Chapitre 6 : À deux tranchées d'elle
Louis avait insisté pour ajouter un mot dans la lettre d'annonce de la mort de Paul. Après tout, il ne pouvait pas nier s'en sentir en partie responsable. Il s'imaginait déjà la réaction de sa pauvre femme, et de son enfant dont son aîné n'arrêtait pas de lui parler.
Louis revoyait encore le sourire paternel de Paul lorsqu'il lui racontait sa vie d'antant et de combien il avait hâte de rentrer. Il ne tenait plus de ne pas rencontrer son petit lui comme il le disait, d'enfin le voir et le tenir dans ses bras. Puis d'embrasser sa femme bien-aimée et de la remercier pour le trésor qu'elle avait fait naître durant son absence.
Ça rendait Louis malade de se dire que l'absence de Paul ne trouverait plus jamais de fin pour la famille qui l'attendait. Son aîné était parti, pour toujours. Tout ça pour une guerre stupide, mais qui serait la prochaine victime encore ?
Louis n'a plus aucune foi en son devoir de protéger son pays. Il a peur de la mort, il en veut à ceux qui les y poussent sans remords. Il en veut au monde, mais surtout, il s'en veux à lui. Le jeune homme suivait les ordres de ce système qu'il méprisait. Oui il y était forcé, l'ombre d'un choix ne lui était pas proposé. Pourtant, il pourrait s'en défaire, s'enfuir de ce monde corrompu par l'ivresse du pouvoir.
Louis n'osait pas.
Certains de ces camarades commençaient à se révolter. L'année était déjà bien entamée, arrivant quasiment à sa moitié. Et qu'avait-il donc gagné depuis plusieurs mois ; rien. Ils ne bougeaient pas, la fin de la guerre semblait une utopie lointaine. Ça les rendait fous. Quelques soldats étaient lentement amenés à se révolter contre les ordres de monter à l'assaut. C'était encore léger, encore à l'état de refus rapide simplement pour montrer leur souffrance psychologique et physique.
Mais Louis ne doutait pas que si cette guerre s'éternisait, ces refus deviendraient bien plus importants. Paul avait d'ailleurs été le premier à lui en parler de cette peur que les soldats ne se révoltent contre leurs propres rangs. L'aîné lui avait avoué qu'il redoutait énormément des mesures que pourraient alors prendre les généraux contre leurs congénères. Paul craignait la mise en place d'une punition qui mènerait à redouter l'enfer autant par les ennemis que par ses alliés.
Terrifiant.
Louis soupira, déprimé. Il ne savait même plus quoi écrire maintenant qu'il avait la lettre qui serait adressée à la famille de Paul. Sa plume était bloquée au dessus du papier, incapable de se mouvoir pour dessiner la moindre lettre. Le jeune homme se sentait perdu, incapable de trouver les mots justes lorsqu'il était assaillit par trop de sentiments.
Ses doigts gelés n'aidaient en rien non plus.
Louis décida d'être honnête et bref ; la femme de Paul n'avait pas besoin de ses remords en plus de la sinistre nouvelle. Il traça dans le papier farineux un simple "désolé, d'un ami à Paul. On se connaît à travers ses mots. Il voulait vous voir heureux."
Il espérait que ce n'était pas trop prétentieux d'évoquer le bonheur en annonçant un décès. Mais réconforter n'était pas forcément son fort, surtout pour un deuil qui était si complexe et propre à chacun. Peut-être que c'était ironique alors qu'il passait sa vie à côtoyer autant les survivants que les cadavres, mais Louis ne savait pas comment réconforter sans avoir peur d'aggraver la souffrance.
Pour éviter de trop y penser alors qu'il était déjà épuisé, Louis posa sa plume et ferma l'enveloppe. Il la déposa sur le coin du bureau de son terrier, il irait la poster plus tard lorsque la pluie se sera calmée un minimum. En attendant, il contempla de ses yeux bruns, entourés de cernes noires son dortoir maintenant vide. Il ne restait plus que lui.
Jack lui manquait.
