Chapitre 1 : L'appel aux armes
L'Aube s'était levée ce matin-là timidement. Un faible soleil froid à l'horizon, tapis derrière les montagnes, qui n'osait en sortir. Et dans un sens, Louis le comprenait. Qui avait véritablement envie de sortir maintenant que ce n'était plus les oiseaux qui annonçaient le lever du jour mais l'écho des bombes ?
Le jeune homme se demandait lui-même ce qui réussissait à le sortir de son lit le matin. Pourtant, la réponse coulait de sens ; même si la guerre durait depuis deux ans, la vie devait continuer. Les soldats défendaient les habitants en se battant corps et âmes pour eux, mais que seraient-ils si les paysans ne travaillaient plus ? Ils n'auraient plus de quoi manger, ni de quoi s'habiller, ni même l'acier et le fer pour se défendre ou attaquer. Louis, en tant que fils de cordonnier savait que si les lignes arrières dont il faisait partis s'écroulaient, ils seraient tous finis. Parce que la guerre n'avait pas d'âme, pas de raison, parce qu'elle était terrifiante et sans pitié.
Alors il se levait et travaillait. Mais il détestait l'idée de participer même indirectement à cette maudite guerre. Contrairement à ses amis, il ne ressentait aucune once de joie ou de fierté à se dire utile à ce massacre de masse. Louis trouvait ça abominable. Pourtant, le jeune homme n'était certainement pas assez égoïste pour arrêter son travail pour son idéologie loin de la barbarie de la guerre. Il savait que des centaines de soldats qui n'avaient jamais voulu l'être se battaient pour lui, pour sa famille qu'il aimait tant. Et Louis les admirait, les trouvait éblouissant de courage à prendre les armes, à oser les prendre. Même s'ils y étaient obligés sans l'ombre d'une choix, et que c'était leur vie ou celles des autres, ils le faisaient.
La guerre rendait fou, peut-être fou de courage ou fou tout court. Le vieux Allain, un homme d'une quarantaine d'années du village y était partis et depuis, il divaguait complétement. La balle dans la jambe qu'il avait reçu n'était apparemment pas ce qui l'avait traumatisé, mais bien ces "clairons de l'apocalypse au chant métallique et lourd qui creusent le sol comme les corps". Allain répétait souvent ces mots, presque comme un mantra alors que ses mains se mettaient à trembler et ses yeux à s'humidifier. Il fixait le vide durant ces moments de délires, comme s'il revoyait les scènes, les cris, tout ce qu'il cherchait à oublier en se chuchotant pour lui-même qu'il ne s'était rien passé.
Le cœur de Louis se serrait toujours lorsqu'il voyait Allain et le regard complétement dévasté de sa pauvre femme. Il se sentait proche de l'homme que la guerre avait rendu fou, parce qu'il le savait ; ce serait son tour un jour.
Louis Praudo était le fils aîné d'une famille de quatre enfants à la campagne, près des Alpes
Louis Praudo était le fils aîné d'une famille de quatre enfants à la campagne, près des Alpes. Ses trois frères et sa sœur étaient toute sa vie, il les aimait autant que sa mère et que son père absent. La guerre avait emporté de force le paternel de cette pauvre famille paysanne qui vivait aux grès des récoltes. Sans compter sur le fait que le jeune homme lui-même rentrait de son service militaire ; trois ans de vie loin de sa famille qui n'avait sûrement pas besoin de son absence en plus.
Les nouvelles de son père étaient rares et c'était Louis qui avait dû prendre sa place à l'atelier de cordonnerie qu'il tenait avant. Lui qui était rentré en janvier de sa pénible formation militaire s'était de suite mis au travail pour aider sa famille qu'il avait dû abandonner. A la maison aussi, le rôle de paternel lui revenait lorsqu'il s'occupait de ses cadets ou aidait sa mère dans les tâches quotidiennes.
Louis était un jeune homme de vingt-deux ans, assez grand avec de courts cheveux châtains pour des yeux noisettes. Son visage profitait de traits brutes qui définissaient joliment sa forte mâchoire sans rendre son faciès agressif. Au contraire, il paraissait très doux et ce n'était pas qu'une impression.
Le village entier comme tous les autres en ces temps de guerre soufraient du manque des hommes. Qu'il était frère, cousin, père, mari, leur absence pesait, aussi bien dans les cœurs que dans les revenus déjà modestes de certaines familles. Les bras manquaient, alors forcément les derniers hommes restants, les trop jeunes et les trop vieux pour la guerre, devaient remplacer les absents. C'était le cas de Louis à la cordonnerie mais aussi aux champs avec sa mère, mais c'était le cas de bien d'autres.
Le jeune homme avait toujours été d'un naturel très attentionné et volontaire pour aider autrui. Que ce soit aujourd'hui ou demain, Louis ferait de son mieux à la fois pour ceux qui se battaient et pour ceux qui pleuraient leur absence. Sa mère en faisait partis, ses cadets aussi. Louis ne comptait plus les fois ou sa pauvre génitrice ne pouvait plus retenir ses larmes d'angoisses lorsque les lettres de son tendre mari arrivaient en retard. Chacun le savait ; la mort était partout et il ne suffisait que d'une fois pour que la vie s'estompe face à la faux terrible.
