Chapitre 3 - Eliott
Les mots de Yohann martelant ses pensées, Eliott s'enfonça dans sa propre chambre et laissa la porte claquer derrière lui. Le lit n'était plus aussi accueillant que la veille au soir. La lumière était jaunâtre, lui donnant presque la nausée. À moins que ce ne soit à cause du fromage qui le rendait toujours malade ? Il n'avait pas compté toutes ces fois où il avait dû tourner cette séquence, encore et encore, et le goût de la crème avait infesté sa bouche pendant trop longtemps.
Reniflant, il ôta son blouson, puis le lança sur le fauteuil. Il n'était pas si tard, contrairement à ce qu'il avait pensé. Pourtant, il avait l'horrible sensation d'avoir passé la moitié de sa nuit sur le palier.
Avec un long soupir, il récupéra son téléphone dans une de ses poches et vérifia ses contacts. Très vite, il fut à la recherche de quelqu'un qui ne lui parlerait pas de travail. Sa petite amie, peut-être ? D'ailleurs, il avait un message d'elle en attente... ça lui changerait peut-être les idées. Cependant, quand il ouvrit sa messagerie, ce fut une surprise qui se présenta.
[16 : 33] Hélène : Il faut qu'on parle.
Il roula des yeux. Rien que ça... Jetant un nouveau regard à l'horloge digitale de son téléphone, il envoya un bref message à la jeune femme. Ils sortaient ensemble depuis plusieurs mois à présent, même si leur relation était entrecoupée par ses disparitions intempestives liées au travail. Il n'était pas si souvent en tournage, mais il enchaînait les auditions et passait beaucoup de temps à l'agence. De piètres excuses, il en avait conscience.
[23 : 42] Eliott : Je rentre demain.
[23 : 42] Hélène : T'es dispo là ?
Ah, les femmes... Dans le jargon d'Hélène et de toutes les autres, cela signifiait « Appelle-moi maintenant ». Il s'exécuta donc, le téléphone déjà coincé entre son épaule et son oreille tandis qu'il fermait le store électrique en enfonçant un bouton sur le côté de la fenêtre. Puis, les sonneries résonnant à son oreille, il s'attaqua à sa ceinture de pantalon pour s'en débarrasser aussi vite que possible. Liberté !
— Salut, dit-il quand il entendit le clic familier de l'appel s'enclenchant.
— Ça y est, ton chaperon t'a lâché ?
Oh, il connaissait ce ton courroucé. Eliott rit doucement, amusé malgré la situation. Hélène, comme toutes les petites amies qu'il avait eues avant elle, n'aimait pas Yohann. Peut-être à cause de leur proximité ? Pourtant, son ami était rarement présent en même temps qu'elles, rechignant toujours à les rencontrer. Peut-être était-ce une forme de jalousie envers le temps qu'ils passaient ensemble, de par leurs fonctions, mais également leur amitié.
— Ouais, dit-il. Je suis dans ma chambre. Tout seul.
De temps en temps, il était bon de rappeler qu'il ne partageait pas son lit avec un ou une collègue, ni avec Yohann, même si l'idée qu'Hélène s'en inquiète était amusante. Face au silence à l'autre bout du fil, il se laissa tomber sur le matelas, les draps faisant du bruit tout autour de lui.
— Hélène ? tenta-t-il. Tu voulais parler de quelque chose ?
— En quelque sorte, soupira-t-elle. Ton tournage s'est bien passé ?
Elle noyait le poisson, mais il la voyait venir à dix lieues. La petite boule dans son estomac, celle qu'avait lancée Yohann quelques minutes plus tôt, s'intensifia un peu. Les rouages de son cerveau se mirent en marche rapidement. Il détestait ces moments-là. Faites que ça passe vite.
— Impeccable, dit-il.
Mentir : étape indiquant que ça sentait déjà mauvais. C'était là tout le niveau de confiance qu'il pouvait lui accorder... À elle comme aux autres. Il ne s'était jamais senti suffisamment à l'aise pour s'épancher sur ce qu'il ressentait au quotidien. Cette solitude qui l'envahissait, redoutable dans les pires moments, aucune d'elles ne l'avait vue, encore moins comprise.
Il l'entendit bouger, puis se racler la gorge plusieurs fois d'affilée. Le silence de la pièce lui aurait paru plus lourd, s'il n'y avait pas le bruit de la douche dans la chambre de Yohann, derrière le mur attenant à la tête de lit.
— Qu'est-ce que tu as ? soupira-t-il alors qu'elle ne se lançait toujours pas. Il y a un souci ?
— Écoute, Eliott, c'est juste que...
« Putain, abrège », avait-il envie de dire. Il se retint.
— J'aimerais qu'on en reste là, dit-elle enfin. Toi et moi. C'était sympa, tous les deux, mais... je suis désolée, ça ne colle vraiment pas...
Pendant quelques secondes qui parurent une éternité, Eliott se contenta d'un nouveau silence, décortiquant les mots qui lui traversaient les oreilles. S'en doutait-il ? Oui. Définitivement oui. Évidemment. Ils avaient passé du bon temps ensemble, comme elle le disait, mais pas au point de bâtir quelque chose qui leur donnerait envie de plus. Leur compatibilité avait ses limites et il en avait conscience depuis un moment. De même que les autres. Ça ne colle pas, disaient-elles toutes. Il ne pouvait que leur donner raison. Il n'y avait pas non plus d'amitié naissante entre eux... Mais qu'est-ce qui ne fonctionnait pas, avec lui ? Qu'est-ce qu'il lui manquait pour éprouver ne serait-ce qu'un soupçon de quelque chose qui lui ferait penser « c'est la bonne » et le pousserait à devenir un autre homme pour cette personne ?
— Eliott ? appela-t-elle à son tour.
— Ouais ? grogna-t-il.
— Tu m'en veux ? Tu ne dis rien...
Non. C'était même ce qui le dérangeait le plus, le fait qu'il n'en avait, en vérité, rien à faire. C'était sympa, mais sans plus.
— Je n'en sais rien. Tu as rencontré quelqu'un ?
Elle eut un petit rire, si gêné qu'il n'y avait pas de doute quant à la réponse.
— Il s'appelle Maxime, dit-elle simplement, avec une douceur qu'elle n'avait jamais eu avec lui.
Même lui pouvait sentir ce petit « quelque chose » émaner d'elle pour cet autre homme. Son cœur se serra légèrement à l'idée, non pas qu'elle était allée voir ailleurs, mais parce qu'il était encore incapable de faire les choses correctement.
— C'est super.
Pour être honnête, il s'en foutait. Quand Hélène le laissa enfin après quelques derniers échanges creux, l'abandonnant à son nouveau statut de célibataire, il fixa le téléphone un long moment.
Mentir, se voiler la face, jouer un rôle. C'était peut-être tout ce qu'il savait faire, se rendit-il compte. Non pas qu'il ait pensé différemment sur toutes ces années, mais c'était quelque chose qui rythmait son quotidien et ses idées tout entières. C'était ce qui l'orientait. Ce qui le faisait encore vibrer, rêver, malgré la situation. Il n'avait pas besoin d'y penser, c'était là, en lui.
Alors, décida-t-il brusquement en glissant enfin sous les draps, il passerait ce casting que Yohann avait réussi à lui dénicher. Avec succès, il l'espérait. Quant au tournage qui en découlerait, peu importait ce qui pouvait arriver : il serait imperturbable. Il suivrait les lignes.
Mot à mot.
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