5 février 2017

5 février 2017

Non, je n'ai pas oublié l'existence de ce journal. Bien au contraire, j'y pense tout le temps, comme si j'avais l'absurde espoir que quelqu'un en lise les mots, et en comprenne le sens et les messages. Mais les choses se sont bousculées, ce sont enchaînées, et j'ai tout simplement arrêté d'écrire. Je n'en suis pas fière, mais je n'ai pas eu d'autre solution.

Pour être honnête, ça allait mieux il y a quelques semaines. J'avais l'impression que les choses se calmaient. Ou alors je m'en rendais moins compte. Je n'en sais rien, mais une chose est sûre : mon quotidien n'était plus aussi pénible. Je m'étais habituée à cette routine, désolante, certes, mais qui s'était ancrée dans ma vie. Seulement, les choses ont fini par me rattraper. Comment ai-je pu croire que ça finirait par se calmer ? Je n'en sais vraiment rien, mais c'était absurde de ma part d'avoir laissé naître l'espoir. Maintenant, je suis encore plus déçue et mal.

Bref, les choses allaient mieux. Et puis lundi, en sport, Jade a insulté une de mes amies, Charlotte, qu'elle a refusé dans son équipe pour x raison. Elle l'a insulté, sans aucun scrupule. Alors, voyant ça, j'ai réagi. Les gens ont beau en avoir rien à faire quand je me fais insulter, moi, il est hors de question que je reste les bras croisés quand mes amis ont besoin de moi. Donc, j'ai répondu. J'ai pris sa défense. Et pour la première fois depuis le début de l'année, je me suis confrontée à Jade. Étonnamment, elle n'a pas aimé. Elle n'a pas aimé du tout.

Les insultes n'ont jamais autant fusé. Elles m'assaillaient de partout, sans me laisser de répit, ni le temps de reprendre ma respiration. Tout le gymnase était occupé par notre classe et deux clans se sont très vite dessinés : celui de Jade et le mien.

Bien évidemment, le sien était bien plus conséquent et fournit que le mien, mais quelques personnes restaient tout de même à mes côtés.

Bref, on s'est engueulé. Je ne l'ai pas insulté, car je sais que les mots peuvent faire des ravages, mais pour la première fois, j'ai essayé de me défendre. Je ne me suis pas cachée de lui faire remarquer, lorsqu'elle m'a prouvé, par A + B qu'elle ne faisait que ce qu'il y avait de juste en me remettant à ma place de moins-que-rien, que quoi que je fasse, elle n'est jamais satisfaite et elle trouve toujours une raison de m'enfoncer encore plus. J'ai essayé de lui ouvrir les yeux, et de lui peindre le terrible tableau dans lequel j'évolue par sa faute depuis le début de l'année. J'ai essayé de la ramener à la raison, mais ni elle ni ses amis ne m'ont laissé l'occasion d'approfondir mon argumentation, et tous n'ont fait que me détruire encore plus. J'étais dévastée, mais je n'ai pas baissé les bras, et pour ce qui sera probablement la dernière fois de ma vie, j'ai fini par avoir le dernier mot. Je n'en suis pas peu fière, bien que le reste de ma journée et de ma semaine ait été catastrophique suite à ça.

Je regrette d'avoir agis ainsi, car ma vie n'est plus que noirceur et impuissance depuis, mais d'un autre côté, j'ai défendu mon amie. Et rien que pour ça, je ne reviendrai pas en arrière. Je suis fière de moi, parce que pour une fois, j'ai dit ce que je pensais, sans en avoir honte une seule seconde. Et wow ça fait un bien fou de pouvoir s'exprimer, presque librement !

Et vous savez quoi ? Certes je me faisais démonter de toutes parts, mais j'étais très confiante et fière de moi lorsque je l'ai regardé d'aussi haut qu'elle le fait depuis le début de l'année. Je lui ai parlé avec le même ton cinglant. Mais j'ai prononcé des paroles plus humaines et constructives que les siennes. Probablement plus humaines et constructives que toutes les paroles qu'elle ne prononcera jamais.

Mr Beans (mon prof de sport) a fait réunir toutes les filles à la fin du cours et a dit qu'il en avait rien à foutre de nos emmerdes et qu'il ne voulait plus jamais entendre parler de conflits comme celui-ci dans l'année, dans son cours, ni dans aucun autre. On s'est sacrément fait remonter les bretelles. Mais au fond, le pire c'est que c'est moi qui aie le plus prit, alors qu'il avait très bien vu que je n'étais que la victime dans l'histoire. Je lui en ai voulu, au début, mais je crois qu'au final, qu'il me croit ou non ne change pas grand-chose. Je sais que ce que je vis est vrai, et s'il ne veut pas m'écouter, tant pis pour lui. Je ne suis pas folle, je sais très bien ce qui est vrai dans mon histoire. Je m'en fous si lui croit que c'est faux. Ça le regarde. Mais c'est hors de question que ça me pousse à penser que je mens. On sait tous très bien que je n'en serais pas là si ces gens avaient été plus aimables dès le début de l'année avec moi.