Louis ne pleurait pas. Il ne pouvait pas. Il était l'aîné et prenait sur lui pour rassurer sa mère comme ses cadets lorsque l'angoisse constante devenait étouffante. Il se chargeait toujours de prendre de l'avance sur son travail lorsqu'il sentait que sa pauvre famille n'en pouvait plus. Ainsi, il s'assurait d'être libre pour les consoler. Louis mettait de l'argent régulièrement de côté, gagné en aidant les plus vieux du village pour passer à la boulangerie et acheter une de ces pâtisseries que ses cadets adoraient tant. Et c'était en les voyant sourire, leurs bouilles encore pleines de larmes mais fascinés devant le met couteux que Louis réussissait à tenir bon lui aussi. Il s'en allait ensuite coucher les enfants ou jouer avec eux toute la journée selon l'heure. Ensemble, ils s'amusaient à contempler le ciel, la forme des nuages avant de s'en inventer des histoires incroyables. Marie, la petite dernière d'à peine six ans était toujours pleine d'idées que Pierre, le second de la fratrie s'amusait toujours à approfondir pour les peaufiner. Jean et Luc, les jumeaux du milieu du haut de leur dix ans se chargeaient alors de les illustrer en prenant le rôle des personnages créés avec ce côté farceur dans leur jeux qui faisait rire leur cadette. Louis les rejoignait souvent pour jouer le monstre et les faire courir un peu, histoire d'estomper l'angoisse par les rires et les sourires.
Il profitait maintenant qu'il était enfin rentré et pouvait aider sa précieuse famille.
Puis, le soir venu, l'aîné s'assurait d'aller les coucher chacun avec une étreinte collectif. Il leur murmurait que tout irait bien. C'était peut-être bien un mensonge parce que Louis n'en savait rien, mais il savait que ses cadets en avaient besoin. La parole des grands dans ces cas-là apparaissait comme une vérité ultime et les petits en avaient besoin pour parvenir à s'endormir.
Louis quittait ensuite leur chambre commune à pas de loup pour descendre rejoindre sa mère en pleurs sur la table à manger. Le jeune homme prenait place à ses côtés, la serrant dans ses bras alors qu'il sentait les larmes salées couler le long de son cou pour finir épongées par le col de sa vieille chemise.
Sa mère n'avait pas besoin de mots pour la réconforter, parce qu'aucun ne pourrait calmer sa nature maternel qui criait de peur pour la vie de sa famille. Alors Louis, se sentant terriblement impuissant, lui chuchotait simplement combien elle était la meilleure mère du monde et qu'ils l'aimaient énormément. Sa génitrice était d'un courage exemplaire et en quelques minutes à peine elle se calmait. Elle embrassait alors son grand garçon sur ses joues de jeune homme maintenant avant de soupirer à ce qu'ils deviendraient s'il n'était pas là.
Louis lui souriait doucement, mais au fond de lui, il avait mal.
Il allait devoir partir, repartir, bien plus rapidement qu'ils ne pouvaient le prévoir. Et quand se sera fait, lorsqu'il sera partis à la guerre lui aussi, qu'est-ce que deviendrait sa famille justement ?
Les généraux durant son service militaire avaient étés clairs ; la génération de Louis ne rentrait chez eux que pour quelques mois tout au plus
Les généraux durant son service militaire avaient étés clairs ; la génération de Louis ne rentrait chez eux que pour quelques mois tout au plus. La guerre grondait et les hommes tombaient comme des mouches. Les forces de l'armée allaient bientôt avoir besoin de remplacents. "Que vous profitiez bien de votre repos les jeunes, vous en aurez besoin pour prendre les armes et tirer dans la gueule de vrais gars maintenant. avait salué le vieux général sérieux en les quittant."
La terrible lettre était effectivement arrivée bien trop tôt. Un froid matin d'avril en 1916. Lui qui était revenu en janvier, le voilà à devoir repartir si vite. Louis s'y préparait depuis des mois, alors il ne se permis qu'une larme silencieuse le long de ses joues gelées par le froid avant de mettre la lettre sous son coude et de partir à la cordonnerie. S'il était effectivement l'heure pour lui de partir, non au service militaire mais à la guerre, la vraie, alors il devait d'abord s'assurer de mettre en ordre l'endroit et finir le travail qu'on lui avait commandé.
Heureusement, Louis était un jeune homme très sérieux et il n'était jamais en retard, plutôt en avance. Son père n'avait peut-être pas eu le temps d'enseigner tout son savoir à Pierre, mais à son aîné si ; Louis apprenait vite et avait parfaitement su prendre la relève. En quatre mois, le jeune homme avait gagné largement plus qu'un montant habituel pour le temps donné.
