9. ᴇʟʟᴇ
— Tu sais, Shae, papa est violent avec moi aussi.
J'écarquille les yeux de surprise. Non, de choc, plutôt.
L'aveu d'Anae me révolte, me met hors de moi. Je n'arrive pas à digérer le fait qu'il porte main à sa propre fille, sa propre progéniture. Sa chair, comme il sait si bien le dire.
Caser cette information dans mon cerveau ne sert qu'à accentuer le dégoût que j'éprouve à son égard. Arthur est un homme immonde.
Enfin, ce n'est pas comme si je défendais cette gamine, mais ce n'est justement qu'une enfant, SON enfant, et je trouve dégueulasse qu'il puisse aller jusqu'à faire quelque chose d'aussi horrible. Avec ça, je me demande comment il peut encore l'appeler « ma fille ». C'est exagérément hypocrite, même venant de lui. Je retiens une envie de vomir.
Devant mon silence, ma demi-soeur baisse la tête et se triture les doigts. Soudain, je ressens une vague de tristesse. J'ai pitié d'elle autant que de moi. Nous sommes toutes les deux prisonnière d'une grande toile dont son père représente l'araignée.
Mon regard la parcourt. Puis ma main s'élève lentement avant de se poser sur sa joue rosie. Je lui caresse les pommetes du bout des doigts, dessine son petit nez aquilin pour ensuite glisser ma main sur son menton charnu. Elle est à croquer.
Et sous ses yeux perçants, je ressens une avalanche d'affection pour elle. Si je lui vouais une hargne incompréhensible depuis sa naissance, ça vient de changer en cet instant.
— Anaé, viens ici, ordonne durement la voix masculine de son père depuis le rez-de-chaussée.
Rien qu'à l'entente de son prénom, la petite sursaute, nettoie rapidement son visage avant de se retourner et de s'en aller. Elle ne m'adresse aucun regard de plus, mais le plus choquant, c'est le geste qu'elle effectue plus loin dans les escaliers.
Elle pose ses deux mains de part et d'autre de ses joues et les étire en un sourire éblouissant. Bien qu'étant dos à moi, je peux la voir répéter ce geste à maintes reprises avant de, quelques instants plus tard, s'élancer dans les escaliers et s'en aller.
Je reste cependant debout devant ma chambre à fixer les escaliers. Que dois-je faire après cet aveu de la part d'Anaé ? Je ne suis même pas capable d'empêcher son père de me porter main à moi, alors comment vais-je pouvoir la protéger ?
Le mieux à faire serait d'aller voir la police, mais et si les agents ne me croient pas ? Ou s'ils décrètent qu'il n'y a pas assez de preuves contre lui ? Je ne peux pas prendre le risque de faire quoique ce soit, en tout cas pas pour l'instant. Mais cela équivaudrait à accepter qu'il continue de me frapper, et Anaé aussi.
Il faut avouer qu'à cet instant précis, c'est à ma mère que j'en veux le plus. Comment peut-elle regarder ses enfants se faire tabasser par cet homme ignoble ?
Elle n'aurait jamais dû l'épouser. Je suis d'accord avec le fait que je ne puisse pas lui en vouloir de l'aimer, mais ça a ses limites. À ce rythme-là, je commence à penser qu'il l'a peut-être envoûtée.
Auparavant, ma mère n'a jamais été quelqu'un d'aussi insensible face au malheur des autres. Je me demande ce qui a bien pu se passer pour qu'elle change autant. Je l'adorais avant tout ça, mais maintenant, je ne sais plus quoi penser d'elle.
Je me décide enfin à retourner dans mon antre et prends soin de refermer la porte.
C'est alors que mon attention se reporte sur mes poignets. Quelle chance qu'elle n'ait pas vu le sang qui dégouline de mon pull.
Les manches de mon vêtement sont pleines à craquer de sang. Il y a même des gouttes du liquide rougeâtre qui en découlent.
Je ne savais pas que les traits étaient aussi profonds.
Je soupire, retire le pull ainsi que tous les bouts de tissus qui recouvrent mon corps et m'engouffre dans la salle de bains. Je prends tout d'abord le temps de nettoyer mes blessures en face du miroir, puis, après ça, vais réellement sous la douche. L'eau froide glisse lentement sur ma peau frêle avant de s'écraser au sol. Je reste stoïque un moment, profitant de la sensation que cela me procure, avant de me laisser tomber au sol.
Recroquevillée sur moi même en dessous de la colonne, j'enfonce ma tête entre mes genoux et me laisse aller pour la énième fois.
