Chapitre 5
Point de vue Hunter :
La musique à fond dans les oreilles, celle qui fait trembler les murs, péter les plombs au voisinage. L'alcool qui coule à flot, s'échange dans les verres ou dans les bouches, tombe sur les vêtements et fait rire ou râler. Les corps déchaînés qui se déhanchent sur la piste danse, comme si leurs vies en dépendaient. C'est ça qui fait mes soirées, généralement. Toujours, je me rends à ces grosses fêtes, celles qui m'assurent que je vais vendre à max, parce que ce sont rarement des amateurs qui les organisent et qui s'y retrouvent. Des milliers de personnes survoltés, qui boivent, qui se droguent à en tomber raides. Ils se laissent glisser dans les abîmes, celles du mal, et jamais n'en remontent. Ouais, mais ça j'aime bien. Je vends à des putain de gamins ; de 16 ans souvent, voir 15, et je me suis jamais acharné à vouloir jouer le rôle du psy ou du parent inquiet et investi. Non j'm'en tape. On refait pas un gamin flingué.
Chacun pour sa gueule, façon. Moi ma vie elle est faite, je les laisse faire la leur, quitte à ce qu'ils se fassent retrouver dans leur lit, une aiguille de trop plantée dans le bras, un paquet de trop sniffé au pied de la table de chevet. Je regarde vite fait mes collègues de là ou je suis, reporte mon attention sur le client face à moi. Je hoche la tête pour lui faire comprendre que l'argent vient avant le sachet ; aucune envie -flemme surtout- de tuer quelqu'un ce soir, et surtout un putain de gosse de 17 piges. Le billet de deux cents se glisse dans ma main et je lui file sa dose. Il se casse, trop impatient d'y goûter, et je me retourne en buvant une gorgée de ma bière, range l'argent dans ma poche.
Je m'éloigne légèrement du groupe de jeunes une fois que je sais que y'en aura pas un de plus qui achètera pour ce soir, et m'arrête contre un mur, m'y adosse. De là j'peux observer la totalité de la pièce, celle bondée qui fait transpirer les corps entre eux. J'peux directement reconnaître un comportement suspect ou étrange, aussi reconnaître ceux qui ont besoin de moi : d'un petit sachet pour se détendre. Mais le mieux, c'est la possibilité de pouvoir admirer le cul des nanas qui se trémoussent, comme si elles ne se rendaient même pas compte (ou faisaient semblant) de leur comportement de salope. Bordel, décidément. J'vois une fille, assise bizarrement, complètement défoncée, les yeux déjà presque révulsés et le teint froid.
Avec précision, j'observe le gars avec elle qui la tire vers les escaliers, la fait monter. Elle se laisse faire, c'est clair, mais faut pas être con pour savoir qu'elle est carrément déconnecté de son corps, que son cerveau répond plus. J'sais qu'à ce stade là, elle est pas capable de savoir qui elle est ; lui aussi le sait. Il lui chuchote un truc à l'oreille, et sans savoir vraiment ce qu'il lui raconte, elle éclate de rire. Ça le fait sourire, il l'entraîne en haut avec lui, et ils disparaissent dans le long couloir de l'étage, celui qui mène aux chambres. Y'a déjà plusieurs filles qui sont entrain de se faire violer là haut, on en entend quelques-unes, celles qui ont encore la force de résister mais qui s'épuiseront bientôt. Mais la plupart sont silencieuses, ne s'en rendront compte qu'au réveil. Et demain, parmi tant d'autres, cette meuf fera partit des esprits torturés, ceux qui deviennent irrécupérables, qui essayent de combattre la souffrance et d'oublier avant de se rendre compte que c'est impossible, de se faire engloutir.
Et ensuite, sûrement dans quelques semaines, elle se sera suicidée. Parce qu'elle pouvait plus supporter la paranoïa qui la faisait se retourner tout le temps pour voir si quelqu'un la suivait sur le chemin du retour. Parce qu'elle supportait plus le regret, alors que les « et si » tournaient dans sa tête. Parce que toutes les nuits elle faisait ce même cauchemar ; elle revivait la soirée qui l'avait bousillée, celle où on l'avait baisé irrespectueusement, contre son grès, celle où elle s'était fait violée, plus précisément. Ça c'est aussi ce que je constate depuis pas mal de temps, ça fait partit des fêtes ; c'est juste la vie, ici. La vraie ; brute et dure. Mais c'est pas de ma faute, faut se le dire, c'est de la leur, ou celle de leur parents, qui avaient qu'à leur apprendre ce qu'il faut faire, dans la vie, pour survivre. Mais sans doute qu'ils avaient pas le temps, alors ils les ont laissés crever en silence ; elles crèvent toujours en silence.
J'allume une clope, appuie mon dos contre le mur, la regarde lentement s'approcher de moi. Elle me dit quelque chose, mais impossible de me remémorer les circonstances de notre rencontre, alors je laisse passer. Je l'ai sans doute déjà baisé. Elle me sourit, attrape la cigarette que j'ai entre les doigts, la glisse entre ses lèvres pulpeuses et roses. Sans que je le veuille réellement, mon regard s'assombrit et je lui arrache de la main : déteste ce genre de comportement qui me met les nerfs. Encore une merdeuse inconsciente qui n'a pas idée de ce qui va lui arriver si elle continue. J'entends un rire s'échapper de sa bouche et je fixe ses grands yeux verts en tirant une taffe. Elle se colle à moi et sans réagir, je lui recrache simplement la fumée au visage. Ses lèvres s'entre-ouvent, l'aspirent dans un geste légèrement sensuel. Je descends mon regard le long de son corps, prend le temps d'examiner chacune de ses courbes, ses formes qui semblent assez bien pour que j'y pose mes mains. Je fume calmement, elle, se met à éparpiller dans mon cou ses baisers mouillés. Je baisse les yeux vers son visage.
-T'as pas peur toi hein ?
Je lève un sourcil, elle hausse une épaule.
-Peur de quoi ? De me faire baiser par toi ? Putain quelle punition.
Sa voix chargée d'ironie me fait confirmer le fait qu'elle est vraiment inconsciente, et je remue un peu la tête en me disant qu'on les aura toutes vues putain, mais ne peux pas m'empêcher d'aborder un léger rictus quand même.
-Bon du coup est-ce que tu te bouges ou pas ? Je dérange peut-être ?
Sa voix est plus agacée qu'ironique, maintenant. Cette nana change d'humeur plus vite que moi ou quoi ? Mais j'écrase juste la cigarette dans un cendrier à proximité.
-Me bouger pour quoi ? Sois tu veux que je te baise, sois tu veux acheter, j'me trompe ?
Elle remue un peu la tête ; une mèche de cheveux retomber sur son nez et elle souffle dessus pour la mettre hors de son visage.
-Je bosse, ma belle.
Je kiffe me faire désirer putain, toutes les voir trépigner d'impatience en attendant de pouvoir me baisser mon jean.
-Non mais sérieux, je me fais chier, et toi aussi t'as l'air. Pourquoi on irait pas s'amuser ? Je veux pas acheter de toute façon, et je suis sûre que t'as déjà vendu plus que tu l'espérais.
