5 août 2022

5 août 2022

— Monsieur !

Il se retourne, et me regarde. Ses yeux sont vides, plein de larmes, d'effroi et de douleur. Ses joues brillent à la lumière du soleil. Ses rayons mettent en valeur les sillons argentés qui s'y trouvent.

— Laissez-moi, lâche-t-il brusquement, sur un ton horriblement froid.

En temps normal, je n'aurai pour rien au monde continué une discussion avec quelqu'un qui me parle aussi mal, mais cet homme est dans une situation bien trop grave pour que je reste les bras croisés à rien faire.

Je m'approche doucement, pas à pas.

— Reculez et dégagez, dit-il sur le même ton cassant.

— Je ne vous veux aucun mal, dis-je calmement. Je suis moi aussi passée par là, il y a moins d'un an. Vous comprenez que je ne puisse pas vous laisser seul dans une situation si alarmante, continuais-je doucement.

J'entends Oskar au loin appeler les pompiers. Et la police, je pense. Ils sauront bien mieux que nous réagir, mais si, déjà, j'arrive à faire revenir cet homme derrière la barrière, on aura gagné.

— N'essayez pas de me dissuader, ça sert à rien. C'est fini. C'est la fin.

Ses yeux pleurent à nouveau, mais heureusement, il ne se lâche pas pour essuyer ses larmes.

— Vous savez Monsieur, quoi qu'il vous arrive, il reste des choses magnifiques à vivre. J'ai bien conscience que là, tout de suite, vous ne les voyez pas. Vous êtes persuadé que c'est la fin, que rien ne peut vous sauver. Vous êtes fatigué de vous battre sans constater de résultats positifs. Vous êtes fatigués d'aller mal, de souffrir, de vivre avec cette douleur qui grandit en vous tous les jours. Vous ne vivez plus, et n'êtes plus que l'ombre de celui que vous avez toujours été. Et je sais que si je vous disais que les choses ne s'arrangeront pas en mettant fin à votre vie, vous ne voudriez pas me croire. Pourtant, je suis l'exemple parfait. Il y a un an, je me suis faite violée. Je me suis aussi battue, essayant d'aller mieux, mais en vain, je n'ai pas réussi. Alors j'ai aussi pensé que c'était la solution. Je suis venue, comme vous, sur le bord d'un pont, me préparant à sauter. Mais un homme d'une soixantaine d'années s'est approché, et m'a raconté sa vie, me montrant en quoi les pires épreuves peuvent apporter du positif. Je ne voulais absolument pas y croire, j'étais certaine qu'il avait tort, et pourtant, sans que je ne m'en rende compte, je me suis retrouvée de l'autre côté de la barrière, en sécurité. Je ne sais rien de cet homme, je ne l'ai jamais revu, et je ne le reverrai jamais. Malgré tout, il m'a sauvé la vie. Aujourd'hui, j'ai toujours de gros problèmes. Une amie à moi dont j'étais extrêmement proche s'est suicidée. Mais j'ai aussi rencontré mon meilleur ami, que vous voyez là-bas. Pour rien au monde je reviendrai en arrière. Parce que dans tout le malheur qui m'est arrivé ces dernières années, j'ai aussi eu des choses positives. Et j'ai compris, qu'au final, la vie c'est comme un piano. Il y a du noir et du blanc et il faut jouer des deux pour avoir un beau morceau. Alors oui, vous avez peut-être l'impression que tout est perdu, et que jamais vous n'irez mieux. Mais laissez-moi vous dire que, quel que soit votre problème, il y a toujours des solutions. Parfois elles sont trop évidentes pour qu'on les voie, ou trop terrifiantes pour qu'on les accepte. Pourtant, elles sont bel et bien la preuve qu'on peut toujours s'en sortir. On n'a qu'une vie. Ne laissez pas certains évènements vous faire croire que vous n'avez pas votre place ici, dis-je dans un murmure.

Je pleure à mon tour. Je ne pensais pas me livrer ainsi, mais pour une raison que j'ignore, je suis persuadée que c'est ce qu'il y avait de mieux à faire.

— Pourquoi vous voulez m'aider ? demande-t-il, troublé.

— Parce que vous méritez de vivre.

Les sirènes des pompiers se font entendre au loin, et il tressaille.

— Vous avez appelé les pompiers !

La colère se fait entendre dans sa voix.

Putain fait chier j'avais enfin réussi à gagner un petit peu de sa confiance !

