Prologue

La lune est tombée, le ciel s'est noirci. Il fait nuit, mais les étoiles lui tiennent compagnie. Elle marche, seule, les larmes aux yeux, le cœur éteint. Elle marche même si elle a mal, psychologiquement et physiquement. Un sac sur le dos, une peluche dans sa main, elle fuit. Elle fuit la douleur et la peine. Cassée et brisée, voilà ce qu'elle est. Des questions, elle en a plein en tête pourtant, sa décision est prise, elle ne reviendra pas dessus. Sa vie pourrait être que meilleure et puis, si elle meurt, elle n'aura pas de regrets, elle sera heureuse, elle aura pris une bonne décision et elle aura essayé. C'est le plus important.

Il est tard, mais le climat est doux, elle n'a pas froid. Sa lampe lui éclaire bien la route, vide à cette heure-ci, ce qui la rassure. Une petite boule de poil ajoute un peu de chaleur à son âme et à son cœur. Elle arrive dans un village inconnu, comme tout ce qui l'entoure et ce chat lui apporte un peu d'amour : il ronronne et demande quelques caresses. Son cerveau se remémore alors un moment de sa vie, une période où elle était encore plus petite.

Elle était seule, encore et toujours. Sa fenêtre était ouverte, et déjà, une envie de partir lui traversait l'esprit. Heureusement, dans la tempête, la douceur avait toujours sa place. Un léger poids se sentit sur son petit corps. Elle levait alors son oreiller doucement, et vit un petit chat. Il miaulait et se frottait à elle en quête de tendresse, chose qu'il manquait à ces deux petits êtres. Chaque soir, il venait, c'était leur retrouvaille. Il était sa lumière dans son monde fade, sans couleur et sans espoir.

Elle lui caresse alors le dos puis le bas de son menton. L'animal ronronne toujours, Emily est heureuse. Elle se sent bien ici, en sa présence. Plus qu'elle ne l'aurait jamais été si elle était restée chez elle. Elle s'assoit sur le sol, sur l'herbe parfaitement coupée, sort un vêtement qu'elle place sous sa tête et s'allonge ensuite. Le chat se rapproche, se colle à elle puis s'endort. Elle aussi, apaisée.

Le soleil se lève quelques heures plus tard. Elle s'étire et s'essuie les yeux. Son corps est toujours endolori, elle a peu dormi et tant marché. Le village est calme, le chat est parti, elle est de nouveau seule. Encore et toujours. Elle mange un morceau, boit un coup et repart juste après. Elle ne sait pas où elle va, le plus loin possible serait le mieux. Loin de sa ville, de ses parents, de ses camarades, de son passé et de ce qu'elle a connu. Loin de tout ce qui l'a brisé. 

Emily n'a jamais quitté sa petite maison. Le monde entier est un endroit à découvrir, un endroit où l'espoir, la joie, le bonheur est possible. Il est inaccessible pour celle-ci de se soigner là où tout a été cassé. La jeune adolescente a tant de rêves et d'envies pour cette nouvelle vie. Un nouveau départ, c'est tout ce dont elle a besoin. Elle veut partir, loin, mais ne cesse de se poser des questions : ses parents, ont-ils remarqué qu'elle était partie ? S'inquiètent-ils ? Probablement pas. 

À vrai dire, ils ne se sont jamais vraiment occupés de cet enfant au point que parfois, elle se demandait si elle avait été voulue, s'ils avaient remarqué sa présence, ses craintes, ses peurs. Elle avait l'impression auprès d'eux de ne pas exister, de n'être qu'un fantôme, une âme errante dans cette vie. Elle lâche un sanglot. Elle a toujours voulu être aimée, et n'en a jamais eu l'impression. Ses larmes coulent sur son visage délicat, une telle souffrance ne devrait pas exister, personne ne devrait se sentir comme s'il n'était pas important, personne ne devrait avoir à se sentir invisible.