Je ricane longuement, sait qu'elle a, de son coté, consommée plus qu'elle l'espérait aussi. Ça se voit à la rougeur qui entoure ses pupilles, les perces et s'y infiltrent. J'me répète à moi-même que les femmes sont toutes des salopes, apparemment, prête à écarter les cuisses à la vue de n'importe quel mec. Du moment qu'il y a une queue en jeu, elles diront jamais non, et plus j'en vois, des comme ça, plus ça me désespère. A un point où j'veux même plus me prendre la tête, j'les laisse faire, en profite ; moi j'ai rien à y perdre.
Son corps faible s'écrase contre le mien, un peu plus fortement qu'avant, parce qu'elle commence à perdre patience, ça se voit. Les femmes perdent toujours patience avant moi. Moi je sais que je vais baiser ce soir, pas de doute, mais elles, elles savent qu'elles trouveront pas mieux, alors elles insistent à en oublier leur fierté.
Seulement, je fronce les sourcils quand je vois, cette fois, son visage pour de vrai, plus près du mien, sans les éclairages superficiels qui faussent les détails. Bordel, c'est une blague ? Je remue la tête. Elle a du culot, cette petite, c'est le cas de le dire. Les gars de maintenant savent même plus garder leurs chiennes en laisse. Mais je me décale pas, c'est pas mes affaires, j'm'en tape de qui est la nana de qui. Et peut-être qu'elle s'en tape aussi, finalement, parce que je la sens se coller plus fort contre moi, essayer de chercher ma peau sous mes vêtements. Je sais que je refuserai pas de me la faire, parce que ça finirait par arriver, de toutes manières ; je les baises toutes.
Alors dans un mouvement rapide, je la soulève, marche seulement un peu et m'engouffre dans les toilettes. Elle s'accroche à moi, les jambes enroulées autour de mon bassin, et sans prendre le temps de rentrer dans une cabine ou de l'asseoir sur le lavabo, plaque son dos contre la porte. Elle gigote d'impatience, et je souris d'un air moqueur en voyant à quel point elle est obnubiler par l'envie de se faire baiser, par moi, ou se faire baiser tout court. J'avoue, des meufs avides de sexe j'en ai rencontré, des tonnes, mais pour qu'on vienne quasi me supplier en pleine nuit, à une fête ou en plus de ça je suis entrain de bosser dans l'unique but de se faire serrer, j'en ai rarement vu. Mais je suis sûr que ça se trouve à chaque coin de rues. Sauf qu'en nous deux je retrouve un point commun plaisant : on a pas envie de perdre notre temps. Et je préfère ça finalement à celles qui me supplient d'y aller doucement.
J'suis pas tendre, j'veux pas l'être et j'y arrive pas. La brutalité c'est ce qu'il y a de meilleur, le seul truc qui coule dans mes veines, de toute façon. Je baisse son jean, attrape sa culotte au passage, la laisse faire de même pour moi. Et ni pour l'un, ni pour l'autre, ça ne va encore assez vite. Ses lèvres essayent de s'écraser contre les miennes mais précipitamment j'attrape sa tignasse blonde dans mon poing, lui recule brusquement la tête ; elle frémit. J'embrasse pas, la plupart du temps. C'est pas ce qui me fait venir, alors à quoi bon ? J'attrape une capote dans la poche de mon jean au sol, la tient uniquement par mon corps appuyé contre le sien.
Elle le prend d'elle-même une fois le paquet déchiré ; le glisse sur ma queue. Un grognement sourd s'échappe de ma gorge, et directement je me pousse en elle, sans doute sans qu'elle ne s'y attende. Elle se crispe ; je jure entre mes dents : y'a pas à dire, elle est bonne.
Aussi fort qu'elle me le demande, je claque mon bassin contre le sien ; son corps suit chacun de mes mouvements, ses gémissements et ses cris emplissent le faux silence qui règne dans les toilettes. La musique devient comme lointaine, sourde, et ne parvient pas à rentrer dans cet air étouffé et confiné qui nous entoure, celui qui recouvre nos corps d'une légère couche de transpiration, celle dû à l'effort, celle que j'aime.
Au bout de plusieurs minutes et coups répétitifs, je viens dans le préservatif, appuie désormais mes mains de chaque coté de son corps mince ; l'écrase de tout mon poids contre la porte. Ses jambes sont tremblantes, faiblissent autour de ma taille, sa respiration indolente frappe contre ma gorge. Elle déglutit avant que je me retire d'elle, d'un coup, ne souhaitant plus m'attarder ici. Un instant, je reprends ma respiration, jette la protection usagée dans une poubelle, juste à coté de nous. Son corps titube contre le mien ; je la rattrape par les cuisses, la repose au sol, en profite également pour me rhabiller rapidement. J'dois avouer qu'au final, je me suis pas vraiment ennuyé, du moins beaucoup moins que ce à quoi je m'attendais. J'aime bien ce truc de venir pratiquement me supplier pour que je baisse mon froc. Ça flotte mon égo, on va pas se mentir. Nos regards s'attardent sur l'un l'autre encore quelques secondes avant que je lâche un simple « C'était pas mal ». Puis je sors, me casse de ces toilettes qui puent le cul à plein nez, maintenant.
Point de vue Jelena :
Le réveil est pas cool, beaucoup moins en tout cas de ceux passés avec Jek. Pas de caresses pour émerger, pas de lèvres douces à embrasser, pas d'odeur agréable dans laquelle se prélasser. Non, rien de tout ça. Juste le sang qui frappe contre les tempes. La migraine, la bouche pâteuse. Les yeux et le cœur qui brûlent. L'aspirateur, aussi. Ce putain d'aspirateur qui me donne envie de me claquer la tête au sol jusqu'à m'exploser le crâne et plus entendre cette merde qui a rien à faire ici un lendemain de soirée ! Je lâche seulement un gémissement plaintif, parce que je suis dans l'incapacité de gueuler, me redresse du mieux que je peux.
Directement et du regard, je me lance à la recherche d'un malheureux verre d'eau qui pourrait soulager ma bouche endolorie. Mais y'a que des bouteilles vides, des cons allongés au sol, des joints pas finis et des mégots de clopes qui traînent salement sur le parquet. Ça me donne envie de gerber tout ça, mais pas assez pour que je renonce à attraper un joint encore bon à fumer au sol et de l'allumer avec le briquet que je cache entre mes seins. Je tire une taffe, grimace en voyant le monde tourner beaucoup plus vite que moi, et tourne la tête vers l'entrée du salon quand j'entends un bruit.
-J'ai appelée Jek, il va venir te chercher, le plus vite possible d'après ce qu'il m'a dit.
Je regarde un instant Tommy, l'organisateur de la plupart de ces soirées de dingue. Il est cool, Tommy, vraiment, sauf quand il appelle Jek, parce que là tout de suite, dans ce genre de circonstances, j'ai pas envie de voir débarquer sa petite gueule de mauvais ange. Il va gueuler, me secouer, alors certes je pourrais entendre sa voix, toucher sa peau, mais il me laisserait pas faire plus. Et je veux toujours plus, quand il s'agit de Jek. Jek je le veux jusqu'à en crever, jusqu'à en faire une overdose.
