Chapitre 6 :

À la fois excédée et bouleversée, Catalina claqua la porte de sa chambre d'une force insoupçonnable. Ses yeux, emplis de larmes, se plissèrent face à la lumière traversant ses fenêtres. Elle referma brusquement les rideaux, préférant se tapisser dans l'ombre de ses doutes et ses regrets.

   Comme elle regrettait son frère ainsi que cette belle époque passée avec lui. Elle se souvenait de chaque détails de son visage, chaque expressions qui lui étaient similaires. Ses câlins, ses sourires, elle se remémorait Erlann tel qu'il était : un frère doux et attentionné. Rien que d'y repenser, la lady sentit ses jambes vaciller sous le poids écrasant de ses souvenirs. Son regard s'embua plus encore et elle fut forcée de glisser sur son lit.
Son frère avait été tout pour elle : un jumeau aimant comme son plus fidèle ami.

Mais il était parti – trop tôt –, laissant derrière lui sa sœur désemparée et la désolation de ses jours perdus. Ainsi qu'un trou noir, vide. Béant. Encastré dans la poitrine de sa jumelle.

Erlann.

Ce doux prénom obstruait le fil de ses pensées et une rage viscérale s'empara d'elle. La jeune femme se sentait à présent faible et désarmée, impuissante face au destin, face à tout cet amas de souvenirs embrouillant son esprit. Elle ne savait plus quoi faire, quoi penser. Ni à qui en vouloir. Et cela la perturbait et l'excédait à la fois.

Elle s'en voulait, d'une part, d'avoir agi excessivement et de façon aussi brutale. Mais de l'autre, elle avait été profondément blessée et trahie. Le fait de déballer de manière aussi laconique leur tragédie avait fait naitre en elle un sentiment d'ulcération. Comme si la lady avait été la seule attristée et que personne n'aurait pu comprendre sa peine.

Et malheureusement c'était vrai. Après tout, il était son jumeau à elle. Le lien qui les unissait avait été plus fort que tout et entretenu grâce à leur complicité et leur sang. Pas même Daphné n'avait pu se joindre à eux. Ils avaient toujours étaient seuls dans leur bulle d'enfants rieurs, entretenant des relations fraternelles si puissantes que seule la mort pouvait couper.

Et c'est ce qu'elle fit.

Catalina comprenait peu à peu que tous avaient tournés la page sur ce tragique accident, sauf elle. Et qu'elle seule en souffrait.

   Des images d'Erlann l'envahirent soudain. Malade, souffrant, le visage cadavérique. Frêle et pâle, le front moite, il toussotait gutturalement, sa respiration empreinte de crachats. L'ambiance était lourde et pesante, transcendée des expectorations du jeune homme et des quelques sanglots des personnes présentes dans la pièce. Elle visualisait sa petite famille, vêtue toute de noire, attroupée devant le lit du malade. Un médecin était venu expressément, essayant tant bien que mal de calmer les douleurs erratiques d'Erlann. Sa famille étant catholique, un prêtre avait été amené. Il s'était chargé de purifier le mourant d'eau bénite et de lui faire articuler quelques prières et confessions pour préparer sa venue au ciel, pensant superstitieusement que cela aiderait. Mais après quelques heures passées dans sa chambre lugubre, le jeune homme avait relâché un dernier râle avant de s'effondrer, raide mort. Ses yeux avaient papillonné très lentement, ses lèvres s'étaient étirés en un semi-sourire, rougeoyant de sang et empreint d'une note de joie. Catalina n'avait pas lâché sa main, glacée, et l'avait même serrée encore plus fort après cet instant douloureux. Elle se rappelait de ces quelques mots, prononcés avec la plus grande peine, qu'il avait émit avant de mourir.

Mo Ardaigh.

   Ses yeux cillèrent plusieurs fois, comme si elle ressortait d'un rêve. Elle se releva, légèrement vacillante, avant de s'approcher de son bureau pour s'y installer, fébrile. La jeune lady, témoignant d'une mélancolie sans non, se mise à écrire dans son petit carnet de cuir, d'une calligraphie appliquée, quelques lignes improvisées et secrètes.

•~•

Une heure et plus étaient passés avant que quelqu'un ne frappe à sa porte.

– Entrez. s'exclama-t-elle à demi concentrée sur son manuscrit.

