— C'est qui, ce mec ?

À travers l'immense écran qui occupait un mur de la grande salle de visionnage, un sourire enjôleur traversait le visage d'un homme, remontant ses pommettes jusqu'à ce que ses yeux se parent de superbes, mais encore légères, pattes d'oie. Des prunelles bleues qui pétillaient, une appréhension qui agitait ses mains... Ce type présentait un mélange détonnant de suffisance et de timidité, de confiance en soi et d'angoisse, qui ne laissait pas indifférent.

Gilles retint un soupir. L'individu qui riait dans le téléviseur avait un faciès qui lui semblait à la fois inconnu et terriblement familier. Il était beau, aussi. Très. Ses cheveux blond cendré étaient un peu longs, mais ordonnés. Le costume, un classique, n'était probablement pas la meilleure idée qu'il avait eue pour se retrouver devant Damien, qui auditionnait les candidats comme à son habitude.

Attrapant la dernière pomme qui traînait dans une corbeille à fruits, il se laissa tomber dans le grand canapé de la salle de visionnage, faisant presque sauter son collègue sur les coussins de cuir.

— Ton potentiel prochain partenaire, marmonna Damien. Bon sang, t'es sûr que t'es au régime, toi ?

— Je suis au régime, regarde ce qu'on m'oblige à bouffer ! répliqua-t-il en agitant son fruit.

— C'est pour ton bien, tu sais que tu ne peux pas faire de photo shooting pour l'instant, avec tout le gras du cul que tu te trimballes.

— Mes poignées d'amour se portent à merveille, merci, je flotte même admirablement bien quand je vais à la piscine, renifla Gilles.

— La graisse, ça flotte, c'est bien connu. Alors, tu penses quoi de ce type ?

Pour toute réponse, Gilles croqua dans son fruit. Il était acide, assez pour le faire grimacer tandis qu'il mâchait. Et dure, aussi. Il ne raffolait pas des pommes, mais c'était tout ce qu'on l'autorisait à manger s'il avait une de ses fringales de sucre. Et, bon sang, qu'il avait besoin de se soumettre à cette addiction, là, maintenant, tout de suite !

Une. Putain. De. Pomme.

C'était si frustrant !

Il inspira longuement, triturant le fruit entre ses doigts tandis qu'il essayait de se concentrer sur l'écran et l'homme qui exécutait les vœux de Damien : répondre à des questions, pertinentes comme impertinentes. Il était facile de voir l'instant où son expression se troublait, puis se reprenait pour répliquer aux demandes étranges. Damien aimait tester les réactions des gens. Avachi dans le canapé aux côtés de Gilles, ledit Damien ricanait.

— J'adore la tronche qu'il tire. Tu en penses quoi ?

— Si tu dis qu'il a le profil, alors il l'a sûrement. Il y en a d'autres que tu as retenus ?

Damien secoua la tête. Il attrapa la télécommande d'un mouvement vif et augmenta le volume. La voix de l'homme s'éleva, amusée et perplexe à la fois.

— Comment vous situez-vous dans vos relations ?

— Comment ça, mes relations ? J'ai des amis...

Il cligna des yeux avec incertitude, tandis que Damien précisait :

— Et vos relations sentimentales ? Vous êtes en couple ?

Le type rit, secoua la tête. Gilles était incapable de dire s'il jouait un rôle dans ses réponses, dans son attitude, mais le voile de tristesse qui passa dans son regard ne trompait pas.

— On ne peut pas dire que je sache les garder, dit-il. J'espère que vous ne vous basez pas sur ce genre de choses, parce que je me fais larguer tous les quatre matins !

Il rit de nouveau, faisant fi de ses propres mots.

— Vous m'en voyez navré, reprit la voix de Damien.

Il était tout sauf navré, Gilles pouvait le dire à son timbre, mais également parce qu'il le connaissait.

— Il n'y a pas de mal. Je n'aurais pas imaginé que c'était le genre de questions auxquelles j'aurais droit en venant ici, mais si c'est le sujet : la dernière n'a pas pu attendre que je rentre de tournage le lendemain, il fallait qu'elle m'annonce la bonne nouvelle en pleine nuit, au téléphone. De quoi bien dormir, un bon coup de massue !

Damien ricana, et mit la vidéo en pause.

— Il a exactement l'air qu'on cherche, dit-il.

Gilles se contenta de faire rouler sa pomme entre ses doigts, tandis que les dents blanches de l'inconnu se dévoilaient dans un nouveau sourire.

