50. Détresse

- TU N'ES PAS MA SOEUR!
- HAJIME! Rugit son père.
- Ils auraient mieux fait de ne jamais accepter la proposition, nous aurions eu beaucoup moins de problèmes.

La jeune fille écarquilla les yeux face à cette déclaration. Elle ouvrit la bouche mais son aîné lui tourna le dos. Avant que quiconque ait pu bouger, il entra dans le jardin et se dirigea à grand pas vers la porte d'entrée.

- Ma chérie, ne l'écoute pas. Tenta sa mère.
- Il n'a pas tord. L'interrompit la brune en se retournant. Je vais chez Tooru. Ou chez Nash. Je ne sais pas encore, on verra.
- D'accord. Accepta son père Soit sur qu'il sera puni...
- Ce n'est pas mon problème. Je ne suis pas votre fille.

Sur cette dernière déclaration, elle monta sur la planche de skate-board et poussa avec force dessus. Elle s'éloigna rapidement. Elle refusait de pleurer. Pas pour lui. Pas comme ça. Elle avait survécu à pire. Elle avait pris des coups. Elle avait été tailladée. Elle avait servi de cible, avait survécu à des balles. Elle avait même été empoisonnée, une fois. Elle avait sous ses ordres un nombre incalculable d'hommes et des amis incroyables à ses côtés. Maï et sa gentillesse. Nash et sa tolérance. Sab et son intelligence. Tyse et sa douceur. Aika et son caractère trempé. Audrey le cookie et son enthousiasme. Ilyas le chamallow et son instinct protecteur surdéveloppé. Kuroo et son humour douteux. Kenma et ses remarques toujours bien placées. Koutarou qui savait toujours quoi dire pour lui remonter le moral. Keiji qui savait toujours deviner ce qui n'allait pas. Il ne méritait pas ses larmes. Elle renifla une fois. L'air frais devint perçant sur son visage trempé. Elle renifla deux fois. Sa vue se troubla à nouveau. Elle secoua la tête. Elle avait envie de vomir. Elle dût prendre plusieurs grandes inspirations pour calmer son estomac. D'où est-ce que c'était parti, au juste? Qu'est-ce qu'elle avait fait? Était-elle allée trop loin? Elle avait le sarcasme facile, est-ce qu'elle l'avait blessé? Elle s'arrêta dans un parc et se laissa tomber sur un banc. Elle leva les yeux vers le ciel nuageux. Du bout du pied, elle faisait faire des va-et-vient à son skate. Le banc se baissa un peu. Une faible odeur de sueur lui envahit les narines. Elle savait qui était là.

Il revenait de la salle de musculation quand il l'avait vu s'asseoir sur ce banc. Il partait se préparer pour la surprise. Elle n'était pas censée être seule. Elle n'était jamais seule. Sauf à cet instant, où des larmes traçaient des sillons glacés sur sa peau. Ses lèvres, rosées et brillantes, étaient devenues pâles et craquantes. Des cernes noirs ressortaient sur son teint de lune. Ses fines mains tremblaient et, plus que jamais, il la trouva squelettique. Sa mère l'avait élevé dans le respect d'autrui. Il avait appris, à ses risques et périls, qu'il ne devait jamais forcé personne à parler, encore moins une femme. Alors une femme comme Aï, lui forcer la main pouvait trés certainement le tuer. Il se mit à réfléchir. Elle n'allait pas bien. Elle n'avait jamais montré une telle faiblesse. Il l'avait déjà vu blessé ou encore fatigué à en dormir debout. Il l'avait vu folle de rage, prête a tuer tous ceux qui l'empêcheraient d'atteindre son but. Il la connaissait têtue mais aussi désespérée, aimante, joueuse, conciliante, colérique, lassée, intransigeante, insupportable. En revanche, il ne l'avait jamais vu vide. Dépouillé de... de tout. Elle respirait, elle transpirait la douleur. Essayant de se figurer comment sa mère faisait pour les consoler, il tenta de lui prendre la main. Elle tressaillit et écarta la sienne comme s'il l'avait brûlé. Il n'était pas très doué avec les mots, mais peut-être que lui parler la réveillerait. Mais qu'est-ce qu'il pouvait lui dire? L'accablement le saisit. Il était vraiment un incapable. Sab arriva en courant, essoufflé.

- Je t'ai trouvé. Lança le brun en reprenant difficilement une respiration plus calme, sans préciser à qui il parlait.
- Je ne sais pas quoi faire.
- Tu m'étonnes. Elle t'a expliqué?
- Non, je l'ai trouvé comme ça. Elle me fait peur.
- Moi aussi. Murmura Sab en gardant les yeux fixés sur elle.
- J'ai essayé de la toucher mais elle s'écarte dès qu'elle me sent trop près. Je voulais lui parler, mais je ne sais pas quoi dire. Comment font- ils, nos parents, pour nous consoler?
- Crois moi qu'ils n'ont jamais eu affaire avec une situation pareille.
- Qu'est-ce qui se passe?
- Je t'expliquerai plus tard. Soupira Sab en attrapant son téléphone. Allô? Je l'ai trouvé. On est dans un petit parc, près de Wakano. Ouais celui-là. D'accord, j'appelle Nash et son maître.

