LBOT (II)

Une goutte. Une claque. La pluie, de nouveau, un appel, encore. Je voudrais me frapper jusqu'à épuisement, culpabilisant d'un tel manque de retenue. Qui suis-je pour juger ? Quelle fille serai-je s'il arrivait malheur à la vieille ? Ma vieille ?! Et cette pluie qui refait surface ! A croire que cet asile me colle à la peau. Encore le téléphone ? C'est peut-être elle ! Je décroche ! Une voix plus rauque, celui d'un homme...

— Madame, bonjour, je...

— Qu'est-ce que vous me voulez encore ? Dis-je avec une exaspération que je ne cherche plus à camoufler. Écoutez... ma mère vient d'appeler, elle...

— A disparu, me coupe-t-il.

Tout autour de moi tourne. Il est des voix qui malgré le calme dont elles font preuve – le détachement qui est elle aussi une preuve de l'hypocrisie ou de l'insouciance, allez savoir – vous font tourner la tête, pleurer, vomir la tristesse que vous n'avez pas eu pendant longtemps, alors que la seule quête qui incombe, c'est le bonheur, l'oubli du passé et la recherche d'un avenir. Une question qui ne m'était jamais venue à l'esprit me frappa dans les entrailles. Quel avenir sans elle ? Quel avenir sans ma mère ? Je me rends compte que mon repère dans la semaine, c'était elle. Pourquoi faut-il que je sois comme ça ? Pourquoi ai-je des regrets ? Je veux dire... est-ce la pomme qui me fait cet effet ? Non, je ne pense pas. Pourquoi a-t-elle subitement de l'importance pour moi ? Je ne sais pas ! Je ne sais pas, je ne sais pas, arrête de te poser la question, espèce de sotte !

— Aucune trace d'elle dans sa cellule. Rien. C'est comme si elle s'est volatilisée !

— C'est impossible !

— Oui, nous sommes d'accord avec vous, ça n'était encore jamais arrivé !

Cette pluie et cette nouvelle m'apporte plus de mélancolie qu'à une veuve. Quelque part, en proie à l'inconnu, je regrette déjà les moments vécus. Sans rire. Il manquait plus que ça : ma mère qui fugue, en proie à la folie, attirée par cette pluie comme un papillon de nuit le serait par une source lumineuse. Mais...

— Hum... Sauriez-vous où... ?

— Attendez, je crois que...

— Allô ? Allô ?

J'ai raccroché. Ces imbéciles n'ont pas à savoir. Ils ont assez cloîtré cette pauvre femme ! Maintenant, je sais où elle est. Je crois pouvoir déceler la substance des paroles de ma mère. Les « perles » vont l'embrasser. Le moment qu'elle attendait tant... Cette pluie... présente à chaque fois qu'elle parlait de l'œil noir. Il est temps d'en avoir le cœur net. C'est parti pour le cimetière. C'est là-bas que repose la sépulture de l'œil noir.

Le teint soit radieux soit austère des cieux se laisse lentement bercer par les rayons naissant de la Lumineuse. La pluie lui résiste. Mieux – enfin, je crois – elle s'intensifie à chaque pas qui tue ma proximité avec la pierre tombale que je cherche. Il y en a des centaines d'autres et il n'est pas évident de marcher la nuit. J'ai même dû escalader un mur pour entrer puisqu'il fait nuit et que tout est par conséquent fermé. La tombe qui m'intéresse n'est pas avec les autres. Elle n'est même pas dans la partie bétonnée mais plutôt là où la nature peut encore s'exprimer ; je la vois devant moi, au milieu d'un carré de gazon humide. Et ma mère...la voilà. Je le savais.

La pierre tombale, simple bout de rocher modeste, je dirais, si ça n'avait pas été mon père qui y avait droit. Ma mère est dessus allongée tandis que je ne ressens pas même de la peine pour elle. Du moins, je crois. Si, maintenant... j'en sens... ça me mord partout. Je n'aime pas cette sensation... Deux sentiments bien opposés me rongent – l'empathie et l'indifférence... Je ne sais plus quoi faire ? Dois-je aller auprès d'elle ? Dois-je rester ou partir ? Je ne sais, je plus qu'en tête l'idée que ma place n'est pas là. Seul mon cœur continue de battre comme d'habitude, quoique, avec un rythme un peu plus rapide. La jeune femme s'en était allée pleurer sur la tombe, veuve qu'elle est. Pathétique. En même temps, comment lui en vouloir?