En quelques secondes, elle reprend le contrôle d'elle-même. Elle ne veut pas sombrer, pas encore. Elle réfléchit, pense, la mer n'est pas très loin et elle a toujours voulu voir l'océan, cette étendue d'eau. Il pourrait la calmer, la soulager, lui faire oublier tout ce qu'elle a pu ressentir jusqu'à aujourd'hui. Mais que va-t-elle devenir ?

À seulement treize ans, son avenir lui semble déchiré. Elle n'a plus de maison, de famille, d'éducation. Elle n'a plus rien, il ne lui reste plus rien. C'est un petit ange aux ailes brûlées, au cœur noirci. C'est un petit ange qui a toujours vécu aux enfers.

Elle marche, marche sans arrêt. Sa tête tourne, son esprit fonctionne trop, il se pose trop de questions. Cela lui fait mal alors elle continue de marcher jusqu'à ce que son corps tombe, que le trou noir l'emporte. Elle voulait s'enfuir, vivre une vie meilleure et en une fraction de seconde, son corps déjà trop faible l'avait laissé. Lui-même semblait vouloir fuir cette souffrance insoutenable.

Emily se réveille la tête lourde, le cœur aussi. Elle ne sait pas où elle est et elle ne veut pas vraiment le savoir. Ses yeux ne sont pas assez forts pour supporter une telle lumière. Elle a échoué, son seul rêve et désir est fracassé, détruit, comme elle. Elle souhaite abandonner, si son corps l'a fait, pourquoi ses organes continuent-ils de la laisser en vie ? À quoi bon vivre lorsque l'espoir s'est éteint ? Elle respire, de plus en plus vite. Un vacarme se fait entendre, des bruits, des cris, cela l'insupporte, mais elle se sent mieux, plus légère. Une échappatoire à ce qu'Emily ressent. Une main se pose sur son bras puis sur sa tête, elle ne réagit pas, se laisse faire. La lumière est de plus en plus forte, elle serre les poings et les yeux. Y a-t-il une sortie à ce qu'elle ressent ? La vie ou la mort, laquelle est le mieux ? Le bruit s'étouffe, elle n'entend plus rien, ses battements de cœur s'affaiblissent et puis le néant. 

Emily a l'impression de revoir sa vie en boucle : des images qui l'ont traumatisée, qui l'ont brisée. Elle revoit cette solitude qu'elle a toujours connue, les rares sourires que les autres lui accordaient. Elle revoit ce chat, le seul amour qu'elle ait connu provenait de lui. Comment a-t-elle pu vivre, résister à tout ça ? Et si au final, elle n'avait pas été faible, mais juste trop forte ? Et si elle avait voulu se battre pour tout ce qu'elle voulait et souhaitait, mais que la vie n'avait jamais voulu lui faire de faveur ? Les souvenirs défilent, la mort l'emporte-t-elle ? Emily veut crier, mais aucun son ne sort de sa bouche.

Son poing se serre encore plus fort, ses ongles s'enfoncent doucement dans sa peau et puis enfin, ses yeux s'ouvrent, découvrant douloureusement l'endroit lumineux où elle est : une chambre d'hôpital. Plusieurs infirmières sont autour d'elle, la regardant fixement et captant chacun de ses gestes. 

Ses yeux s'ouvrent et se ferment lentement pour s'habituer à la lumière de la pièce. La plus jeune des infirmières chuchote quelque chose à sa collègue, qui d'un regard, fait partir le personnel hospitalier avant de sortir également.

— Bonjour, je suis Sarah, une infirmière, nous sommes à l'hôpital de Bayonne. Te rappelles-tu ce qu'il s'est passé ?

Emily réfléchit, elle ne comprend pas ce qu'elle fait ici, pourquoi une inconnue lui pose une question. Tout est flou dans son esprit. Elle veut ouvrir la bouche pour répondre seulement, aucun mot ne sort.

