4. ʟᴜɪ
C'est par le son brusque de mon alarme que je suis réveillé.
D'un geste loin d'être doux, j'arrête le bruit, énervé. Comme quoi, ce n'est pas donné à tout le monde d'avoir un réveil digne de Cendrillon. J'aurais quand-même apprécié quelques minutes en plus de sommeil.
J'ai mal partout, surtout à la tête. J'ai l'impression qu'on m'y a placé une bombe prête à exploser. Elle bat au même rythme que mon cœur. Et, emmitouflé dans mes draps, j'ai la vague envie de simuler une maladie pour ne pas avoir à quitter mon lit.
Aujourd'hui c'est mercredi, autrement dit, demi-journée de cours. Après quoi, on ira chez Hassan, comme d'habitude. C'est la seule chose qui me donne réellement le courage de quitter mon lit.
Lorsque je quitte la maison, mon sac à dos accroché à mon épaule droite, je tombe nez à nez avec mon frère, debout devant la porte. Il est de dos et semble parler au téléphone. Il semble en colère, vu le ton avec lequel il s'adresse à son interlocuteur. Furieux.
Il parle avec hargne. Chacun de ses mots est prononcé avec une dureté dont même moi j'ai jamais été victime. Étrange.
En attendant, je prends le temps de l'observer.
Il a cette carrure imposante que j'ai toujours enviée, ce corps d'athlète et ces muscles dessinés à la perfection. À chaque mouvement, ses pectoraux se contractent à travers son t-shirt.
Contrairement à moi, Kal est ce qu'on pourrait qualifier de beau gosse. La définition même de la beauté, la virilité.
Tout d'un coup, ce dernier raccroche brutalement à son appel avant de se retourner vers moi.
Immédiatement, ses yeux s'emplissent d'une rage intenable.
— Mais dégage, putain.
Ni une ni deux, je me retrouve poussé sur le côté, avec Kal qui rentre en furie dans la villa. La journée commence bien, dit donc. Mais je ne ronchonne pas, me redresse et reprends mon chemin. Ce n'est pas comme si c'était la première fois, alors je ne vais pas faire mine de m'attarder sur le sujet.
J'ai beaucoup trop longtemps espéré qu'il change et que notre relation s'améliore. Mais après tant d'années sans résultats, je ne m'attends plus à rien. Au contraire, maintenant, j'espère juste que mon heure sonne plus rapidement pour que je n'aie plus à supporter ses mauvais traitements.
Je peux paraître faible pour un garçon de dix-sept ans, vulnérable et tout ce que vous voulez, mais je ne veux en aucun cas avoir affaire à Kal. Du haut de ses dix-neuf ans et demi, il est non seulement beaucoup plus musclé que moi, mais pratique, en plus, des arts martiaux. Moi à côté, que suis-je ?
Je ne suis déjà nullement beau, mais en plus de cela je n'ai aucun abdominaux. Je suis maigre, avec des cicatrices plein le corps et une tonne de taches de rougeurs sur le visage. Avec tout ça, on ne peut pas dire que je sois vraiment le genre de mec dont une fille rêverait.
Plus je marche, et plus le temps devient glacial. Malgré tout, je finis par arriver devant le lycée, avant d'apercevoir mes amis devant la grande grille, me faisant signe de les rejoindre. Chose que je ne manque pas de faire.
Nous allons ensuite en salle de classe pour le premier cours de la journée. Sur le chemin, j'enfonce discrètement mes écouteurs dans mes oreilles en ne manquant pas de passer le câble à travers ma veste pour éviter qu'il soit visible.
Chacun de nous rejoint sa place. La mienne étant située au fond de la classe, ce sera plus facile pour ne pas me faire repérer par le professeur. Je déteste être interrogé, et ce n'est pas près de changer.
Le prof débarque quelques minutes plus tard, et le cours commence. Je couche ma tête sur la table, derrière la chaise de devant, me concentrant rien que sur ma musique.
