Chapitre 2 :

En cette fin de mois de mai, la lourdeur du temps était atroce. Le ciel semblait toujours aussi morose, teinté de perpétuels nuages noirs et de ses grondements menaçants transcendants l'orage a l'horizon.

   Cinq jours s'étaient écoulés depuis que la famille de Donegall avait reçu la lettre et depuis, Daphney ne faisait que s'imaginer avec son futur lord. Elle avait invité de la bonne compagnie, comprenant entre autre une ribambelle de jeunes ladys venant des comtés voisins, afin de communiquer ses fiançailles.

   La jeune femme n'avait toujours pas rencontré ce fameux Darnley, mais rien qu'à l'entente de ce prénom elle esquissait de minces sourires en l'imaginant.

   Daphney ne cessait de glousser lorsqu'elle le prononçait. Et Catalina pensait sincèrement que c'était un spectacle déplorable. Elle qui n'avait jamais eut de premier amour se fichait bien de ce que pouvait ressentir sa grande sœur. Après tout, ses réactions étaient ridicules et exagérées puisqu'elle ne le connaissait même pas. Si cela se trouvait, cet homme était laid ? Handicapé ? Rien ne disait que ce Darnley ressemblait à un prince charmant ! Mais bornée comme elle l'était, elle n'en avait bien cure. Et Catalina s'en fichait tout autant.

   Il devait être six heures du matin lorsque la jeune servante de Catalina rentra en trombe dans sa chambre - ce qui était absolument inconvenable. La lady était inhabituellement réveillée, assise auprès de son bureau massif en train de manuscrire un petit livret à la couverture de cuir. Celle-ci redressa la tête, étudiant minutieusement la camériste qui venait de la déranger. La jeune enfant essoufflée réajusta son tablier et arrangea une mèche de cheveux brunâtre derrière sa tête.

– Le lord de Wellington vient d'arriver avec sa famille, votre père m'envoie vous quérir, articula-t-elle entre deux bouffées d'oxygène.

   Catalina resta impassible, presque indifférente à l'annonce de leur arrivée. C'était plutôt sa sœur qui allait exprimer une certaine excitation. Après six longues journées d'attente, voilà qu'elle allait enfin le rencontrer.

Elle soupira en hochant la tête.

   Lise, la jeune servante, s'empressa de lui préparer son bain dans la foulée. La jeune lady s'y glissa au bout de quelques minutes, frissonnant au contact chaud de l'eau tandis qu'elle se laissait savonner en une caresse appréciable. Malgré tout, elle sentait une boule d'appréhension grandir au creux de son ventre, comme si cette rencontre l'inquiétait. Devait-elle sincèrement appréhender ? Non, elle ne le devait.

   Celle-ci se fit pomponner durant presque une quarantaine de minutes, avant de revêtir sa tenue. Elle portait un élégant corset en dentelle noire qui lui encerclait sa taille en une exquise torture. Sa toilette était d'un violet foncé ravissant et possédait un décolleté lui arrivant aux épaules, allongé en de longues manches adaptées à ses bras. Ses jupons traînaient à ses pieds avec raffinement, se mouvant avec finesse. Un large collier de perles cernait sa gorge avec délice tandis que de minuscules boucles d'oreilles pendaient à ses lobes. Pour finir, ses cheveux étaient rattachés en un chignon bas très soft.

Pourtant, si douce et charmante, Catalina se sentait enfermée dans cette lourde robe, qui ne la représentait pas. Comme si elle l'avait choisie pour prouver tout autre chose ; une facette cachée de sa personnalité.

   Enfin prête, elle sortit de son immense chambre avant de traverser le couloir de l'aile est de la demeure. Durant une fraction de seconde elle n'entendit que le fracas de ses talons résonnant dans l'allée, bercée par le mouvement répétitifs de ses pas. Il lui semblait que le corridor s'allongeait à mesure qu'elle avançait, comme s'il lui était impossible de rejoindre le bout de sa traversée. A moins que ça ne soit elle qui recule, recule face au changement qu'opérerait cette famille de Wellington. Ainsi que ce Darnley.