Paul déjà aussi.
Louis avait peur que la mort ne finisse par tous les attraper.
Alors quand il sentit une main chaude se poser sur son épaule gelée, le jeune homme sursauta. Trop pris dans son train de pensées, il n'avait pas entendu les bruits de pas dans la terre mouillée approcher. Louis se retourna pour voir qui était donc ce personnage qui venait le voir. Quelle ne fut pas sa surprise en remarquant un visage familier devant ses yeux écarquillés.
- "Jack, murmura Louis, ne croyant pas ce qu'il voyait. Mais qu'est-ce que tu fais là ?"
La surprise se faisait bientôt remplacée par l'inquiétude. Pourquoi son meilleur ami était ici ? L'arrière lui était beaucoup plus sûr, Louis voulait qu'il y retourne au plus vite. La pensée que Jack ai pu revenir en appartenant la mort de Paul traversa son esprit. Le jeune homme s'assombrit, sa peine revenant au galop avec ses remords profondément entaillé en lui.
Probablement que sa peine se lisait sur ses traits puisque Louis reçu un sourire doux mais coupable de Jack. Ce dernier avait bien meilleur mine que lorsqu'ils s'étaient séparés, ça rassurait au moins le jeune homme sur son état.
On ne pouvait cependant pas en dire autant pour Louis.
- "Qu'est-ce que tu as fais enfin ? essaya de s'amuser Jack en serrant la main qui tenait l'épaule de son ami de toujours. Tu as une mine affreuse, et c'est peu de le dire. On voit bien ce qu'il se passe dès que je ne suis pas là, rigola-t-il doucement."
Louis ne su pas quoi répondre. Il se laissa traîner derrière Jack qui les asseyaient sur un lit pas trop sale du terrier. Un regard doux mais sérieux d'un vert bien connu retourna se posa sur le jeune homme décharné par la guerre.
- "J'ai appris pour Paul, avoua Jack."
La pluie battant en fond rendait la scène d'une tristesse sans nom. Louis sentit les larmes monter alors qu'il fixait le sol pour s'empêcher de pleurer.
- "Je suis désolé Louis, continua son ami d'enfance en l'entraînant dans une étreinte serrée par le désespoir. Je suis tellement désolé."
Et alors que Louis répondait à l'étreinte de Jack, incapable de répondre à cause du nœud dans sa gorge, il remarqua le fusil de son ami qui traînait à côté d'un sac rempli. Le jeune homme compris de suite ; son ami ne s'excusait pas seulement pour son absence lors de la mort de Paul, mais aussi parce qu'il avait décidé de revenir au front.
Louis se sentit impuissant, complètement dévasté par le chagrin et la colère. Mais Jack avait fait son choix, et il s'excusait parce qu'il savait que son ami en souffrirait. Pourtant, Jack devait être là pour Louis. Ce dernier l'inquiétait de plus en plus.
La nuit avait été sombre et pluvieuse ce soir là. La pluie ne fut pas la seule à tomber pour tremper ce sol toujours plus imbibé d'eau, de sang et de larmes.
Louis jura qu'il n'avait jamais éprouvé autant de difficulté à suivre un assaut depuis son arrivée à Verdun. Tout devenait une montagne à gravir à ses yeux. Rien que respirer paraissait laborieux maintenant. Son corps était lourd, ses bras incapables de soutenir son fusil et ses jambes peinant à rester droites. Ses yeux n'arrivaient plus à suivre ce qu'il se passait autour de lui. Mêmes ses oreilles étaient à présent complètement saturés de bruits d'obus, des cris, des pleurs et des mitraillettes en fond. Sa pauvre tête tembourinait sans cesse.
Il ne sentait plus rien. Ni la pluie, ni le froid, ni la faim, ni le vent. Seules la douleur et la fatigue restaient. Louis se sentait usé.
Neufs mois qu'il était dans cet enfer. Certain le décrirait comme un miraculeux pour être toujours en vie après tant de temps. Louis se décrirait comme un malheureux pour n'être toujours pas délivré de l'enfer par la faucheuse. Ce qu'il craignait été arrivé ; il se souhaitait la mort.
