Chapitre 5 :
The Victorian Manor - la demeure des de Donegall -, surnommée ainsi par ses occupants, paraissait s'être appropriée les éclats du soleil depuis ce début de matinée, rendant les lieux plus beaux qu'ils ne le paraissaient déjà.
C'était autour d'une table, dans la grande salle a manger, que les hôtes avaient accueillis leurs invités pour un petit déjeuner convivial afin de commencer cette radieuse journée de mai dix-huit-cent-vingt-trois.
– Un peu de sucre ?
Catalina rêvassait, les yeux plongés dans le vide depuis bien une vingtaine de minutes. Elle ne remarqua pas le sucrier que tendait le comte Leigh à son égard - d'un geste courtois -, bien plus concentrée sur ses pensées embrumées.
Depuis la soirée d'hier, elle ne faisait que penser à Darnley, qui avait su dénoter d'un comportement avenant et galant. Elle ne se faisait pas d'illusions, et n'imaginait rien qui puisse susciter l'excitation de toutes autres femmes quant à leur relation. Seulement l'idée qu'ils fussent si proche ravivait en elle un sentiment d'importance ; très révélateur.
Daphney émit un léger coup de coude à Catalina pour la rappeler à l'ordre.
– Mille excuses milord, je n'avais point entendu. J'aimerais volontiers un sucre, se reprit-elle, le regard fuyant.
Celui-ci hocha la tête et lui en servit un dans son thé noir, avec toute la délicatesse dont il était capable. Le pauvre homme souffrait de sa main droite endommagée, qui ne s'articulait plus aussi bien qu'avant à cause de multiples raisons, comme l'âge. Il ne paraissait pas s'offusquer de cet handicap même si, à en juger ses mouvement mécaniques, le lord devait redoubler d'efforts pour arriver à ses peines.
Catalina ne sembla pas s'y intéresser. Du coin de l'œil, elle observait Darnley discuter avec sa mère, de sujets qui lui échappaient. Lady Eleanor parlait bien bas à son interlocuteur, quelque peu gêné, ce qui irritait et tourmentait la pauvre Catalina, qui essayait tant bien que mal de comprendre les faits.
Du personnel entra avec des assiettes fumantes qui ravivèrent les sourires des convives, impatients. Pendant ce temps, la jeune Abigail en profita pour s'installer à la table sans que personne n'y fasse attention. Elle se glissa derrière un majordome, puis se hissa sur sa chaise, à la droite de Lady Eleanor, in extremis, sans que celle-ci ne le remarque.
Catalina la regarda longuement, un sourcil pointilleux haussé qui fit rougir la demoiselle, de cet air taquin qu'avait les mères à l'égard de leurs enfants. Abigail ne put s'empêcher de détourner les yeux, même si la lady ne tenait pas rigueur de son retard.
- Vous avez une sublime demeure, mon très cher George, s'exclama Leigh, attirant l'attention vers lui. La mienne me paraît à présent moins grande.
- Vous possédez pourtant plus de résidences ! Sept il me semble, plus deux en France et une dans le sud de la Germanie.
Les deux hommes conversèrent longuement tandis que tous écoutaient attentivement sans piper mot. De fils en aiguille, la discussion dérivait sur le mariage de Daphney et Darnley, qui paraissaient respectivement conquise et las.
- Je propose le quinze août, suggéra le lord de Wellington. Cela laisserait trois mois de libre pour l'organisation ainsi que pour le rétablissement de ma chère femme.
Le lord de Donegall hocha respectueusement la tête. Il ne paraissait pas très emballé du procédé - voulant sûrement que le mariage soit réglé plus tôt -, mais n'avait pour autant commenté.
Un court silence s'abattit sur l'assemblée et lady Eleanor en profita pour s'exprimer.
- Milord, je voudrais assister l'organisation du mariage. En temps que mère, il est dans mon devoir de contribuer au mariage de ma fille.
Catalina roula des yeux discrètement tout en s'efforçant de ne pas soupirer. Sa mère avait toujours le besoin irrépressible de vouloir tout contrôler, si bien qu'elle en devenait exigeante et pointilleuse pour chaque détail. Mais elle en fut la seule à s'en plaindre, dans sa tête.
Son père reprit alors la parole après une brève minute de réflexion.
