J'ai fait un rêve
N.d.a. : Juste une petite précision : la couverture de cette nouvelle a plus de rapport avec le texte qui suit (en italique), et encore pas vraiment, qu'avec la nouvelle après (qui n'est pas en italique)
Bonne lecture !
P.-S. : Daeltam, le titre te dira quelque chose, normalement... ;)
J'ai fait le rêve
Que je marchais sur la Lune
J'ai fait le rêve
Que je dansais sur une dune
J'ai fait le rêve
Que j'étais funambule
J'ai fait le rêve
Que j'étais noctambule
J'ai fait le rêve
De rires à perdre haleine
J'ai fait le rêve
De courses dans la plaine
J'ai fait le rêve
Que je pensais tout bas.
J'ai fait ce rêve
Et tu étais juste là.
⁂
« Nous sommes sœurs, aussi fragiles que les ailes du papillon, mais à nous deux nous pouvons faire disparaitre le monde. Qui sommes nous ? »
~ Jean-Claude Mourlevat, La Rivière à l'envers~
⁂
Les paupières sont des murs, des fenêtres qui ne laissent passer que la lumière du soleil, pétales cramoisis, sans images.
Lorsqu'on les ferme, tout est possible.
⁂
Lorsque nous avons les yeux ouverts, nous ne rêvons que de les fermer, mais lorsque nous les fermons, nous rêvons qu'ils sont ouverts.
⁂
Nos rêves paraissent toujours réalité. Et si la réalité paraissait rêve ?
⁂
Les balançoires continuaient leur courses bien après le départ des enfants. Avant, arrière, avant, arrière, avant... Les chaînes grinçaient, et en fermant les yeux elle pouvait deviner quand est-ce que les balançoires avançaient ou reculaient. Aigu, elle avançaient, plus grave, elle reculaient.
Elle tendit le bras, et balaya le vide de sa main tendue, jusqu'à sentir sous ses doigts le contact métallique et mouillé qu'elle connaissait bien à présent. Elle attrapa la barre, et poussa le plus fort possible. Le tourniquet se mit en mouvement, décrivant des cercles de plus en plus lents au fur et à mesure que le temps passait.
Elle sentait sous son dos l'humidité de la pluie sur l'herbe qui avait imbibé ses habits, mais elle n'y faisait pas attention.
N'importe qui d'autre aurait eu peur, de nuit, dans un parc sombre et désert, avec pour seule mélodie le son grinçant des agrès pour enfants.
Elle ne s'était jamais sentie aussi bien.
Lorsque le vent s'estompa, les nuages étaient revenus. Son front tressaillit lorsqu'une goutte s'y écrasa. Puis une deuxième atterrit au bout de son pied. Elle l'observa un moment, puis la perle d'eau glissa, et roula le long de la chaussure, créant un sillon foncé sur le tissu.
Elle se leva lorsqu'elle fut trempée de la tête de aux pieds. Alors elle erra dans le parc, jusqu'à arriver devant un portail en fer forgé dont les battants étaient entrebâillés. Elle se faufila entre eux, ombre parmi les ombres, et s'avança dans la rue déserte.
Elle entendit un claquement, et tourna la tête. Pendu à un lampadaire, un parapluie se balançait doucement. Il avait dû s'envoler, et son propriétaire aurait préféré courir se mettre à l'abri pour échapper à la tempête que de courir après lui.
Elle aurait pu le prendre, ce parapluie, avec ses baleines retournées par les rafales, et sa toile mouillée tendue et usée. Elle trouvait toujours ce dont elle avait besoin, c'était ainsi. Pourtant elle l'ignora et continua sa route sous la pluie battante, éclaboussant ses vêtements de l'eau des flaques dans lesquelles elle marchait sans s'en préoccuper.
Jamais le silence ne lui avait paru aussi assourdissant.
Ses pas la menèrent, un peu malgré elle, devant un appartement ordinaire, d'un quartier ordinaire, de cette ville ordinaire.