L'octobre était infernal, rendant encore plus abominable les conditions de vie des poilus. Ils tombaient comme des mouches, tous dans le même état de Louis.
Jack était l'un des seuls à réussir à se maintenir loin de ça. Il était épuisé aussi, mais il fallait croire que son désir d'aider Louis le lui faisait oublier. Tous les jours il était auprès de son meilleur ami pour lui parler, lui raconter des visions de ce qu'ils feraient lorsqu'ils rentreraient. Il ne laisserait jamais Louis sombrer, mais le jeune homme devenait trop lourd à porter et il s'enfonçait de plus en plus. Jack faisait tout son possible pour éviter que Louis ne commette l'irréparable, et Louis faisait tout son possible pour ne pas le faire, pour Jack.
Ce dernier lui disait souvent qu'ils iraient voir la famille de Paul en rentrant. La femme du décédé était un amour de personne qui leur avait écrit une lettre malgré l'annonce de la mort de son mari. Elle se sentait apparemment coupable de la détresse qu'elle avait ressentit dans les mots de Louis sur la lettre. Et cette femme tout simplement adorable avait écrits à Louis pour lui remercier d'être resté auprès de son amant jusqu'à la fin. Elle le remerciait en disant que Paul était un homme qui avait toujours détesté être seul et qu'elle était rassurée qu'il ai trouvé de vrais amis pour lui.
Louis avait pleuré en lisant ces mots, et une partie de ses remords avaient pu s'envoler. Jack était resté avec son ami jusqu'à ce que ses larmes s'arrêtent et qu'il ne s'endorme. Il avait remercié toute la nuit la femme de Paul pour avoir écris à son ami, et il s'était fait une note mentale d'aller la remercier en vrai une fois qu'ils rentreraient. Parce que oui, Jack était sûr qu'ils y arriveraient.
Il s'y persuadait en tout cas, il le devait bien. Pour lui et pour Louis, il le devait.
Mais lors de cet assaut de début de matinée à l'Aube, Jack et Louis s'étaient retrouvés séparés. Un obus avait explosé entre eux et le souffle les avait projeté loin l'un de l'autre. Jack cherchait désespérément son ami entre la fumée et les obus qui pleuvaient, mais Louis ne le pouvait plus. Il s'était écroulé à genoux dans la boue, fixant sans voir le sol sous lui.
Son souffle était saccadé, probablement qu'une de ses côtes s'était brisée pour lui comprimer les poumons. Il voyait flou. Peut-être que la mort n'était plus si loin après tout.
Louis serait dans tous les cas incapable de l'éviter si elle venait le chercher.
Le jeune homme repensa alors aux mots de Jack. Ce dernier avait un rêve depuis tout petit, celui de devenir photographe. Il rêvait de voyager pour prendre des clichés au couleur des régions, et de peut-être même passer dans le journal plus tard. Louis l'avait toujours admiré. Lui n'avait pas de rêves, il avait toujours su qu'il reprendrait la cordonnerie de son père. Il n'avait pas cherché plus loin. Il aimait le travail de son paternel et ça lui allait d'en prendre la suite. Pourtant, il trouvait Jack et son rêve complètement fascinant.
Louis admirait son ami d'enfance. Il était gentil, serviable, toujours là pour aider et tout à fait humble malgré ses différents talents. Tant et si bien que le jeune homme n'en était jamais venu à le jalouser, simplement à l'admirer. Ils étaient amis depuis toujours, ils se connaissaient mieux que quiconque et Louis en était incroyablement fier.
S'il avait bien un vœu, ce serait que Jack devienne photographe. Qu'il réalise son rêve et qu'il paraisse dans le journal. Il le méritait.
Louis souleva son bras sans force pour se tenir la tête. Il tira sur ses cheveux plein de boue. Mais qu'est-ce qu'il foutait là à attendre la mort ? Il avait promis à Jack qu'il serait là pour le voir accomplir son rêve. Son ami le lui avait fait promettre, et lui avait assuré en retour que lorsqu'il serait célèbre, il prendrait une photo de la cordonnerie de Louis. Comme ça son meilleur ami attirait assez l'attention pour devenir assez stable financièrement et déménager en ville avec lui.
