28 juin 2022
28 juin 2022
Ça fait quatre jours que j'attendais de pouvoir lire la suite. Mais ma mère avait besoin de moi, le temps a filé comme une flèche, le temps de terminer le déménagement, organiser le retour au travail de ma mère etc, et chaque soir j'étais claquée ! Pis hier, le voisin est venu me voir, pour nous inviter à une fête avec tout le voisinage, dans le but de nous introduire à la vie de quartier. Ça a duré une éternité, mais c'était sympa. Il n'y avait personne de mon âge mais tout le monde était gentil et c'était très festif ! Ça fait du bien ce genre de moment légers et insouciants.
Bref, je n'ai pas avancé dans ma lecture depuis. Mais là, comme je n'arrive pas à dormir, j'ai repris le petit carnet, qui reste à mes côtés, sous mon coussin, au cas où l'idée de fouiller ma chambre viendrait à ma mère. Je ne sais pas pourquoi elle ferrait ça, mais je la connais, elle est capable de tout. Certes, ce n'est pas la meilleure cachette du monde, il faut le reconnaître, mais c'est toujours mieux que rien !
J'ai mis mes écouteurs, et j'écoute ma playlist mélancolique, celle que j'écoute quand ça ne va pas. Les chansons sont toutes mes préférées. Les plus sombres. Les plus tristes. Mais mes préférées.
Je ne vais pas spécialement mal, mais je crois que les circonstances actuelles, avec la lecture de ce journal intime, qui semble devenir de plus en plus dur avec le temps, justifie sans grande difficulté cette playlist.
J'ai mal. J'ai mal pour Iris, aux côtés de qui je rêverai d'être en ce moment. J'aimerais la serrer dans mes bras, lui dire que ça va aller, la rassurer. Et d'un autre côté, c'est la rage qui m'anime. La rage et la colère contre ces connards de gosses qui lui pourrissaient la vie. Personne ne mérite ça. Personne ne mérite de vivre ça, encore moins à son jeune âge. Comment va-t-elle se construire par la suite, alors que son enfance et son insouciance auront été brisés par des petits cons à l'âme impure ?! J'avoue n'avoir jamais compris ces comportements, si tenté que ça soit possible. Ça me surprend toujours de voir à quel point les enfants peuvent être méchants entre eux.
— Prune !
— Oui maman ?
— Descends, tu dois postuler pour des jobs d'été !
Je lève les yeux au ciel, fatiguée qu'elle me dicte constamment ce que je dois faire, mais à contrecœur, je pose le journal à côté de mon oreiller et réponds :
— J'arrive.
Je saute dans les escaliers et les dévalent à une vitesse fulgurante. Je me tords la cheville mais continue ma course. Je sais très bien que si je ne suis pas là dans les minutes qui suivent, elle va s'énerver. Elle est comme ça, depuis quelques années. La colère prend très vite le dessus, et elle peut se montrer très virulente, voire violente. C'était pas comme ça avant. Je sais pas vraiment ce qui a changé, probablement sa relation avec les gens qui l'entourent, mais sûrement aussi la relation qu'elle entretient avec elle-même. Je crois que malgré l'image qu'elle essaie de renvoyer, elle n'est de loin pas aussi froide, forte et sans cœur qu'elle s'évertue à montrer. Je crois que longtemps, sûrement trop, je l'ai entretenu dans ses croyances, mais avec le recul que j'ai aujourd'hui, je ne suis pas sûre que ça ait été la meilleure chose que j'ai fait. Je crois que ça ne lui a pas autant servi que ce que j'imaginais autrefois, pensant bien agir.
Toujours est-il qu'aujourd'hui, ma mère n'a plus rien à voir avec la femme qu'elle était lorsque j'étais enfant. D'une mère aimante, attentionnée, bienveillante, souriante, persévérante, forte, pleine de caractère, ambitieuse elle est devenue une personne volatile, qui couche à droite à gauche, va chez les gens, sort, boit... Je ne la vois pratiquement jamais à la maison. Même si je cautionne pas du tout ses comportements, et que les trois quarts du temps ils me tapent sur le système, je crois malgré tout qu'après tout ce qu'elle a vécu ces dernières années, avec mon père notamment, elle essaie juste de gérer les choses du mieux qu'elle peut, de ne pas se noyer. Je paye pour les pots cassés, et la plupart du temps, je lui en veux d'agir comme ça avec moi, mais quand j'y réfléchis, je me rends bien compte que moi aussi j'ai des réactions horriblement casses pieds causées par mes traumas ou des évènements difficiles. Elle se cherche, essaie de trouver un équilibre, et j'ai beau ne pas aimer la manière qu'elle a de combler certains manques, je crois que ce dont elle a le plus besoin, surtout en ce moment, c'est du soutien et de l'amour. Je l'oublie la plupart du temps, mais avant d'être ma mère, elle est un être humain, elle aussi. Finalement, elle est peut-être plus fragile qu'elle en a l'air. Bref j'ai déjà eu l'occasion de croiser un certain « Ricky » à la maison alors que ça fait même pas une de semaine qu'on est arrivé. Ça me fatigue...