— Tu as son nom ?

— Mmh. Eliott Legrand. Ça me dit quelque chose, mais sans plus, je dois jeter un coup d'œil. Au moins, il a l'âge qu'on souhaite, et physiquement, il colle... Il est à l'aise dans l'échange et y'a quelque chose d'intéressant chez lui dans l'ensemble. Faut juste que j'en sache un peu plus, j'ai un doute sur un truc, attends...

Tout en parlant, probablement sans respirer, Damien avait attrapé son téléphone portable et lancé une recherche sur l'homme affiché à l'écran. Curieux, Gilles se rapprocha jusqu'à avoir l'image en vue.

Contre toute attente, Internet leur fournit plus d'informations qu'ils n'en espéraient en ce qui concernait les antécédents du blond.

Eliott Legrand

Révélé sur grand écran à quinze ans dans le film de science-fiction « L'Étoile des Sohärs », il tient le rôle principal aux côtés d'Anna Lacroix et Patrick Martinez.

La suite de son parcours, en revanche, devint un peu floue. Il avait apparemment joué un personnage de troisième plan dans une série, puis avait disparu après seulement quelques épisodes. Sa carrière avait connu un moment de vide, mais les informations que Damien regroupa rapidement dépeignirent un homme qui n'était pas resté sur ce qu'il avait appris, de plateau en plateau.

— Ouais, OK, je vois qui c'est, renifla Damien après une vérification. C'était un élève de Perez. Y'a que des bons qui sortent de chez lui. Mais c'est quoi, tous ces trucs de merde qu'il fait maintenant ? Il adore la pub ou quoi ? Ça pue !

— Tu sais lesquelles il a tournées ? tenta Gilles. T'auras peut-être ta réponse...

S'il devait jouer avec ce type, car Damien avait l'air d'avoir fait son choix après près de trois semaines à décortiquer toutes les vidéos des candidatures, il était probablement de bon ton de connaître le pedigree d'Eliott Legrand. Le recruteur s'arrachait parfois les cheveux durant les heures qu'il passait à sélectionner les interprètes idéals.

Conciliant, pour une fois, Damien ouvrit un nouveau navigateur sur son téléphone et chercha les publicités sur lesquelles l'acteur apparaissait en description.

« Legrand » était un nom assez commun, après tout.

Il y eut beaucoup plus de résultats que ce à quoi ils s'attendaient. Damien ne retint pas un ricanement, tandis que Gilles rêvait de se faire aspirer par les coussins du canapé et disparaître. Oh. Mon. Dieu. La plupart des vidéos, peu importait l'année du tournage, montraient plus de peau que nécessaire pour chaque produit à vendre. Plus elles étaient récentes, pire c'était.

— C'est censé être une pub pour du dentifrice ? gémit-il. On dirait l'intro d'un porno...

— Putain, c'est vraiment pas pour ses chicos qu'ils l'ont choisi...

— Et ça, c'est pour des voitures ?

— Il y en a qui ont dû imaginer tellement de choses dans leur nouvelle bagnole... Mon petit Gillou, ce soir on va se mater un vieux film.

Gilles se renfrogna. Il voyait parfaitement où Damien voulait en venir, mais les œuvres cinématographiques de science-fiction datant des années quatre-vingt-dix ne l'intéressaient pas particulièrement...

— Sans moi, marmonna-t-il.

— Tu auras droit à du popcorn, promis.

Il croisa les bras sur son torse, dans un réflexe défensif qui tenait de l'automatisme quand il s'agissait de Damien.

— Sucré ? tenta-t-il d'une petite voix.

— Nature ! C'est pas en te bâfrant que tu perdras ta bouée ! Finis ta pomme, tiens, ça va encore traîner et... Oooh, dis donc, Porcinet ! Tu sais la meilleure ? Ce mec est parfait, décidément...

Roulant des yeux, Gilles se redressa.

— Quoi encore ?

Damien leva son téléphone à hauteur de son visage, un sourire narquois étirant sa grande bouche. Sur l'écran se trouvait une photo tirée d'un journal à scandales, avec un de ces titres criards dont ils ne se préoccupaient pas particulièrement quand ils y avaient droit. Cependant, cette fois, c'était Eliott Legrand qui était la victime du paparazzi, enlaçant une jolie brune sans savoir que leur intimité était mise à mal.

— Il ne risque pas de te faire souffrir, celui-là : un bon petit hétéro...