Mais son illusion s'effaça lorsqu'elle se retrouva enfin à proximité de l'escalier. Elle le descendit avant de parcourir une enfilade de pièces à la rencontre de celle qu'elle cherchait. Celle où résonnaient des éclats de voix et quelques rires : le grand salon.

   En arrivant dans la gigantesque salle, elle fut surprise de découvrir un regard magnétique rivé sur elle. Ses yeux chocolat était figés dans ceux vert grisé du bel inconnu qui l'observait attentivement. Elle frissonna d'instinct, captivée par l'intensité de leur échange qui lui paru éternel.
Darnley.

– Catalina, mon trésor ! déclara son père qui s'approcha calmement de sa fille.

   Elle se reprit soudainement, consciente d'avoir complètement divagué en présence du fiancé de sa sœur - rappelons-le. Son attention se reporta sur son père qui la serra d'une étreinte paternelle tendre qu'elle lui rendit. Il fallait dire que cela faisait plus de trois semaines qu'il était parti à Liverpool pour régler une importante affaire, alors la jeune lady était bien heureuse de pouvoir bénéficier à présent de son vieux papa.

   Ils se reculèrent doucement et Daphney fit irruption dans la grande pièce, suivit de prêt par Lady Eleanor. Toutes deux s'étaient élégamment revêtues de toilettes richement confectionnées, couronnées de bijoux luxueux très voyants.

   L'aînée resta toute souriante en admirant au loin son futur époux, qui semblait focalisé sur Catalina.

   Durant quelques minutes, l'attention dériva vers les de Donegall avant qu'un raclement de gorge distinct perturbe leurs retrouvailles.

   Derrière eux se tenait Leigh de Wellington, un grand homme mince, et dont les rides ciselaient le visage. Il paraissait légèrement tendu, serrant une très jolie canne, sculptée, avec force d'entre ses paumes calleuses. À sa droite se tenait une belle jeune fille au visage poupon et à la chevelure d'or n'ayant - à première vue - à peine dépassée l'adolescence. Elle portait une ravissante robe fleurie ainsi qu'un couvre-chef distingué. Ses grands yeux gris brillaient de malice démontrant de sa désinvolture et de son esprit affûté. Enfin, adossé prêt de la cheminée, était placé le bel homme aux yeux métalliques. Il avait les cheveux châtains coupé court, une mâchoire carrée contractée ainsi qu'une corpulence svelte et musclée comme en avait rêvé Daphné.

   Catalina se détourna vers Daphney, observant celle-ci lorgner le jeune homme, s'imprégnant de son visage virilement taillé.

   L'hôte de maison esquissa un sourire chaleureux à ses invités.

– Eleanor, Daphney, Catalina, je vous présente le lord Leigh de Wellington, sa fille Abigail ainsi que Darnley, annonça George de Donegall.

   Les trois femmes s'inclinèrent suivies de près par la famille de Wellington.

– Lady Irina, chère épouse du lord de Wellington, ne pourra venir avant le mariage.

– Oui, disons seulement que ses petits problèmes de santé ne lui octroient le privilège de venir, hélas, rétorqua brièvement le père Wellington.

– Nous sommes enchantées de vous rencontrer, ajouta lady Eleanor, d'une voix mielleuse.

   Catalina tressaillit en écoutant sa mère parler hypocritement, un long frisson lui remontant l'échine. Elle n'aimait pas cette facette douceâtre de sa génitrice qui ne cessait d'enjoliver ses dires de fausseté. Enfin, elle n'appréciait pas vraiment sa mère non plus. Et c'était sans doute réciproque.