Alors de tout peaufiner ne lui pris qu'une grosse matinée. Une matinée qui fut peut-être bien celle où son cœur l'avait le plus tiraillé. Lorsqu'il quitta la cordonnerie, refermant la porte vitrée derrière lui, sa poitrine se serra encore plus. La clef trembla dans ses mains, comme si elle luttait encore pour ne pas fermer en même temps que cette porte tout le futur de Louis. Mais le jeune homme ne pouvait pas agir en peureux maintenant. S'il ne se présentait pas comme demandé dans la lettre, on viendrait le chercher et sa famille pourrait en subir les conséquences.
Louis ne se permettrait jamais le moindre acte qui pourrait blesser sa famille. Mais n'était-ce pas ironique qu'il parte à la guerre pour éviter à sa famille une poursuite pénale alors que ce même départ pourrait signer pas que sa fin à lui, mais peut-être aussi celle de son précieux foyer ? Le jeune homme sentit sa gorge se serrer, une terrible nausée le prit. La clef accepta enfin de fermer la vieille cordonnerie au coin de la rue principale du bourg. Et Louis ressentit que c'était son destin qu'il venait de sceller.
Après tout, le départ de son père datait d'il y à deux ans, une triste nouvelle que sa famille avait du supporter sans lui. Louis n'avait même pas pu lui dire au revoir, simplement revenir dans son foyer devenu horriblement douloureux, tiraillé par la peur d'une annonce de mort. Et maintenant qu'est-ce qu'il allait se passer lorsque lui-même s'en allait à la guerre ? Lorsqu'il allait falloir supporter la possibilité de recevoir un beau matin deux avis de décès...
L'annonce fut difficile. Sa mère s'écroula, les larmes coulant sur ses joues ravagées par l'angoisse et la fatigue depuis deux ans déjà. La femme rayonnante qu'elle avait été depuis sa tendre enfance était fanée maintenant. Louis s'en sentit coupable et dû se morde la lèvre pour contenir un sanglot de désespoir. Ses cadets étaient partis jouer dehors lorsqu'il l'avait annoncé à sa mère, profitant de leur absence pour le dire à haute voix. Il voulait savoir ce que sa mère comptait faire pour leur dire. Pourtant, en voyant l'air ravagée de cette dernière, Louis compris qu'elle était figée et qu'il faudrait attendre que la nouvelle passe un peu plus. Alors il monta dans la chambre qu'il partageait avec ses frères et sœurs. Il sortis un grand sac de voyage usé par le temps déjà à moitié fait.
Louis n'avait jamais défait vraiment les bagages de son service militaire. Il avait bien compris qu'il devrait repartir un jour, malheureusement rapidement. Il avait décidé de laisser son sac prêt en avance, au cas où il n'arriverait pas à le faire sous le choc de la nouvelle, ou encore s'il n'avait pas assez de temps pour. Le jeune homme ne rajouta presque rien, si ce n'est un briquet, une gourde d'eau et une photo de sa tendre famille où ils apparaissaient tous.
Sa mère, lui, Pierre, Jean et Luc, Marie et même son père. Revoir le visage souriant de son paternel faillit faire pleurer Louis. Peut-être qu'en ce moment-même, c'était ce même visage qui n'était plus qu'un de ces innombrables cadavres pourrissants entre les obus et le piétinement des "pas encore morts". Et peut-être que c'était bientôt lui.
Louis frissonna, ravalant un sanglot en embrassant la photo. Il la glissa dans une poche de son sac qu'il ferma avant de le jeter par dessus son épaule. Ce fut presque solennellement qu'il descendit les escaliers de son chez-lui qui allait sûrement lui paraître bien loin maintenant. Louis avait refais son lit, peut-être qu'au moins Luc et Jean serraient heureux de pouvoir retrouver un lit chacun.
Sa maudite consolation sous le bras, il arriva au rez-de-chaussé où sa mère l'attendait dans l'encadrement de la porte. Elle avait un faible sourire sur le visage, si sincère mais si déchirant avec les larmes qui l'accompagnaient.
- "Louis, je t'aime, ne l'oubli jamais mon chéri. fut les paroles de celle qui l'avait fait naître, qui l'avait élevé et qui maintenant devait se résoudre à laisser partir à la mort son enfant."
Louis se jeta dans ses bras qui l'avait bercé et réconforté tant de fois petit et encore une fois aujourd'hui. Il ne voulait pas les quitter, jamais. Mais il n'avait pas le choix, sa mère non plus, ses cadets qui se joignirent à l'étreinte non plus. Alors pour oublier sa misérable condition à venir d'arme humaine, Louis laissa une autre larme couler, parce qu'il fallait bien une jumelle à la première, elle serait terriblement seule sinon.
Et parce que jamais deux sans trois, Louis éclata misérablement en sanglot dans la vieille voiture qui menait au point de rassemblement des nouvelles recrues.
"Je vous aime aussi, ne m'oubliez pas s'il vous plaît, pas lorsque même moi je doute de mon retour."
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