-Mais t'es con ou quoi ? Pourquoi tu l'as appelé ?
-Parce que mes parents vont rentrer de voyage, que ton gros cul est encore là à traîner par terre et que j'ai beau être majeur, c'est pas ma baraque, et j'ai pas envie de me retrouver à la rue maintenant, pigé ?
Je roule des yeux, ouvre la bouche, mais Jek débarque ; mine renfermée et énervée. Son jean est déchiré, me donne envie de le retourner pour voir quel cul ça lui fait. Tee-shirt ample sur les épaules, celui que je mets parfois pour dormir, il s'avance vers nous, vers moi, surtout. Ça va mal finir, je le sais, grâce à la petite ride de mécontentement dessinée entre ses sourcils, à son regard dur. Mais avec lui, avec moi, les disputes se termine par une baise de réconciliation, et ça me fait sourire, parce que ces baises là sont les meilleures. On y déverse toute la frustration, la colère, la peine et le dégoût. On oublie tout, on se retrouve, nos deux corps enchaînés. Je voudrais rester enchaînée à lui à tout jamais.
Dangereusement, il attrape mon bras dans sa grande main fraîche ; ça m'arrache un frisson, mais je fais plus attention à sa mâchoire si joliment contractée. Son air sombre me donne envie de lui sauter au cou, de lui dire que je suis désolée, que je l'aime, mais je m'en empêche, me dit « résiste pour une fois Jelena, il va trouver ça sexy, hyper sexy et ça sera que meilleur après ».
-Tu te fous de ma gueule Jey là ? T'as pas l'impression que moi je suis à la maison et que j'attends des nouvelles ?!
-T'as pas voulu venir !
-Et toi t'es pas rentrée de la nuit !
Je le regarde longuement, fixe mon regard dans le sien. Il a pas tord, Jek, mais j'ai pas tord non plus, moi. Il aurait dû venir, il vient toujours, il aurait pas dû vouloir se passer de moi.
-Je rentrerais cette nuit ?
Je tente, la voix un peu plus douce, en joignant mes mains entre elles pour me donner un air plus attendrissant que d'habitude.
-Cette nuit ? Non cette nuit tu vas pas bouger ton cul de la maison, Jey. Cette nuit tu vas te reposer. Ça fait une putain de semaine que t'enchaîne les soirs à te foutre en l'air.
-J'me fous pas en l'air, et tu le sais.
Non j'me fous pas en l'air, au contraire, je m'empêche de le faire. Je pars en courant pour aller respirer l'air frais, celui du monde, celui du monde de dehors. Je me barre pour aller voir le ciel, contempler les étoiles, me dire qu'elles ont rien de dangereux, tout là en haut, perchées dans le ciel, qu'elles sont juste jolies et m'aident à retrouver le chemin jusqu'à la maison, la nuit. Je pars, je m'échappe, mais je vais certainement pas me foutre en l'air. Et au fond, il le sait, il le comprend. Il a toujours comprit. Il a comprit que si je recommence chaque soir, c'est pour que jamais ça se termine, que jamais j'ai à chercher l'oxygène dans les recoins les plus absurdes, que c'est pour respirer à ma guise, ne plus suffoquer.
C'est un besoin plus qu'une envie, un truc vital. Comme un cœur au milieu de la poitrine. On se scrute, nos âmes chuchotent entre elles, ressassent de vieux souvenirs en poussières. Il réplique pas ; cède. Pourtant son geste reste brusque quand il me tire par le bras pour sortir, et je grimace légèrement. La cigarette me glisse des doigts, tombe dans une flaque d'eau au sol, ou de pisse, peut-être. Mon corps est fait de courbatures, mon entre-jambe me fait mal, me rappelle une nuit mouvementée, la dureté des actions qui me faisaient m'écraser contre la porte.
Jek hoche la tête vers Tommy, certainement pour le remercier, fait partir ses cheveux blonds en arrière, puis revenir sur son front. On sort, son pas rapide me fait vaciller plus d'une fois contre lui, mes jambes sont encore faibles à cause de l'effort passé et du plaisir. Je pleurniche, tend les bras en espérant qu'il me portera. Mais il ne le fait pas, me donne un avant goût de sa vengeance inconsciente. Je l'entends lâcher un grognement d'incertitude quand je me laisse tomber sur lui, et il n'a d'autres choix que de me rattraper par les hanches.
Sa mâchoire est toujours contractée, ses yeux toujours assombris par la colère. Il me dépose dans la voiture, sur la banquette arrière, comme s'il voulait délibérément me tenir loin de lui et du volant, et le claquement de la portière résonne avec force dans mes oreilles, se répercute dans mon crâne comme si j'avais fait une chute de 50 mètres, que l'atterrissage était brutal, mortel. Je chancelle, finit par me coucher sur les sièges, apporte sa veste à lui contre mon visage pour faire passer la douleur ; rien de plus efficace comme remède à la souffrance.
Une fois à la maison, après m'être lavée, avoir mangée, je peux pas m'empêcher de retourner vers Jek. Sous la douche, j'ai remarqué les marques inévitables sur ma peau : bleus en forme de doigts sur les cuisses, les hanches, traces de dents sur la gorge, les seins. Ça m'a confirmé (si j'en doutais encore) que j'ai bel et bien couché avec un mec hier soir, plus qu'il ne le fallait. Mais le souvenir des sensations ne revient que par brides, et ce n'est pas encore assez pour le moment afin que je me souvienne du visage de celui qui m'a baisé avec tant de force.
Jek est assit contre la tête de lit quand je le rejoins, un livre entre les mains. Je m'approche à pas lents, prudemment me met contre lui, pose mon regard sur la suite de lettres que je ne parviens pas à déchiffrer. Il remarque rapidement ma frustration, mon incompréhension, referme le bouquin et le balance plus loin. Pourtant, il reste distant, refuse de poser ses beaux yeux sur moi ; ce qui me fait nerveusement attraper ma lèvre entre mes dents, la mordre aussi fort qu'il m'est possible de le faire.
-Jek...
Je crois bien que je me sens coupable, j'ai envie de lui dire, ouais bébé, je crois bien que j'ai couché avec un autre type. Mais au lieu de continuer à parler, je m'assois sur ses cuisses, impose mon corps au sien pour qu'il ne puisse pas s'échapper. Mon visage vient s'appuyer contre le sien, je le parsème presque entièrement de baisers, tous plus appuyés les uns que les autres. Il râle, mais je peux pas m'empêcher de sourire. Finalement, c'est lui, le premier à prendre la parole.
-Pourquoi être resté toute la nuit ? Ça t'arrives jamais, au bout de quelques heures, t'es toujours obligée de rentrer.