Il tapotait sur son téléphone quand Aï se releva lentement. Elle ramena ses jambes sous elle pour s'asseoir en tailleur. Elle s'affaissa ensuite sur elle-même. Sab la regarda faire attentivement, les lèvres pincées. En voyant qu'elle ne parlait toujours pas, il reprit ce qu'il faisait. Il passa encore un coup de fil avant d'aller s'accroupir devant elle.

- Ai. Tu m'entends? Parfait. Nash et ton maître vont arriver. Tu veux parler de ce qu'il s'est passé? D'accord... Tu as froid? Tu es en t-shirt et il pleut. Prends mon pull. Aï, s'il te plait. Insista-t-il alors qu'elle secouait la tête.
- Je vais lui donner ma veste. Dis le deuxième adolescent en l'enlevant. Elle n'a pas besoin de la mettre, je peux simplement la poser sur ses épau... Aï, il faut que tu la gardes, tu vas tomber malade.

Tombé malade? Et alors? Elle s'en fichait. Qui s'en souciait? Tyse lui remit encore une fois le vêtement sur les épaules et elle abandonna. Il était déjà mouillé en grande partie et elle le ressentait plus comme un poid que comme une protection. Elle aurait aimé être seule mais sa gorge refusait de lui obéir. Elle n'avait plus de force. Elle voulait simplement rester ici, courbée, et laisser la pluie ruisseler sur sa nuque. L'eau lui rappelait qu'elle n'était qu'un élément du décor. Plus insignifiante que le petit arbuste qui s'efforçait de pousser entre deux gros chênes, là-bas. Plus pitoyable que la colonne de fourmis qui tentait tant bien que mal de se mettre à l'abri du déluge. L'arbuste, les fourmis, ou encore cet oiseau surpris par l'averse. Elle leur trouva un point commun: ils contribuaient à la vie, ils faisaient partie d'un écosystème. Pas elle. La personne qu'elle aimait le plus, celui pour lequel elle aurait tout sacrifier, jusqu'à sa propre vie, se fichait d'elle. "Frère".... Elle trouvait toujours ce mot empli d'un espoir sous-jacent. Même si tout était perdu, même si le pire malheur intervenait, tant qu'il lui restait son frère, se relever était possible. Et maintenant? Vers qui se tournera-t-elle quand ses parents partiront? Ses parents... A qui est-ce qu'elle mentait? Ce n'étaient même pas ses parents! Hajime avait raison, ils n'auraient jamais dû l'adopter. Si elle était restée à l'orphelinat, serait-elle devenue une tueuse? Aurait-elle libéré le monstre en elle? Non, bien sûr que non. Elle était pitoyable, vraiment. Elle détruisait toujours tout autour d'elle.

La voix de Nash semblait lointaine. Il lui prit la main. Elle voulut se débattre mais ses forces faiblissantes l'empêchaient d'opposer une résistance efficace. Il la força à se lever. Elle ne sentait plus ses jambes. Elle avait à peine fait deux pas que ces dernières abandonnèrent toutes idées de luttes et flanchèrent. Son visage entra durement en contact avec le sol. Nash la retourna et elle sentit un liquide chaud couler sur sa tempe. Avec l'aide de Sab et Tyse, il la prit comme une princesse. Il s'attendait sûrement à ce qu'elle soit plus lourde car il eut un déséquilibre arrière en la soulevant du sol. Elle laissa sa tête ballotter au rythme des pas. Elle sentit une main se poser sur son front puis appuyer sa tête contre le torse de Nash, calée contre l'épaule. Elle voyait la scène comme si elle ne la vivait pas. Elle avait l'impression de quitter son corps. La chaleur de Nash se transmis à son visage figé de froid. Ses paupières s'alourdirent et elle ferma les yeux. Le noir commença à l'envahir. Elle se sentait bien, maintenant. Les pas s'arrêtèrent. Ils reprirent bientôt, plus rapides. Des bribes de conversations lui arrivaient, comme dans une radio sur la mauvaise fréquence.

- A l'hôpital.
- Non. Murmura-t-elle. Non, pas... pas... l'ho... pital...
- Ne fais pas l'enfant. Gronda la voix de Nash.
- Chez toi. J'ai juste.... besoin de... dormir...
- Ne raconte pas n'importe quoi! Tu es gelé et ta respiration ralentit dès que tu fermes les yeux. Je ne suis même pas sûre que tu arrives jusque chez moi.
- Je ne veux pas... Elle prit quelques inspirations et eut l'impression de respirer de l'eau.

Elle eut une faible toux et sa respiration devint sifflante.

- Elle ne veut pas y aller, d'accord! Se retourna soudainement le maître. On l'emmène chez moi.

