4 juillet 2022

4 juillet 2022

— Il est presque midi. Mais avant de t'amener manger, je veux te faire découvrir un autre endroit. Vu la dévoreuse de livre que tu es, je pense que tu en as déjà entendu parler, mais je ne sais pas si tu y es déjà allée, alors je vais t'y emmener, dit-il avec un sourire gigantesque sur les lèvres. Je lis moins aujourd'hui qu'avant, je suis plus à fond sur l'écriture, mais j'aime ça quand même, et j'ai quelques références, dit-il, enthousiaste, et pas peu fier de me livrer cette information.

Je hoche de la tête, et lui rend son sourire, sans savoir quoi répondre. Je suis touchée qu'il ait réfléchi aux lieux qui pourraient me plaire et m'intéresser, même si ce n'est pas des endroits où il se rend régulièrement.

La lecture c'est mon moyen d'échapper à la réalité quand tout devient trop difficile. C'est ma manière de fuir, de partir en voyage, le temps de quelques pages. C'est ma bulle d'oxygène, ce qui me tient en vie lorsque tout devient trop dur à supporter, à vivre. Il n'y a rien de plus poétique et de plus délectable que le doux sentiment d'enchaîner les pages à une vitesse folle, lire les mots en continu, savourer chaque instant, s'attacher et aimer les personnages, les chérir et pleurer pour eux quand quelque chose de mal ou difficile leur arrive. C'est mon moyen de vivre toutes les vies que je n'aurais jamais. C'est la seule chose qui arrive, pendant quelques instants, à me redonner le goût de vivre, et un minimum d'espoir, d'envie de poursuivre, de sortir de la bulle de noirceur dans laquelle je suis. C'est l'unique moyen que j'ai de devenir celle que j'ai toujours rêvé d'être, et celle que je ne serai jamais. La lecture, c'est ma raison de vivre. Ça me permet d'oublier, pendant quelque temps, ce qu'il se passe dans ma vie, ce que j'ai à surmonter, et que je galère sérieusement à dépasser. C'était aussi, autrefois, mon moyen d'échapper aux engueulades de mes parents, alors que je m'envolais dans un monde où je pouvais décider et imaginer ce que je voulais, avec des personnages qui m'inspiraient et que j'enviais même, parfois.

On prend le métro, pour se rendre dans le quartier de la librairie, qui est tout bonnement bondé. Je me suis tue une grande partie du trajet, profondément mal à l'aise d'être ainsi collée à des inconnus, dont certains ne se sont pas gênés. J'ai même dû demander à Oskar de descendre un arrêt avant le nôtre tellement j'étais mal à l'aise et ma crise d'angoisse m'empêchait de respirer correctement. J'étais très mal à l'aise à l'idée d'avoir agis comme ça devant Oskar, mais il a passé plus de dix minutes à me prouver par A plus B que je n'y étais pour rien, que je ne pouvais pas gérer mes angoisses.

Il s'est également énervé lorsqu'il a compris que certains hommes avaient profité de cette abondance pour se frotter à moi bien plus que la loi et le bon sens l'autorisent. Je lui ai dit que c'était ma faute, qu'un viol ça laisse des conséquences et des réactions qui sont parfois dures à gérer, mais il n'a rien voulu savoir. Sa rage à l'encontre de ces hommes dont les comportements étaient inappropriés était telle que j'ai cru qu'il allait frapper un passant au hasard dans la rue. Dis comme ça, ça sonne encore plus terrible que ça ne l'est déjà, mais c'est la vérité.

Je l'aime sincèrement, mais en toute honnêteté, il n'est pas rare qu'il me fasse peur. Parfois il agit d'une manière que je ne comprends pas vraiment. Il galère à gérer sa colère et ça empiète totalement sur la personne merveilleuse qu'il est le reste du temps.

Une fois dans le quartier de la librairie, Oskar s'arrête, et me dit :

— Bouge pas, je fais un saut ici. Je vais saluer un ami.

Il s'éloigne et se dirige vers la devanture d'un magasin de musique.

Je sais que je devrais l'écouter, mais, poussée par ma curiosité, je suppose, je le suis, et entre dans le magasin.