Louis l'avait promis, et jamais il ne se pardonnerait de briser une promesse faite à Jack.
Le jeune homme siffla de douleur en se redressant. Son corps n'était plus qu'une tas de nerfs qui souffrait le martyre à chaque mouvement. Ses muscles étaient tendus et ses os gelés de froid. Le son lui réapparu finalement et les obus lui agressèrent immédiatement les tympans. Il grogna d'inconfort mais c'était bon signe ; il se relevait.
Un autre son attira rapidement son attention ; c'était son prénom qui résonnait non loin de lui. Aucun doute, c'était la voix de Jack qui le cherchait. Louis cria à son tour pour attirer son attention et faire valoir sa présence.
Ils rentreraient vivants !
Jack apparu rapidement entre les cendres et la fumée, fusil à la main avec un visage inquiet. Il fut rassuré dès qu'il vit Louis en un seul morceau et fonça sur lui pour le serrer dans ses bras.
- "Je sais que je ne suis pas cardiaque, mais arrête s'il te plaît de le tester, soupira-t-il en prenant une seconde pour retrouver ses esprits."
Louis se contenta d'un désolé un peu coupable en tapotant le dos de Jack pour le rassurer. Les obus semblaient s'être momentanément arrêtés et ils purent profiter d'un instant pour souffler.
Du moins, jusqu'à ce que les yeux bruns de Louis ne rencontre l'image d'un soldat en joux. Son fusil directement pointé vers eux, à moitié caché par la fumée environnante.
Tout se passa trop vite.
Louis entendit le gâchette être enclenchée et n'eut le temps que de pousser Jack qui n'avait rien vu. Le jeune homme cria, la douleur irradiant tout son corps alors qu'il tombait au sol. C'était horrible.
Jack s'était retourné et déclencha son propre fusil pour tirer en plein dans la poitrine du Boches qui s'écroula. Le soldat pivota alors une nouvelle fois pour se précipiter aux côtés de son ami.
- "Louis, putain ! s'emporta Jack, complètement paniqué face à la couleur pourpre qui gagnait de plus en plus de terrain sur la cuisse de son ami."
Le soldat valide déchira tout de suite un bout de son propre uniforme pour le serrer autour de l'impact de la balle. Louis grogna, tenant son membre alors que la sueur perlait sur son front. La douleur grandissait à mesure que son corps se contractait.
Mais Louis comprit de suite que la douleur qu'il ressentait était la dernière chose qu'il sentait sur sa jambe. Il trembla à la réalisation, une traction qui fit croire à Jack que c'était un spasme.
- "Ne t'inquiètes pas Louis, je m'occupe de tout, assura-t-il, la panique et la peur pourtant évidentes dans sa voix."
Jack se précipita pour dégager le fusil de Louis. Il fit de son mieux pour ne pas le déplacer et aggraver l'hémorragie. Sa formation de fortune lui aura au moins appris les éléments essentiels pour un blessé par balle. Mais alors qu'il s'apprêtait à soulever Louis pour le ramener dans leurs tranchées, il fut stopper par une main sur son épaule. Elle ne pensait presque rien, comme le corps entier de son ami d'ailleurs d'une maigreur inquiétante. Pourtant, Jack en ressentit immédiatement le poids d'une vérité qu'il n'était pas prêt d'entendre.
- "Jack, laisse moi. Je ne sens plus ma jambe. C'est fini."
Louis avait tout lâché en trois secondes, incapable de plus alors qu'il peinait à respirer. Il suait à grosses gouttes, souffrait le martyre. Mais il espérait que Jack ne jouerait pour une fois pas au plus têtu et comprendrait. Ils étaient encore au front, ils étaient en danger.
- "Tait toi abruti ! cria Jack, ce qui était assez rare puisqu'il ne s'emportait jamais d'habitude."