Les paroles me transpercent l'âme, fugaces comme des flèches en plein vol vers une cible. Je m'imprègne de la mélodie, je l'absorbe.
Il est indéniable que la musique a le véritable don de nous transporter en dehors de cette dimension démunie de sentiments, de nous libérer. La musique a le don de relaxer, de vider, d'aider. Et je pense pas être le seul à penser ça.
Le cours passe à une vitesse hallucinante, comme le reste de la matinée d'ailleurs.
Je rassemble lentement mes affaires,
jusqu'à voir Half s'approcher de moi. Comme d'habitude, il porte son sac à dos sur une épaule, et me regarde de façon blasée.
— Qu'est ce qu'il y a ? lui adressé-je.
— Rien. Pourquoi ?
— Je ne sais pas, tu as l'air bizarre.
— J'ai juste des problèmes à la maison, mais ne t'inquiètes pas. Ce n'est rien d'important.
J'accroche à mon tour mon sac à mes épaules, et marche sur ses pas jusqu'à la sortie.
— Allez vas-y, dis moi tout.
— En vrai, c'est ma sœur, et aussi mes parents.
— Elle a quoi, ta sœur ?
— Je ne sais pas, elle a...changé. Elle se comporte bizarrement depuis un certain temps.
— Comment ça ?
— Elle est sortie hier puis est rentrée à deux heures du matin. J'ai entendu la porte de l'entrée se refermer alors je suis descendu la voir, et devine quoi ? Je l'ai surprise dans le hall, beaucoup trop peu vêtue, et en train d'embrasser à pleine bouche un gars à qui je donnerais pratiquement une vingtaine d'années. Ils étaient bourrés en plus.
Mon souffle se coupe.
— Je n'en reviens pas.
— Et le pire, c'est que mes parents trouvent ça « normal pour son âge ».
— Attends, quoi ?
Je suis choqué.
Premièrement parce que les parents de Half ont toujours été des gens de principe ainsi que des parents très protecteurs, et deuxièmement parce que sa sœur n'a même pas encore seize ans. C'est choquant de voir qu'à seulement quinze ans elle a déjà sombré dans le côté obscur et ignoble de l'adolescence.
— Je suis vraiment désolé, mec, ça doit pas être amusant de voir sa sœur dans cette phase.
— Bien-sûr que ce n'est pas amusant.
Ça me fait de la peine de le voir comme ça.
Half a toujours été quelqu'un d'insouciant, ça, c'est vrai. Mais quand il s'agit de sa sœur, il fait absolument tout son possible pour la tenir à l'écart des mauvais garçons et des mauvaises fréquentations. Maintenant que tous ses efforts sont jetés à l'eau d'une telle manière, il doit sûrement se dire qu'il n'a pas été à la hauteur.
Et puis, j'éprouve quand-même de la peine pour sa sœur. C'est dommage qu'elle ait sombré aussi rapidement dans le mauvais côté de l'adolescence. J'espère sincèrement qu'elle pourra se hisser à la surface à temps.
— Salut les gars, de quoi vous parlez ?
Nous étions tellement pris dans notre conversation que nous n'avons même pas remarqué la présence d'Éloïse. Cette dernière est effectivement là, nous fixant de ses grands yeux bleus.
— De rien, répond Half.
— On peut aller chez Hassan, là ? J'ai une faim de loup.
— On y va justement. Tu ne vois pas ?
Half répond assez froidement, ce qui semble choquer Éloïse. Elle baisse légèrement la tête, et son visage se raffermit. Puis elle se tait.
Half a tendance à se montrer désagréable avec les gens lorsqu'il est en mauvaise passe, et je peux le comprendre d'ailleurs. Au fil du temps, j'ai appris à le supporter, et ça doit sûrement être pour ça que désormais je ne prends plus à cœur ses remarques blessantes.