Son regard me brûle, me fait prendre feu, un incendie impossible à éteindre. Et j'ai peur de sa réaction, si je venais à lui dire la vérité. Mais de toute façon, j'arriverais pas très longtemps à garder ça pour moi, secret. Je fais toujours des gaffes, ça donne envie aux gens de me tuer quand ma langue fourche et que je déballe tout d'une traite sans y penser, ou alors, ça les fait rire, mais c'est plus rare. Et je veux pas qu'il l'apprenne comme ça, par inattention. Je sais qu'au fond, Jek il mérite mieux que ça. Il mérite pas de devoir s'énerver à cause de moi, de sentir son cœur s'emballer. C'est une perle rare, je l'ai trouvé dans son coquillage avant tout le monde, précieusement l'ai gardé pour moi, continue de le faire. J'humidifie mes lèvres, passe mon doigt le long de sa clavicule.
-Ben.. en fait... je.. bah j'ai l'impression d'avoir fait une bêtise.
-Je pense pas que ça soit une impression ouais.
-Faut pas que tu m'en veuilles ok ? Parce que c'est toi le meilleur j'te jure, dans tous les domaines, puis c'était moins bon qu'avec toi, toi tu me donnes plusieurs orgasmes, tout le temps !
Ma voix devient de plus en plus aiguë au fil de ma phrase, mes mains s'agitent toutes seules sur sa peau. Longtemps, il me regarde. J'attends sa réaction, mais suis étonnée quand premièrement, je vois le soulagement traverser son regard, brièvement, mais assez pour que je le remarque. Je fronce les sourcils, mais aies à peine le temps de laisser la colère monter qu'il la manifeste avant moi. Il s'est reglissé dans la peau du petit-ami. Sans rien dire, il se lève, me bouscule sur le coté.
Je ferme brièvement les yeux, me lève directement pour tenter de passer mes bras autour de lui par derrière, de poser ma joue contre son dos, d'avoir un quelconque contact avec. Ses muscles se tendent, comme pétrifiés et raidis par la colère. Alors j'essaye de le détendre ; dépose des baisers dans sa nuque, lui répète sans cesse que je suis désolée. Mais mes mots n'ont aucun impact sur lui, il ignore mes paroles, fait comme s'il ne m'entendait pas. Rageusement il se retourne vers moi, continue :
-Donc clairement, toi t'as le droit de baiser un putain d'inconnu, mais moi j'ai même pas le droit de poser mon regard sur une fille ? T'en as pas marre avec tes merdes à la fin ?
-Je te dis que c'était une erreur, et puis c'était nul, Jeeeek.
Je penche ma tête en arrière, râle en poussant un soupir, fixe le plafond blanc, avec quelques tâches de peinture par ci par là, à cause de la fois où je peignais, et où je me suis emportée.
-Arrête maintenant Jelena. A partir de maintenant, si c'est ce que tu veux, chacun fait ce dont il a envie, ok ? On va voir si ça te plais au final.
Mes pieds se mettent à frapper le sol, font résonner l'écho dans tout l'appartement, font également chier les voisins du dessous, sûrement. J'agrippe son tee-shirt dans un geste d'insatisfaction ; son regard s'obscurcit, l'air de me dire que ça va mal se terminer, mais j'abandonne pas, me souviens de la promesse que je me suis faite ce matin : lui résister. De toute façon, il est hors de question qu'une connasse pose ses sales mains sur lui, sur ce qui m'appartient. Jek il est à moi, l'a toujours été, ne sera jamais à quelqu'un d'autre.
-Allez ça suffit. Parce que là tu vois je suis entrain de m'énerver et que c'est pas bon.
Mes lèvres font la moue, je renifle un peu exagérément, repasse mes bras autour de lui. Je replie mes poings, les frottes contre mes paupières pour chasser les larmes qui font légèrement barrage aux coins de mes yeux. Son torse se soulève ; il inspire, et je peux pas m'empêcher d'être admirative devant ce mouvement de sa cage thoracique. Comme s'il s'y sentait obligé, il finit par glisser ses doigts dans mes cheveux, repousser mes mèches blondes à l'arrière. Je retiens pas mon sourire ; je l'ai retrouvé mon Jek à moi, ça y est. Il me console toujours, mon Jek à moi, quand ça va mal et quand ça va bien. Il fait toujours ce qu'il faut, mon Jek à moi, dans le fond.
-Tu vas pas aller voir d'autres filles que moi hein oui ?
Je réutilise la technique de la voix douce, celle pour tendrement l'amadouer, mais sûrement émet ma protestation.
-On verra ça plus tard, Jelena. Là tu vas aller tu reposer, ensuite on en parlera.. Mais pas là tout de suite, parce que j'ai pas envie.
-Mais alors tu viens avec moi ?
-Monte te coucher.
-Viens avec moi s'il te plaît... J'aime pas dormir toute seule, avec la peur.
J'entends presque son cœur louper un battement, mais j'y porte pas attention plus que ça, je le tire avec moi dans notre chambre, notre lit, celui qui nous lie. Ma bonne humeur revient quand je remarque qu'il ne proteste pas, ignore le fait qu'il n'en pense pas moins, pourtant. Je me couche, m'accorde un moment pour le contempler de la tête aux pieds.
Il est beau, impressionnant, tellement que parfois je me demande s'il est vraiment réel, si c'est pas juste le meilleur fruit de mon imagination. Si je parle vraiment à quelqu'un, si je désir et touche quelque chose qui existe réellement. Mais évidemment, qu'il est bien là, vivant et humain, parce que je le suis aussi, c'est évident, qu'avec Jek y'a Jelena, que sans Jek, y'a plus Jelena. J'ouvre mes bras dans une invitation silencieuse à venir se coucher sur moi, et après un léger moment de réflexion, il me rejoint. Automatiquement, nos membres se renferment autour de l'autre, serrent les corps imposants et fragiles. Mon nez s'enfouit dans ses cheveux blonds et doux, je le laisse me bercer, je le laisse m'emmener loin d'ici, dans des rêves qui sont toujours plus tranquilles que la réalité.
Point de vue Sun :
J'ai envoyée plusieurs notes vocales à Jelena, ces deux derniers jours, avec le téléphone qu'elle m'a offert pour mon anniversaire. J'apprends à m'en servir ; les automatismes se prennent assez facilement, en fin de compte. On s'est jamais écrit de textos, avec Jey, jamais ; les notes vocales ç'a toujours été notre manière de communiquer. Dedans, je lui disais qu'on ne pourrait pas se voir après mes cours, parce que je suis malade. Même si ce n'est pas complètement la vérité.
En fait, si je suis malade, je suis souffrante d'un tas de choses inexplicables et explicables, de la soirée de l'autre fois ; l'une des pires, jusqu'ici. Pourtant, j'en ai eu, des moments où cela c'est mal passé, ou rien ne s'est déroulé comme prévu. Mais comme cela ; jamais. Alors quand les images me reviennent en tête, je pose une croix dessus, les refoules le plus loin possible. Parce que je sais qu'en plus, ce n'est pas fini, que cela pourra toujours être pire, que je n'ai pas vécu les choses les plus atroces qu'ils ont en tête, si ça venait à se reproduire. Donc oui, en général, quand mes pensées vaguent à bord d'un navire trop dangereux, qui berce une mer noire, je dérive sur un écran de télé qui grésille ; le vide ; pas d'image, pas de son ; rien.