Durant tout ce temps, elle avait médité, réfléchis et même écris longuement pour délivrer la tristesse qui sommeillait en elle. Maintenant, elle se rendait compte que sa torture avait assez duré, et qu'il valait mieux se ressaisir. Erlann ne serait pas fière d'elle en la voyant ainsi pleurer sa mort a l'heure qu'il est.

Une petite tête apparut, suivit d'une traînée de boucles d'or. La jeune Abigail fit son entrée avec grâce, admirant par ailleurs l'intérieur confortable de la chambre de la lady.

C'était une grande pièce au plafond lointain et aux tapisseries murales pourpres et crème. Le luxe était présent dans chaque recoins, aussi bien sur les lustres fait de bronze et de cristal composés de dix-huit bougies chacun, les fauteuils de velours satinés – aux arabesques colorées – en hêtre, les meubles de bois massif, les tapis de laine, et les magnifiques objets confectionnés de bronze et de laiton trônant sur les commodes. Pourtant, malgré la beauté du lieu, la première pensée de la jeune fille fut que la pièce paraissait inoccupée tant c'était propre.

   Catalina se détourna de son bureau, placé contre le mur, faisant face à Abigail. Elle observa longuement la jeune lady, ayant pensé recevoir la visite d'une de ses servantes.

– Que me vaut ta visite, Abigail ? lui demanda-t-elle, gentiment.

   Elle semblait étrangement plus calme.

– Je voulais savoir comment tu allais. Il me semble que c'est toi qui est sortie de table comme une malpropre, rétorqua moqueuse la jeune enfant.

   Sur cette note d'ironie, Catalina s'empourpra de gêne n'ayant voulu embarrasser l'assemblée, et encore moins paraître malpolie. Mais à en juger l'expression malicieuse sur le visage de la petite lady, on ne lui tenait pas rigueur de son manque de civilité.

– Je.. ce n'était pas correcte. Je m'excuse sincèrement.

– Ne t'en fais pas, ce n'est vraiment pas important..

Ce n'était pas important, bien sûr qu'elle le savait. Pourtant, Catalina ne pouvait s'empêcher à présent de culpabiliser. C'était la première fois qu'elle avait osé ainsi tenir tête à sa famille. Elle s'était attendue aux regards outranciers de sa mère, aux soupirs méprisants de Daphné à son égard et au trouble de son père. Ainsi qu'à l'incompréhension des invités.

– Comme ta chambre est douillette, déclara Abigail en soupirant d'extase, changeant par ailleurs de sujet, je n'ai jamais vu plus grande pièce auparavant !

– Et encore, tu n'as pas vu ma garde robe.

   Ses grands yeux s'écarquillèrent ce qui fit rire Catalina. Elle lui indiqua ladite armoire contenant ses toilettes, et la demoiselle poussa un hoquet de stupeur en les découvrant. Une multitude de robes colorées et scintillantes trônaient sur des cintres à la chaîne, ainsi que plusieurs souliers étaient disposés sur une étagère basse. Il y avait aussi des chapeaux et couvre-chefs placés sur un rayonnage en hauteur, tous plus chics les uns que les autres. De quoi régaler la vue !

– Cela te plaît ? interrogea la lady, tout en rangeant ses affaires de bureau.

– Oh oui ! Je n'avais jamais vu autant d'habits, et de robes, et de chaussures...

Catalina prenait un réel plaisir à écouter Abigail s'extasier, lui extirpant presque l'image d'Erlann de son esprit.

– Le placard de ma sœur est bien plus grand, si tu veux savoir, il dispose de beaucoup plus de places et de.. beaucoup plus de vêtements. À côté je n'ai rien.

   Elle repensa à l'immensité de la garde robe de Daphney et eut presque un vertige. Sa sœur avait une passion démesurée pour la mode ce qui, a l'inverse, n'était absolument pas son cas. Elle préférait le naturel et la sobriété tandis que Daphné privilégiait l'excentricité. Et surtout, le chic.

   Abigail se remit à farfouiller dans l'armoire, piochant d'entre les habits quelques toilettes à son goût. Elle se passa des coiffes, à plumes ou à rubans, à tour de rôles tout en se regardant dans le miroir. Sous l'œil attentif de Catalina, elle continua son festival de déguisements durant un petit moment.

– Viens t'asseoir ici ! invita la lady en lui indiquant un grand fauteuil juste en face de sa coiffeuse.

