Chapitre 19

Point de vue Sun :

Et si on refaisait le monde ?
Et si on se partageait le soleil ?
Et si on faisait tout ça, Harry ?

Dans la voiture, les rayons du soleil qui caressent le visage et bercent le monde, je me dis que tout est vraiment calme, aujourd'hui. L'air est léger, soulève les cheveux, la nature murmure et tout se fait doux, même lorsqu'on arrive à destination : la salle de réception. Je descends, les pieds qui foulent la terre avec l'impression que l'adrénaline qui faisait battre mon cœur hier, l'a fait disparaître aujourd'hui, trop discret pour encore exister. Mon cœur ne tient plus, fatigué de faire des tours et des tours sous les ficelles que je tiens entre mes doigts, prête à les laisser tomber. Trop affolé, je lui promets d'arrêter. Mais dans le fond, il n'y a rien qu'on puisse vraiment arrêter quand la ligne rouge est déjà tracée, que ça soit les débordements, les fuites avec Harry ou les emballements sous la douleur et la vue du sang.

Lucie est la première à entrer dans la salle, et à tout découvrir. Ses yeux s'écarquillent et elle lâche un cri, pauvre cri de bête sur lequel on roule sans faire exprès. Moi je lui roulerais dessus volontiers, avec un peu d'excès. Faite à l'idée qu'elle remarquerait bien la fenêtre brisée, je suis surprise que tous passent à coté, ne se lamentent que pour les frais. Je croise les doigts pour que tout soit annulé, en les entendant si dévastés : trop de dégâts, d'argents perdus, on ne pourra jamais recommencer dans le même état. Elle appelle Luc, vite, Luc, qui est venu, a posé un jour de congés pour enfin à aider installer. Installer les enceintes, les choses techniques et trop lourdes pour le dos de Lucie. Victoire dit que je pourrais moi les porter, et si d'habitude je pense que mon dos a aussi bien besoin d'être ménagé, cette fois, j'ouvre la bouche et je le dis. A haute voix. Et ma voix résonne, portée par le vent. Ça ne plaît pas.

Mais Constance et Roger sont là, alors les coups de ceintures ça sera plus tard ; on fera crier dans le noir. Gabriel aussi est là, de service aujourd'hui ; mon père l'a prévenue et tout de suite il a accouru. Principal concerné aussi, et la pointe de culpabilité je la repousse d'une volée ; il était prêt à accepter un mariage qu'eux seuls voulaient. Puis j'en ai marre, de me rendre coupable pour des personnes comme eux. Je mérite mieux, je suis Sun, et je mérite mieux. Je mérite le soleil.

Après avoir inspecté les lieux avec quelques collègues, Gabriel ressort, et celle que Victoire appelle maman se rue sur lui. Je m'approche, bras croisés sur la poitrine, écoute d'une seule oreille.

-Alors ? Est-ce que vous avez retrouver des traces ? Des empruntes ? Quelque chose qui pourraient nous dire qui a fait cela, au moins ?

Il secoue la tête, moi je me mords les lèvres ; trop envie de sourire. Je repense surtout au sentiment qui fait sentir éternel qui rode toujours en moi, qui était là hier quand on saccageait tout, puis quand lui et moi on était là, qu'on s'embrassait.

-Ils savaient ce qu'ils faisaient. Ils n'ont laissés absolument aucune trace de leur passage.
-Oh mon dieu.

A la lisière de leur monde, je mets un pied de l'autre coté. Pendant ce temps-là, eux continuent de peindre des larmes sur leurs visages, et Lucie tapote le mouchoir en tissu qu'elle a à la main contre le coin de ses yeux, le corps agité, peut-être moins agité à l'extérieur qu'à l'intérieur. Gabriel attrape ma propre main, m'emmène près de sa voiture de police, et j'en ai fini d'entendre le grondement de leur colère résonner sous terre. Longtemps, il observe mon visage, les rides qui se creusent entre ses sourcils, comme s'il voulait savoir ce qui a dérapé, qui a été écorché, comment ça a pu arriver. Mais au fond, même s'il est policier, Gabriel ne sait pas et n'arrive pas à savoir grand chose. Harry fait mieux ça que toi, je voudrais lui dire. A la place, je détourne le regard, trop dégoûtée de penser au fait que j'aurai pu m'y retrouver marier.

-Sun, regarde moi. Y es-tu pour quelque chose dans cette histoire ?

