5. ᴇʟʟᴇ
Toute seule devant l'ordinateur, la totalité de ma chambre plongée dans le noir, je prends le temps de découvrir l'application dont m'a parlé Allison.
De ce que j'ai pu voir, chaque compte a une sorte de mur, un babillard où il peut poster des messages et par la suite recevoir des réponses. Il y a aussi le moyen d'avoir de l'intimité en parlant par message privé avec d'autres utilisateurs, ce qui me rassure un peu.
Supposons que j'arrive à trouver une personne à qui parler — ce dont je doute fort, je ne vais tout de même pas lui raconter mes problèmes en étant sur le babillard, sachant que n'importe quelle personne qui passerait par là pourrait lire la conversation sans problème ? Désolée, mais non.
Je pense bien qu'il est temps que j'écrive un truc, même si pour le coup, je suis totalement certaine de n'avoir aucune réponse. Mais j'ai promis à Allison de faire un effort, alors je me jette à l'eau.
« Je suis pas là parce que j'en ai envie, mais juste parce que j'ai fait une promesse à ma meilleure amie. En ce qui me concerne, je n'ai plus envie de vivre, et je compte y mettre fin très bientôt. Enfin bref, si vous voulez parler ou quoi que ce soit, je suis disponible. »
Et je ferme mon ordinateur. Sa lumière étant la seule qui illuminait la pièce, dès qu'elle n'est plus, la noirceur s'empare immédiatement de l'endroit. Petite, j'avais vraiment peur du noir. Mais maintenant, je crois que c'est devenu ma couleur préférée.
Mon annonce est brève. Sans réel enthousiasme, mais elle me satisfait. J'ai été honnête. Bien que j'aie promis à Allison, je ne me sens pas capable de m'efforcer à faire la conversation avec quelqu'un, ou à publier des phrases avec une montagne de < !!!!! > juste pour faire preuve d'un peu d'enthousiasme. Je préfère être moi sous tout mes aspects.
J'ouvre les fenêtres afin de laisser passer un peu de lumière, quand tout à coup, un cri aigu attire mon attention depuis le salon. Immédiatement, je m'élance en dehors de la chambre, dévale les escaliers à une vitesse hallucinante avant d'arriver vers la provenance du son.
Il s'agit de ma demi-sœur, ainsi que de son amie en train de se battre. Anaé, ma sœur en question, ne cesse de mordre le bras de l'autre petite, alors je m'avance vers toutes deux, histoire de les séparer.
Mais Anaé ne semble pas du même avis que moi.
Plus je l'éloigne de la gamine, plus elle s'accroche de plus belle à la morsure, éveillant à chaque fois les cris de la pauvre victime.
— Assez, Anaé ! m'écrié-je.
Elle sursaute avant de fondre en larmes. Au même moment, ma mère ainsi que mon beau-père pénètrent dans le salon.
Oh merde. Je suis sûre qu'il va penser que j'ai fait un truc à sa fille.
— Que se passe-t-il ici ? hurle-t-il, visiblement en colère.
— C'est Shae, répond à son tour la petite Anaé en pleures, elle m'a tapée !
J'en demeure estomaquée.
— Quoi ? Mais c'est faux, j'ai rien fait du tout ! Elles étaient juste en train de se chamailler alors je suis venue les séparer, rien de plus !
— Ferme ta gueule ! De quel droit tu oses toucher à ma fille, espèce de petite connasse ?
D'un pas lourd, il s'élance vers moi et m'attrape par les cheveux. Ni une ni deux, je me retrouve au sol, face la première. Je me tords de douleur avant de sentir un liquide chaud jaillir de mon nez. En y passant ma main, et en regardant de plus belle, je comprends finalement qu'il s'agit de sang.
De petits gémissements de terreur résonnent autour de nous. Je crois même voir ma demi-soeur s'agripper fermement à la longue jupe en satin de maman qui, elle, lui cache les yeux avec sa paume. Je n'en suis pas complétement sûre non plus, mais il me semble aussi apercevoir la copine d'Anaé se recroqueviller dans un coin du salon en enfonçant son visage entre ses genoux. Mais ça ne compte pas. Tout ça me semble bien lointain, comme si j'assistais à cette scène depuis un fond marin. En cet instant, seul mon beau-père existe.
J'ai à peine le temps de m'en remettre que sa main m'attrape le cou et me le serre. La douleur me frappe brutalement, si bien que je mets à agiter les pieds dans tous les sens. L'envie de respirer me martyre, bien que la douleur ne me le permette pas.
Il me compresse littéralement le cou. Je hurle, me débats, mais son emprise est beaucoup trop forte. Impossible pour moi de réussir à me sortir de cette impasse.
Et le pire, oui le pire, c'est que ma propre mère est présente, et ne bouge pas d'un pouce à la vue de ma souffrance. Elle reste stoïque à se cacher les yeux, l'air d'avoir mal.
Mes pupilles pleines à craquer de larmes dévient sur la petite Anaé. Elle nous regarde aussi, alternant les pupilles entre son père et moi allongée au sol.
Tout ça, c'est de ma faute. Si j'étais tranquillement restée dans ma chambre, les laissant ainsi se déchiqueter la peau à tour de rôle, jamais je ne subirais ça maintenant.
Alors que je sens mes paupières se refermer petit à petit, le mari de ma mère libère enfin mon œsophage. Immédiatement, mes poumons reprennent du service. Certes, de manière très saccadée, mais j'arrive au moins à respirer.
Arthur se relève en me regardant de haut, comme si je n'étais qu'une merde. Une moins que rien. Ses yeux me fixent avec dégoût, haine. Dédain.