J'ai beaucoup pleuré ce soir-là. À la fois de désespoir, d'épuisement, de colère et d'incompréhension. D'un autre côté, j'essaie de voir la situation avec recul et autodérision. En même temps, qui ne ferait pas de même quand on en vient à vous dire que vous êtes rousse « parce que t'as foutu tes cheveux dans la boue comme un cochon » ?

Sérieusement, je ne peux pas m'empêcher de me dire que ces propos sont tout simplement ridicules et dénués de sens, mais d'un autre côté, ils restent blessants.

Je ne sais plus quoi faire. Je suis perdue. Que faire ? Parler ? Estelle m'a bien incité à le faire, mais je ne peux tout simplement pas. A-t-elle pensé aux conséquences que tout cela aurait sur ma vie, ma famille, et mon quotidien au collège ? Cela dit, je suis pas sûre que ça puisse être pire que ce que je vis aujourd'hui, mais je n'ai pas vraiment envie de prendre le risque...

Pourtant, elle me parle de plus en plus souvent d'aller voir le CPE du collège. Elle me dit qu'en tant que déléguée de la classe, c'est aussi son rôle de gérer ce genre de situation, et de les relater aux adultes en mesure de faire changer les choses.

Alors, aujourd'hui, le vendredi avant les vacances, elle a décidé qu'entre nos deux heures de mathématiques, elle demanderait à la prof d'aller à la vie scolaire.

Mais voilà, ça ne s'est pas passé comme prévu...

La prof nous a demandé ce qu'il se passait, et ce qu'elle comptait faire à la vie scolaire. Estelle n'a pas eu d'autre idée que de livrer la vérité à ma prof. Et là, ça a été le déluge de questions, moi qui ne voulais absolument rien avoir à faire avec cette déclaration. Je ne veux pas raconter ce qu'il se passe, ni en parler. J'ai bien trop honte pour ça. Et j'ai trop peur des représailles. Mais je n'ai pas eu le choix. J'ai dû répondre à ses questions, ses interrogations, toutes plus pressantes les unes que les autres.

Au final, la prof ne m'a pas laissé le choix. Elle m'a demandé d'accompagner Estelle, pour expliquer moi-même la situation au CPE. Elle nous a accompagné à la vie scolaire, et une fois là-bas, elle a dit aux surveillants qu'on devait absolument voir le CPE dès que possible. J'étais stressée comme je ne l'avais jamais été.

On a attendu.

Et dû attendre encore.

Pendant près de 45 minutes, on était assises, côte à côte. Je tremblais, je peinais à respirer, et Estelle essayait de me rassurer comme elle pouvait. Elle savait que ce n'était vraiment pas simple pour moi, mais ne savait pas vraiment ce qu'elle pouvait faire pour m'aider.

« Tu parleras, hein ? », je n'arrêtais pas de lui demander.

J'étais incapable d'adresser la parole à qui que ce soit.

Puis le CPE, Mr Rousseau, a terminé son rendez-vous, et nous a invité à entrer dans son bureau.

Je n'avais jamais été à la vie scolaire avant, c'était un lieu que j'évitais, et pourtant, elle est accueillante.

Mr Rousseau nous a dit de nous asseoir, d'une voix douce et calme, et nous a demandé ce qu'il se passait, quelle était la raison de notre venue.

Alors Estelle a commencé son discours, a expliqué que c'était compliqué depuis le début de l'année avec les autres camarades de notre classe etc, mais elle n'a pas dit pourquoi.

Alors forcément, le CPE était là en mode « hum, je vois, et quelle est la « raison », bien que ce terme ne me plaise guère, de ce harcèlement ? ». Dans un premier temps, il a dû justifier l'emploi de ce terme suite à mon haussement de sourcils qui avait tout l'air d'un « mais non, n'abusez pas quand même, je ne me fais pas harceler... ! ». Puis, j'ai dû lui dire. Et alors là, j'étais absolument tétanisée. Il est adorable hein, pas de doute là-dessus. Mais comment j'étais censée lui dire que la seule raison de ces insultes et de ces comportements est ma putain de couleur de cheveux qui n'est pas à leur goût ?