Mais ce n'est pas le cas pour Éloïse. Jusque là, elle a toujours été tenue à l'écart des sauts d'humeur de Half. La plupart du temps, lorsqu'il a un souci, il n'en parle qu'à moi. Pas à elle. Parce que notre amitié date de bien plus longtemps et qu'on est entre hommes, je suppose.
Alors que notre amie s'avance un peu, se mettant ainsi à l'écart, je pose ma main sur l'épaule du brun, le retenant un peu dans sa marche.
— Tu devrais peut-être essayer de te montrer plus gentil avec Éloïse. Elle n'est pas au courant de ce qui t'arrive, et j'ai bien vu que ta réponse l'avait blessée.
— Je sais, mais c'est plus fort que moi.
— Je comprends, mais tu devrais quand même t'excuser.
— Ouais.
Nous arrivons bientôt dans le restaurant « Chez Hassan ». Il s'agit d'un restaurant Libanais très réputé dans la ville pour son irremplaçable Chawarma au bœuf, et même celui au poulet. Les plats étrangers ne sont habituellement pas mon délire, mais là, c'est différent.
Avec les deux autres, nous nous installons à notre table habituelle, ne manquant pas de saluer tous les serveurs que nous rencontrons. Ils nous connaissent tous, vu le nombre de fois où nous sommes venus manger ici et la publicité que nous leur avons faite au lycée. Depuis, on peut dire que nous sommes en quelques sortes des clients favoris.
Nous n'avons même pas besoin de commander, ils savent à l'avance ce que nous désirons. En attendant, Half présente quelques excuses à Éloïse, chose que cette dernière accepte volontiers.
Toutefois, lorsque tous deux se tournent vers moi en affichant une mine soudainement sérieuse, je ne peux m'empêcher d'appréhender les événements à venir. Comment changer d'expression aussi rapidement si ce n'est pour quelque chose de grave ?
— Pourquoi vous me regardez comme ça ?
— Faut qu'on parle, Liam.
— Parler de quoi ? Il est arrivé quelque chose de grave ?
— Non, mais on s'inquiète pour toi, tu sais.
Ah, ce n'est que ça.
— Je vous ai déjà dit que vous n'aviez pas à le faire. Je gère la situation.
— Tu ne contrôles rien du tout, ça se voit juste à ton apparence. Est-ce que tu t'es vu dans le miroir ? Tu ne ressembles plus à rien du tout ! Tu maigris de jour en jour, et avec ça tu oses nous dire que tu ne déprimes pas ?
Je ne trouve rien à en redire, parce que je sais qu'ils ont tout à fait raison.
Plus les jours passent, et plus il ne me reste que de la chair sur les os. Je ne trouve plus le courage de manger à ma faim, je n'y trouve plus de plaisir.
Quelques fois, je me demande vraiment en quoi c'est nécessaire que je continue à vivre. Je n'apporte rien au monde, et ma mort ne lui enlèvera rien non plus.
— Regarde ça, m'ordonne Half en me montrant le téléphone portable de la blonde.
L'écran affiche le logo d'une application : SpeechApp. Juste en dessous du nom, c'est marqué qu'il s'agit d'une application permettant d'interagir anonymement avec des personnes aux quatre coins du monde.
— Qu'est ce que c'est ?
Je sais ce que c'est. Je veux juste les entendre me dire pourquoi ils me montrent ça.
— On a bien remarqué que tu te renfermes de jour en jour, et on pense sincèrement que t'inscrire sur cette application t'aidera à te vider, à te sentir mieux. Si tu ne veux pas nous parler à nous, fais-le au moins avec des gens que tu ne connais pas. On dit que ça fait souvent du bien de se confier anonymement...
Je crois que je commence à comprendre le concept, et il est vrai que ça pourrait s'avérer être une bonne expérience. J'y trouverai peut-être une personne qui me comprendra, qui saura me conseiller, me soutenir. J'en ai besoin, malgré tout ce que je raconte à qui veut bien l'entendre.
— Comment je m'inscris ?
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