   Il fallait dire qu'elle avait toujours considérée Daphney comme sa fille préférée. Cela n'empêcha pas qu'elle fut éduquée comme sa sœur, sous l'œil bienveillant de leur père qui leur avait instruis le savoir et les convenances que doivent adopter les jeunes ladys.

   Soudainement, Darnley se déplaça, tel un félin, se glissant entre le mobilier, pour s'approcher calmement de sa proie. Il se positionna devant Daphney, presque hésitant, tout en lui prenant la main d'un mouvement tendre avant d'y déposer ses douces lèvres à l'encontre de son revers de main. Le geste était captivant, délicieux, et la jeune lady eut une soudaine bouffée de chaleur. Ses joues rosirent sous l'effet produit, et elle ne put qu'échapper un léger rire nerveux confirmant son embarras. Il redressa ensuite son regard de jade scintillant vers les prunelles miel de la jeune femme qui ne put détourner ses yeux de l'homme, arborant un sourire béa ridicule.

– Je suis ravi d'enfin faire votre connaissance, Daphney, révéla-t-il d'une voix envoûtante.

   Elle se mit à glousser nerveusement, charmée par son fiancé, tandis que Catalina observait la scène d'une œillade absorbée, presque éprise au jeu de l'homme qui charmait sa sœur.

   Elle se ressaisit enfin après qu'il se soit relevé, relâchant la main de sa fiancée qui souriait de béatitude, ne pouvant détourner son regard.

Pitoyable, se dit-elle.

   Mais alors que la jeune demoiselle allait s'éloigner, elle fut subitement retenue par la présence du gentleman en face d'elle, lui retenant sa main avec délicatesse. Il la remonta doucement à ses lèvres, épousant la peau laiteuse de Catalina en lui octroyant un regard si bestialement attirant que la lady s'empourpra violemment, sa poitrine montant et descendant au gré d'une respiration trop rapide. Un frisson de contentement remonta son échine. Elle était à nouveau subjuguée par le regard charmeur de l'homme, qui ne cessait de la scruter avidement, chose qui la rendait inhabituellement gênée.

– Enchanté de vous rencontrer, Catalina.

– M-Moi de même, renchérit doucement la jeune femme d'une voix blanche.

   Il n'était pas dans ses habitudes d'être déstabilisée devant quelqu'un, puisqu'on l'avait éduquée pour ne jamais perdre ses moyens en public et se contenir. Il était hors de question qu'elle se laisse aller. Et puis le regard réprobateur qu'offrait sa sœur lui sermonnait intimement de ne pas faire l'idiote - ce qui devait probablement aider à la tâche.

– Bien, mes chers invités ! Le voyage a été long et vous devez sans doute être épuisés ! Je vous invite à prendre congé dans vos appartements, déclara le lord de Donegall, nous nous retrouverons ce soir pour le dîner.

– Bien, il me tarde donc de vous connaître Daphney, s'exclama nonchalamment Darnley en s'éloignant des deux jeunes femmes.

   Daphney soupira à nouveau, subjuguée par l'aura magnétique que portait l'homme. Visiblement, il savait y faire avec les femmes.

   Les Wellington prirent congés dans leurs appartements, suivis de prêt par leurs quelques domestiques portant les bagages.

   Catalina resta plantée dans le salon, repensant aux lèvres charnelles du jeune homme sur sa peau. Une myriade de papillons prirent possession de son ventre à l'instant où elle repassa la scène dans sa tête. Elle n'avait jamais pu ressentir une telle sensation. À cet instant, tout son corps n'avait été qu'une boule de frémissements distincts, suffoquant à l'approche tentatrice d'un jeune homme séduisant.

   Elle se reprit, ne voulant flancher. Après tout, ce n'était sans doute qu'un séducteur assoiffé. C'était peut-être le juger avant de le connaître mais quelque chose en lui la rendait douteuse, Catalina préférait se méfier. Il était là pour sa sœur, et il le resterait uniquement.

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