Chapitre 13

Parce qu'elle était dans le secret des Dieux, elle ne put pas déléguer l'observation de Shikamaru à un autre. Elle se leva ce soir-là, le cœur douloureux, pour examiner ce corps dans lequel le foie de sa victime reposait.

Les murs blancs, autrefois réconfortants, lui donnaient le tournis. Ses mains dégoulinaient d'un sang invisible sur le carrelage. Chaque pas la rapprochant de la chambre du Nara amplifiait les traces qu'elle laissait sur son passage. L'odeur de désinfectant s'effaçait peu à peu pour laisser une senteur de mort emplir son nez. Son instinct de ninja lui commandait de fuir. Elle l'ignora.

Le corps pâle de Shikamaru semblait avalé par les draps. Une chaleur pesante régnait dans la salle vide. Les doigts de Sakura tremblaient légèrement en écrivant les stats vitaux du ninja. Une voix lui criait de déguerpir et de ne jamais refaire face à ce garçon.

Les orbes verts tombèrent sur la morphine s'égouttant doucement de la poche de perfusion. Le temps d'une seconde, elle eut l'urge de s'emparer de la drogue pour elle-même, pour enfin prendre une pause des cris résonnant dans sa tête inlassablement. Le désir s'effaça aussi vite qu'il était apparu. Pourtant, un goût amer envahit sa bouche. Ses mains tremblèrent. Les larmes menacèrent de dévaler ses joues. Elle avait l'impression de faire un bond en arrière. La dernière fois qu'elle s'était sentie ainsi, elle avait dix ans. Elle avait dix ans et elle était au bord du gouffre, prête à plonger dans des bras effrayants. Elle savait qu'elle ne saurait pas résister à leur appel une deuxième fois.

L'air sablait sa gorge. La poitrine de Shikamaru se soulevait douloureusement. Les lumières l'aveuglaient. Pendant un instant, il crut que c'était la fin, qu'il allait rejoindre la lumière blanche. Il le crut jusqu'à ce que sa vision s'éclaircit et qu'il vit une fille aux cheveux roses. Shikamaru resta quelques instants à observer le chemin des larmes sur le fin visage. Il voulait lui sortir une remarque ironique pour que ces yeux verts vides regagnent un peu de vigueur, mais sa langue pesait trop lourd dans sa bouche asséchée. Alors, il ne fit que regarder les bras vicieux enlacer peu à peu l'adolescente sans ne pouvoir rien faire.

Sakura sentit les chakras de visiteurs arriver, celui d'Inoichi se mêlant au groupe. Elle essuya ses larmes et se leva,sans n'adresser un regard envers le garçon. Elle ne pouvait pas. Les bras auraient entouré son cou si elle l'avait fait.

Shikamaru l'observa se poster comme un petit soldat de plomb au pied de son lit. Il voulait faire un bruit, n'importe quoi pour qu'il puisse l'empêcher de sombrer. L'anxiété le rongeait lentement, accélérant son rythme cardiaque. Il pouvait voir la faucille de la faucheuse caresser son larynx, la lame doucement apaiser ces cordes vocales qui avaient envie de vibrer de toutes leurs forces. Peut-être qu'elles auraient été transpercées si le moniteur cardiaque ne les avait pas devancées. Le bruit fit tressaillir l'adolescente et elle se tourna. Des yeux apeurés et hantés le regardèrent. Il put presque entendre un bas rire vicieux avant que la porte ne s'ouvrit bruyamment.

Sakura observa Ino avec envie. Elle enviait la façon dont elle bougeait ses mains sans qu'aucune goutte ne perle sur le sol. Elle enviait l'absence de gouffre sous les pieds fins. Elle aurait aimé être la fille d'Inoichi. Peut-être qu'alors il ne l'aurait pas jetée sous les roues du bus. Peut-être qu'il n'aurait pas taché ses mains.

Quand Inoichi se pencha vers elle pour lui murmurer une information confidentielle, elle frissonna légèrement. Il n'était qu'un autre ninja de son calibre. Pourtant, elle pouvait presque sentir des chaînes de culpabilité la retenir à l'homme qui les avait créées.

Shikaku posa une main sur son épaule. La même fatigue bordait ses traits que les siens. Peut-être qu'à cause de cette familiarité, elle accepta la cigarette qu'il lui tendit et peut-être aussi parce qu'elle était curieuse de savoir ce pourquoi il l'approchait.

La fumée l'étouffait presque. Néanmoins, le simple geste répétitif d'amener la cigarette à sa bouche l'apaisait.

-Ne t'y habitues pas, tu finirais comme mon fils.

Sakura laissa un rire sec lui échapper. Elle savait que l'autre homme était puissant, mais cela ne l'effrayait pas.

-Mon foie n'en est pas à une cigarette près.

Elle le vit secouer légèrement la tête. L'adolescente soupira. La lueur dans les prunelles de l'homme ne signifiait rien de bon. Elle maudit sa curiosité en tirant une nouvelle bouffée toxique.

-Que veux-tu, Shikaku ?

