11. ʟᴜɪ

Je soupire.

Rien à faire, elle ne répond et ne répondra pas, c'est certain. Je me fatigue pour rien.

Personnellement, j'en ai ras-le-bol du comportement de Shae. Tantôt elle semble enjouée à l'idée de me parler, tantôt elle se joue les désirées. Je ne vais pas tout le temps lui courir après comme ça, c'en est assez. À quoi bon ?

Je supprime l'historique de conversation avec elle, ferme mon ordinateur portable et pars m'allonger sur mon lit. Les mains croisées sous ma tête, je fixe le plafond.

Demain, je dois aller en cours, et il se fait tard. Je suis conscient qu'il serait plus sage de m'endormir, mais je n'y arrive pas. C'est bien la première fois que cela m'arrive. Habituellement, à peine ma tête entre-t-elle en contact avec l'oreiller que je sombre dans les bras de Morphée. Mais on dirait bien que ce ne sera pas le cas, aujourd'hui. J'ai un mauvais pressentiment.

Après un autre soupir, je me redresse dans le lit et quitte ma chambre en direction du salon. C'est peu ingénieux de ma part, sachant que mon frère est présent, sûrement bourré. Surtout qu'à tout moment, il pourrait se défouler sur moi. Mais je m'en moque royalement. Ce soir, j'ai envie de respirer.

Je m'installe confortablement dans le canapé en face de la télé, éteint tout d'abord les lumières et mets Netflix en marche. Un bon film d'horreur ne serait pas de refus.

À peine le générique est-il lancé que mon téléphone portable sonne.

Putain, murmuré-je.

Je me lève nonchalamment et traîne des pas vers la table à manger. Lorsque je vois le prénom de mon meilleur ami s'afficher à l'écran, je réponds immédiatement.

— Half ?

— T'es où ?

— Chez moi, pourquoi ?

— Tu peux me rejoindre à l'hôpital, s'il te plaît ? Toute ma famille est bouleversée. Ma mère pleure, mon père est angoissé et je ne sais plus quoi ressentir. Je suis perdu, je n'ai pas envie de rester tout seul.

  Le reste de sa phrase me parvient à peine. Mon esprit reste focalisé sur ce mot, « hôpital ». J'en frémis.

— Pourquoi est-ce que tu es à l'hôpital ? Tu es malade ? Pourquoi ta famille est dans cet état ? Qu'est-ce qui se passe, Half ?

Je l'entends renifler, ce qui accentue mon inquiétude.

— Oh, longue histoire. Je te raconterai quand tu seras là.

Sa voix se casse à la fin de sa phrase. Je comprends immédiatement qu'il se passe quelque chose de grave. De très grave. Alors je n'insiste pas plus.

— D'accord.

Et il raccroche sans plus attendre. Bon sang, c'est quoi encore, cette histoire ?

Je retourne dans ma chambre à pas de course, met un grand pull en laine ainsi qu'un léger pantalon blanc et ressors. Pas besoin de prévenir Kal. Dans tous les cas, il ne se réveillera pas avant onze heures du matin.

Les rues sont totalement vides, mais néanmoins éclairées par les quelques lampadaires toujours allumés. Les mains dans les poches et les écouteurs enfoncés dans mes tympans, je déambule en fredonnant les paroles de la chanson Better Now de Post Malone. Plus j'avance dans la ruelle, plus l'atmosphère sinistre me fait froid dans le dos. La dernière chose dont j'ai envie, c'est de tomber sur un gars saoul et drogué à mort, qui viendra m'attaquer. Déjà que je suis plus que fébrile, je ne sais pas comment je pourrai me défendre.

J'arrive bientôt sur la voie principale, mais quelque chose attire mon attention sur la gauche. Il s'agit d'un parc pour enfants, illuminé de part et d'autre par des lampadaires.

En m'avançant, je perçois deux jeunes filles dans l'espace de jeu. L'une d'elles est assise sur le bout du toboggan tandis que l'autre est installée sur la balançoire. Elles semblent parler sérieusement, alors que moi je suis debout là, mains dans les poches, les regardant.

Oula, j'ai l'air d'un psychopathe, à rester là, à les fixer. Je n'ose même pas imaginer si l'une d'elles me repérait.

Je rigole à mes propres pensées, mais en recentrant mon attention sur les filles, je sursaute en remarquant deux paires d'yeux me fixer intensément. Je peux lire, dans leurs iris, de la confusion. Et un brin de crainte. Enfin, surtout dans ceux de la rousse. La brune, quant à elle, reste de marbre, quoiqu'un peu confuse quand-même. J'imagine qu'à leur place, j'aurais la même réaction en surprenant un adolescent me fixer étrangement en pleine nuit.

Une sueur froide me glisse sur le visage alors que j'entreprends de me défiler discrètement. Mais j'abandonne cette idée lorsque j'entends quelqu'un se racler bruyamment la gorge. Elles attendent des explications.