- Je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez pas, Milady. Qu'en dites-vous Leigh ? Objectez-vous à cette idée ?
- Nullement mon brave, profitons plutôt de ce qui nous ait dû.
Lady Eleanor souriait victorieusement.
- Très bien alors, reprit George, crispé. Qu'il en soit ainsi.
- Parfait, je m'en vais de ce pas commencer à lister les invités et m'occuper des faire-parts !
Elle sortit de table à pas de loups, après une révérence plongeante, et toute guillerette. Jamais Catalina n'avait vu sa propre mère aussi excitée, et ce constat l'étonna.
Après cette courte interruption, ils reprirent tous leur petit déjeuner dans un silence apaisant - la voix d'Eleanor étant encore perceptible depuis le bout du couloir. Quelques discussions furtives reprirent, tandis que la majorité observait les beaux jardins visibles depuis la grande fenêtre en face de la table où mangeaient les convives.
•~•
Après le déjeuner, les invités avaient été conviés à une petite visite de la demeure, organisée prestement par le lord de Donegall. Il aurait préféré que sa femme le fasse, mais celle-ci était plutôt occupée à calligraphier des enveloppes. Alors, pour l'occasion, George comptait plutôt sur Catalina, dont il était très fier, pour promener ses visiteurs. Celle-ci n'avait pas pu refuser, le regard suppliant de son père lui ayant évincé la possibilité de fuir.
Fuir quoi, d'ailleurs ?
L'attention, les regards et les questions.
Extérieurement, la lady s'était toujours sentie gênée lorsque sa présence avait été graciée d'œillades indiscrètes, pointilleuses. Du moins, c'était ce qu'elle en pensait.
Catalina se chargea donc de promener les de Wellington à travers le manoir, leur faisant visiter chaque pièces en glissant par-ci par-là quelques commentaires, afin de combler les silences occasionnels.
La petite assemblée – Catalina devant, Abigail accompagnée de son père au deuxième rang, puis Daphney au bras de Darnley, et enfin le lord George en fin de cortège –, se déplaça jusqu'à la dernière pièce de l'aile Ouest, où se situait la plus grande pièce de la maison : la bibliothèque.
La salle était d'une forme ovale, et d'une hauteur de plafond plus haute que toutes pièces précédentes. Au centre de celle-ci trônaient un élégant canapé de velours vert, et deux fauteuils épais : l'un de velours rougeâtre, et l'autre d'un motif floral blanc sur fond noir. Ils étaient disposés face à une grande cheminée, ainsi qu'une élégante peinture encadrée, accrochée au dessus de celle-ci. Quelques éléments décoratifs, comme des vases et plateau d'échecs, figuraient sur une grande table basse centrale en verre, et autres meubles en bois dispersés un peu partout. De grandes étagères massives arboraient les murs, remplies de livres, encyclopédies, recueils, lettres et tout autres manuscrits dont pouvaient posséder de riches aristocrates. Et cette diversité d'ouvrages, émerveillait plus qu'à quiconque, Catalina.
En entrant dans la pièce, les yeux de la lady reluquèrent intensément la main caressante de Daphney a l'encontre de l'avant bras de Darnley, qui ne paraissait nullement s'en préoccuper. Pourtant, lorsque le lord s'éprit d'un léger sourire pour sa fiancée et que celle-ci lui souffla quelques mots a l'oreille, un mélange d'incompréhension et d'impulsivité naquit au fond de Catalina. La jeune femme se détourna, comme si l'agacement tempérerait son brin de jalousie.
Non je ne suis pas jalouse ; seulement mécontente.
Son regard dévia inlassablement le vide, pour se replacer face aux deux fiancés, admirant d'une envie insoupçonnée leur proximité. Son mécontentement déclina, et un pincement au cœur lui asséna une violente claque. Elle se sentait à présent idiote d'avoir pu penser être importante aux yeux d'un homme, qui plus est celui de sa sœur aînée. C'était jouer avec le feu que d'avoir voulu lui plaire, pourtant cette idée saugrenue lui paraissait aussi insensée que rationnelle ; plausible.