— Plus jamais tu ne touches à ma fille, tu entends ?
Et il fut une époque lointaine où tu me considérais comme tel.
Je n'arrive à sortir aucun mot, trop occupée à essayer de reprendre mon souffle. Constatant que je ne réponds rien, il s'énerve encore une fois et s'approche brutalement de moi.
Je recule brièvement, apeurée, avant qu'il ne me hurle dessus.
— Oui, c'est compris, je marmonne.
Il se retourne, prend sa fille par la main, et ils s'éclipsent.
Pendant ce temps, j'ose plonger mon regard dans celui de ma mère. Elle est debout, devant moi, et me regarde.
Je ne peux m'empêcher de lui en vouloir, mais malgré ça, mes yeux la supplient de me sortir de cet abominable supplice. À la base, je n'étais qu'une jeune fille en quête du bonheur, et voilà qu'aujourd'hui, par sa faute, je ne suis plus rien. À part peut-être la fille dépressive battue par son beau-père.
Elle détourne cependant les yeux de moi, prend l'amie de ma demi-soeur dans ses bras et quitte définitivement la pièce, sous mon regard meurtri.
Et puis, d'un coup, toute seule aplatie sur le sol en marbre du salon, je fonds en larmes. Oui, je craque.
J'ai beaucoup trop encaissé, supporté, et il me faut me libérer sinon je risque d'exploser. Comment une mère peut-elle regarder son propre enfant souffrir et ne rien dire ? Ne même pas le défendre, ou le consoler ? N'a-t-elle donc pas l'instinct maternel ?
Est-elle donc prête à me voir mourir, juste par amour pour son mari ?
Ces questions ne font que me rappeler le fait que je ne suis rien. Absolument rien, sur cette planète.
Doucement, j'essaie de me relever de ce sol glacial. Au premier essai, je m'échoue ridiculement par terre, mais finis, au bout du troisième, à me mettre sur pieds.
Je m'enferme dans la salle de bains, tentant tant bien que mal de sécher mes larmes. Ces dernières dévalent mes joues à une vitesse incroyable.
Quand je parle à Allison de mon envie de mourir, elle me fait un sermon et s'énerve. Mais comment vivre dans des conditions pareilles ?
Avec un beau-père qui ne sait faire que vous battre, une mère dont vous ne ressentez même pas l'amour et l'attachement, ainsi qu'une peine et une haine qui ne cessent de creuser un profond abîme au fond de votre cœur, comment cela est-il possible ?
Inconsciemment, alors que je passe mes mains le long de mon corps, mes ongles s'enfoncent dans la chair de mes épaules. Le sang ruisselle sur ma peau, et malgré la douleur, je ne m'arrête pas, c'est inconcevable. Ça se fait tout seul, comme si je ressentais ce besoin de me faire mal pour aller bien.
Plus je m'entaille la peau, plus la douleur devient encore plus intense et plus je me sens mieux. Je me sens apaisée de ce poids que je porte, libérée. Le mal évoque en moi une satisfaction horrible. Et je m'en veux d'en vouloir plus.
J'ai envie de prendre ces ciseaux qui ornent le lavabo, me les enfoncer dans le bras et ne m'arrêter qu'une fois que j'aurais vu le bout traverser totalement mon bras. Mon regard scintille juste en le regardant, mais je m'abstiens. Si jamais Arthur voyait ça, il me tuerait pour de bon.
Je me dis toujours que tout ça ne peut plus durer. Mais je n'ai pas encore trouvé le courage de fuguer, ni même de prévenir les autorités. Si jamais j'osais quitter cette maison, et que mon beau-père finissait par me retrouver comme il l'a déjà fait les deux fois précédentes, il se ferait un malin plaisir de me torturer jusqu'à ce que mon âme se résigne.
Et je sais ce que je dis.
La dernière fois que j'ai eu l'audace de fuguer, Arthur m'a retrouvée avec l'aide de ses contacts policiers. Et ce jour-là, j'ai passé trois jours dans la cave, sans rien manger ni boire. Il descendait tous les soirs, son fouet à la main, et me donnait de tels coups que je pouvais sentir ma chair se consumer sous ma peau. Ce n'était plus moi qui criais, c'était mon essence. Tout ce qu'il y a de plus profond en moi.
Arthur est un monstre.
Un bruit venant du rez-de-chaussée me sort cependant de mes pensées. Je reviens à la réalité et réalise avec effroi les abominables plaies que je me suis faites à l'omoplate.
Je bobine rapidement mon corps d'un peignoir et m'insinue dans ma chambre en prenant soin de verrouiller la porte. Je ferme les fenêtres par la suite, et allume la lumière. J'ai le corps entier trempé, ce serait vraiment dommage de tomber malade. Quoique. . .
Une notification émise par mon téléphone portable attire cependant mon attention. En regardant de plus près, je peux constater qu'il s'agit d'une notification depuis l'application d'Allison.
C'est une réponse au message que j'ai posté un peu plus tôt dans la soirée.
« T'es pas là de ton plein gré mais tu veux quand même parler ? C'est assez contradictoire d'après moi. »
Cette réponse me casse encore plus le moral. Si c'est pour parler comme ça aux gens, je préfère quitter immédiatement cette application. Je suis déjà assez mal comme ça pour que de quelconques idiots que je ne connais même pas viennent en rajouter.
Alors, en un clic, je supprime, et la réponse de cette personne anonyme, et le message que j'ai posté.
Je vais continuer sombrement ma vie plutôt que d'essayer d'aller mieux en restant sur cette plateforme. C'est ridicule.
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