-Inoichi et moi jugeons qu'il est moins dangereux pour Konoha de t'intégrer dans la division de l'intelligence que de ne pas le faire, en vue de ce qui s'est passé.

Qu'il soit au courant de l'affaire ne l'étonna pas tant que ça, il était le plus brillant tacticien du village.

-Je ne vois pas comment vous pouvez déterminer ça.

Il lui lança un regard blasé, lui signifiant clairement d'arrêter de jouer à ce petit jeu.

-Ranka est décédé, laissant le poste de médecin légiste vacant.

-Mais Hana...

Le reste de la phrase mourut sur ses lèvres. Hana s'occupait des autopsies. Mais Hana ne s'occupait que de la partie immergée du iceberg. Au moment où Inoichi l'avait amenée dans ces couloirs sombres, son sort avait été scellé. Mizuki avait été sa première «autopsie» d'une future longue liste. Elle avait joué aux serpents et échelles tandis qu'ils avaient joué aux échecs.

-Je n'ai pas le choix, n'est-ce pas ?

C'était une question purement rhétorique, il ne répondit pas. Son silence le fit.

-Je suis désolé, Sakura.

Son ton était sincère et pendant un instant, elle vit le regret embraser son regard.

-Je comprends.

Sakura était une ninja, elle comprenait que ses mains soient salies. Elle était avant tout une shinobi, il fallait juste qu'elle l'accepte. Elle pouvait en vouloir à Inoichi, si elle le voulait. La vérité était qu'il n'y avait aucun réel coupable. Shikaku et Inoichi ne faisaient que se tacher les mains pour d'autres. Elle était juste une exception à leur règle. L'exception qui confirmait la règle.

Harui courut vers Sakura dès qu'elle la vit. L'adolescente lui adressa un signe de main. Cette fois, aucun sang ne goutta.

Le parfum à la fraise de la gamine ne réussit pas à effacer l'odeur de mort et de sang, mais la vue du sourire radiant aida un peu sa conscience.

La mimique s'estompa un peu lorsque Sakura lui apprit qu'elle ne pourrait peut-être pas venir la chercher tous les soirs maintenant. Le cœur de la médecin se serra un peu. Elle voulait blâmer quelqu'un, mais il n'y avait plus personne à blâmer.

La première autopsie officielle qu'elle fit, le sang lui éclaboussa le visage. L'odeur de sang et de mort lui emplissait les poumons. Le liquide carmin coulait au sol. Pourtant, la vue de ses mains imbibées était moins effrayante qu'avant.

Au bout d'un mois, l'odeur de mort et de sang ne la dérangea plus. Elle s'était tellement infiltrée dans ses pores que son absence lui aurait semblé bizarre.

Le soir de ses 16 ans, elle le passa avec un masque à gaz à ouvrir un nouveau corps.

Elle venait juste de faire disparaître le corps de l'homme sur lequel elle travaillait quand un stagiaire franchit la porte de son laboratoire. Ses cheveux partaient dans tous les sens comme s'il les avait triturés des heures durant.

-Shikaku te convoque.

L'annonce la surprit, car depuis les six semaines pour lesquelles elle avait travaillé pour lui, il n'avait jamais demandé à la voir. Peut-être que ce l'aidait à ignorer qu'elle était la plus jeune du département et que c'était en partie de sa faute. Elle se leva en faisant craquer son dos.

Inoichi et Shikaku l'attendaient. La kunoichi s'assit en face du chef des jounins. Inoichi s'installa sur le bureau, à côté du Nara, l'air grave.

-Dans ta position, tu te dois te présenter aux conseils, mais en vu de tes antéprécédents avec le clan Haruno...

-Je serai présente, coupa-t-elle Inoichi.

Et lorsque ses géniteurs la feraient tourbillonner à nouveau dans ce puits d'incertitudes, elle viendrait chercher sa stabilité dans ces cadavres.

Lorsqu'elle arriva en retard au conseil, les cheveux ébouriffés et un masque à la cuisse, Shikamaru manqua une respiration. Quand Sakura s'assit à la droite de Shikaku et que l'odeur de la mort emplit les narines de l'adolescent, il maudit son père. Shikamaru avait grandi, bordé du conte d'un médecin au masque pointu s'occupant de ceux que le mal avait contaminés. Il savait que son père avait taché les mains fines de l'adolescente de ce sang poisseux. Une partie du garçon lui en voulait parce que le visage de la fille se teintait lentement, mais sûrement, de la fatigue que Yoshino essayait en vain d'effacer du visage de son mari. Sauf qu'à la fin de la journée, il savait qu'il n'y avait personne pour tenter d'apaiser les cernes de Sakura.

À la fin de la journée, elle n'était qu'une dame seule sur son échiquier, sans protection et sans plus rien à protéger. 

***Je suis désolée pour l'attente et le court chapitre. Les dernières semaines ont été plus difficiles et écrire ce chapitre était plus une corvée qu'un plaisir. J'espère que vous excuserez mon écriture essoufflée. Je corrigerai les fautes quand j'aurai la motivation. Encore désolée de ce travail bâclé, je ne voulais pas vous faire trop attendre. Merci d'avoir lu et bonne journée !***

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