Nash en resta bouche bée. Il avait toujours refusé de les amener chez lui. D'après Ai, elle non plus ne connaissait même pas son adresse. L'adulte leur fit traverser trois petites rues et monter à un escalier de secours miteux avant d'ouvrir une première porte en fer. Elle donnait sur un long couloir. Les murs étaient jaunes pâles et le sol marron. De vieilles lampes rétro industrielles étaient allumées malgré qu'il fasse encore jour. La lumière diffuse ainsi dispensée rendait l'espace étouffant et oppressant. Heureusement, Kita ouvrit rapidement une des portes se présentant. L'immeuble semblait vieux mais la porte était dans un style qui était déjà rétro dans les années 80. Ils entrèrent. Kita enleva ses chaussures et prit Aï des bras de Nash en lui ordonnant de faire la même chose. Le brun s'exécuta avant de détailler la pièce. En entrant, il y avait la cuisine à gauche. Elle était équipée, fonctionnelle, et dans les tons marrons, comme l'appartement tout entier. Une table ronde avec trois chaises trônait au centre de la pièce. A droite, il y avait une commode, un lit tout au fond, contre le mur et une cheminée sur le mur opposée à la porte.

Kita posa Aï sur le lit et entreprit de la déshabiller, provoquant un froncement de sourcil chez Nash.

- Qu'est-ce que vous faites?
- Aide moi. Les vêtements mouillés la maintiennent au froid, il faut les lui enlever pour les faire sécher et permettre à la couverture de la réchauffer correctement. Ne me regarde pas comme ça, j'essaie de lui sauver la vie. Sa respiration est de plus en plus sifflante, ça m'inquiète. Bon puisque tu ne veux pas m'aider, appelle Honokaya.
- Aika?
- Mais non, sa mère!

Nash eut un temps d'arrêt. Il n'avait pas le numéro du médecin. Il décida alors d'appeler la blonde. Il eut un immense soupir de soulagement quand elle confirma être près de sa mère. Kita dut lui prendre le téléphone pour indiquer l'adresse. Il fallut une demi-heure à la femme pour trouver l'appartement. Durant ce temps, Nash resta près du lit. Aï ne bougeait pas, ne toussait pas, ne transpirait pas. Elle était tellement silencieuse et immobile que par trois fois, Kita et Nash vérifièrent qu'elle respirait.

En voyant Ai dans cet état, Aika eut un vertige et Nash dû l'aider à s'asseoir. Kita et Sabishisa, Sabi pour les intimes, se concentrèrent sur la malade. Après un examen approfondi et un sermon sur la nécessité d'aller à l'hôpital quand ça ne concerne pas leurs activités illégales, Sabi déclara qu'elle n'avait rien de grave maintenant qu'elle était au chaud et que quelques jours au chaud, à se gaver de soupe et de pain ne lui ferait pas de mal. Elle leur fit également remarquer que rester sous la pluie torrentielle avec un simple t-shirt sur le dos devait valoir à Ai un bon remontage de bretelles. La brune avait frisé la mort par hypothermie. Aika décida de rester après que sa mère soit partie, surtout pour pouvoir s'occuper d'Ai à la place des garçons.

Ai se réveilla trois heures plus tard. Aika et Nash dormaient sur la table et Kita était dans un fauteuil devant la cheminée. La brune se leva, sans considération pour son corps pratiquement nu. L'air las et dépressif qu'elle arborait depuis que Tyse l'avait trouvé ne l'avait pas quitté. La brune se dirigea vers la cheminée et ramassa ses vêtements, sans gêne. Elle se rhabilla et alla réveiller Aika.

- Tu vas mieux?
- Oui, merci d'être resté pour veiller sur moi. Sourit Aï d'un air doux, masquant le torrent de douleur toujours présent en elle.
- J'ai eu tellement peur. Se mit à sangloter Aika en la prenant dans ses bras.
- Là, là! C'est fini. Je vais bien. Merci. Tu devrais rentrer chez toi. Il est tard et ta mère doit t'attendre.
- Tu as raison. Mais interdiction de rester à nouveau sous la pluie comme tu le faisais. Qu'est-ce qui t'as pris?
- J'espère sincèrement que tu ne comprendras jamais ce qu'il m'a pris. Rentre, et fais très attention à toi. Tu veux que je te raccompagne?
- Non. Reste au chaud. Je sais me défendre.
- Tu es sûre?
- Oui. Nash est un très bon professeur.
- Heureuse de l'apprendre. Bonne soirée.
- A toi aussi. Et surtout reste au chaud et mange de la soupe.
- Promis.

Elle attendit qu'Aika ai tourner avant de fermer la porte. Elle réveilla Nash dans le but de le renvoyer chez lui mais il n'était pas aussi obéissant que son élève. Il finit par avoir le dernier mot, surtout parce qu'Ai se fichait qu'il soit là pour la suite, contrairement à la blonde. La princesse alla se rasseoir sur le lit. Elle croisa les jambes avant de croiser les doigts sur son genoux.

- Vous voulez bien me rendre un service?
- Bien...
- Ça dépend. Coupa Kita. Qu'est-ce que c'est?
- Tuez-moi.

A suivre....

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