5 août 2022

5 août 2022

— Oskar ! J'y crois pas !

— Qu'est-ce qu'il y a ? me demande-t-il, inquiet.

— On a enfin reçu les papiers pour l'asso ! Ça y est, on est officiellement une association !

Je tourne sur moi et saute de joie, comme le ferait une gamine.

Je suis trop contente, et le bonheur qui m'emplit à cet instant est bien trop important pour passer inaperçu.

Oskar se joint à moi dans mes sauts, me prend par la taille, et me fait danser.

— Oh je suis tellement content ! C'est une super nouvelle !

Il me sourit, et la joie qui m'habite est transmise dans nos regards et nos gestes. Nous sommes de plus en plus fusionnels, et je suis extrêmement reconnaissante de ce lien qui nous unit. Bien sûr, j'ai encore énormément de problèmes, surtout dans la relation que j'entretiens avec moi-même, mais aussi la peur de l'abandon gigantesque qui grandit chaque jour un peu plus. Cette peur me ronge et m'anime, et je n'arrête pas d'y penser. En plus, Dieu sait que j'ai une terreur absolue à l'idée de me retrouver seule, et ces deux craintes s'alimentent de jour en jour un peu plus.

Les paroles reçues par Iris s'ajoutent à mes propres peurs, et le mélange n'est pas glorieux. Je crois que je me suis un peu trop attachée à cette jeune fille, et que son histoire m'a bouleversé au plus haut point.

D'ailleurs, il ne faut pas que j'oublie de lancer des recherches pour retrouver sa famille. Avec Oskar, on a pris le parti de les contacter, de leur parler du journal, de leur raconter notre aventure, ce qu'on compte mettre en place, etc. J'espère qu'ils soutiendront notre cause. En tout cas, on ne veut pas parler d'Iris sans les avoir rencontrés une seule fois. C'est important pour nous autant que ça l'est pour eux.

Mais pour le moment, j'ai pas le temps.

Demain j'ai mon premier concert avec les chansons officielles. Je les ai apprises par cœur : je les ai travaillés sans relâche, et je crois que je les maîtrise enfin ! Mais je suis quand même super stressée... En plus, ma situation avec Maël ne s'est pas arrangée. Il me parle toujours aussi mal, et m'évite dès qu'il peut.

Pis il faut reconnaître que les membres du groupe et moi, on a vraiment rien à voir. Certes, ils sont sympas et on s'entend, dans l'ensemble, assez bien, mais ils passent leurs journées à fumer, boire et se droguer. C'est des choses que j'essaie d'éviter depuis des années. J'ai vu les dégâts que ça faisait chez les gens. Mais c'est une tâche qui n'est de loin pas aussi simple qu'autrefois, quand, au quotidien, je traîne avec des gens qui consomment ces saloperies. Heureusement pour moi, Oskar essaie de réduire sa consommation, et ça m'incite à ne pas abuser de ces substances non plus. Dire que je n'y ai jamais touché serait mentir, mais je suis particulièrement raisonnable. Oskar quant à lui fume un joint par-ci par-là, mais se limite à cette quantité, ce dont je suis sincèrement reconnaissante. Je ne suis pas sa mère, et pourtant, je ne peux m'empêcher de lui faire des remarques lorsqu'il abuse. C'est pour son bien...

On a aussi filmé des vidéos. Pleins. J'ai enregistré des podcasts, préparé du contenu à poster sur toutes les plateformes possibles et inimaginables... Je suis très contente du rendu. Mais pour le moment, on a rien posté. On va faire notre apparition sur les réseaux et sur Youtube le 16 août. C'est le jour où Iris aurait eu dix-huit ans. Pour rien au monde je ne louperai cette date. D'ailleurs, j'ai quelques trucs de prévu de ce côté-là, mais j'en ai pas encore parlé à Oskar. Je veux qu'il vienne avec moi, mais on verra ça plus tard. C'est pas la priorité pour le moment.

Du är vacker, darling (1)

Je souris.

Il m'a appris quelques mots de suédois, et vu le nombre de fois par jour où il me répète cette phrase, je suis obligée de savoir ce qu'elle signifie.

Samma av dig (2), répondis-je, dans un Suédois plus qu'approximatif.

Il explose de rire, et je l'interroge du regard.

— Heureusement que je te connais et que je sais ce que t'as voulu dire, parce que c'est absolument pas Suédois, dit-il, mort de rire.

Je ris avec lui, et réplique :

— Écoute, je fais comme je peux, mais c'est dur !

— J'ai jamais prétendu le contraire ! Mais on dira plutôt Du med que ce que tu as dit.

Il me fait un clin d'œil, tout en prenant ma main et me faisant danser sur moi. Ma robe légère, verte à fleurs, virevolte autour de moi. Elle a un décolleté assez plongeant, et le dos est nu. Je l'aime particulièrement, car elle est à la fois élégante et détachée, parfaite pour l'été. Mes cheveux sont libres, bien que certaines de mes mèches soient tressées. J'ai des boucles d'oreilles longues, en or, composée d'une fine chaînette et d'une émeraude au bout. C'est ma grand-mère qui me les avait offertes, il y a bien des années. J'y tiens beaucoup. J'ai un collier assorti, et quelques bracelets de perles. Je suis particulièrement intéressée par la lithothérapie et tout ce qui en découle. Je sais que nombreuses sont les personnes qui n'y voient que des supercheries ridicules, mais moi, j'y crois.

