1 - Asael


Encre sournoise dégoulinant sur la toile du ciel. Les étoiles s'éteignent, bougies fragiles, sous le souffle de la brume qui s'impose en reine. J'entrouvre encore un peu les rideaux foncés qui encadrent ma fenêtre, spectacle mélancolique. Ma vision est argentique. Mes yeux ne perçoivent plus les couleurs depuis... si longtemps.

À genoux sous la douleur qui me pèse, je ferme les yeux. Mes paumes se joignent d'elles-mêmes sous l'emprise d'une force que je crois deviner. Mes lèvres commencent à dessiner des paroles qui s'envolent dans l'espace sans un son. Je récite, silencieusement. Ma bouche, seule actrice de mon oraison. Mes mots gagnent en musique lorsque vient la prière de mon enfance :

"Notre Père,
Qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié"

Ma voix gagne en puissance, ose, s'affirme.

"Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite,
Sur la terre comme au ciel."

Explosion. Un sursaut mais mes paupières restent closes. Je sens des éclats de verre pénétrer ma peau, trancher ma chair. Des mains, m'agripper les épaules, avec poigne. Mais je continue. Malgré la douleur.

"Donne-nous aujourd'hui
Notre pain de ce jour."

À travers mes yeux clos, je vois la lumière du jour. Rayonnant de mille feux. Séducteur. Je lutte pour condamner ma perception du monde encore un peu. Je pousse encore un peu la voix, à la limite entre parler et crier. Mon corps me brûle.

"Pardonne-nous nos offenses,
Comme nous pardonnons aussi
À ceux qui nous ont offensés."

Mes yeux frémissent, je ne dois pas les ouvrir. Encore un peu. Des volutes d'air caressent mes cheveux, cajolent mon visage, effleurent le sang qui s'échappe de mon être.

"Et ne nous laisse pas entrer en tentation,
Mais délivre-nous du Mal."

J'ouvre les bras au dessus de ma tête. Je rejette ce qui s'accroche à moi avec puissance. Je donne mon corps, mon coeur, mon esprit au Seigneur. Et dans un murmure inaudible, je chuchote :

"Amen."

La réalité me revient avec brusquerie. Et dans l'éclat d'une seconde, je reste émerveillé devant le corps scintillant qui s'évapore en suspension, les ailes déployées. L'obscurité reprend sa place. Mes sens, en alerte, perçoivent un message. Un appel, comme un chant aux délicates notes.

"Rejoins-moi."

Les pétales de sang sur mes vêtements s'agrandissent jusqu'à former une fleur, puis deux, puis mille. Champ écarlate sur les draps. Le verre s'enfonce de plus en plus, mortel. Et j'ai seulement la sensation de l'éclat qui se loge dans mon cœur pour ne plus se mouvoir. Avant de perdre mon âme. Aux confins de l'espace.

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