C'est ma solution pour arrêter de me noyer dans l'interminable océan de douleur. Sauf que bien souvent, ça ne marche qu'un court instant. Ensuite, tout revient se bloquer sur l'écran, et c'est comme si l'on m'attachait à une chaise, et que j'étais forcée à la regarder jusqu'à la fin, cette télé. Puis, plus moyen d'y échapper. C'est un quotidien, on s'y habitue, je suppose. Car oui, je m'y suis faite aux courbatures, au sang qui coule et qui pique dans le dos. Je m'y suis faite, à refouler des sentiments qui me font peur, qui me sont interdits. Je n'y connais pas grand chose, au monde et à la vie, alors peut-être que tout le monde vit comme moi ; que je suis simplement trop faible pour le supporter. Je me dis cela, quand je suis à deux doigts de craquer. Et alors je reprends ma respiration, et tout est repartit, la fausse vie et les sourires hypocrites à gogo.
Il est presque 23 heures ; à cette heure là, la maison est endormie depuis déjà au moins deux bonnes heures. Mon estomac émet un ronronnement douloureux, et je me redresse péniblement, jusqu'à me lever. Cela fait depuis l'autre soir que je ne mange que très peu ; la sensation de bile dans mon estomac, et les remontées acides qui se propage douloureusement dans ma gorge jusqu'à ma bouche ne sont pas d'une grande aide.
J'entreprends tout de même de sortir de ma chambre, essaye de descendre discrètement ces vieux escaliers qui grincent à chaque mouvements, si ce n'est pas à simple coup de vent. Même eux sont pourris, ne résiste pas à la vie ici, ont bien besoin d'être changés. Ou alors ils souhaitent simplement réveiller mes parents, les avertir de mon réveil. N'y a-t-il donc pas de répit, dans cette maison, à la fin ? Pas une seule once ? Je m'engouffre dans la cuisine, cherche un moment le placard qui est interdit sauf pour les enfants du voisinage qui viennent passer un moment de temps en temps, trouve le pot de cochonneries en toute sorte. J'attrape plusieurs chocolats, bonbons et bêtises salés, puis referme tout.
Sauf que mon regard se pose instantanément sur un groupe de jeunes à l'angle de la rue. Des jeunes, de la fumée qui s'échappe de leurs bouches, des bouteilles d'alcool qu'ils tiennent dans les mains. Et je me dis que ce n'est pas de friandises, dont j'ai besoin. J'ouvre presque machinalement la porte, quand je me stoppe : oui c'est facile de sortir, mais est-ce simple de rentrer ? Non, je le sais, je l'ai vécu la dernière fois. Vais-je vraiment recommencer cette mauvaise expérience ? Cette simple idée me fait trésailler. Mais le goût de l'indépendance, celui de la délivrance, également, viennent picoter peu à peu l'entièreté de mon corps, et je fronce les sourcils ; le goût de la punition n'a pas la même intensité ; il ne picote pas aussi fort que celui de la liberté.
Alors rapidement, et inconsciemment, le choix est prit. Quitte à mourir demain, j'aurai essayée de passer une bonne soirée, rattrapée celle de mon anniversaire. Je ne sais pas, pourquoi je suis incapable de résister à l'appelle du monde. Pourquoi je ne peux simplement pas accepter ce qui m'entoure, l'univers auquel moi, j'appartiens. Pourquoi je ne peux dormir tranquillement ? Mais là encore c'est parce que je n'en peux plus, que le fil est tendu, qu'il va bientôt lâché, et qu'avant cela, j'ai besoin de le faire tenir encore rien qu'un peu. Je sors de chez moi, m'avance d'un pas déterminé vers les jeunes, trop occupés à fixer les étoiles luisantes dans le ciel en riant, pour m'apercevoir. Cela me semble étrange, au premier abord, parce que moi, même en priant, je n'ai jamais osé fixer le ciel dans les yeux comme eux le font là maintenant, avant tant de témérité.
-Bonsoir, je ne vous dérange pas ?
Chacun tourne la tête vers moi, et ensemble, ils lâchent un simple « non » comique.
-Est-ce que je peux vous emprunter une petite gorgée, s'il vous plaît ?
Je montre la bouteille d'un signe de tête ; montrer du doigt est impoli, cela se sait bien. Sans plus attendre, la bouteille est tendue vers moi, et je la prends. La première étape de la soirée à franchir, celle qui me donnera du courage pour faire tout ce dont j'ai envie sans qu'un milliers de questions ne tournent dans ma tête et me font clouer les pieds au sol ; me figent.
Longtemps, j'ai répété à Jelena que l'alcool ne résout aucun problème, qu'au contraire il ne fait que les aggraver, en rajouter. Mais mon point de vue commence à s'orienter vers le sien, celui qui pense que l'alcool, ce n'est qu'une consolation, temporaire peut-être, mais pas si on la répète. J'entoure le goulot de mes lèvres, me force à boire plusieurs longues gorgées immondes pour oublier ce que je risque d'ici demain matin, pour oublier, juste, tout oublier, ne plus jamais m'en soucier.
Je termine quasiment la bouteille qui était déjà entamée, m'essuie la bouche avec ma manche de tee-shirt de pyjama, dégoûtée, et toussote. Je ne sais pas comment fait Jelena pour carburer quasiment et uniquement avec cela, au vu du goût amer dans ma gorge. Je rends la bouteille à son propriétaire, qui me regarde avec de grands yeux.
-Eh ma belle, tu devrais faire attention et y aller mollo.
Je souris, le remercie, continue mon chemin, oubliant déjà ce qu'il vient de me dire ; ah oui, l'alcool, cela marche pour oublier. Ma peau semble chauffer de plus en plus, au fil des pas rapides que j'aborde ; j'ai l'impression de brûler, mais d'un feu confortable, qui fait partie de mon échappatoire. Comme si mon esprit et moi, ensemble, on se mettait à vagabonder n'importe où, dans l'herbe et dans l'air, qu'on dansait, qu'on remerciait ce moment rien qu'à nous. La scène me fait lâcher un rire, irrémédiablement, et sous l'effet du rire incessant, je manque de trébucher. Je me rattrape de justesse ; me rattrape toujours de justesse, de toute façon.
Soudainement, ma tête se redresse, adore l'idée de génie que je viens d'avoir, mes yeux s'élargissent d'émerveillement. C'est le meilleur moment pour aller le trouver, Harry. L'excitation me gagne ; je me mets à courir aussi vite que je le peux, retrace le chemin de la forêt en me repérant facilement grâce à la lumière des lampadaires. Les premiers arbres apparaissent, les plantes et les fleurs viennent chatouiller mes pieds en pantoufles. L'air frais caresse ma peau, contraste avec mon corps échauffé.
Je respire difficilement, à bout de souffle, m'arrête quelques secondes pour me reprendre, me calmer ; calmer l'euphorie. Et je m'en rends compte, que ça y est, je la ressens l'euphorie ! Que Jey a raison ! Je la ressens peut-être pas à cause du corps d'Harry, mais je la ressens, elle est là, plongée dans mon cœur, fait pulser le sang dans mes veines, rythme les battements incessants de la vie. Alors joyeusement, parce que je veux le mettre au courant, de cette merveilleuse nouvelle, je me mets à crier :
-Harryyyyyyyyyyy !