— T'es prête pour la répète ? me demande-t-il.

— Stressée, mais il faut bien y aller, répondis-je avec un sourire faussement joyeux.

En vérité, j'adore chanter, et je suis contente de faire partie de ce groupe, mais ça m'oblige à sortir de ma zone de confort, ce qu'il y a quelques jours encore, je détestais faire et redoutais par-dessus tout. Ce n'est de loin pas évident de tout lâcher et de dépasser ce qu'on connaît et les barrières qu'on s'est toujours instauré pour rester en sécurité. Du moins, ça demande un effort et une démarche profonde, que je n'ai pas toujours. En attendant, j'ai la chance d'être tombé sur des gens adorables, bien que différents. J'ai toujours du mal avec Maël, mais en ce qui concerne Alex et Chloë, on s'entend à merveille et passons le plus clair de notre temps ensemble. J'avais peur de ne pas trouver de place dans ce groupe qui se connaît depuis des années, mais au final, je me suis très vite frayée un chemin, et désormais je peux dire sans hésiter qu'ils font partie de mes amis, même si parfois, on est pas sur la même longueur d'onde. C'est intéressant, au fond, de côtoyer des personnes aux mentalités et réflexions différentes...

On quitte ma maison, et on coure dans la rue, comme deux amis follement joyeux, heureux, et mourant d'envie de savourer la vie et ce qu'elle nous offre, sans une seule seconde se soucier des autres et de leur regard jugeur et cruel.

Oui, les gens nous prendront sûrement pour des fous.

Mais j'ai réalisé aux côtés d'Oskar que si dans la vie on se prive de tout pour plaire aux autres et satisfaire chacun, on ne vit tout simplement pas. Alors plutôt que de se plier aux attentes des uns et des autres, pourquoi ne pas vivre pour soi, et ne prêter aucune attention aux jugements négatifs des autres ? On devrait tous vivre notre vie pour nous, bien avant de la vivre pour les autres. On a tous un temps donné sur cette terre, et pour rien au monde nous devons le gâcher à penser constamment à ce que des inconnus penseront de nous. Il est en notre devoir, de savourer la vie pour nous, bien avant de la savourer pour qui que ce soit d'autre.

Avant, je dépendais totalement de l'avis des gens sur moi. J'étais tétanisée à l'idée de déplaire, de ne pas être à la hauteur, de ne pas savoir satisfaire les attentes que les gens avaient de moi. Aujourd'hui, j'apprends, petit à petit, à me ficher de ce que les gens peuvent penser.

Certes, j'accorde toujours de l'importance à leurs jugements, et il faut bien reconnaître que ma relation avec moi-même ne s'est pas améliorée malgré ces changements face au regard des autres, mais j'arrive tout de même à m'en détacher bien plus qu'avant.

— Prune ! Regarde ! me crie Oskar en me pointant du doigt un endroit.

Je fais ce qu'il me dit, et observe un jeune homme debout sur la balustrade du pont qui se trouve en fasse de nous.

J'ai aucune idée de quel pont il s'agit : je ne connais de loin pas assez Paris pour ça. Mais il est évident que cet homme ne fait pas qu'observer le paysage qui se dépeint devant lui.

Oskar me serre un peu plus la main, et traverse en courant la route, bien que le feu pour piétons où nous attendions soit encore rouge.

On court si vite que mes poumons peinent à trouver de l'air. Je n'ai jamais été forte à la course, et je manque sérieusement d'endurance.

On traverse une autre route sans regarder, et une voiture manque de nous renverser. Le conducteur sort de sa bagnole et commence à nous engueuler. Mais on est déjà bien loin.

Oskar me tire. Je le ralentis.

J'ai peur qu'on arrive pas à temps.

On finit malgré tout par franchir le début du pont. Mais l'homme est encore à plusieurs dizaines de mètres.

Putain, pourquoi personne ne réagit ?! Il y a un monde fou, et personne ne fait rien, alors qu'il va se tuer !

J'ai envie de hurler, de leur dire de se bouger le cul, mais j'en suis bien incapable. L'air me manque et mon cœur bat à la chamade.

— Prune, on y est presque, accélère !

— Vas-y sans moi, je te rejoins, dis-je, essoufflée.

— Je peux pas, tu sauras le raisonner bien mieux que moi, dit-il, tristement.

Je suis persuadée qu'à cet instant précis, il pense à son père. Moi, je peux pas m'empêcher de penser à Iris. Tous les souvenirs qui m'assaillent sont liés à elle. Je n'ai jamais autant eu l'impression d'être proche d'elle qu'à cet instant.

Je peux pas laisser ce gars se tuer.

Il a peut-être l'impression que c'est la seule solution, mais c'est pas le cas ! Il y a plein d'autres manières de s'en sortir et d'aller mieux.

Je dois le sauver.

Comme l'a fait cette personne, il y a quelques mois, lorsque moi-même, je suis montée sur la balustrade d'un pont.

1: Tu es magnifique, ma chère

2: Pareil pour toi


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