6. ʟᴜɪ
Un pseudo. Il me faut vite trouver un pseudo. Sans ça, je ne pourrais pas me connecter à l'application.
Bientôt trente minutes que je me remue les méninges afin de trouver un pseudonyme à entrer dans la barre de connection de l'application. SpeechApp, de ce que j'ai retenu. J'ai, pour ainsi dire, plusieurs idées, mais aucune ne me semble assez stylée pour être adoptée. Peut-être Liam_xfr ? Ou encore liam_ptn ?
Oh, et puis quoi encore ? Je ne vais sûrement pas exposer mon prénom de la sorte.
Je soupire. À quoi bon s'obstiner à vouloir avoir un pseudo "stylé" ? Je n'aurai certainement personne à qui parler, alors vaut mieux mettre un truc simple. Quelque chose qui passera inaperçu.
J'opte donc pour "Mr_Troll", pas très original, mais efficace puisque j'arrive par la suite à entrer dans le logiciel. Le logo orange en forme de bulle de conversation fait mine de charger un court instant, puis je suis redirigé sur ce qui semble être l'accueil.
Avant de faire quoique ce soit, je prends le temps de découvrir tous les recoins de cette plateforme ainsi que son mécanisme. De ce que je comprends, il suffit juste d'écrire un message et le poster sur cette sorte de...babillard. OK, c'est plutôt simple. On a l'opportunité d'accoster des gens par message privé.
J'ai pu voir aussi qu'il y avait une sorte de fil d'actualité, sur lequel s'affichaient les messages des autres utilisateurs. Certains racontent leur journée, d'autres demandent juste à être textés.
En défilant les post vers le haut, un d'eux attire particulièrement mon attention.
« Je suis pas là parce que j'en ai envie, mais juste parce que j'ai fait une promesse à ma meilleure amie. En ce qui me concerne, je n'ai plus envie de vivre, et je compte y mettre fin très bientôt. Enfin bref, si vous voulez parler ou quoique ce soit, je suis disponible. »
Le message a été posté il y a environ une dizaine de minutes.
Je fronce les sourcils. Tu veux te suicider, mais tu t'inscris quand même sur cette application ? Très contradictoire, parce que selon moi, lorsqu'on veut mettre fin à ses jours, on ne le dit pas à tout le monde parce qu'on n'a pas forcément envie que quelqu'un essaie de nous en empêcher, alors on fait ça tout seul dans notre coin, sans que personne ne soit au courant. C'est d'ailleurs pour ça que j'ose lui répondre :
« Tu n'es pas là de ton plein gré mais tu veux quand même parler ? C'est assez contradictoire d'après moi. »
Je quitte le fil d'actualité du profil en question et vagabonde un peu aux environs. Une dizaine de minutes plus tard, ne recevant aucune notification indiquant une quelconque réponse, je me décide à retourner sur la page.
À ma plus grande surprise, le mur est vide. Le message a disparu.
J'entre le pseudonyme de l'utilisateur dans la barre de recherches pour essayer de retrouver le profil, ce que je ne tarde pas à faire. Son babillard en est tout autant vide. Serait-ce ma réponse qui l'aurait offensé ? Je ne sais pas comment, mais c'est vrai que ça pourrait être le cas. Après tout, on n'a pas forcément tous la même manière d'interpréter les choses.
Je soupire, me résignant ainsi à ce que mes mots aient pu blesser cet utilisateur, puis décide de lui écrire en message privé.
Pourquoi tu veux mettre fin à ta vie ?
C'est tout ce que j'ai trouvé à dire, et je vous l'accorde, ce n'est pas très spectaculaire comme première approche. Mais je ne suis même pas sûr d'avoir une réponse, alors à quoi ça m'aurait servi de lui envoyer un poème ?
Je quitte doucement mon bureau et descends à l'étage du bas, avec pour intention de trouver quelque chose à manger. Heureusement pour moi, mon frère n'est pas là.
Quand je suis rentré des cours, ce midi, je ne l'ai pas trouvé à la maison, et depuis, aucun Kal en vue, pour mon plus grand bonheur. Je prends donc ce que j'ai à prendre dans le réfrigérateur, mais au moment de retourner dans ma chambre, mon regard tombe malencontreusement sur cette photo, notre photo de famille. Une famille dans laquelle je ne me sens cependant pas le bienvenu.