Je vous assure, je n'ai jamais été aussi mal de ma vie. J'étais aussi rouge qu'une tomate, et voyant que je galérais, le CPE m'a suggéré des idées, pour essayer de déceler la vérité dans la situation.

Mais le pauvre, jamais il n'aurait pu deviner...

Bref, j'ai fini par lui dire quelque chose comme « mes cheveux », en baissant les yeux, regardant mes pieds, et espérant au plus profond de mon être pouvoir disparaître de cet endroit au plus vite.

Il n'a pas ri, ce à quoi je m'attendais pourtant. Mais il était surpris. Étonné.

Il a essayé de le cacher, mais ce genre de sentiment ne peut être dissimulé.

Que pouvait-il dire ? Que pouvait-il faire ? Rien, je le crains. Alors j'ai pris mes affaires, et je me suis dirigée vers la sortie. J'avais eu ma dose d'humiliation pour la journée.

« Couleur de cheveux ou pas, leur comportement est inadmissible, et je ne laisserai pas ça passer. Mais pour pouvoir agir, j'ai besoin que tu te rassois et que tu m'en dises un peu plus », me dit-il.

J'ai hurlé de rage intérieurement. Je ne voulais pas. Mais je savais qu'il était trop tard, que je devais parler, que je devais raconter.

Le truc, c'est qu'au départ, Estelle était censée y aller seule. Puis, j'ai dû l'accompagner. Mais elle devait parler. Et au final, c'est moi qui me retrouve dans le bureau du CPE, à parler et raconter mon histoire.

En somme, tout ce que je voulais absolument éviter.

Il était gentil et bienveillant, mais ça n'enlevait rien au fait que j'étais absolument incapable de raconter ce qui m'arrivait. C'est comme si d'un coup j'avais l'impression que tout ça n'était que dans ma tête. Comme si j'inventais tout, que je mentais, et que j'allais créer des problèmes à des innocents.

Puis, comme pour me donner de la force, Estelle a posé sa main sur la mienne, qui tremblait à n'en plus finir, et ça m'a rassuré.

Je lui ai résumé la situation dans les grandes lignes, et la fameuse question à 1 million est tombée : « Mais je comprends pas : pourquoi t'as pas parlé ? ».

Je rêvais intérieurement de lui répondre « mais fuck viens à ma place deux secondes et on verra si toi tu parles ! »

Mais je me suis contentée d'une réponse sarcastique : « La honte m'sieur, vous connaissez ? ».

Il m'a souri légèrement, comme désolé, après qu'il s'est rendu compte de l'absurdité de sa question. Du moins, de l'incohérence de celle-ci. C'est pas en me jugeant qu'il aura des réponses à ses interrogations et qu'il pourra combler les blancs dans mon histoire, et je crois qu'à ce moment-là il l'a compris.

Il m'a expliqué qu'il allait en parler avec les personnes concernées, notamment Jade et ses amis, et alors là, ça a été l'hécatombe. Je n'ai ABSOLUMENT pas envie qu'il leur parle ! Sauf qu'au final, il m'a bien fait comprendre que je n'avais pas le choix, et que c'était le seul moyen de me sortir de ce pétrin.

« Ils ne se rendent peut-être pas compte du mal qu'ils te font », m'a-t-il gentiment fait remarquer. Ce qui m'a fait doucement rire quand j'ai repensé à mon altercation avec Jade lundi en sport.

Je crois que si, elle se rend compte. Ils se rendent compte. Ils en ont juste rien à foutre.

« Tu viendras me voir tous les lundi, Iris, il faut qu'on garde un contact régulier et solide, qu'on construise une relation de confiance, pour que tu viennes me parler si ça ne va pas mieux », m'a-t-il dit. Ça n'a fait que renforcer mes regrets d'avoir parlé, mais je n'ai rien dit, je me suis contentée de hocher la tête.

On est vendredi. Ce soir c'est les vacances. Mais avant d'être pleinement libre, il fallait que je dise à mes parents. Parce que le CPE veut leur parler. Donc j'ai pris ma mère à part tout à l'heure, et je lui ai dit que je me faisais embêter, et que j'étais allée voir le CPE avec la déléguée de ma classe. Ça s'est pas vraiment passé comme prévu : elle s'est mise à pleurer, m'a dit qu'elle s'en voulait de ne pas avoir vu, surtout qu'elle aussi s'était fait harceler à mon âge, pour la même raison (elle est rousse aussi).

Je ne savais pas quoi faire.

Mais je m'en voulais.

Et je m'en veux toujours.

Et je crois que plus jamais je ne serais en capacité de me détacher de cette culpabilité.

Jamais je n'aurais dû en arriver là.

Je suis faible.

Incapable.

J'ai tout gâché.


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