La plus jeune s'y installa et Catalina se mit à brosser ses longs cheveux blonds et bouclés d'une main experte. Elle souriait légèrement aux attitudes princières de son invitée, qui imitait une duchesse.

   Ses douces mains s'occupèrent de la crinière d'Abigail, la tressant en une belle natte.

– Cela vous plait-il, milady ? ironisa la jeune femme.

– Oui, oui très chère ! Même si cette coiffure manque bougrement de décorations ! commenta la lady assise d'un ton hautain, esquissant un léger sourire.

– Mille excuses, milady. Je vais arranger cela.

Catalina accrocha sa tresse d'un ruban de dentelle bleu tandis que la jeune adolescente s'octroyait une touche de parfum à la lavande. La lady s'empara de fleurs – prise depuis un vase –, et en ajouta dans la chevelure de la jeune fille.

– Préférez-vous ceci ? questionna la jeune femme, en montrant la coiffure depuis un petit miroir en argent.

– Mh, ça fera l'affaire.

Les deux filles se regardèrent avant d'éclater d'un rire franc, comme si elles se connaissaient depuis longtemps et que ce jeu les amusait comme à l'habitude.

– Tiens, regarde.

Catalina lui tendit un petit coffret aux gravures délicates qu'Abigail s'empressa d'ouvrir. L'écrin contenait une dizaine de parures entrelacées entre elles, serties de pierres précieuses et de perles nacrées chacune. La demoiselle, les yeux pétillants d'admiration, souffla un petit « wow » en réponse à la beauté des bijoux, tant elle était ébahie.

   La lady s'empara d'un collier de rubis et encercla le fin cou d'Abigail avec.

– Il te plaît ?

– Je l'adore.., souffla la demoiselle, je l'adore sincèrement.

   La voix de la jeune fille s'était quelque peu brisée.

   Catalina était toute émue. Jamais elle n'avait partagé de tels instants de complicité avec sa sœur, et cet image fraternelle que renvoyait la jeune adolescente lui plaisait étonnement. Sa joie de vivre, son envie de partage, son sourire malicieux, elle se revoyait en elle, a l'époque où Erlann était encore vivant. Cette jeune fille intrépide, qui jouait, qui rigolait de bon cœur. Tout cela lui paru à présent comme un vague souvenir..

– Je te l'offre si tu le souhaites ! s'enquit la jeune femme.

Bouche bée, l'adolescente n'en revint pas. Le bijoux devait valoir une fortune colossale et Catalina voulait le lui offrir, comme s'il ne coûtait rien.

– Je ne peux pas accepter.. c'est...

– Je t'assure que ça me fait plaisir. Et de toute façon, je ne le portais plus depuis des années, alors je t'en prie. Prends-le.

   Abigail hésita quelques secondes avant de se jeter dans ses bras, lui murmurant un doux « merci » à l'oreille en guise de remerciement. Contre toute attente, Catalina - bien que surprise - l'étreignit à son tour avec tendresse, comme elle l'aurait fait à sa petite sœur.

– Tu es très gentille, Catalina.. ça me touche un peu que tu t'occupes de moi.. comme une grande sœur.

– Moi aussi, ça me fait plaisir, lui chuchota-t-
elle.

Comme une grande sœur. Son coeur tambourinait dans sa poitrine et elle sentit des papillons tournoyer aux creux de son ventre. Elle comprenait la jeune fille, ayant passé mille et une fois à remercier son frère d'être là pour elle, de la choyer et de l'aimer chaque jour. Elle se souvenait par ailleurs des journées qu'ils passaient à deux, dans les jardins, à se prélasser au soleil, à chevaucher leurs étalons, à pique-niquer sous leur arbre favori - ce vieux chêne aux branches broussailleuses -. ou à grimper sur.. ce bon vieux temps qu'elle déplorait sans cesse.

– Abigail ? Te plairait-il de passer cette journée en ma compagnie ?

En souvenir du bon vieux temps...

– Ma foi.. tant que mon père ne requiert point ma présence, il me semble que cela serait convenable !

   Et ce fut donc bras dessus, bras dessous, que les deux ladys s'en allèrent de la chambre.

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Excusez-moi encore de ce léger retard, j'avais assez peu de temps pour moi ! Mais bon, ce chapitre est enfin posté même si j'en suis pas hyper fière. En plus de ça, Darnley n'y figure pas ! ( Désolée encore ) ! Le prochain sera plus croustillant ! ;)

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