– Voici la grande bibliothèque Edward-James, baptisée ainsi grâce à son créateur, Edward-James de Donegall, notre arrière arrière grand-père. débuta Catalina après avoir laissé les invités entrer. Sa grande passion pour les écrits, l'avait incité à ériger ce lieu de recueillement et de privilège. Bien entendu, il en avait interdit l'entrée à sa femme, Miranda de Malmesbury, et de ses six enfants : Edward, Mary, Neal, Jacob, Susan et Meghan...
Ils semblaient tous envoûtés par la convivialité de la pièce, illuminée par le soleil clandestin qui déclinait longuement.
Darnley prit la liberté de s'installer dans le sofa, entraînant à sa suite sa fiancée. Cette vision noua les entrailles de Catalina, chose qu'elle n'exprima pas extérieurement, qui ne pouvait s'empêcher à présent d'avoir des doutes sur les intentions de Darnley. Que cherchait-il à faire ? À avoir ? Pourquoi avoir été aussi distant avec Daphney et, à l'inverse, aussi entreprenant avec Catalina la soirée dernière, alors qu'il témoignait à présent une plus grande attention à sa fiancée qu'à sa future belle-sœur ?
Parce que tu n'es que sa belle-sœur.
Son ignorance avait eut raison d'elle, et à présent, elle regrettait amèrement sa sottise.
Ils reprirent bien assez tôt leur balade – Daphney encore collée à son fiancé –, et s'attaquèrent directement à l'aile Est de la demeure. Ils traversèrent dans un silence appréciable, le grand corridor orné d'une multitude de portraits murales.
– Les peintures aux murs ont été faites pour la plupart par Tobias Fritz, un peintre autrichien sourd, qui avait voué une grande partie de son temps et de sa carrière, à esquisser notre lignée.
– Qu'est-il devenu ? s'enquit le lord de Wellington, d'une voix enrouée.
– Il est mort de vieillesse, quelque part dans le Nord de l'Angleterre, répondit le lord de Donegall.
Le lord de Wellington acquiesça, par respect.
Les tableaux défilèrent longuement et plus ils s'enfonçaient dans le couloir, plus les portraits paraissaient récents.
– Qui est ce jeune homme ? demanda Abigail, sans s'arrêter d'observer la peinture en face d'elle.
Catalina retourna sur ses pas et prit le temps avant d'assimiler qu'il s'agissait d'un portrait beaucoup trop familier. Même dans l'ombre, le tableau rayonnait, de cette aura envoûtante qui ne quittait plus les esprits. Un beau visage fin et quelque peu blafard, était esquissé en face de l'assemblée. Avec ses grands yeux d'un châtain clair, ses tâches de rousseurs légères, sa petite bouche rosée et ses cheveux tirant sur le auburn, il ressemblait étroitement à la lady.
– C'est.. mon défunt frère jumeau, Erlann.
Catalina sentit sa gorge s'enflammer, tant ces mots lui avait été douloureux. Cela faisait des années que ce tableau trônait dans le couloir, et pourtant, aujourd'hui, c'était comme si elle le remarquait enfin.
Les regards s'attardèrent sur elle, en particulier celui de Darnley, qui paraissait lui daigner un peu d'importance, et ses battements s'accélèrent. À ses côtés, Daphney avait la tête baissée, ne voulant pas affronter la mine de sa sœur.
– Erlann Neal Edward de Donegall, fuse mon second enfant - de même que Catalina -, malgré le fait qu'il soit mort il y a de ça trois ans, d'une tuberculose.
Le lord de Donegall, récupéra l'attention sur lui, au plus grand soulagement de Catalina. Malgré tout,entendre parler d'Erlann lui octroyait une douleur sans nom. Elle ne voulait pas que son père leur dévoile son jumeau ; elle ne voulait plus souffrir de cette tragédie. À ses yeux, son frère était un sujet tabou.
Son regard jeta des éclairs à son père qui la niait complètement.
– Toutes nos condoléances, partagea tristement Leigh de Wellington, en incitant sa fille à s'incliner face au portrait.
– Cela ne fait rien, répliqua sèchement Catalina, coupant la parole à son père, les yeux embrouillés de larmes involontaires. Maintenant veuillez m'excuser.
Elle s'inclina bien bas avant de s'échapper à grandes foulées, sans remarquer l'air sombre qu'affichait Darnley.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top