Je ris en regardant autour de moi, fait rouler les «r » sur ma langue, prononce son nom le plus longtemps possible. Mais un silence lourd règne, me fait froncer les sourcils, alors je recommence.
-Harryyyyyyyyy où es-tuuuuu ?
Je rejoins le buisson habituel, râle en sentant les branches frotter contre mes bras nues, avant d'en ressortir de l'autre coté, celui interdit, et dangereux. Celui qui m'excite terriblement, encore plus. Mais ce coté là est plus sombre, et je n'aperçois que vaguement les formes qui m'entourent. Alors je continue de crier, prie pour qu'il m'entende, qu'il soit là, au moins. En même temps, des gloussements idiots s'échappent d'entre mes lèvres, font de ma voix quelque chose d'étrange, une voix que je ne me connais pas.
-Wouuuuuuuuuh Ouuuuuuh ?! Y'a-t-il quelqu'un ?! Wooooooow !
Et tout à coup, je l'aperçois au loin, entouré de deux autres personnes. Mais elles ne sont que floues et insignifiantes. Moi, je ne vois que lui, lui et sa carrure imposante, lui et ses épaules larges, lui et ses cheveux bouclés, mais plus court que d'habitude ? Quoi, il s'est coupé les cheveux ? Et cela me frappe : la puissance de sa beauté. Je cours vers lui, une course déséquilibrée et bruyante. Il est dos à moi, fait face à un homme, l'autre à coté de lui. Il échange quelque chose, les gestes fermes et sûrs. Sans réfléchir, je me faufile entre eux, attrape le petit paquet dans la main du garçon, curieuse.
-C'est quoi ?
Ma voix fait écho autour de nous alors que les bruits se tarissent, et je laisse la surprise les gagner. Je me retourne dans tous les sens, essayent de les voir tous les trois en même temps, mais n'y parvient pas. Un grognement sourd et agacé déchire l'air.
-Oui ?
Je relève la tête vers lui, sourit.
-Encore toi putain de merde ?
J'ignore ses mots, agite le petit sac de poudre blanche entre mes doigts.
-Mais c'est quoi ça ? J'en veux aussiiiiii.
Le garçon essaye de récupérer ce qu'il lui appartient, mais je résiste, le serre contre ma poitrine. Harry a l'air de s'énerver, et je regarde ses yeux charbonneux sans comprendre pourquoi. Il attrape d'un coup ce que j'ai dans les mains, le remet dans celles du méchant garçon qui voulait me reprendre cette chose que je désirais découvrir. Mais je l'oublie bien vite, cela aussi.
-Tu peux te barrer.
Il lâche à son intention, et cruellement agrippe mon poignet, s'éloigne avec moi dans la forêt. Est-ce qu'on va y faire l'amour ? Jelena a déjà fait l'amour dans la forêt, elle. Je hoquette quand je sens sa main glacée se poser sur mon corps, espère qu'il la glisse sous mes vêtements, mais ses doigts s'enroulent uniquement autour de ma gorge, rien d'autre. Il me fait haleter de surprise, assez pour que je perde ma mine d'amusement. Sa main n'est pas nettement serrée autour de mon cou, ne m'empêche pas de respirer ; elle est sans doute là pour me faire plus peur qu'autre chose, mais elle est assez appuyée pour que j'ai du mal à avaler nettement.
Je ne bouge pas, attend qu'il agisse encore, mais ses yeux se baladent simplement sur moi, et je le vois rouler des yeux. Je rougis en repensant à mon accoutrement. Je n'ai même pas pris la peine de me changer avant de sortir de chez moi. Mon pyjama n'est pas enfantin, mais il est large, en soie, d'une couleur jaune que ma mère adore, que moi je hais.
-T'es en pyjama, en plus ? T'es une sacrée folle toi hein.
Sa tête se tourne sur le coté, il regarde autour de lui, s'adresse à lui-même en rajoutant «Bordel y'a que ça en ce moment en fait, des folles». Je ne suis pas folle, j'ai envie de dire, mais je n'ose pas, baisse simplement le regard. Puis deux secondes après, sans que je puisse le retenir, un petit rire résonne encore dans l'atmosphère ; je ne peux faire autrement. Je veux rire, oh, je veux rire à en mourir. Pourquoi ne rigole-t-il pas avec moi ? Ma mère ferait une crise cardiaque si elle voyait cette situation si idiote. Mais il n'a pas l'air de vouloir rigoler avec moi, rigoler tout court en fait, cela se voit à sa main qui se resserre un peu plus.
Je ferme les yeux, tape mes doigts contre les siens pour lui demander de me lâcher. Il ne réagit pas tout de suite, mais étonnement le fait. Je prends une bouffée d'air frais, me racle la gorge.
-Ça c'est parce que t'es bourrée, et que je préfère que tu sois bien consciente quand je te ferais comprendre que tu dois me lâcher. Tu crois que c'est un jeu ou quoi ?
Il fronce les sourcils. Cela n'en-est pas un ? Ma question doit se lire sur mon visage, puisqu'il réplique :
-Parce que ça l'est pas, Thérésa.
Et comme s'il voulait me le faire comprendre une bonne fois pour toute, il me pousse violemment en arrière, me laisse lamentablement tomber au sol, a l'air de se retenir de faire plus. Pourquoi se retient-il ? Cela ne m'étonne plus, les coups, alors il peut se lâcher. Je suis partagée entre l'envie de rire plus fort, ou de me mettre à pleurer. Je suis perdue, cela aussi, est-ce l'effet de l'alcool ? Ou est-ce juste l'imprégnation de mon cœur ?
En y réfléchissant bien, aussi bien que je puisse le faire, dans cet état, je suis tellement idiote, et influencée par la volonté du Seigneur de consacrer le pardon, que même si Harry venait à me faire du mal, je continuerais à aller le chercher, à le vouloir. Pourquoi ne le ferai-je pas ? Je le fais avec mes parents, parfois me surprends à avoir envie qu'ils m'aiment comme ils aiment Victoire. Alors pourquoi pas Harry ? Lui au moins, provoque quelque chose en moi, assez pour faire redresser la tige de la fleur fanée qu'est ma misérable existence.
Il provoque des sentiments irrépressibles, et c'est bon des fois, même si cela est mal, de se laisser guider par des idées corrompues. Alors que finalement, cet homme, je ne le connais pas des moindres. Je ne connais ni son origine, ni sa vie, ne connais réellement que son prénom. Mais ce que je pourrais retracer du bout des ongles, au lieu de son passé, c'est son visage, ses sourcils toujours froncés, ses yeux légèrement en amande, d'un vers luisant d'une noirceur inimaginable. Ses lèvres fines, charnue et rosées, sa mâchoire parfaitement dessinée, comme une œuvre d'art à exposer dans un musée à ciel ouvert. Son grain de beauté près de sa mâchoire, qui me donne des envies parfois bizarres, et ses fossettes qui se creusent quand un rire mauvais s'échappe de ses lèvres.