À côté de la porte était cloué un panneau doré, comme ceux des médecins, où était indiqué « Sorcier à plein temps. Sans réservation. »
Un grognement sourd lui parvint, qu'elle identifia comme une invitation à entrer. Elle poussa le battant, et passa le seuil.
Au contraire de tout ce qu'elle avait pu imaginer, elle trouva une pièce grande et qui – peut-être ne l'était-elle pas le jour – était plongée dans l'obscurité par la nuit. Il y avait pour tout meuble un bureau en son centre, derrière lequel était assis un adolescent, blond, ses cheveux cachant ses yeux, et les pieds sur la table.
— Bonjour, lança-t-elle. Où est le sorcier ? C'est ton père ? Je peux le voir ?
— Vous posez trop de questions. C'est moi. Le sorcier, je veux dire.
Si elle fut surprise, elle le cacha remarquablement bien.
— Que voulez-vous ? L'immortalité ? Je vous fait un prix, c'est à la mode en ce moment. Des sorts cosmétiques ? La capacité de voler ?
— Je veux rêver.
Le sorcier leva un sourcil surpris.
— Rêver ? Rêve d'avenir, rêve éveillé ou endormi ?
— Endormi.
— Vous ne rêvez plus ?
— Je ne rêve pas. C'est tout.
Son interlocuteur hocha lentement la tête.
— C'est entendu.
— Alors ?
— Alors quoi ?
— Que dois-je faire ?
— Vous ? Rien. Patientez un instant, je reviens. Vous avez des magazines, sur l'étagère, si vous voulez, et n'hésitez pas à vous asseoir par terre.
Interloquée, elle s'installa en tailleur sur le sol et saisit un magazine, intitulé « Sorts et Élixirs pour tous ». Elle le feuilleta rêveusement, sans voir sur les pages autre chose qu'une série de lettres qu'elle fixait sans les lire.
Un bruit sourd retentit, et elle sursauta violemment, avant de grimacer. Son doigt avait glissé sur une des pages en papier glacé, et une coupure s'étalait sur sa paume. Un filet rouge s'écoula sur son poignet. Elle l'essuya maladroitement avec un mouchoir trouvé au fond d'une poche, et reposa le magazine.
Quelques minutes plus tard, l'adolescent revenait dans la pièce.
— Désolé pour le bruit, j'ai une pile de livres qui est tombée. Mais passons. (Il lui tendit un collier à la chaîne en métal noir à laquelle était attaché un pendentif rond et vert avec des reflets bleus, comme des volutes de fumée) Mettez ça, et vous devriez rêver sous peu.
Interloquée, elle mit le collier et remercia le sorcier, puis elle alla jusqu'à la porte, fit pivoter le battant et sortit.
La dernière chose qu'elle vit fut les nuages gris qui lui cachaient la vue du ciel.
Ses paupières battirent, papillonnant dans l'air frais. Ce n'était pas le matin, la lune était toujours bien visible dans le ciel foncé.
Et pour la première fois de sa vie, elle avait rêvé. C'était un rêve étrange, avec un sorcier adolescent, blond... Qui lui remettait un collier pour qu'elle rêve. Alors sans doute n'avait-ce pas été un rêve, mais la réalité, mais alors pourquoi est-ce que ce moment avait-il tout d'onirique ?
Elle porta la main à son cou ; mais sous ses doigts, nul collier. Alors, c'était un rêve. Le premier. Mais pas un rêve qui lui avait permit de rêver, puisqu'elle rêvait déjà lorsqu'elle l'avait fait. Sans doute un sursaut de son subconscient en réaction à la première fois qu'elle rêvait.
Elle se redressa, et appuya les paumes de ses mains sur le sol pour se relever. Il fallait qu'elle s'en aille, elle était frigorifiée de sa nuit passée dehors. Mais une douleur aigüe l'arrêta, elle se rassit et observa sa main gauche. En diagonale sur sa paume s'étendant une coupure nette, comme celle que l'on peut se faire avec une page de magazine.
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