— Euh...salut, je... euh...

— Salut, me répond celle à la chevelure de flammes, qu'est-ce-que tu fais là, en pleine nuit ? Tu n'as pas peur de te faire attaquer par des Bisounours ?

Son expression moqueuse me met un peu plus à l'aise, si bien que j'ose un sourire. Elle, je l'aime bien.

— Ce serait plutôt à vous qu'il reviendrait de poser cette question, dis-je en m'avançant vers elles.

— Je l'ai posée avant toi, espèce de beau gosse, plaisante-t-elle.

J'émets un hoquet de surprise après sa réplique. Moi, beau gosse ? Ça doit être parce qu'il fait nuit qu'elle dit cela. Je ne vois pas d'autre explication.

— Et bien, je suis là parce que je dois rejoindre mon ami à l'hôpital. Maintenant, à vous.

— Moi, je suis venue rejoindre mon amie ici, détonne-t-elle en me désignant la brune d'un mouvement de tête, et elle, elle est sortie sans autorisation, cette inconsciente.

Mes yeux prennent l'initiative de se poser sur la fille à côté. Et la première chose qui me frappe de plein fouet, c'est son coquard. Elle a un œil au beurre noir, et c'est visiblement récent. Très récent.

Son visage entier est parsemé de bleus, et de griffures. Ses cheveux lâchés en cascade sur ses épaules m'empêchent d'apercevoir son cou, mais au vu des égratignures qui transcendent le long de sa mâchoire, je suis prêt à jurer qu'il y a aussi des blessures. Bon sang, qu'est-ce qui lui est arrivé ?

Elle relève brusquement les yeux et les accroche aux miens. Elle doit lire l'effroi sur mon visage puisque, dans un mouvement sec, elle dévie la tête sur la droite. Je l'aperçois lever les yeux au ciel juste avant qu'elle ne prenne la parole, la gorge serrée.

— Allison, il serait préférable de rentrer à la maison. Je ne veux pas que ma mère me cherche.

Elle ne manque pas de me jeter un regard pour le moins indéchiffrable en disant cela. Un regard qui suffit à faire naître une culpabilité en moi.

Je l'ai dévisagée sans aucun scrupule, je comprends qu'elle soit énervée.

Je déglutis.

Au même moment, une notification attire mon attention sur mon téléphone portable. Il s'agit d'un message de Half me demandant ce qui me prend autant de temps. Je soupire.

— Ne vous inquiétez pas, dis-je en regardant la brune, je m'en vais, de toute façon. Bonne nuit.

— Fais attention à ne pas te faire attaquer par des bisounours !

— Sans problèmes, rié-je.

Contrairement à l'autre, la rousse paraît beaucoup plus sociable et sympathique.

La brune, avec son expression faciale complexe et son regard indéchiffrable, c'est tellement compliqué de savoir ce qu'elle pense. En plus, son aura n'inspire rien de bien chaleureux.

Mais ses bleus et blessures me glacent le sang. Je me demande ce qui a bien pu lui arriver. On ne peut pas avoir autant de plaies en tombant dans des escaliers, ou en faisant une mauvaise chute par terre. Si ?

Non, bien-sûr que non.

Tout cela me paraît bien étrange. Et terrifiant. Alors que je reprends ma route et que le vent frais me frappe le visage, j'en viens à imaginer toutes les scènes possibles. Peut-être est-ce...une enfant battue ?

Je me trouve idiot de penser cela, mais ce serait fondé. Elle ne doit pas dépasser les dix-sept ans, cette fille, ce qui signifie qu'elle est encore mineure. Et qu'elle vit sûrement sous l'autorité de ses parents.

Bon sang, qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Et pourquoi je me tue à essayer de comprendre ce qui lui arrive ? Je ne la reverrai sûrement jamais, de toute façon. Qu'est-ce que je pourrais bien faire pour l'aider ? C'est une perte de temps.

***

Mec, à quel étage es-tu ? Je suis dans le hall.

D'un mouvement de tête, je remercie la dame de l'accueil et vais m'asseoir sur l'un des nombreux sièges du hall d'attente. Un soupir m'échappe alors que ma peau rentre en contact avec le métal froid de la chaise.

Je suis arrivé dans cet hôpital il y a un peu plus de cinq minutes. J'ai directement été demander à l'hôtesse d'accueil s'il y avait un jeune homme du nom de Half Tomlinson interné ici, mais elle m'a répondu que non. Je suis donc là, à attendre que mon ami réponde à mon message.

L'inquiétude me ronge. Il ne fait pas partie des gens internés dans cet hôpital, mais il a dit que sa mère pleurait et que son père était angoissé. Je meurs d'inquiétude.

Mes paupières commencent à devenir drôlement lourdes. La fatigue semble s'emparer peu à peu de mon corps. Toutefois, je ne peux pas me permettre de m'endormir.

Pas ici.