Oui, tout ça, je le connais comme je connais cette fichue bible, ces fichues prières, je le connais mieux que moi-même, et au fond, ce n'est pas si mal, car j'ai désespérement besoin de connaître quelque chose de ce genre. Et malgré son regard sur moi, celui qui me dit qu'il ne me voit que comme une enfant ridicule et ennuyante, j'ai envie de continuer à le poursuivre, jusqu'à ce qu'il craque, mette ses menaces à exécution. Même jusqu'à ce qu'il me tue, peu m'importe.
Il me contourne, me fuit, est agacé, disparaît entre les feuillages et me laisse seule. Allongée sur le dos, je pourrais regarder les étoiles, moi aussi, je le souhaite, mais quand j'essaye de le faire, les branches et les feuilles des arbres me font barrage, me cachent la vue. Je regarde alors encore une fois autour de moi, n'entend rien, seulement la triste valse du vent qui entraîne mes cheveux dans sa danse. Simultanément, la colère et la tristesse s'emparent peu à peu de moi, et j'ai comme l'impression que l'alcool décuple mes sentiments ; la détermination s'y ajoute. Je me lève, le rappelle pour qu'il revienne.
Je crois que j'avais quelque chose à lui dire, mais je ne me souviens plus quoi. Mais il le faut, que je lui dise quand même, à tout prix. Il faut qu'il comprenne. Je reprends le même chemin de terre dans lequel il vient de s'élancer, laisse ma gorge se déployer à chaque fois que je cris son prénom. Ce n'est pas drôle, nous nous sommes vu que quelques petites minutes. Ce n'était pas suffisant pour que je lui parle.
-Ferme la !
Un grondement derrière moi me fait me retourner vivement, mais mon cœur retombe à mes pieds ; j'affiche une mine déçue quand je m'aperçois que c'est une autre personne. Même style qu'Harry, le teint un peu plus basané, les cheveux noirs en bataille sous une capuche. Mais ce n'est pas lui. Je pourrais quand même lui sauter au cou pour ne plus qu'il ne s'échappe, mais cela ne serait pas pareil, et ne servirait à rien, surtout, car le bouclé serait toujours loin.
-T'es qui toi encore ? Tu fous quoi, là ?
-Euh tu n'aurais pas vu Harry toi ? Il est partit sans moi, il a oublié de m'attendre je crois, du coup je ne le trouve plus.
Je parle de façon pâteuse, mielleuse aussi, en souriant, mais pourtant je sens mes yeux briller sous un sentiment de détresse injustifié. Comme si l'alcool faisait oublier, oui, mais seulement oublier pourquoi on ressent, ne fait pas partir les sentiments. Cela refait toujours surface, toujours. Et je n'y pense plus quand je suis près d'Harry. Alors je veux le revoir, et tout de suite.
Les sourcils du brun se froncent d'un air faiblement étonné, comme si j'étais quelqu'un d'étrange. Je ne le suis pas, pas vrai ?
-Non, je ne l'ai pas vu. Mais je sais peut-être où il est.
Mes yeux s'illuminent.
-C'est vrai ? Où est-il ?
Il sourit, se gratte le front.
-Écoute ma belle, dégage. T'as rien à faire ici, je crois, vu ton putain de joli pyjama.
Sa voix ironique m'agace. Qu'est-ce qu'ils ont tous, en plus, avec mon pyjama?
Tu devrais faire attention à toi, ça serait vachement dommage qu'un animal aussi pure et innocent que toi se fasse attaquer par un prédateur beaucoup plus féroce, pas vrai ?
Il fouille dans sa poche en parlant, la mine déconcentrée, et commence à s'éloigner sans même avoir finit.
-Il y a des animaux féroces dans cette forêt ? Je n'en ai jamais vu ! Il faudra que je prévienne Jelena...
Je murmure presque la dernière phrase de façon pensive, ne fait plus vraiment très bien la différence entre parler bas, et parler haut, parler dans ma tête, ou parler réellement.
Il part sans m'écouter, a trouvé quelque chose de plus divertissant à faire. Et je me retrouve une fois de plus seule. Décidément, personne ne veut de moi, ici ou dans la vie de tous les jours. Personne ne s'attarde sur moi, ne m'indique le bon chemin à prendre, ne se soucie de moi ; on me fuit, depuis toujours. Je continue ma marche, mais l'adrénaline est redescendu d'un étage, rend mon esprit plus renfermé qu'avant. Mes pieds n'arrivent plus à s'accommoder correctement, comme s'ils n'avaient jamais apprit à le faire, ce qui est un peu le cas. Je sens mon corps fragile et meurtri partir en avant, puis en arrière, et je me fais violence pour me retenir ; ne pas tomber encore une fois, depuis quand, je me fais du mal à moi-même, après tout ?
Je fais demi-tour, opte finalement pour la solution la plus sage : rentrer. Mais son visage me revient une dernière fois en tête. Si mes parents étaient déjà réveillés, et qu'ils avaient déjà constatés mon absence ? Je ne pourrais peut-être plus jamais le revoir, connaître tout cela, entendre ses nombreuses insultes, et alors cette résolution qui semblait être la meilleure option pour moi, se faufile très vite au-delà de mon esprit jusqu'à y disparaître. L'hystérie me revient, et avec soulagement je me remets à courir. Pour le plus grand des bonheurs, ou peut-être pas pour tout le monde, un sourire radieux renaît sur ma bouche.
En tournant la tête, je distingue une forme de voiture ; une grosse voiture. Curieuse, je m'approche, constate avec joie que c'est la sienne ; la même qui je croyais, allait me laisser sans vie sur le trottoir quelques jours auparavant. Je m'y précipite, appuie directement mes mains contre les vitres teintées, mon visage aussi, pour essayer de le voir à l'intérieur, mais non, personne. Je hausse les épaules, comme pour me donner du courage, me dire que ce n'est pas grave ; il finira bien par revenir, il faut qu'il rentre chez lui ! Mon pied se pose sur le pneu de sa voiture et je prends mon élan pour sauter sur le capot.
Je perds un peu l'équilibre ; me rattrape à la carrosserie en riant. Jelena a aussi fait l'amour dans une voiture, je crois. Je regarde le pare-brise en me rappelant qu'elle m'avait racontée, une fois, qu'elle avait écrasée ses seins contre pour que Jek, qui était à l'intérieur les voit. Je m'allonge contre, un sourire amusé scotché aux lèvres. Je vais le revoir ; il n'a pas le choix. J'attends là une éternité, il me semble. J'ai eu le temps de me faire une tresse, de compter mes grains de beauté, et de chanter trois chansons d'églises, ce sont les seules que je connaisse, quand il arrive enfin.
-C'est pas vrai.
Son ton est exaspéré, et je tourne simplement le visage vers lui. Il cherche les clés dans sa poche, ne détourne pas le regard de moi, comme pour me surveiller.
-Dis moi, tu t'es coupé les cheveux, non ?