— Prends ton temps, ajoute-t-elle avec un regard doux. Tu es encore faible, si tu veux, je peux repasser un peu plus tard, quand tu te seras reposée.

L'adolescente affirme en hochant doucement la tête et tandis que la femme quitte la pièce, elle retombe dans les bras de Morphée. Néanmoins, sa sieste tourne rapidement au cauchemar et elle lutte intérieurement contre ses propres démons. 

Pour cela, elle observe les alentours : une chambre blanche classique, une petite table fixe à côté de la tête de lit, plutôt laide dans une couleur douteuse entre le jaune et le blanc crème, une table roulante pour prendre les repas, un siège orange vif, des rideaux et rien d'autre. Son inspection est coupée par l'infirmière de tout à l'heure.

— Tu vas mieux ? Comment te sens-tu, demande-t-elle gentiment. 

— Ça va, merci, dit-elle calmement.

— Tu vas pouvoir répondre à mes questions ?

— Je pense oui, hésite Emily.

— Bien. Te rappelles-tu donc comment tu es arrivée ici ?

— Hm, non pas vraiment. Je marchais, j'avais la tête qui tournait et je suis tombée. C'est tout.

— Une dame t'a trouvée évanouie dans la rue et a donc appelé les pompiers. C'est pour cela que tu es ici. Tu as plusieurs lésions sur le corps, des marques et des cicatrices, tu es également très faible donc tu vas devoir rester ici quelques jours. 

L'infirmière la regarde d'un œil inquiet comme si elle sondait Emily, à la recherche de plus d'explications. 

— Nous n'avons trouvé aucune information sur toi et ta famille, aucune disparition d'enfant n'a été signalée par conséquent, nous n'avons pu appeler personne, reprend-elle d'une voix plus douce. Nous allons t'apporter un plateau-repas pour que tu puisses prendre un peu de force. Peux-tu juste me donner ton nom, ton prénom, ta date de naissance et me dire si tu as des allergies, une maladie ou un traitement en cours par mesure de sécurité ?

— Je m'appelle Emily, je suis née le 13 mars 2008. Je n'ai aucune maladies, allergies à ma connaissance et aucun traitement en cours. Je ne me souviens plus de mon nom et je ne connais personne de ma famille qui puisse venir me chercher... Mes parents sont morts récemment et je n'ai ni frère, ni sœur, il ne me reste rien, annonce-t-elle d'une voix brisée.

La jeune fille sait que mentir ne va pas l'aider, mais elle ne veut pas que quelqu'un sache la vérité. C'est trop tôt. Et puis qui pourrait la croire ? Elle peut seulement espérer aujourd'hui que ça ne lui attirerait pas trop de problèmes.

— Tu n'as pas été placée en foyer ou quelque chose comme cela ? demande l'infirmière surprise.

— Non, comme je vous l'ai dit, je n'ai personne. Qui pouvait faire la demande ?

— Bon et bien je vais voir cela avec le personnel. Le médecin viendra te voir demain matin. Merci pour tes réponses, repose-toi bien.

Emily lui adresse un faible sourire comme simple réponse. La pièce se vide à nouveau, elle replonge alors dans ses souvenirs. Seulement, une femme en blouse, le sourire aux lèvres, arrive avec un plateau sur une table roulante, le fameux bracelet, des étiquettes contenant ces informations de base, un carnet ainsi qu'un stylo.

— Tiens, il faut que tu manges un peu pour reprendre des forces et sortir de là assez rapidement. Le carnet, c'est pour écrire dedans tout ce que tu ressens. C'est la psychologue qui demande que les patients en ait un, généralement c'est la famille qui l'offre, mais dans ton cas c'est un peu plus compliqué. Quand j'avais ton âge, cela m'aidait à extérioriser toute la douleur et les sentiments que je ressentais. J'espère que cela pourra t'aider, prends soin de toi, tu es encore jeune.

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