Les rayons sont remplis de CD, de disques vinyles, d'instruments de musique, et même, dans un coin, d'enceintes et autres outils musicaux.

— Hey Thomas ! crie Oskar dans la boutique en attrapant son pote dans ses bras et lui tapant amicalement dans le dos.

— Oskar ! Putain ça fait un bail que t'es pas venu me dire bonjour !

Le Thomas en question est grand, sec, mince, et aussi blanc qu'un cul. Il a les cheveux roux, en bataille, et quelques taches de rousseurs sur le visage. Il porte un short marron, et un débardeur blanc. Probablement pour le style, vu qu'on est dans un magasin, il porte une paire de lunettes de soleil, rondes, qui cachent ses yeux. Il n'est pas beaucoup plus vieux que nous. Il doit avoir... la vingtaine tout au plus.

Il baisse ses lunettes d'un geste si rapide et furtif, et tellement en accord avec son sourire charmeur que je n'ai aucun doute sur son objectif. Il me regarde d'un œil avide et me déshabille des yeux sans gêne.

Je rougis, mal à l'aise.

— Tu me ramènes de la bonne marchandise à c'que j'vois, dit-il un gigantesque sourire plaqué sur ses fines lèvres.

Oskar se retourne, étonné de me voir ici alors qu'il m'avait dit d'attendre dehors. Mais si la colère passe rapidement sur son visage, c'est l'inquiétude qui prend le dessus.

— Euh... ouais, c'est une pote, dit-il en bégayant et se frottant le cou avec gêne.

— Bin dis donc, j'sais pas comment tu fais pour rester « pote » avec ce genre de bombe. Sérieux, rien qu'à la voir je rêverai de la sauter, dit-il.

Je rougis doublement plus, et baisse les yeux, bien trop gênée pour continuer d'assister à cette scène.

J'ai beau avoir le même âge, ou presque, que lui, je suis choquée de ses propos. Ils sont tellement... brutaux, crus, et dépourvu de tout bon sens. J'ai du mal à comprendre qu'on puisse encore penser, mais surtout dire, de telles choses.

Mais bon, a priori, j'suis juste vieux jeu...

Oskar semble aussi, sinon plus, gêné que moi face à la situation. J'ai vraiment du mal à comprendre comment il peut être ami avec ce genre de gars. Au final, je ne le connais peut-être pas aussi bien que ce que je pensais... Ce qui ne serait pas très étonnant vu que je le connais littéralement depuis une semaine.

— S'cuse, j'voulais pas être désobligeant, lâche finalement le mec, voyant qu'on reste tous les deux silencieux face à ses propos.

— T'inquiète, dit simplement Oskar.

— Tu m'la présentes pas ? demande Thomas, faisant mine d'être vexé du comportement de son ami.

— Prune. Elle s'appelle Prune, dit-il simplement.

— Un beau nom de fruit, dit-il en riant.

Une fois de plus, je baisse la tête et rougis. Ils parlent de moi comme si je n'étais pas là, comme si je n'étais pas capable d'entendre leur échange. Mais putain, je suis bel et bien là, et j'ai jamais été aussi mal à l'aise ! C'est comme quand on est gosse et qu'on surprend une discussion qu'on a pas à entendre. J'ai l'impression d'avoir été prise la main dans le sac.

Oskar fulmine. Il est rouge, mais semble plus en colère que gêné.

— Quoi d'neuf sinon mon pote ? demande Thomas.

J'arrive pas à savoir s'il parle toujours comme ça ou s'il est bourré... Mais d'un autre côté, il semble tenir le magasin, donc ça la foutrait mal s'il buvait sur son temps de travail... Ce mec est beaucoup trop bizarre.

— Bah écoute, tranquille hein, la routine. The five ass se porte bien. D'ailleurs on a un concert samedi pro au Lily's café, tu sais, celui de la tante du meilleur ami de Justin. On commence à jouer à 21 h, si tu veux te ramener. On a toujours pas de chanteuse, mais j'crois que Max veut laisser tomber. Il dit que pour le moment, il se démerde pas trop mal et qu'on a pas besoin de s'encombrer d'une meuf. J'suis pas vraiment d'accord avec lui, mais bon, tu sais comment il est, il aime pas être contredit. Donc pour le moment, on le laisse faire, et on verra bien comment on s'organise si on trouve une fille qui fait l'affaire. J'pense que ça rajouterait vraiment un truc cool au groupe. Et... c'est pas pareil depuis que Chloë est partie. Il manque un truc. Pis on est plus que quatre, dit-il en riant.

