24 juin 2022

24 juin 2022

— Prune ! Descends, j'ai besoin de toi pour déballer les cartons ! crie ma mère depuis le garage.

Je souffle, mais réponds :

— J'arrive.

Je pose le journal à la couverture noire, en cuir, que j'ai entre les mains.

Je l'ai trouvé, caché derrière un des tiroirs du grand placard qui se trouve dans ma chambre.

Celle-ci est vide pour le moment : nous venons tout juste d'aménager ici. Mes parents se sont séparés, et ma mère a décidé de louer cette maison, dans la banlieue parisienne.

Il faut croire qu'elle a du fric à lancer en l'air... Je n'aurais probablement pas choisi Paris si ça ne dépendait que de moi vu les problèmes d'argent que nous connaissons par moment, mais bon, maintenant, c'est fait.

N'empêche, la maison est belle. Elle n'est pas très grande, et s'étend sur deux étages et un sous-sol. Elle est assez vieille, dans un style haussmannien qui ne la rend que plus élégante.

Derrière, il y a une petite cour, avec une terrasse, sur laquelle se trouve une table ainsi que des chaises, en fer forgé, toutes gracieusement disposées autour d'un canapé recouvert d'une bâche blanche, pour que la pluie et le mauvais temps ne le tâchent et ne l'abîment pas.

Il y a, sur les murs de pierres qui délimitent le jardin, de nombreux rosiers qui grimpent jusqu'en haut. Ils sont magnifiques. Le premier en partant de la gauche est rouge, le second blanc, et il y en a ensuite deux autres, un jaune et un orange. J'ai toujours adoré les roses, et il faut bien reconnaître que je ne pouvais pas rêver mieux qu'un jardin qui en est rempli !

Il y a ensuite deux de mes autres fleurs préférées. Au fond du jardin, sur le mur qui marque la fin de notre habitation, une rangée d'hortensias, aux différentes couleurs, formant un dégradé, passant du rose au bleu en s'arrêtant sur le violet. Ils sont absolument sublimes.

J'adore cette fleur, elle est... pleine de vie, et tout simplement magique. Elle me rappelle ce que j'étais autrefois, et même si, la plupart du temps, je redoute cette touche de nostalgie qui m'envahit lorsque je pense à qui j'étais avant, j'apprécie ce sentiment quand les souvenirs sont générés par la présence de cette fleur aux pétales volatiles.

Puis, il y a également, dans un coin, un lilas. Ses fleurs violettes forment de petits assemblages, et se réunissent sur la même branche. Son parfum embaume le jardin, et sa couleur est si pigmentée qu'elle pourrait paraître artificielle.

L'herbe quant à elle est si bien entretenue que son vert surprend au premier regard. Il est fort intense et d'un éclat surprenant.

Il y a un petit banc de pierre blanche, sous le rosier rouge, ce qui rend le cadre encore plus merveilleux qu'il ne l'est déjà.

De nombreuses fleurs sont suspendues dans la véranda, ajoutant une nouvelle touche de couleur à ce cadre absolument époustouflant.

De ma fenêtre, je peux observer le jardin et son atmosphère idyllique. J'ai l'impression d'être dans un conte de fée.

Je n'étais pas vraiment partante à l'idée de déménager, surtout que, depuis quelque temps, les disputes entre mes parents ont altéré ma relation avec ma mère. On est de moins en moins proches, et malgré ce que je pouvais dire il y a quelques années encore, elle commence sérieusement à me courir sur le haricot. Peut-être aussi que ma tolérance est moins importante à cause de la période que je traverse avec l'adolescence ? J'en sais rien, mais en tout cas, je n'étais pas super enjouée à l'idée de quitter le cocon familial. Nous avions toujours habité en Bretagne, et c'est la première fois que je quitte ma région pour aller vivre ailleurs. On avait déjà déménagé, il y a quelque temps, quand ma grand-mère est morte et que la maison familiale a été léguée à mon père. C'était une très grande bâtisse, presque un manoir, avec d'immenses jardins, des fontaines à n'en plus finir, et autres ornements merveilleux. Mon grand-père était issu d'une famille aisée et à sa mort tout ce qu'il possédait avait été légué à ma grand-mère, qui à son tour nous a transmis ces biens familiaux. Du moins matériels. L'entretien d'une telle bâtisse est coûteux et nous n'avons plus grand-chose de l'argent que mon grand-père possédait. Mon père habite toujours là-bas, mais je ne suis pas sûre qu'il y reste. Il planifiait de la vendre, avant que nous partions, ma mère et moi. Ça me rend triste de me dire que cette maison dans laquelle j'ai vécu pendant des années, et que nous nous transmettons de père en fils, ne nous appartiendra probablement plus d'ici peu, mais je n'aurais pas mon mot à dire dans cette histoire, c'est certain.

Ma chambre était gigantesque, je l'avais toute décorée et agrémentée à ma manière. J'étais très bien là-bas. En plus, j'avais tous mes amis, que je voyais fréquemment.

Bref, c'était la belle vie.