La proximité encore réduite de peu, il m'est enfin permis d'embrasser du regard l'intégralité du tableau. Cette femme, ma mère, face contre la tombe, ses lèvres à même la pierre gelée qui ne doit lui rappeler que trop bien le sentiment d'inaccessibilité de son regretté. Elle l'aime encore. Elle l'a toujours aimé. Elle n'était pas folle. La seule qui le fut, qui l'est encore, c'est moi...

Depuis tout ce temps, elle était triste et nostalgique. Notre monde, elle l'a quitté depuis longtemps. Et c'est pour ça qu'elle s'est faite enfermée ?

J'hésite à poser un membre sur elle. Qui suis-je pour l'interrompre dans ses précieuses retrouvailles ? Non, cette fois-ci c'est différent. Je vois enfin ce que son corps me cache. Le visage noir de peinture, la joue traversée d'un liquide rouge dont je devine la chaleur par sa seule vision, ce petit sillon écarlate qui s'aventure sur son visage à chacune de ses visites, je le sais maintenant, s'en est allé elle aussi sur la tombe. Elle forme, à force de larmes écarlates, un puissant cœur sur la pierre que j'espère – oh oui, que j'espère de toute mon âme ! - éternel !

Je découvre également que la pluie timide n'a d'emprise sur elle. Épargnée par l'humidité, la voilà avec l'œil noir, le sien, et celui de son amour – qui se plaisait d'après ce que l'on m'eut dit à peindre son visage en noir – le mime noir – qui était aussi mon père. Dois-je la toucher ? Dois-je la laisser ? Que faire ? Je commence à avoir froid, et à regretter d'être venu ici. Maintenant, j'ai l'impression d'avoir troublé sa quiétude et le seul instant de profonde humanité dont elle avait toujours voulu se revêtir en un court instant. Elle est ma mère !

Horreur... En effleurant son bras, ce n'est plus ma maman, mais un cadavre qui se dérobe à mon geste. A moins que ce soit mon instinct qui m'a fait reculer. Gelée, la pluie enfin l'embrasse et l'emporte. Souriante. C'est la première fois que je la vois souriante, elle dont la méfiance et la froideur était innée. Elle m'a protégée toute sa vie... Elle m'a protégée pour que je ne sois jamais dupe, jamais fébrile, surtout maintenant. Je réalise que mon attachement, quoique invisible auparavant, est surtout due à l'inconnu. Un sentiment égoïste.

Je la comprends enfin. Je comprends aussi l'apologue de l'engoulevent, inconnue du monde. L'œil noir. Et chacune des gouttes est une larme secrète qu'il sécrète pour elle. A vrai dire, ce n'est plus un seul maintenant. C'est deux. Deux âmes, deux êtres. Deux parents dont chaque goutte est une larme de joie sinon de fierté qu'ils versent pour moi. Je suis l'héritière d'un couple maudit, et la poétesse s'en va parmi ombres et poussières explorer le monde de l'éternel Morphée. Oui, elle dirait quelque chose du genre, maman. Sous son ventre, une lettre. Je ne sais pas. Je... c'est pour moi ? Je... Je crois qu'elle a deviné que je serai troublée. En gros, sur le papier froissé, je distingue les mots « Pour ma Belle ».

Malgré la pluie et l'inconfort d'avoir une main pour mon parapluie, je me décide. Avec difficulté, je déplie le papier d'une belle et agréable qualité. Et je lis.


Belle, je t'aime. Tu ne le sais pas, mais mon amour et toutes les délicates pensées du monde que je ne saurai plus formuler sont pour toi. Sois grande, sois forte, sois heureuse et redoutable, vive et imprévisible. Ton père m'a fait perdre la tête quand il est arrivé auprès de moi... et quand il s'est envolé. Ma fille... Je t'aime et t'ai toujours aimé, même dans ma folie.

Une ombre


Je m'étends à mon tour sur la tombe. Avec elle contre moi. Ma mère est si paisible... Tandis que la pluie l'embrasse, les derniers pans de lyrisme, la base, la fondation de l'apothéose d'une vie à l'origine de mon existence s'écoulent au creux de la pierre tombale dont le signe écarlate – ô espoir que j'ai toujours encore, demeure éternel contre le monde, avec pour toujours ma mère rempart de ce rêve. Elle est tombée. Tombée – depuis qu'il est parti – dans l'onirisme qui est une réalité que je n'ai jamais su percevoir. Elle est morte. De chagrin. D'amour. Une âme perdue. Tombée dans l'onirisme.

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