Je relève le menton, et si la Sun d'avant aurait attrapé un pinceau et fait tomber le coin de ses lèvres relevés, celle de maintenant se contente de hausser les épaules, encore à mi-chemin entre le avant et après, trop pour clairement dire oui, oui j'y étais, c'était mon idée, et j'ai prit mon pied.

-Il y a des choses qui te font penser que ça puisse être moi ?
-Les expressions de ton visage ? On aurait dit que tu t'y attendais.
-Non, j'attendais juste.
-Tu attendais quoi ?
-Que ce cauchemar se termine.

Et on dirait que je lui abats un coup de poing en pleine poitrine, les poumons vidés d'air, il entre-ouvre la bouche, mais ne dit rien, et ça m'étonne, autant que lui. Je me rends compte que sans doute, à force de voir l'inexistence du cœur des gens, j'ai oubliée que je n'étais pas la seule à en avoir.

-Sun. Je.. Nos parents ont beaucoup misés sur ce mariage...
-Et moi j'ai misé sur mon bonheur.

Je hausse une épaule, il m'entraîne plus loin, sans comprendre.

-Donc c'est toi qui a fait tout ça, n'est-ce pas ? Avec ce type, je suppose ?

Mes sourcils se froncent, et je claque la langue contre mon palais, agacée. Quand je fais ça, Harry dit toujours en riant que je garde jamais ma langue à sa place. Gabriel, lui, ne le remarque même pas.

-Quel type ? Harry ? Tu vas t'y mettre, toi aussi ? Je n'ai pas encore signé, Gabriel, et je signerai pas. Je ne veux pas d'un mari, je ne te veux pas comme mari. Peut-être aurait-il fallu me demander mon avis, avant de commencer tout ça ?

C'est à son tour de froncer les sourcils, et mes doigts se mettent à démanger, et je les serres ; les desserre tout à coup. Luc le fait, quand il rentre et qu'il éteint la lumière. Je veux tout sauf éteindre la mienne.

-Je t'ai... Je pensais juste que les sentiments allaient venir. Tu m'as embrassé ce soir là dans ta chambre.

Je me retiens de lui dire que jamais ça ne m'a plu pour autant, dit juste :

-Tu pensais juste ? Pense plus, alors. Mes sentiments ne sont pas là, ne le seront jamais, et je ne sais même pas si les tiens sont réellement amoureux, ou si tu te forces à te convaincre qu'ils le sont parce que tu as peur de te défiler.
-Ou de te blesser.

On fronce les sourcils à l'unisson, et peut-être que chacun se rend compte de son erreur. Malheureusement, il poursuit, et les excuses que j'avais au bord de la langue s'évaporent.

-Ce garçon on en a parlé, une fois, après cette course de voiture clandestine, tu ne t'en souviens pas ?
-Tu ne peux pas me dire qu'il n'est pas fréquentable sans m'avancer de preuves.
-Il est dangereux. Il répond juste, les lèvres pincés, un peu chiffonné.
-C'est vrai, il est dangereux, et c'est la raison pour laquelle il m'excite autant.

Silence. Pour la première fois de la journée, même la nature ne fait plus aucun bruit, et le monde se fige. Aucun de nous deux ne prend la parole ; la voix qui a disparue en même temps que des espérances qu'on portait l'un sur l'autre. Ses yeux clignotent, et entre les mouvements de ses cils, je peux la percevoir, sa peine, puis la peine rejoint la déception. Et on l'est tous les deux, un peu déçus. Lui de moi, et moi de moi.

Je déglutis, et cela semble résonner dans l'univers entier, voyager entre les planètes ; merde. Je passe un doigt au coin de mon œil et le soleil vient briller ironiquement sur la bague de fiançailles. Il la regarde, et je me dis qu'au fond, lui il n'y peut rien, et qu'il ne mérite pas ça. Je voudrais faire migrer ailleurs le noir qui commence à teinter et changer mon cœur. A croire qu'on absorbe le noir des autres à force de traîner avec eux. J'ai celui de Luc, de Lucie, de Victoire, de Simon, même de Jelena, et pourquoi pas aussi un peu celui d'Harry ?

Je me dis c'est vrai, Gabriel est niais, inconscient et peut-être même encore plus innocent que moi. Il ne remarque rien, mais personne ne le fait, ni Jelena, ni Jek, pas même Harry, ou alors il n'a jamais rien dit, et ça serait pire. Personne ne le remarque, parce que c'est bien caché, les parents le font bien, masquer ; ils manipulent et ça fonctionne toujours, avec tout le monde.