Mais mon père et ma mère ont fini par se prendre la tête de plus en plus souvent, et puis un soir, ils m'ont appelé et m'ont dit de m'asseoir sur le canapé. On ne faisait jamais de réunion de famille ou de trucs comme ça, donc je me doutais que quelque chose d'anormal se passait. Mais je ne savais pas quoi.

Ils m'ont dit qu'ils se séparaient.

Je n'ai pas pleuré.

Je n'ai pas râlé.

Je n'ai pas contredit.

En fait, je pensais, et je le pense toujours, que c'était la meilleure option. Ils ne pouvaient plus se voir, ni se parler pendant plus d'une seconde sans se prendre la tête. Alors, j'ai acquiescé, et j'ai attendu de savoir avec qui j'irai habiter. Dans les deux cas, ça ne m'enchantait guère, mais je préférais de loin habiter chez ma mère. Mon père veut toujours contrôler ce que je fais, mais il n'est jamais là. Il bosse pour une grande firme internationale, et son boulot a toujours pris le dessus sur moi. Je lui en voulais beaucoup, autrefois, mais j'ai appris à faire avec, alors aujourd'hui, c'est plus une certaine forme d'indifférence qui m'anime.

Qu'il fasse ce qu'il veuille...

Il est grand après tout, je ne peux rien dire.

C'est ma mère qui a gagné la garde. J'étais soulagée, je crois, quand j'ai appris la nouvelle.

Mais maintenant, je n'en suis plus si sûre...

Je l'aime, bien sûr, tout comme j'aime mon père, mais je rêve de partir, de voyager, de vivre, seule, ou avec quelqu'un, mais quelqu'un d'autre que mes parents.

Je n'ai jamais eu de frère ni de sœur, et j'ai très souvent été livré à moi-même. Le problème étant que, désormais, j'ai un peu du mal avec la nécessité que mes parents expriment de toujours contrôler ce que je fais.

De toute façon, maintenant, il n'y a plus grand-chose à contrôler ! On est arrivé hier dans cette maison, à des centaines de kilomètres de chez moi, et je ne connais absolument personne. C'est pas comme s'ils avaient du souci à se faire ! Je ne ferai pas les quatre-cent coups, et je ne sortirai probablement pas, ou peu.

— Prune, dépêche-toi de venir ! me crie à nouveau ma mère.

— J'arrive maman, j'arrive ! répondis-je avec une pointe de colère dans la voix.

Je souffle à nouveau.

Mes yeux se posent sur la couverture de cuir noir. Je la caresse doucement du doigt. Je rêve de pouvoir continuer ma lecture, de pouvoir en apprendre plus sur cette jeune fille, de connaître son histoire.

Je ne suis pas certaine que ce que je fais est correct, mais je n'ai pas envie de m'arrêter. Certes, il s'agit d'un journal intime, et donc de quelque chose de personnel. Mais je suis animée par une curiosité sans bornes et je n'attends que de pouvoir continuer ma lecture. Elle écrit sacrément bien pour une fille de onze ans. C'est envoûtant.

Voilà, c'est ça le mot. Je suis envoûtée ! Je veux savoir la suite. Je veux connaître son histoire, sa vie, ce qui lui est arrivé.

Je ne sais rien de la famille qui a habité avant nous, si ce n'est qu'ils ont quitté la maison très vite, après des années de vie ici, il y a quelques mois seulement. Juste avant qu'on arrive. Mais je ne sais pas pourquoi. Pourquoi si précipitamment. Ont-ils voulu échapper à quelque chose ? S'est-il passé quelque chose ? Ils l'ont immédiatement mise en location, mais ont pour projet de la vendre, il me semble.

Je n'en sais rien, mais je rêve d'en savoir plus. Je rêve de comprendre.

J'ai toujours été très curieuse, et les enquêtes, c'est mon truc. J'ai hâte de m'y mettre.

— Prune, tu fous quoi là ? me demande ma mère avec colère.

Je sursaute.

Elle est montée.

Je ne l'avais pas entendu arriver !

Elle se tient sur le chambranle de ma porte et me dévisage de ses yeux noirs.

— Écoute, je sais que ce n'est pas simple pour toi, ce déménagement, la séparation et tout ça, mais là j'ai vraiment besoin de toi. Je ne vais pas pouvoir tout faire toute seule ! En plus, je commence le travail dès lundi et il faut que tout soit déballé d'ici là. Donc viens m'aider, s'il te plaît.

Je hoche la tête et reste silencieuse. Je n'ai rien à ajouter. De toute façon, il ne vaut mieux pas que j'ajoute quelque chose.

— Qu'est-ce que c'est ? me demande-t-elle alors en désignant le carnet noir.

— Oh ! Ça ce n'est rien, juste un vieux carnet que j'ai retrouvé en déballant mes cartons, dis-je précipitamment.

Il n'est pas question que ma mère ait vent de ce carnet. Elle refuserait que je le lise, prônant la confidentialité, puis, elle le lirait elle-même en secret.

Son regard fait le tour de la pièce, et se pose sur les cartons qui s'y trouvent. Aucun n'est ouvert. Aucun n'est déballé.

Elle me regarde avec suspicion, mais ne dit rien.

Je cache le carnet dans mon carton de vêtements, quand elle a le dos tourné, et je la suis dans le garage.


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