époque où elle perdait son sommeil avec des toxines plutôt qu'avec des yeux vides.
Ce fut au tour de ces prunelles vertes de s'éteindre lorsque trois dossiers furent posés sur son bureau. Trois photos. Une seule connue. Une seule reflétant les étoiles au plafond.
Sakura se tint droite devant Inoichi. Ses paroles coulaient fluidement dans l'espace silencieux. Les mots poignardaient sa gorge, laissant le sang s'accumuler dans ses poumons. Aucune toux ne la trahissait. Elle respirait ce liquide au cas où ces yeux bruns cachaient des rétines traîtres. Elle respirait ce liquide au cas où la mort serait moins douloureuse que la trahison.
-
Shikamaru détaillait le plafond, suivant chaque craquelure avec intérêt. Son esprit tournait et retournait sa théorie. Il savait qu'elle était probablement vraie. Il avait grandi avec Shikaku Nara. Shikamaru savait comment les racines de Konoha se nourrissaient de sang le soir venu. Il voyait la manière dont son père frottait ses mains jusqu'à ce que la peau s'ouvre. Il savait que son père n'était qu'une autre victime de Konoha, mais ce n'empêchait pas la colère de l'emplir. Peut-être que si Sakura avait été fille de clan, il aurait pu la protéger. Peut-être que si elle avait été fille de clan, elle n'aurait jamais eu à goûter à la terre ferreuse entourant ces racines. Shikamaru aurait aimé protéger le palais de cette fille de cette impureté. Ironiquement, il était sûr qu'il avait été celui à lui enfoncer la tête dans la terre.
-
Les cheveux bruns étaient soulevés à la nuque, caressant doucement la main d'Inoichi. Les yeux marrons remplis habituellement d'innocence étaient fermés dans l'étreinte de Morphée. Les traits du Yamanaka étaient tordus de concentration. Sakura triturait doucement son pantalon, mordant sa lèvre inférieure. Les deux premiers suspects avaient été inspectés. Rien de concluant n'avait été trouvé. Elle savait que l'enfant était la coupable. Elle ne voulait juste pas l'accepter, pas tant que les yeux bleus ne l'auraient pas regardée avec regret.
Lorsque les prunelles océaniques se posèrent sur elle avec pitié, elle sentit l'air lui manquer. Inoichi lui fit un petit signe. Une larme perla. Un kunaï effleura une gorge. Le sang l'éclaboussa. Les larmes cramoisies gouttèrent lentement de son menton.
-Je suis désolé, Sakura.
L'adolescente hocha la tête. Les yeux vides d'Harui se marquèrent au fer rouge dans son esprit.
Ce soir-là, quand la scie trancha ces côtes trop petites, le masque à gaz goutta, les larmes rebondissant sur la peau bleue de la fillette.
-
Les arômes de poisson et de sauce soya emplissaient l'air. Les baguettes de Shikamaru piochaient dans son assiette sans grand appétit. Il voulait vraiment apprécier la nourriture et la soirée, mais il aurait préféré être à la tour de l'Hokage à fouiller des dossiers ou encore à soutirer les vers du nez d'une Tsunade trop alcoolisée. Temari dut apercevoir son envie dans son regard lointain, car elle croisa ses bras en fronçant des sourcils.
-Tu peux me le dire si je suis peu intéressante.
Les yeux verts montèrent au ciel.
-Je pensais juste...
-À un truc.
Le garçon afficha un air surpris.
-Ils disent tous la même chose pour parler de leur âme-soeur, expliqua-t-elle.
Les sourcils de Shikamaru se soulevèrent au sous-entendu, curieux.
-Il est mort quand on était gosse.
Il voulut répliquer quelque chose comme mes condoléances, mais la kunoichi lui coupa l'herbe sous le pied.
-Tu ne sembles pas assez désespéré pour que ton âme-soeur soit mort ou morte.
Une lueur de malice emplit le regard de la fille.
-Alors, explique-moi pourquoi tu traînes avec l'équivalent d'une veuve.
Un soupir échappa à Shikamaru. Il ne voulait vraiment pas s'aventurer sur ces terrains glissants. Son incertitude pleuvait sur cette pente, s'amassant dans les canalisations au bas du mont. L'eau était teintée de paroles non-dites et de sentiments confus. Non, il ne voulait définitivement pas explorer ces égouts qui menaçaient de déborder.
-C'est compliqué.
Il changea de sujet de conversation rapidement parce que dans les canalisations, l'eau se mettait à bouillir.
-
Sakura sentait les yeux caramels de Tsunade la détailler. Elle savait que les prunelles observaient avec paresse le liquide biologique tachant ses doigts et le masque pointu cachant ses larmes à la vue de tous. La kunoichi ignora le regard insistant, poussant les mots l'étouffant hors de sa bouche. Sa langue se déchirait sur chaque syllabe. Le sang dégoulinait sur son menton. Sa trachée criait à l'aide. Ses poumons se remplissaient. Son cerveau s'abandonnait à la douce douleur du manque d'oxygénation.
Elle tituba. Les points noirs l'aveuglaient. Des larmes de frustration accompagnèrent la noirceur. Sakura savait que la faucheuse la faisait languir. Sinon, aurait-elle envoyé la lumière blanche chercher l'âme de l'adolescente. Elle perdit son équilibre. Elle était aveuglée par le noir. Pourtant, Sakura sentit vivement la douleur éclater dans sa tempe et le sang inonder sa bouche.