— Ouais j'comprends... moi j'pense qui faut vous trouver une bonne bombe qui chante pas trop mal. Le visuel avant tout, dit Thomas en se marrant tout seul.

Je lève les yeux au ciel, plus exaspérée que surprise par ses paroles. J'arrive pas à croire qu'il parle comme ça des femmes. À ses yeux, il est clair que nous ne sommes pas plus que des objets de plaisir. Ça me dégoûte, vraiment. J'en ai sincèrement ras le cul de ces mecs tous plus sexistes que les autres... Et pour être honnête, ça me refroidit pas mal qu'Oskar soit pote avec un gars comme ça.

— T'avais b'soin d'quelque chose ?

— Nop, j'venais juste passer le bonjour. Mais j'dois y aller, dit-il en me regardant. Dis à Marc que j'suis passé et dis-lui de venir la semaine pro. Ça sera fun. Axel passera sûrement te voir dans la semaine pour que tu lui conseilles quelques claviers. Il veut changer le sien depuis quelque temps, et comme il a bossé toutes les vacances scolaires cette année, il a mis du fric de côté.

— Okay, super. À plus, dit Thomas en nous saluant tous les deux.

Il se barre et nous sortons tous les deux de la boutique.

Avant même que la porte ne soit fermée, Oskar me dit :

— J'suis désolé. Vraiment. C'est... un gros con.

Son ton est navré, et son regard de chien battu, comme s'il cherchait à se faire pardonner cette situation très embarrassante. Pourtant, même si je suis, d'ordinaire, une femme particulièrement empathique, le comportement de son pote m'a sérieusement tapé sur le système et j'ai du mal à digérer. Je comprends pas qu'Oskar côtoie un mec comme ça. Mais d'un autre côté, Oskar n'y est pas pour grand-chose...

— T'inquiète, ça arrive... par contre, j'aurais pas imaginé que t'étais pote avec ce genre de gars, dis-je en riant nerveusement.

J'ai peur qu'il le prenne mal, mais j'ai besoin d'explications.

— Je me doute... On est assez différent, mais ils sont vraiment sympa, et on se connaît depuis un bail. On s'entend pas sur tout, dit-il en riant. Mais j'les aime, et pour rien au monde je changerai de groupe de potes.

— Je comprends... Mais tu as l'air d'être à l'opposé d'eux, dis-je en essayant de le pousser à m'en dire plus.

— Ouais, je sais. Mais comme le dis le dicton, les opposés s'attirent, me dit-il en riant, avec un clin d'œil.

Il n'a pas tort...

Et pourtant, je n'arrive pas à me décoincer.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? me demande-t-il en voyant mon air dubitatif.

— Rien, répondis-je sur la défensive.

— Tu me prends vraiment pour un con ? me questionne-t-il en riant légèrement.

— Mais non ! C'est juste que... t'es pas du tout avec tes potes comme t'es avec moi, et je sais pas vraiment lequel des deux Oskar est le vrai...

J'avais pas prévu de me livrer, de lui dire ce qui me tracasse réellement, mais c'est comme si je ne pouvais rien lui cacher...

Il fronce les sourcils et me regarde. Il semble amusé, et je redoute qu'il ne se moque de moi. On dirait une gamine...

— Quoi ?! Te moque pas de moi, j'suis sérieuse, dis-je en essayant de sauver ma peau et ma dignité.

— Je n'en doute pas une seule seconde, me répondit-il, amusé.

Il continue de me regarder, tendrement, et ajoute :

— Mais j'ai une question. Pourquoi faudrait-il qu'il y ait deux Oskar ?

Devant mon silence, il pose son bras par-dessus mes épaules, me secoue légèrement, ce qui nous fait rire.


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