Bref, elle veut que je sorte plus. Que je prenne exemple sur elle.
Belle ironie non ?
Si y'a bien quelqu'un sur qui je ne veux pas prendre exemple, c'est elle. On a rien en commun. C'est ma mère, certes, mais je crois que notre relation s'arrête là. Elle essaie d'entretenir un lien entre nous qui n'existe plus depuis longtemps. Probablement depuis que mon oncle m'a foutu une gifle à un noël parce que j'avais osé me plaindre sur la condition féminine dans notre société, et qu'elle n'a rien dit. Bon, certes, elle était sûrement un peu bourrée, mais fuck c'est ma mère et elle a rien dit ! Si je dois m'en prendre une à chaque fois que j'ose dire que la place des femmes c'est pas à la cuisine, je vais jamais m'en sortir.
Mais j'ai jamais digéré. Elle aurait dû réagir. Elle aurait dû prendre ma défense. Parce qu'elle sait que j'ai raison. Mais si ça se trouve, elle en a juste rien à foutre...
— Je suis pas bien maman là, on verra ça demain, dis-je, en me tenant le ventre, comme si j'étais sujette à des douleurs liées à mes règles.
— Tes règles ?
— Ça va finir par arriver... Ou l'ovulation. Je sais pas vraiment où j'en suis.
— La bouillotte est dans la cuisine, va la faire chauffer si tu veux. On fera ça demain. Mais t'as pas intérêt à repousser. C'est demain, dernier délais. Hors de question que j'me démène à payer cette baraque toute seule.
Son ton est froid, mais n'est pas aussi cassant qu'il l'est d'ordinaire. Je crois pouvoir dire sans trop de doute qu'elle est plus ou moins sobre, ce qui pour être honnête, n'est pas arrivé beaucoup ces derniers temps. Ça fait du bien de la voir comme ça. Je sais qu'au fond, elle est juste submergée par son passé. Par notre passé. Enfin, je suppose. On n'en parle pas, mais ça doit venir de là. Dans tous les cas, l'alcool a toujours été un moyen d'oublier pour elle, mais ces derniers temps, elle consomme énormément, et je dois bien reconnaître que ça m'inquiète. Pas pour moi. Même bourrée elle ne s'attaquerait pas à moi. J'en suis certaine. Mais ses mots sont parfois plus douloureux à digérer que des coups. Et ça, quand elle a bu, ça vient presque instantanément.
Je sais pas quand est-ce que je la reverrais dans cet état de « presque sobriété » alors que m'approche d'elle et fait quelque chose que je n'ai pas fait depuis une éternité : je la serre dans mes bras.
Pendant quelques secondes elle est surprise et désemparée et ne me rend pas mon étreinte, mais elle finit par entourer ses bras autour de moi, et me serrer fort, comme si elle avait soudainement peur que je m'éloigne.
— Ça fait du bien de t'avoir si près de moi, murmure-t-elle dans mes cheveux.
Ses mots résonnent en moi et une vague de larme, nostalgiques mais aussi heureuses, m'envahit. Je la serre encore plus fort et chuchote à mon tour :
— Tu m'as manqué.
Ma voix se brise sur ces derniers mots.
Je suis submergée par de merveilleux souvenirs de mon enfance, à ses côtés, et ma poitrine se serre lorsque je me rends compte du gigantesque fossé qui s'est dessiné entre nous avec le temps. J'ai l'impression de ne pas l'avoir senti contre moi depuis des années, et je ne suis même pas capable de me rappeler la dernière fois que nous avons échangé plusieurs mots qui n'étaient ni insultes ni engueulades. Cette constatation m'attriste, mais j'ai espoir que les choses puissent encore changer. Avec un peu de chance, ce nouveau départ, cette nouvelle ville, va nous permettre de nous rapprocher, de ressouder des liens, qui, trop longtemps, ont été laissés à l'abandon.
On finit par se séparer, et la distance qui nous lie d'ordinaire semble très vite avoir réapparu. Je vais chercher la bouillotte, même si je n'ai pas mal au ventre, la prépare et monte les escaliers, saluant ma mère une fois sur le palier.
Je me blottis dans mon lit, enfouis la bouillotte sous ma couette, histoire qu'elle me réchauffe, et prends le journal d'Iris. Je vais enfin pouvoir avancer dans ma lecture !
Ma playlist dans les oreilles, le carnet à mes côtés, je me replonge dans ma lecture.
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