53. Aï
Nous sommes le 22 Juillet. J'ai 17 ans. Je me réveille dans la chambre de Tooru, sur un matelas, par terre. Il dormait quand je suis arrivé. Je me voyais mal me glisser à côté de lui. J'ai eu froid toute la nuit. Il est dix heures quand j'ouvre les yeux. Évidemment, Tooru n'est plus là. Sa mère oui, par contre. Elle me prend dans ses bras avant de me proposer un chocolat chaud et des gâteaux. Elle chantonne en me servant. Je n'arrive pas à sourire. Je la regarde s'affairer, sans vraiment comprendre pourquoi elle fait ça. Ce ne serait pas plus simple pour elle si elle me laissait me débrouiller seule? Ou alors elle ne me fait pas assez confiance pour fouiller dans ses placards? Elle parle mais je ne retiens pas ce qu'elle me dit. Je n'arrive pas à comprendre correctement ses propos. Je n'arrive pas à me concentrer dessus. Mon esprit divague. Elle pose la tasse devant moi et repars aussitôt préparer le repas. La regarder s'occuper ainsi me fatigue. Je fixe la boisson chaude sans grande conviction. J'en boit une ou deux gorgées quand elle me regarde, pour lui faire plaisir. Je ne touche pas aux gâteaux. Je n'ai pas faim. Je trouve ce chocolat écoeurant. Il ne me donne pas envie de l'accompagner. Elle s'arrête soudainement devant le calendrier accroché sur le frigo. Elle vient me prendre dans ses bras en me souhaitant un bon anniversaire. Je la remercie plus par politesse que réelle gratitude. Peu importe quel jour on est. Il reviendra l'an prochain. Pourquoi le fêter? Cet événement nous rappelle que nous nous rapprochons tous les jours de la mort. C'est déprimant. Madame Oikawa pose un paquet cadeau devant moi. Je l'ouvre sans grande conviction. C'est une flèche. Elle est magnifique. Elle est en bois. La tige est striée et les plumes sont d'un vert hypnotisant. C'est une flèche décorative. J'ai envie de pleurer. Je pleure. Elle me serre contre elle en me souhaitant encore une fois une bonne fête.
– Je ne sais pas pourquoi tu déprimes. C'est à cause d'un garçon?
– Oui. Je réponds, peu désireuse de mentir.
– Ne t'inquiète pas! Peu importe les problèmes de cœur, ton grand frère sera toujours là pour toi, lui!
Je ne lui réponds pas, mais elle ne s'en formalise pas. J'ai envie de prendre la tasse et de l'envoyer voler. A la place, je la ramène dans l'évier. Je vais m'habiller. Quand j'ai fini, je remercie chaleureusement la femme et lui annonce que je pars. Elle propose de me raccompagner mais je lui assure que tout ira bien. Nash m'attends devant. Je sais qu'il surveille la maison depuis que je me suis levé. Il n'est pas très discret. Je pense qu'il ne cherche pas à l'être. Il s'incline profondément devant Oikawa. Elle lui sourit et accepte de me laisser partir.
Nash me rend mon skate. Je ne sais pas où il était. Je m'en fiche. Je ne l'attends pas, je pars vers la maison. Je croise Maï et Sugawara. Ils se rendent en ville. Je les salue et repars. Je n'ai pas envie qu'elle me pose des questions. Il n'y a personne chez moi. Sur la table du salon sont posés deux cadeaux et le fixe annonce un message vocal. On ne se sert jamais du fixe. Je déclenche l'enregistrement.
"Joyeux anniversaire!!!" Résonnent les voix de mes parents. "Je sais que ce n'est pas exactement ce que tu as demandé mais c'était en rupture de stock. Je l'ai donc pris en blanc plutôt qu'en gris. J'espère qu'il te plaira quand même. Je suis sûre que tu passeras une excellente journée avec Akaashi et Bokuto. Appelle-nous quand tu es arrivé à Tokyo, d'accord?"