-
Le vent nocturne caressait leur silhouette. Leur température corporelle leur échappait dans l'air printanier encore frais. Temari glissa une main dans la sienne, lui adressant un léger sourire incertain. Il la serra doucement. Son cœur battait rapidement, effrayé.
Ils arrivèrent devant la bâtisse où Temari louait une chambre. L'air était lourd. La blonde s'avança. Le cœur du garçon pulsa fortement, tentant de s'échapper. Les lèvres de la kunoichi se déposèrent sur les siennes. Son coeur battit un rythme effréné, se cachant là où la honte ne pouvait pas l'atteindre. Pendant une seconde, l'odeur de mort emplit l'atmosphère. Pendant une seconde, il rouvrit les yeux et des prunelles émeraudes lui rendirent son regard. Pendant une seconde, des cheveux roses encadrèrent ce visage fatigué. Pendant une seconde, son cœur s'emballa, sortant de son abri. L'instant d'après, Temari lui refaisait face. Son cœur sombra, dissous dans l'acide gastrique.
-
Quelque chose la tirait. Elle voulait continuer de tourbillonner dans ces abysses sans douleur. Pour la première fois, elle ne se battait pas contre son propre esprit pour continuer de fonctionner. Ne pouvait-on pas lui accorder encore quelques décennies de cette paix ? Un bruit sourd lui répondit. Elle ne voulait plus jamais ouvrir les yeux. Le monde était si laid comparé à cette noirceur pure. Elle flottait dans ce noir clair, se noyait dans sa beauté. La substance collait à sa peau, la protégeait de la laideur du monde extérieur. Elle dansait dans ses bras enchanteurs. Une main la fit tourner sur elle-même, l'autre caressant ses paupières les débarrassant du voile bienfaiteur. Ses larmes tachèrent d'impureté la mer noire. L'eau s'agita et la douleur l'envahit.
-
Les pensées de Shikamaru virevoltaient. Son cœur battait douloureusement. Une amertume explosait dans sa bouche. Ses mains, habituellement fourrées dans ses poches, se tournaient. Il triturait chaque once de peau en recherche d'un échappatoire à ce que son esprit lui exposait. Les faits restaient tels quels. Sa bouche s'assécha. Il ne pouvait pas être épris d'une personne ne voulant rien avoir avec lui, n'est-ce pas ?
-
Le corps entier de Sakura l'élançait alors qu'elle se leva. Trois paires d'yeux la regardèrent. Ses joues se rougirent un peu d'embarras. Elle garda sa tête haute, ignorant les regards inquiets. Ce n'était qu'une syncope. Tsunade l'avait confirmé.
-
Les pas de Shikamaru étaient étouffés par le bois du perron de la demeure Nara. Un mal de tête menaçait d'envahir son cortex cérébral. Dès que sa main poussa la porte, des murmures parvinrent à ses tympans. Au milieu de ce maelstrom de voix, le garçon reconnut celle de son père et de Sakura. L'amertume caressa ses pupilles gustatives. Son cerveau fut envahi par la vision imaginaire précédente de Sakura. Ses oreilles se teintèrent de rouge. Il avança vers ces conspirations soufflées à voix basse.
Elle lui faisait dos quand il franchit finalement le cadre de porte. Les doigts délicats étaient enroulés autour d'une anse de tasse de thé. L'odeur du thé vert se mélangeait à l'odeur de secret. Shikamaru voulait en vouloir aux deux adultes d'embarquer l'adolescente dans de telles machinations, mais son esprit était occupé seulement par elle. Il avait besoin de savoir si sa théorie était vraie. Il avait besoin de savoir si son cerveau ne disjonctait pas. Ses pas étaient lourds et bruyants sur le parquet. Pourtant, Sakura ne se retournait pas. L'amertume frappa son palais.
-Sakura.
-Oui ?
Sa réponse était hésitante, apeurée. Le garçon arriva au niveau de la fille. Il s'assit à côté de son regard fuyant.
-Merci pour mon foie.
Un silence pesant tomba.
-Pas de trouble, Shikamaru.
Le ton de voix était léger comme si elle se débarrassait d'une corvée. Elle n'avait pas compris son intention. Il prit son menton doucement entre deux doigts parce qu'il avait besoin qu'elle comprenne, parce qu'il avait besoin de comprendre si son roi était vraiment tombé sous le charme de cette dame. Lorsque brun et vert se recontrèrent, Sakura comprit. Les mers vertes déferlèrent d'émotions brutes. Le souffle échappa lentement au roi, car là sur l'échiquier, la dame se mettait à nu. Le roi tituba. Shikamaru relâcha Sakura, fermant les yeux.
Oh.
Oh.
Son cœur se mit à battre fortement dans sa cage thoracique. Il était totalement foutu. Et même si son cœur n'avait comme futur que de se faire déchirer par cette fille, un petit sourire couvrit le visage du garçon.
***Désolée pour la longue absence. Bref, on fait enfin du progrès, alléluia ! (Le rôle d'Harui sera plus expliqué au prochain chapitre.) Merci beaucoup d'avoir lu et bonne journée !***
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top