-Je suis désolée... ça n'est pas ce que je voulais dire, désolée.


Je répète, peu fière.
Silence deux.

-Gabriel... Ne les laisse pas me forcer à t'aimer, par pitié. J'ai besoin de quelqu'un que j'aurai choisi, fréquentable ou non, j'ai besoin de choisir. Moi. Faire mes propres choix. Tu n'es pas obligé de comprendre... Seulement...
-Je comprends.

Il me coupe, et un voile de larmes retenues me tombe devant les yeux.

-Je pensais juste qu'on finirait par être heureux, à deux. Ça pouvait coller. Mais je n'ai jamais voulu te forcer à faire quoi que ce soit. Ta mère me disait que tu te réjouissais toujours un peu plus du mariage, mais que tu étais trop timide pour le monter devant nous... -sa voix se fait plus basse, nouveau froncement de sourcils, et je me mets à prier pour qu'il comprenne- Mais je ne te forcerai jamais, et ne laisse personne le faire.

Les pouces qui passent contre le coin de mes yeux, je laisse échapper un sanglot, léger, étouffé, une respiration qui s'échappe et entraîne un poids avec elle. Je ne sais pas pourquoi je pleure, là, maintenant, alors que j'ai su me retenir plus d'une fois, des fois où j'avais mal, des fois où j'étais à l'agonie. Mais je pleure, et des fois, ça fait du bien de pleurer. Ça signifie une page de tournée, et c'est bon, de commencer à tourner les pages, et de laisser les gens à leur place, là, inscrit dans l'encre.

Le petit rire qu'émet Gabriel me chamboule, et avec une étrange ironie, il lance :

-Je suis sûr que ce sont des larmes de tristesse... hm ?

On se prend dans les bras, et sa main passe sur mes cheveux ; le geste le plus tendre qu'il ne m'ai jamais adressé ; comme s'il le gardait pour cette fois-ci ; pas pour le mariage, mais pour les adieux et les merci. Je me surprends même à ne pas le regretter, à l'intégrer à mon histoire, une pièce du puzzle qu'on ne doit pas perdre.

-Ça fait du bien d'avoir le cœur léger...

Je murmure, mais il n'entend pas. Il m'embrasse sur le front, et nous retournons vers les regards larmoyants, les vrais, et les moins vrais. J'aimerai lever le majeur, mais à la place j'essuie simplement le dessous de mes yeux, et mes joues. Souffle un bon coup. Lucie dit qu'ils ne pourront pas assurer les frais d'une deuxième organisation de mariage, et Gabriel annonce qu'il ne se fera pas pour le moment, qu'on préfère prendre le temps. Mais dans le fond, le temps on en aura jamais assez et en un regard, on enfoui ce secret là, notre secret, dans une porte au fond du cœur qu'on referme. On se garde là, dans la partie «mémoire », et on se promet de garder l'autre porte pour quelqu'un qu'on aimera vraiment. Et sur le moment, j'ai l'idée de vouloir ouvrir cette porte et de faire entrer une personne particulière.

Le soir même, j'ai l'impression d'illuminer la terre entière, d'être devenue moi même le soleil, d'illuminer à l'intérieur, de projeter des rayons de couleurs. L'arc en ciel. Le soleil après la pluie et les ravages. Je m'enferme un moment dans la salle de bain, joue une musique dans ma tête, une musique déjà entendu à la radio, dans la voiture d'Harry. Et je danse, je tourne, me mord la lèvre pour ne pas laisser exploser ma joie. C'est bête, je me dis. C'est simple. Peut-être qu'on aurait pu arrêter ça avant. Mais avant, je n'avais pas le courage que j'ai l'impression d'avoir maintenant.

Je me regarde dans le miroir, me souris, et comme à ma poupée autrefois, je me dis « t'es belle, beauté des îles. Et je le pense vraiment. Harry te rend belle ». Et ça aussi, je le pense vraiment, que c'est Harry qui me donne toute cette beauté. La beauté vient de la vie, finalement. La mort, ça n'a rien de jolie. Assise contre le radiateur, après avoir été récupéré le téléphone sous l'oreiller, je décide d'appeler Harry, l'esprit trop libre. Je voudrais lui dire que je me sens satisfaite, comme je ne l'ai jamais été, même pas lors des premières étapes.