Elle sait donc que je retourne à Tokyo. Je pense que ce n'était pas difficile à deviner. Je deviens prévisible après une dispute avec Hajime. Je déballe le premier cadeau. Ce sont des cadres photo. Il y en a deux. Un noir et un blanc. Le blanc aurait dû être gris mais ce n'est pas grave. J'hésitais entre les deux de toute façon. Le deuxième cadeau est plus gros. Je n'avais rien demandé de spécifique à mes parents. Ils m'ont surpris à regarder ces cadres sur internet donc je savais que je les aurais. Ils en étaient conscients. Je déballe le cadeau et me remets à pleurer. C'est le coffre complet des deux jeux "Ori". Il contient les jeux "Ori and the Blind Forest" et "Ori and the Will of the Wisps", un poster pour chaque jeux, les CD contenant toutes les bandes-sons des jeux, des stickers, des housses aux couleurs des jeux pour les joy-cons, une plaque au style vitrail, un artbook, un guide sur la faune et la flore de la saga, des lithographies, et un Pin's. Je ne pensais même pas en voir un jour la couleur, vu qu'il coûte près de deux cent dollars. Je n'arrive pas à arrêter de pleurer. Le premier volet est mon jeu préféré et je n'ai pas encore jouer au deuxième. J'ai hâte de l'essayer. Je mets les trois cadeaux dans la valise et me dirige vers la porte d'entrée. Hajime l'ouvre à ce moment-là. Il me lance un regard désintéressé.
– C'est toi. Soupire-t-il. Ferme la porte en partant. Tu as mangé?
– Non.
– Tu n'as rien fait?
– Non.
– Donc je vais devoir faire le repas.
– Au revoir.
Il ne me répond pas. Il est vexé. Papa a dû le punir sévèrement. Je leur ai dit que ça m'était égal, mais je suis triste. Je ne voulais pas qu'il soit réprimandé par ma faute. Peut être que si j'avais insisté un peu plus, il aurait pu y échapper. J'ai encore envie de pleurer. Je me rends à la gare. Je sais que j'ai inquiété Maï tout à l'heure. Je l'appellerai quand je serai à l'appart. Nous sommes dimanche. Koutarou et Keiji sont retournés chez eux hier soir. Mon téléphone sonne. Quand on parle du loup. Je ne suis pas sûre de pouvoir parler sans me mettre à pleurer encore une fois. Je ne décroche pas et lui demande si nous pouvons discuter par message. Je prétexte que je ne suis pas encore à l'appartement et que je n'aime pas appeler dans le train. En l'occurrence, les deux raisons sont réelles mais n'entrent pas en ligne de compte cette fois.
De: Keiji ❤
"Tout va bien?"
De: Moi
"Oui pourquoi?"
De: Keiji ❤
"Je ne sais pas, j'ai un mauvais pressentiment. Tu me le dirais si ça n'allait pas, n'est-ce pas?"
"Aï? T'es là?"
"Aï?"
"Réponds s'il te plaît"
De: Moi
"Pardon, j'étais occupé. Tout va bien, je te dis. Comment vont tes parents?"
De: Keiji ❤
"Bien. Ils te souhaitent un joyeux anniversaire. Moi aussi. Joyeux anniversaire."
De: Moi
"Merci. Je dois y aller. A bientôt."
De: Keiji ❤
"Dis moi si quelque chose ne va pas. Bonne soirée, gros bisous de nous trois."
Comment fait-il pour sentir quand je ne vais pas bien? Il tape juste à chaque fois, même quand je ne suis pas avec lui. Il a une sorte de super-pouvoir? C'est peut être la conséquence du temps passé ensemble. Au bout de cinq ans, à vivre ensemble tous les week-end et pendant certaines vacances, il sent le moindre changement d'humeur chez moi. J'ai encore envie de pleurer. Le garçon assis face à moi dans le train se tend. Je le mets mal à l'aise. Je me sens désolé pour lui. Surtout que Koutarou vient de m'envoyer un message alors je ne vais pas me calmer tout de suite.
De: Kou🦉❤
"Coucou princesse. Joyeux anniversaire et très très gros bisous ma belle. Je ne peux pas être là ce soir mais je te promets que demain on fête ça ensemble. Je t'embrasse très fort, fais de beaux rêves."
"Kuroo te souhaite un bon anniversaire aussi."
"Il me fait dire que tu as de la chance d'avoir 17 ans et que l'an prochain, il te prévoit une fête d'anniversaire dont tu lui diras des nouvelles."