— Réveille-toi, vieux, je suis là, résonne la voix rauque de Half.

Je sursaute et me redresse. Mais son apparance me choque.

Il semble avoir... pleuré. Oui, c'est ça. Il a pleuré. Ses yeux sont bouffis et rouges, ce qui ne manque pas de me couper le souffle.
Ses cheveux sont en pagaille. Il ne porte qu'un pyjama, en plus.

Mon inquiétude ne fait qu'augmenter. Mais je tente de la ravaler, me racle la gorge et ose un sourire, bien que trop forcé.  

— Moins un et je sombrais dans les bras de Morphée, plaisanté-je.

Il m'aide à me relever et me fait signe de le suivre. Je ne bronche pas.

Sa démarche n'est pas assurée. Pas le moins du monde. Je crois même voir sa main trembler. Mais je m'abstiens de faire ne serait-ce qu'un commentaire.

Deux à trois minutes plus tard, après avoir pris l'ascenseur, nous arrivons au deuxième étage et Half s'assied sur l'une des chaises du couloir. Quant à moi, je reste debout à regarder les alentours, ahuri.

Il s'est assis devant la porte de ce qui semble être une chambre. Que dois-je comprendre ?

— Bon, alors, tu m'expliques ?

Half soupire. Son visage se décompose en une expression triste et désemparée par la suite. Une larme lui roule sur la joue et je retiens mon souffle.

Half pleure ?

Il s'empresse toutefois de la faire disparaitre du revers de la main.

— C'est Giana, arrive-t-il à prononcer, la gorge serrée.

— Ta sœur ? Qu'est-ce-qu'elle a ?

— Elle est là dedans.

D'un mouvement de tête, il m'indique la chambre devant laquelle il s'est justement assis. Mais je ne vois toujours pas ce qu'il essaie de me dire, alors je l'interroge du regard.

— Elle est allée en soirée hier, avec, bien-sûr, l'approbation de mes parents. Mais elle n'est pas rentrée après ça. Je m'inquiétais comme un malade, prêt à aller la chercher dans tous les clubs de la ville, je te jure. Mais ma mère m'en a empêché. Elle disait que Giana était une grande fille, que je devais la laisser vivre comme elle veut et faire ses propres choix. Conneries. J'aurais dû y aller, bon sang !

Il se retourne brusquement et écrase son poing sur le mur. J'en sursaute, mais ne dis rien. Je sens la bombe arriver.

Half sanglote. J'aimerais le consoler, poser ma main sur son épaule et le réconforter, mais je reste figé. Je n'ose pas bouger.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? je dis d'une voix qui se veut forte, en vain.

— Je... c'est ignoble, Liam, si tu savais. La police nous a appelé ce soir. Pour nous dire qu'ils avaient retrouvé ma sœur...dans un cabanon isolé, très loin du quartier où elle était allée. Ils l'ont trouvée dans un état pitoyable. Elle...elle a été violée.

Je ressens comme une décharge électrique dans ma poitrine et un frisson horriblement glacial me parcoure l'échine. Bon sang, je comprends mieux.

Mon regard reste planté sur mon meilleur ami qui, lui, cache son visage entre ses mains. Je sais qu'il pleure, il ne veut simplement pas que je le voie.

Bordel, pourquoi ce malheur ? Half ne va pas s'en remettre. Et Giana non plus. Cette gamine, c'est comme ma petite sœur. Je n'ose pas imaginer l'état dans lequel elle se trouve en ce moment.

— Ça me bouffe tellement, Liam. Je culpabilise à mort. J'aimerais m'arracher la peau et enlever ce sentiment de mon cœur. Mais je ne peux pas. J'aurais dû y aller, j'aurais dû ignorer ma mère et sortir chercher ma petite sœur. J'aurais dû, putain...

— Ça n'est pas de ta faute, Half. Cesse de parler ainsi. Tu ne pouvais pas savoir.

Il ne répond pas. Alors je m'avance vers lui, m'assieds sur la chaise voisine à la sienne et pose ma main sur son épaule, que je compresse doucement. Je me sens mal pour lui.

— Vous savez au moins qui a fait ça ? je murmure.

— Non. Mais de ce que m'a dit une de ses amies, il s'agirait d'un gars de la soirée à laquelle elles étaient. Je n'en sais pas plus. La seule chose que je peux affirmer, c'est qu'il ne s'en sortira pas si facilement.

Je lui tapote le dos, ne sachant, ni quoi faire, ni comment réagir.

Nous restons ainsi, silencieux, jusqu'à ce qu'il reçoive un appel de son père. Ce dernier lui demande de le rejoindre dans le hall, et Half s'exécute.

J'ai à peine le temps de fermer les yeux quelques instants que mon téléphone portable vibre depuis ma poche. En l'allumant, je peux voir qu'il s'agit d'une notification de SpeechApp.

Liam ? Je t'en prie, j'ai besoin de parler...

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