Je tente le tout pour le tout, pose ma main sur la sienne, et lui murmure :

— Écoutez, c'est pour votre bien. Je suis pas ici pour vous dire quoi faire ou vous faire culpabiliser avec des phrases à la con du genre « pensez à votre famille ». Mais je suis là parce que je veux que vous compreniez que ça ne va rien changer. Si vous sautez, vous mourrez, mais votre douleur et votre peine ne disparaîtra pas. Elle sera juste transférée sur d'autres gens. Ça ne réglera pas vos problèmes, Monsieur. Mais il y a des gens qui sont là pour ça, qui rêveraient de vous aider. Je rêverai de vous aider. Sincèrement. Oui, j'ai peut-être que 17 ans, mais je vous assure que j'en ai vu passer, des choses compliquées. Et pourtant, malgré tout ça, je suis là. Je suis là parce que j'ai rencontré des gens formidables qui m'ont tendu la main. Et plutôt que de faire comme j'avais toujours fait, à savoir fermer les yeux et les renvoyer bouler, j'ai accepté cette main tendue. Alors s'il vous plaît, saisissez cette opportunité, dis-je d'une voix brisée.

Oskar a fini d'appeler, mais il n'est pas venu nous voir. Il veut nous laisser de l'intimité, je crois. Il a peur, aussi, je suppose, de ce que ça ferait ressurgir. Il nous regarde, d'une façon que je n'arrive pas à déchiffrer, mais je crois tout de même y lire de l'amour et de l'affection.

Je tends la main à l'homme, toujours présent de l'autre côté de la barrière. Un seul faux pas et il n'est plus. Sa vie ne tient qu'à un fil... c'est à la fois effrayant et stimulant. L'adrénaline est si forte que pour le moment, je ne pense pas au pire. Au plus terrifiant. Pourtant, j'ai conscience que j'ai peu de chance d'arriver à le raisonner. Mais je veux essayer, et donner tout ce que je peux, jusqu'au dernier moment, pour lui montrer que ça vaut le coup.

Il pleure à chaudes larmes, et me dit, d'une voix brisée qui me fend le cœur :

— Je peux pas. J'y arriverai pas. J'suis foutu.

Je caresse doucement sa main, d'un geste qui se veut bienveillant, et je réponds :

— Rien n'est perdu. Lewis Carroll disait « Le meilleur moyen de vaincre l'impossible est de croire que c'est possible ». Vous pouvez encore venir à mes côtés, et travailler pour aller vraiment mieux. Il ne sera trop tard qu'au moment où vous lâcherez cette barrière et vous laisserez tomber dans le vide. Mais est-ce vraiment la solution ? Au fond, vous savez comme moi que non. Vous êtes désespéré, et ça vous semble être le meilleur moyen de vous libérer de toute souffrance. Mais je vous assure que votre petite voix intérieure vous ment. La vie n'est pas si horrible qu'elle en a l'air. Laissez-moi vous le prouver. Rejoignez-moi. S'il vous plaît.

Mes yeux pleurent encore et encore, à n'en plus finir, et au fond, je suis rassurée lorsque j'entends les sirènes des pompiers se rapprocher. J'ai peur qu'elles ne brusquent cet homme, mais s'il ne souhaite pas me rejoindre, je ne vois pas ce que je pourrai dire ou faire de plus pour l'aider, dans l'immédiat en tout cas. Bien sûr, je n'ai aucunement envie de faire comme les autres passants qui continuent leur vie comme si de rien était, mais je sais aussi que je m'en voudrai à vie si malgré ce que j'ai fait, il lâche cette fichue rambarde.

— Pourquoi vous obstinez-vous alors que votre ami vous attend et que vous avez une merveilleuse journée devant vous ?

Je souris faiblement, et réponds :

— Parce que je sais ce que la vie vaut. Et je sais qu'on en a qu'une. Alors pour rien au monde je vous laisserai gâcher la vôtre alors que tant de magnifiques choses vont encore vous arriver.

— Monsieur, revenez de notre côté, dit un pompier, brusquement, qui nous a rejoint.

Il est con il va le faire déconner à lui parler si froidement !

— Monsieur je... on est en train de parler, laissez-nous quelques instants s'il vous plaît. Je reviens vers vous dans une minute, dis-je le plus calmement possible.

Il pousse un soupir, mais nous laisse sans un mot.

— Je ne vous ai même pas demandé. Comment vous appelez vous ?

— Auguste.

— C'est un joli prénom !

— Je l'aime pas.

— Vous en avez tout à fait le droit, dis-je doucement.

Je lui souris, et lui tend ma main.

D'un geste de résignation il pose sa main droite dans la mienne, et je pousse un gigantesque soupir de soulagement.

Je l'aide à revenir de mon côté, et une fois sur la terre ferme, je lâche toute a pression qui s'était accumulée en moi, et je me rends compte que j'étais sacrément crispée !

Auguste me prend dans ses bras, ce qui me surprend dans un premier temps, mais je ne manque pas de lui rendre son câlin.

— J'aurais aimé rencontrer quelqu'un comme toi plus tôt, dit-il en pleurant.

Il s'écarte et me regarde, les yeux plein de larmes.

— Maintenant, je suis là, dis-je en prenant sa main et l'accompagnant vers les secours.


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