Il y a dessus Vera et Marcus, mes parents adoptifs et ceux biologiques de Kal. Cette photo date d'il y a six ans, lorsque je n'avais encore que onze ans et mon frère treize. Déjà, à cette époque, nous ne nous entendions pas vraiment bien.
Le fait que Vera et Marcus ne soient pas là me laisse un gros vide, parce que je m'étais habitué à eux, à les voir chaque matin au réveil, à ce que nous prenions le petit déjeuner ensemble. Mais je suppose qu'ils sont trop occupés à voyager dans le monde « à cause du travail », comme diraient-ils.
Je baisse le regard, et remonte les mêmes marches d'escaliers afin de retourner dans ma chambre. C'est avec surprise que je découvre une notification clignotant sur l'écran de mon ordinateur.
Je me précipite vers celui-ci, et mon cœur rate un battement lorsque je m'aperçois qu'il s'agit de la réponse au message que j'ai envoyé à l'autre utilisateur.
Le petit cadran bleu palpite sur l'écran, indiquant la notification. À cet instant, je ne sais pas si je dois ouvrir le message, ou juste refermer la boîte et quitter l'application. Qui me dit que derrière l'écran, ce n'est pas un criminel ? Ou un psychopathe ? Rien, justement. Les réseaux sociaux m'ont toujours effrayé, parce qu'on ne sait pas avec certitude qui se cache derrière l'écran.
Mais c'est quand même excitant, toute cette histoire.
J'inspire une grosse bouffée d'air puis, à l'aide de la souris, clique sur le message. La boîte de communication privée s'ouvre par la suite, me dévoilant ainsi la réponse de mon interlocuteur :
« Laisse-moi tranquille, je suis occupée ».
Un "occupée" au féminin, donc je suppose que c'est une fille. À moins, bien sûr, que la personne soit extrêmement nulle en grammaire.
Au ton de sa réponse, je suis maintenant sûr du fait que mon précédent message l'a vexé, et sans mentir, je me sens un peu coupable. Il est vrai que je n'ai pas forcément été doux dedans.
Si c'est à cause de ma réponse à ton post, j'en suis désolé. Je veux juste essayer de faire connaissance.
Je n'en ai pas envie.
Pourtant tu n'as pas vraiment l'air d'aller bien.
Qu'est ce qui te fait dire cela ?
Ton post, justement.
Cinq minutes s'écoulent sans que je ne reçoive d'autres réponses. Je suppose qu'il/elle sait que j'ai raison, ce qui expliquerait ce silence de mort. Mais je ne vais quand même pas lâcher l'affaire.
Tu vois que j'ai raison.
Qu'est ce que tu veux ?
Juste qu'on fasse connaissance. Après tout, c'est le but de cette application, n'est ce pas ?
Ouais, ça n'est pas complètement faux. Mais je n'ai pas envie de te parler, alors fiche-moi la paix.
Je m'appelle Liam.
Je fais mine d'ignorer sa réponse assez brutale, parce que je sais que c'est faux. Si il/elle n'avait réellement pas envie de discuter avec moi, il/elle ne perdrait pas son temps à répondre à mes messages.
Mais lorsque les minutes s'écoulent sans que je perçoive d'autre réponse, je commence à me dire que j'ai peut-être fait une erreur en lui disant mon prénom, ou même en allant lui parler. Ça commence un peu à m'effrayer.
Et si c'était vraiment un psychopathe ? Ça voudrait dire que je viens de livrer des informations sur moi à un fou ? Si oui, je crois que j'en voudrais toute ma vie à Eloïse et Half. Après tout, c'est à cause d'eux que je suis là aujourd'hui, à essayer de me lier d'amitié avec quelqu'un que je ne connais même pas par le simple biais d'une application. Mais il faut dire que j'ai moi aussi ma part de responsabilité vu que j'ai accepté de le faire. Cependant, tous mes doutes s'envolent lorsque me parvient une notification. Une réponse. Sa réponse.
Shae.
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