Il n'en fit qu'à sa tête, redressant Louis pour qu'il puisse s'appuyer sur ses épaules et marcher. Le blessé siffla de douleur, comprenant cependant que Jack avait au moins écouté le fait qu'il refusait qu'il soit blessé par sa faute. Louis risquait de souffrir beaucoup plus ainsi plutôt que porté par son ami mais c'était bien mieux pour Jack. Ce dernier pourrait le lâcher rapidement s'il fallait qu'il s'échappe et ne s'épuiserait pas à le porter de tout son poids.
Louis remercia Jack mentalement. Pour une fois qu'il l'écoutait.
Les premiers pas furent atroces, il n'y avait pas d'autres mots. Louis ne pouvait plus bouger sa jambe droite mais déplacer la gauche lui envoyait des décharges de douleur en continue. Il grinçait des dents à chaque pas maladroits, appuyé sur Jack qui se chargeait de l'aider au mieux.
Ils ne firent que quelques mètres avant de tomber sur un barbelé coupé en deux à moitié enterré dans la boue. Les soldats le reconnurent avec espoir comme étant celui assez proche de leurs tranchées. Ça voulait dire qu'ils n'étaient pas si loin que ça de la semi sécurité de leurs lignes. C'était déjà ça de pris.
Mais ça n'effaçait pas le danger. Il pouvait apparaître à tout moment.
- "Pourquoi tu as fais ça ? murmura finalement Jack en fixant droit devant lui vers leur but."
Louis compris que son ami faisait référence au fait qu'il se soit blessé en le protégeant. Il soupira, la question lui paraissait idiote, mais il savait que s'il s'en tirait il en entendrait parler pendant des siècles.
- "Parce que moi je serais cordonnier Jack, commença Louis d'un souffle tremblant."
Ces simples mots lui valurent une quinte de toux qui lui fit cracher du sang. Louis du prendre quelques inspirations avant de pouvoir reprendre.
- "Ce n'est pas grave si je suis handicapé. Mais toi, toi tu dois devenir photographe, tu dois voyager pour prendre les plus jolies clichés et apparaître dans le journal. Tu ne pourras pas si tu es blessé."
Jack ne répondit pas, visiblement bouleversé. Ses pas ne s'arrêtèrent pas, eux, mais Louis compris que c'était son cerveau qui continuait à fonctionner, non pas l'esprit de son ami qui semblait s'être mis sur pause.
Le soldat indemne reconnaissait dans les mots de son ami ses propres paroles. C'était ses mots au départ, employés lorsqu'il avait raconté son rêve à Louis. Il était ému, complètement ému même. Les émotions se battaient en lui, passant de la joie, au bonheur mais aussi à la tristesse.
Louis avait tout bu de ses mots, tout retenu. Et Louis venait de se faire blessé pour lui, à sa place. Parce que lui avait un rêve.
Que le monde pouvait être injuste.
Mais que Louis pouvait-il être tout simplement le meilleur ami qu'il aurait pu avoir.
Les larmes piquaient les yeux de Jack alors qu'il balbutinait un "ne meurs pas, idiot" à Louis. Il voyait presque les renforcements habituels qui bordaient leurs tranchées, pile à l'instant où les obus reprenaient leur sortie.
Le cœur de Jack se gonfla d'espoir. Ils y étaient presque.
L'instant d'après, le soldat se retrouva à genoux au sol. Ses yeux tremblants se tournèrent lentement pour fixer la raison de sa perte d'équilibre.
Louis n'était plus qu'un corps gelé et inerte contre lui.
Et ce midi ci, un cri étranglé résonna tout près des tranchées alliés. Un cri terrible dans un paysage morbide. Le sang avait de nouveau coulé.
À deux tranchées de toi, mais à deux tranchées de la mort.
Cette histoire reprends son cours quelques années plus tard, au mois de février 1920.
La guerre s'était enfin terminée et la vie reprenait doucement son court. De nombreux lieux étaient à reconstruire complètement, des villes entières ayant été rasées par les combats. Les champs étaient devenus infertiles par endroit sous les obus et les assauts. Mais le pire devait rester les dégâts humains, ceux que rien ne saurait réparer sinon le temps.
