51. Nash
Nous restons sans voix face à cette déclaration. Elle est assise sur le lit, les jambes croisées, les doigts croisés sur ses jambes. J'ai la très étrange certitude qu'elle ne plaisante pas. Je tourne la tête vers le maître mais il a repris l'observation des flammes. Aï le fixe. J'ai l'impression de ne pas être à ma place. Je me lève mais la voix de l'homme m'interrompt.
– Nash. Reste assis. Aï, explique toi.
– Expliquer?
– Tu as l'air assez remise pour nous sortir des conneries pareilles, alors je veux savoir ce qu'il s'est passé.
Aï devient furieuse. Elle se lève d'un bond et, comme à chaque fois que la colère brille dans ses prunelles, j'ai envie de me transformer en souris. Mes entrailles se tordent de peur malgré moi. J'ai devant moi une prédatrice face à une proie. J'ai la sensation que la proie, c'est moi. Elle ne me regarde pas. Elle est toute entière concentrée sur l'homme. Il n'a pas levé la tête. Je sens la fureur d'Aï grandir et, instinctivement, je cherche un moyen de désamorcer la crise. Le maître lève les yeux vers elle. Il est serein, sérieux.
– Aï, ne me force pas à faire usage de la force. Assieds toi. Je veux un compte rendu détaillé de ta journée.
Un compte rendu? Elle se laisse tomber sur le matelas. Les mains de chaque côté des genoux, elle fixe le sol. Elle commence alors à raconter. Elle commence au milieu de ses vacances. Son frère a surpris une conversation entre ses parents disant que le village de pêcheur était en réalité le village natal d'Aï. Ils n'y retournent pas pour ça, mais ils trouvent que la coïncidence est... au mieux comique. Je ne vois pas le rapport avec son état végétatif de toute à l'heure. Dans la conversation entre ses deux parents est fait la mention qu'elle n'est pas leur fille biologique. Elle se tait et il me faut quelques secondes pour assimiler l'information. Le maître ne montre rien et Aï me regarde. J'ouvre les bras au-dessus de la table.
– Et alors?
– Ça ne t'étonne pas?
– C'est sûr que ça fait un choc, et que pour moi tu seras toujours la fille des Iwaizumi. De là à en faire tout un plat... C'est toi qui devrait être choqué. C'est pour ça que tu as fui de chez toi?
– Non. Je le savais déjà, en fait.
– Comment ça?
– Il y a trois... peut-être quatre ans? Bref, j'ai trouvé le formulaire d'adoption dans la chambre de mes parents. J'en ai parlé au maître, qui m'a affirmé qu'il fallait que j'en parle avec eux. Je n'en avais pas le courage mais ma mère a deviné que j'étais tombé sur le papier. C'est elle qui a abordé la conversation. En présence de mon père. Ils comptaient dévoiler ce fait une fois que nous serions adulte. Elle m'a expliquer que, de base, un frère et une soeur ont un tas de brique chacun. Leur environnement joue énormément à les influencer sur leurs décision de créer un mur, ou un pont. Dire aux deux enfants qu'ils ne sont pas liés par le sang, surtout lorsqu'ils ont une relation aussi mitigée que la nôtre, c'était détruire le petit morceau de pont que nous avions construit tant bien que mal.
– Donc tu l'as bien pris?
– Je ne vois pas pourquoi je leur en aurais voulu. Une fois qu'ils m'ont eu expliquer les circonstances, il n'y avait plus rien à dire. Leur comportement envers moi n'a pas changé d'un iota.
– Et ton frère?
– Sa réaction n'a pas été la même du tout. Comme je le disais, il a surpris la conversation de mes parents. Ils ne savaient pas qu'il était là. Il n'est pas au courant que je le sais. Enfin... Il pense qu'il me l'a appris tout à l'heure en me le balançant à la figure. Je ne sais pas trop ce qu'il lui a pris.
– Reprends. Ordonne soudainement le maître.
– Quoi?
– Ce que tu fais là, c'est raconter la situation à un ami. Ce n'est pas ce que je t'ai demandé. Fais moi un compte rendu complet.
Elle hoche la tête, se redresse et reprend là où elle s'était arrêtée. Elle décrit comment elle a surpris son frère en train d'écouter aux portes, comment il a pâlit et sa façon de l'éviter le reste de la semaine. Sur le chemin du retour, il est resté morose. Aï ne sait pas si c'est à cause de ces nouvelles informations ou d'une dispute avec son père. Le maître la reprend en lui disant qu'il veut connaître les faits et non ses théories. Ils se pencheront dessus plus tard. Elle acquiesce et explique que sa mère et elle ont fait abstraction des humeurs massacrantes des deux hommes pour chanter et s'amuser dans la voiture. Elles ne se sont pas arrêtées une fois arrivées et la bonne humeur les a accompagné pendant qu'elles déchargeaient les valises. Aï a alors demandé à son frère de l'aider à porter son sac de souvenir, je cite: "parce qu'il n'allait pas laisser sa petite sœur adorée porter un sac aussi lourd." Iwaizumi s'est donc retourné pour lui hurler qu'elle n'était pas sa sœur et qu'elle ne leur apportait que des problèmes. Si je peux comprendre qu'il ai craquer en lui avouant qu'ils n'ont pas de lien de sang, je vois mal pourquoi il a ajouté qu'elle n'apportait que des problèmes. Elle stoppe son récit. Le maître lève un sourcil et lui ordonne de continuer. Je ne sais pas ce qu'il y a de plus à dire mais au vu du regard implorant qu'elle lui lance, je dois être le seul. Elle va finalement se mettre en boule contre le mur, la couverture sur les genoux.