Je ne me cache plus. Je me dévoile, à moi-même. Oui, je hôte mon masque. Les larmes dévalent mon visage tuméfié à une vitesse sur je ne saurais définir, vu que j'ai perdu toute notion du temps. Je pleure silencieusement. Je me laisse aller.
Les minutes défilent dangereusement, et je crains qu'on ne frappe à la porte. Je ne sais même pas depuis combien de temps je suis là. Dix minutes, peut-être ? Ou trente, je n'en sais rien.
J'ai l'impression de porter tout le poids du monde sur mes épaules, c'est insupportable. J'ai toujours le cœur serré, l'impression d'être toujours en faute. Combien de fois ai-je pleuré sous la douche comme je le fais maintenant ? J'ai arrêté de compter lorsque j'ai compris que ça ne cesserait jamais. Je suis prise au piège dans une machine temporelle en panne : je revis sans cesse les mêmes choses. Ça m'étouffe.
Je veux pouvoir vivre sans toute cette pression sur les épaules, sans cette peur que me procure mon beau-père, sans cette haine que j'éprouve pour ma mère, sans cette pitié que je ressens pour Anaé, sans cette amertume que je ressens face à la vie, sans ce sentiment de culpabilité que j'éprouve face à Allison, sans toute cette noirceur à laquelle je dois faire face.
Je n'ai jamais rien demandé à la vie, bordel. Jamais. À part peut-être moins de supplice.
Quelques fois, il m'arrive d'espérer tomber gravement malade et y rester. Je me surprends même, des fois dans la rue, à vouloir me jeter sous une voiture qui passe et mourir pour de bon.
Mais je pense à Allison, seulement à Allison.
Elle qui, pendant toutes ces années, a fait tous ces efforts afin de m'aider et me consoler, que pensera-t-elle de moi si je mets fin à mes jours ?
Ça fait un mal de chien de vouloir mourir mais de ne rien tenter juste pour ne pas faire de mal à des proches. Si ça ne tenait qu'à moi, depuis longtemps déjà personne n'aurait plus de mes nouvelles.
Le temps passe et je commence à avoir froid à force de rester sous l'eau froide. Je bobine mon corps d'un peignoir et retourne dans ma chambre.
À peine suis-je entrée dans la pièce que la notification orange clignotant sur l'écran de mon ordinateur attire mon attention. Je stoppe mes mouvements et, debout, les bras dans les vide, fixe l'appareil. Il s'agit sûrement de ce garçon, Liam.
À vrai dire, je ne comprends pas pourquoi il s'acharne autant à vouloir me parler. OK, il s'est excusé après la façon dont il m'a parlé lorsque j'ai publié mon annonce, mais à quoi bon continuer ? Je suis un cas désespéré.
Je ne suis pas vraiment excitée à l'idée de faire ami-ami. Je ne le connais même pas, je ne sais pas à quoi il ressemble ni s'il est vraiment celui qu'il prétend être.
Détrompez-vous, je ne suis pas méchante en pensant cela, je suis juste réaliste. Je ne veux pas me rendre compte, plus tard, que je parlais avec un délinquant sexuel, ou encore un pédophile. Je suis juste sur mes gardes.
Et puis, même s'il voulait m'aider, comment pourrait-il faire cela ? Les mots ne suffisent pas à arranger les problèmes, et c'est encore moins au travers d'un écran qu'il pourra m'aider à régler les miens. Tout ça pour dire que cette aventure n'a pas de sens. C'est aussi ridicule qu'inutile. Une pure perte de temps.
Je prends néanmoins la peine d'ouvrir son message.
Hello par ici, ça va ?
Mon doigt reste posé sur la souris, tandis que mes yeux ne quittent pas la phrase à l'écran. J'hésite entre répondre et ne pas répondre.
Que faire ?
Je lis et relis le message, mais les doutes ne quittent pas d'un pouce mon esprit. Si je réponds, il continuera à m'écrire, chose que je ne veux pas.
Pourtant, au fond, je sens comme une réticence de mes émotions face à mes doutes. D'une part, j'ai envie de lui parler, mais d'une autre part, j'ai peur qu'en entretenant cette discussion, je découvre en lui quelque chose qui pourrait m'attirer des problèmes. J'ai déjà assez de préoccupations pour qu'un garçon banal vienne en rajouter.
Et, d'une certaine manière, j'ai peur. De m'attacher.
Je vais devoir laisser mes envies de côté et me concentrer sur la réalité. Je ne répondrai pas.
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