Jack avait appris le nombre de morts estimés au total pour cette guerre. Il avait préféré l'oublier de suite. Le nombre était colossal, et il s'imaginait le nombre de familles à qui il manquait des proches qui ne reviendront jamais. Malgré le temps, ça lui faisait toujours ce petit pincement au cœur douloureux lorsqu'il y pensait.
Heureusement, sa propre vie était magique, il n'avait pas à se plaindre. Jack avait rencontré sa femme il y a quatre ans, en rentrant de Verdun au début de l'année 1917. Ce terrible front avait pris fin pour le soulagement général, surtout le sien d'ailleurs. Et ce fut là que la magie avait opéré. Il avait été autorisé à s'en aller des combats pour s'occuper de sa mère. La surprise avait été grande, et encore aujourd'hui il ne savait pas trop pourquoi il avait pu rentrer.
Pouvoir quitter cet enfer qu'était la guerre suffisait à ne pas se poser plus de questions.
Jack pensait encore aujourd'hui que c'était peut-être Paul qui quelque part, avait fait ce qu'il appelait "allumer la cigarette des généraux". Son nom de code pour dire qu'il avait peut-être bien fait quelque chose qui ne méritait pas que l'on l'acclame.
Dans tous les cas, Jack avait pu rencontré sa femme et ils venaient d'avoir un second enfant ensemble. L'homme se souvenait de toutes les fois où il s'était moqué de Paul pour être un père gaga, mais voilà qu'il n'était pas mieux. Le père poule en personne, voilà ce qu'il était. Mais comment résister à deux petites bouilles adorables de quelques mois et deux ans ? Tout simplement impossible.
Jack aimait sa famille et il ne pouvait rêver meilleur présent que celui dans lequel il vivait.
Même son rêve s'était réalisé, il était devenu photographe. Jack prenait des photos des animaux dans la nature, des paysages, des bâtiments mêmes. Il ne voyageait pas beaucoup encore, il ne pouvait pas quitter sa famille. Le père poule ne pouvait plus vivre loin d'elle. Mais ça ne le dérangeait pas.
Jack se permettait tout de même des trajets faisables en une journée pour visiter les environs de la ville dans laquelle il avait déménagée. Sa carrière avait fait un bon et il publiait maintenant régulièrement dans le journal. Il avait une bonne paye et pouvait se permettre une vie calme et tranquille.
Après le traumatisme de la guerre, il pouvait enfin souffler.
Cette terrible guerre qui l'avait tant marqué, qui avait tué Paul et...
Quelqu'un toqua à leur porte alors que Jack aidait sa fille aînée à s'habiller. La petite famille avait prévu d'aller manger au restaurant avec leurs proches pour fêter la naissance du petit dernier. La femme de Paul et son petit faisaient d'ailleurs parti des invités.
Jack laissa sa fille aux soins de sa femme et partit ouvrir, un sourire aux lèvres.
Parce qu'il savait très bien qui était la personne derrière la porte.
- "Louis, sourit Jack en révélant un homme, brun aux yeux marrons dans un fauteuil roulant, deux petites chaussures de cuirs sur ses genoux.
- J'ai les chaussures pour le petit nouveau de la famille, rigola Louis, fait de mains de maîtres par dessus tout, finit-il sur une touche taquine."
Jack se contenta de lâcha un "évidemment" tout en partant pousser le fauteuil de son ami de toujours. Et alors qu'ils passaient ensemble le pas de la porte, ils se souvinrent ensemble de leur devise de guerre.
"On rentrera".
Ils sont rentrés.
Jack est photographe pour le journal, et la photographie qui a fait décollé sa carrière n'est nulle autre que celle d'une cordonnerie. Un vieux bâtiments avec cependant une jolie devanture où se tient un homme, souriant malgré son fauteuil roulant avec des petites chaussures à la main.
Ils étaient rentrés, ensemble.
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