Quand elle se remet à parler, sa voix tremble légèrement. Elle nous raconte son ressenti. Elle nous décrit la douleur en comprenant qu'il était sérieux, la colère quand elle s'est demandé pourquoi il la rejetait et enfin le désespoir quand elle s'est aperçue que leur relation ne faisait qu'empirer, qu'elle n'arrivait pas à la redresser. Elle se mit à pleurer et à énumérer toutes ses fautes vis-à-vis de lui. Elle commença à l'âge de cinq ans, le jour où son frère s'était rendu compte qu'elle faisait le mur pour aller jouer dehors pendant la sieste. Mon estomac se serra et je crut vomir quand elle intégra "partir en filière sportive à Tokyo" dans la liste. Sa plus grande passion était le tir à l'arc. Elle se battrait bientôt contre la deuxième personne la plus douée du Japon pour savoir qui partirait en France pour représenter le pays du soleil levant. Elle en était fière. Elle avait toujours les yeux qui brillaient quand elle parlait de ses entraînements. Elle était toujours de bonne humeur quand elle tirait. Elle était toujours extrêmement heureuse quand elle gagnait un tournoi. Iwaizumi en avait fait une honte. Il avait transformé sa passion en regret. Personne ne mériterait ça. Il n'a pas le droit de lui faire ça. Il est son frère, bon sang! Il devrait l'encourager. Je me sens furieux. Il mériterait de prendre une raclée, peut-être qu'il descendrait sur terre.
Le maître fait un petit bruit dans ma direction et je me rends compte que je me suis levé. Aï a la tête dans ses bras. Ses épaules ne convulsent plus à cause de ses sanglots. L'adulte se lève et la pousse légèrement sur le côté. Elle s'est rendormie. Il l'allonge correctement. Je me sens honteux de m'être ainsi énervé alors qu'elle se sent mal. Je dois faire plus attention à elle. Il faut absolument que Sab et Tyse la rejoignent à Tokyo le plus vite possible. Je sais que leurs inscriptions sont terminées mais ils cherchent un appartement pour une colocation, actuellement. Je demanderai à Maï pour qu'elle pousse un peu les recherches. Nous trouver un centre d'opération digne de ce nom peut attendre. Nous nous servirons de celui de l'autre là. Celui que la princesse a tué... Mince j'ai oublié son nom. Tant pis. La priorité est de trouver un appartement non loin d'elle pour Tyse et Sab.
Je sursaute quand le maître pose un livre devant moi. Je baisse les yeux sur "1 000 et un simple". Qu'est-ce que ça veut dire?
– Tu as sommeille?
– Non.
– Alors bûche ça.
– C'est quoi?
– Un livre sur différentes plantes et leurs propriétés. Nous allons laisser Aï dormir ici. Ensuite, nous l'enverrons chez Oikawa.
– Il est quelle heure?
– Bientôt deux heures du matin. Je dois aller voir Stella. Reste ici. Ne touche à rien. Voilà du papier et un stylo si tu en as besoin. Tu es grand Nash, je te fais confiance.
Je suis flatté. Je lui promets de ne rien toucher. Il semble déchiré entre rester ou partir. Il soupire, met ses chaussures et part. Je me plonge dans le livre qu'il m'a donné. Je le trouve très intéressant. Il y a des plantes dont je ne connaissais même pas l'existence. Je ne savais pas qu'il y avait autant de miels différents et qu'ils avaient tous des particularités différentes. Il faudrait que je les goûte. C'est bien beau de connaître leurs effets, si je ne sais pas les reconnaître, c'est inutile. Je suis plongé dans les informations dispensées par le livre quand une main se pose sur mon épaule. Je lève brusquement la tête. C'est Aï. Je ne l'ai pas entendu se lever. Quel idiot! Elle aurait pu partir que je n'en aurais rien su. Je me met une gifle mentale. Je m'en met une deuxième quand je porte attention à la brune. Elle tremble, elle est pieds-nue. Son visage ne transmet aucune émotion. Son regard est vide. Je la détaille un peu mieux. J'ai l'impression de me retrouver face à une enfant abandonnée. Elle a la tête baissée, les pieds tournés l'un vers l'autre, les mains jointes devant elle. Je me lève mais elle ne bouge pas. Je lui annonce que je l'emmène chez Oikawa et elle hoche la tête. Je la laisse mettre ses chaussures. Je lui donne ma veste. Elle ouvre la bouche pour protester mais je la devance: j'ai un manteau. Elle n'a donc aucune raison de refuser. Stella ouvre la porte au moment où Aï pose la main sur la poignée. La comédienne nous laisse passer. Nous saluons le duo et partons. Le trajet se fait en silence. Je la laisse entrer dans le jardin, puis je vais me dissimuler dans les ombres. Elle sonne. C'est une femme qui vient lui ouvrir. Elle lui fait un sourire pâle.
– Je peux demander l'asile?
– Bien sûr ma chérie, entre. S'affole la mère du volleyeur. Oh la la mais tu as une mine affreuse.
La porte se referme. Je suis rassuré, elle est entre de bonnes mains. Direction le manoir des Sasaki.
A suivre...
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