De: Moi
"Gros gros bisous à toi mon petit hiboux adoré! Merci!!!❤❤❤"
"Tu es avec Kuroo!?"
"Et pour Kuroo: vas y je t'attends!!!"
"Qu'il fasse attention à lui, son anniversaire n'est pas encore passé et il va avoir 18 ans cette année!"
De: Kou🦉❤
"Non, mais nous discutons par messages. Il y a sa futur copine chez lui alors il est tout retourner! 😂😉"
"Il regrette ses paroles!😂😂"
De: Moi
"Emmerde le de ma part, je te fais confiance! 😂😂 Bisous à vous deux les garçons. Bonne soirée 😘"
De: Kou🦉❤
"Biz biz! (Ouais t'inquiète il va rien comprendre à sa vie!) Bonne soirée!😘"
Koutarou est champion pour mettre mal a l'aide dans ces cas là. J'arrive bientôt à Tokyo et sort du train. Heureusement, l'appartement est assez près de la gare pour ne pas que j'ai besoin de prendre le métro. Maï m'appelle. Je la rassure. Je lui mens vertement. Je n'ai pas envie de parler et ses questions me dérangent. Je rentre et ferme la porte derrière moi. Je n'ai pas envie de devoir revenir. Je pose ma valise en travers de la chambre et sort un pyjama. Je vais aller prendre un bain, en premier lieu. Je me sens toute collante. Je fais couler l'eau et sélectionne une dague, que je garde à portée de main dans le bain, comme à chaque fois. Les garçons ne savent pas que je fais ça, comme Koutarou n'entre dans la salle de bain qu'une fois que j'ai fermé le rideaux de la baignoire. Je me lave devant le miroir avant de me glisser dans l'eau brûlante du bain. Mes cheveux d'un noir profond tranchent avec ma peau d'un blanc immaculé. Je vois mes veines à travers mes bras. Je lève le poignet gauche pour observer plus attentivement le tracé bleu qui ressort. Je pose deux doigts et appuie. Sans que je ne comprenne pourquoi, sentir mon pouls de cette façon me dégoute. En fait, après avoir enlevé les doigts de ma peau, c'est le battement de mon cœur qui me dégoûte. Ma peau aussi. Une peau trop lisse. Comme celle d'un crapaud. Trop blanche. Comme celle d'un cadavre. Mes cheveux aussi. Ils sont si fins, est-ce que c'est possible? Mon regard tombe sur le poignard. Mes cheveux sont noirs, ma peau est blanche. Ça manque de couleur. J'attrape ma dague. "C'est dangereux !!" s'affole une voix dans ma tête. Dangereux ? Et alors ? Mon existence est un danger, autant pour moi que pour les autres. Qu'importe les risques. J'ai envie de voir de la couleur. Une couleur vive ! Une couleur synonyme de vie ! Une couleur qui tranche avec ce tableau gris et terne qu'est ma vie. Une couleur synonyme de mort ! Une couleur qui me rappelle ces moments où ce n'étais pas moi la victime de la colère de Hajime. Une couleur qui me rappelle cet instant où il a tabassé un homme parce qu'il essayait de me toucher. Je fais rouler la dague entre mes doigts comme je m'amuserai avec une vulgaire pièce de monnaie. Le gris argenté va si bien avec l'opale. Le fil parfaitement aiguisé transperce ma peau sans effort. La vue du sang qui coule me fascine. Sans parler de la vision du sang et de l'eau se mélangeant. Je me sens défaillir. Il n'y a pas assez de sang. Je prends la dague de la main gauche. Elle tremble, mais la lame est bien trop coupante pour que ma peau n'oppose la moindre résistance. Je laisse l'arme tomber sur le carrelage. Mon sang est foncé. Il se mêle à l'eau, à mes cheveux, à ma peau. Mettre une plaie aussi ouverte dans l'eau bouillante fait un mal de chien mais le spectacle du sang qui s'en dégage en vaut la peine.
J'ai la tête lourde. La pièce tourne. Je glisse pour me mettre dans une position confortable. Je suis fatigué. J'ai envie de dormir. J'ai la tête hors de l'eau. Et puis si je glisse, l'instinct de survie me réveillera, non? Je suis si bien, là? Le noir m'envahit et je le laisse m'emporter.
A suivre... ?
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