Il fronce les sourcils, l'air agacé, mécontent, comme chaque fois que l'on se rencontre. Est-il comme cela avec tout le monde ? Je roule jusqu'au bord du capot pour descendre, mais reste assise au bord, espère qu'il se rapproche plus de moi, que cela soit pour me frapper ou m'aider. L'impression d'un océan qui nous sépare, alors qu'il n'est qu'à un mètre de moi, ne me plaît pas.
-T'allonges ton cul de conne sur ma voiture et t'oses me parler de mes cheveux ? Sérieux ?
Il gronde, fait écho au bruit du ciel, celui qui menace d'un orage.
-Bah oui, ils sont plus courts que d'habitude, mais j'aime bien !
J'affirme, comme si cela l'importait. Il souffle.
-Tu crois que j'ai que ça à faire de m'occuper des écervelées bourrées ? Ce que t'es collante, et pourtant je t'ai même pas baisé, va falloir que tu m'expliques un de ces jours.
Sa phrase me fait sourire. « Un de ces jours ». J'ai envie de lui demander si cela veut dire que l'on se reverra, lui et moi, mais m'abstiens, de peur qu'il retire ce qu'il vient de dire.
Je tends les bras, oublie toute sorte de gêne, de pudeur, à cause de l'alcool qui me fait faire ces choses hilarantes, ou plutôt stupides et honteuses. Elle agit à ma place, me fait passer par des phases de zénitude, de bonheur, de détente, puis de mélancolie et de stresse. Ce n'est absolument pas moi, ce mélange de tout cela, mais je pourrais boire tous les jours, si cela me permet de me rapprocher de lui comme ceci plus souvent. Parce que de moi-même, ô grand jamais je n'aurai osé mettre un doigt sur sa voiture.
-Tu me fais vraiment chier.
Il saisit mes hanches de ses grandes mains, et je prie pour qu'il les laisses, mais il me fait simplement descendre de façon brusque, agacé. Il a envie de rentrer chez lui, vu l'heure et les cernes bleutés sous ses yeux. Mes mollets claquent contre la voiture et je retiens une grimace.
-Mais je ne sais pas où aller !
-Retourne chez toi.
Il roule des yeux, fait le tour de sa Range Rover pour rejoindre le siège conducteur.
-Mais je sais pas comment ! Et si je meurs tuée par les animaux féroces, cela sera de ta faute ! En plus je devais te dire quelque chose !
Il affiche un sourire mauvais en me fixant droit dans les yeux.
-Qu'est-ce que je m'en tape.
Il monte, et sans penser à ce que je fais, j'ouvre la portière de mon coté pour grimper également, et m'attacher. Il va sûrement me mettre dehors, mais autant essayer d'obtenir le plus de secondes possible de plus avec lui. Je l'attends depuis deux heures ! Mais à ma grande surprise, il ne dit rien, démarre simplement en m'ignorant, ne me force pas à descendre. Je ne dis rien, me fait discrète, me dis qu'il ne m'a sans doute pas remarqué.
Soigneusement, j'examine chaque partie de sa voiture. Elle est belle, elle sent bon, comme lui. Tout en cuir entretenu. Il rejoint la route, roule rapidement, comme s'il avait hâte d'abréger ce moment. Mais il roule trop vite ; les tournants et la vitesse commencent à me faire tourner la tête, me donnent mal au ventre. Une désagréable sensation se met à remonter du fond de ma gorge, et je grimace inconfortablement. Du coin de l'oeil, son regard se pose sur moi ; m'avertit silencieusement de ne pas faire d'idioties. Mais mon estomac se contracte, et sans pouvoir me retenir, je vomis sur le siège et à mes pieds. L'alcool qui me remonte jusqu'au nez, brûle mon estomac, me rappelle que j'ai bu alors que j'avais le ventre vide, et je vomis d'autant plus. Il pile brusquement, arrête la voiture au bord de la route.
-Putain de ta race !!!!
Il grimace fortement en criant, ouvre rapidement la porte pour que l'air frais vienne s'engouffrer dans l'habitacle, tire le frein à main avant de descendre, la mine furieuse.
-Tu vas toutes me les faire toi hein bordel de ta mère ?!
Je renifle, essaye de ne pas lâcher un sanglot pathétique, celui qui gît au fond de ma gorge, et passe ma main sur ma lèvre inférieur. Le goût amer et atroce, plus l'odeur me donnent envie de vomir une nouvelle fois ; un haut le cœur me prend.
-Sors idiote !
Je sors à la hâte de la voiture, me maudit d'avoir bu autant, d'être venu le chercher, tout court. C'est fichu, maintenant. Mais j'essaye de me rassurer en me disant qu'au moins, je ne suis pas rester dans mon lit, à me morfondre, à mourir à petit feu, comme je le fais si bien ces derniers temps.
Je reporte mon attention sur Harry, sa mine dégoûtée, et je tousse, fatiguée, attristée, une fois encore, honteuse. Sa respiration se fait plus lourde, forme de minces nuages de fumées devant sa bouche, et il se pince l'arrête du nez entre son pouce et son indexe ; lutte sûrement avec lui-même pour ne pas me faire ravaler mon vomis. L'envie revient quand je m'imagine la scène, et je ferme les yeux. Stupide, Sun. Un peu après, ses muscles se mettent à se détendre, mais il n'affiche pas non plus une attitude plus décontractée. Il est froid, fermé, une pointe de colère mélangé à de l'incertitude étrange dans le regard.
-Estime toi heureuse que je sois assez claqué pour avoir la flemme de trouver un endroit où t'enterrer.
Je ne réplique pas, n'ai pas la force pour, ne sait même pas quoi lui dire. Il tire sur mon bras, légèrement de façon plus douce, j'ai l'impression, mais toujours aussi durement, et me fait monter à l'arrière de la voiture, sur les sièges propres. Mon cœur bat à toute vitesse ; recommence à me faire mal. Mais je ne dis rien, le laisse faire ; n'ai pas envie qu'il change de décision sur le fait de me tuer ce soir, ou d'attendre encore un peu. Il fait le tour, attrape un vieux chiffon dans le coffre, seul matériel qu'il doit avoir pour nettoyer ce genre de choses accidentelles, puis nettoie les sièges et le sol avants. Il lâche de nombreuses injures, je souris presque, mais me retiens. Avant de fermer les yeux d'épuisement, je le vois tourner la tête vers l'extérieur en se pinçant le nez et lâcher un « Bordel je vais dégueuler ». La douleur me fait garder les yeux fermés un moment, et sans m'en rendre compte, je sombre lentement dans le sommeil et le véritable oubli. Loin des problèmes incessants d'une vie absurde, directive et malheureuse.
« Une ivresse efface mille tristesses »
Salut les filles ! Voilà pour le chapitre 5, en espérant que celui-ci vous plaise On a atteint les 1K !!! C'est juste énorme, merci infiniment d'aimer et de faire vivre cette fiction ! C'est notre petit bébé à nous et ça nous fait réellement plaisir qu'elle vous plaise, on espère que ça continuera
On vous aimes fort, gros bisous ♥
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top