-Ouais ?
-Coucou. -toujours entrain de sourire- ça va ?
-Est-ce que tu m'appelles pour un truc en particulier ?

Trop de nuages, trop brouillée, je ne fais pas attention à son ton.

-Je voulais juste entendre ta voix.
-J'ai pas le temps pour tes conneries.

La tête penchée sur le côté, les cheveux qui pendent dans le vide, le ciel qui s'effondre et un fracas d'humiliation, d'incompréhension et de déception démesuré. La langue qui passe entre les lèvres asséchés du bonheur et de la vie, les bip retentissent, remplissent un étrange vide qui occupe tout l'espace. Il a raccroché. Je lâche le téléphone sur mes cuisses ; tant pis, assez pleurer pour aujourd'hui.

Je me redresse, inspire, passe les doigts contre l'écran du portable, pense à Jelena. Obligée de penser à Jelena, à la fois où elle est venue me l'apporter. Elle est détestable, et je lui en veux, de pas avoir comprit qu'à un moment de ma vie, elle était tout pour moi, que je gravitais autour d'elle, que c'était le centre de tout. Je lui en veux d'avoir brisé le cycle solaire et je m'en veux d'avoir cru à des choses qui n'existaient pas. J'aurai dû faire la différence entre l'amitié, et le fait que je l'idolâtrais. Je cache le téléphone à sa place, enfoui Jelena et Harry sous l'oreiller pour ne plus les entendre et y penser.

Mais à minuit il vient me chercher, me dit d'enlever mes souliers de verres et je passe par la fenêtre. Dans sa voiture, je ne dis pas un mot, ne montre pas une grande conviction.

-Quoi ? -Il tourne la tête, rit- Putain, t'es vexée ? Ça alors, les nanas.

Il secoue ses cheveux, et la mine dégoûtée, je ne fais que m'attacher. Avec Harry, on tombe bien vite du haut de l'échelle.

-En fait, t'es vraiment con. Très très con.

Je fronce les sourcils, si fort que j'ai l'impression qu'ils se rejoignent, et je le fixe lui, ou plutôt lui et le trait de sa mâchoire.

-Et oui, ça fait la cinquième fois que je te le dis, et je m'en fiche.

Je réplique quand je le vois qui va ouvrir la bouche. Il me lance un coup d'œil, et je le sens rieur.

-J'allais juste dire qu'il serait temps que t'apprennes une autre insulte que celle-là.

Ma bouche se tord, et comme je ne sais pas quoi répondre, déstabilisée à force d'être entre les « tu me fais chier » et « tu me fais rire », je tire simplement sur les bouts de peaux autour de mes ongles pour les arracher.

Il coupe le moteur une fois garée sur le coté d'une rue, et je descends, reconnaît l'enseigne du bar et du salon de tatouage. Je le suis à l'intérieur, descends les escaliers qui mènent en sous-terrain, en me disant que c'est possible, que le Paradis se trouve sous terre, à cause de la pancarte, de l'écriteau. J'aime l'endroit, la sérénité qu'il y a. Ca n'est pas sain, mais dans le fond, sain, on ne l'est pas, jamais, toujours quelque chose qui vient entaché le tableau blanc. Il passe la main dans la poche de son blouson pour y mettre les clés de la voiture, en prend une autre en passant le bras au dessus d'un comptoir. À cette heure-là, le salon est fermé, mais le bar lui, reste ouvert toute la nuit. Et il y a toujours du monde, toujours un peu les mêmes têtes.

-Attends, qu'est-ce que tu comptes faire là-dedans ?
-Me taper une petite branlette ? Non sans déconner Sun, t'es épuisante à la longue, un peu de déduction te ferait pas de mal, Sherlock.

Nos corps proches, je pousse un peu son coude avec le mien. Le déclic de la serrure résonne en même temps que le déclic en moi.

-Je ne vais pas me faire tatouer.
-Tu sais, ce qui est bien quand on veut apprendre à vivre, c'est de se faire un truc indélébile. Ça sera genre -petite pause- un souvenir.
-Je ne vais pas me faire tatouer.

Je répète mot pour mot ; il hausse les sourcils.

-Pourquoi ? Bon, comme tu veux, de toute façon. Moi je vis très bien comme ça, c'était surtout pour toi.

Il claque les lèvres entre elles l'air de dire dommage pour toi ma belle. On se regarde un moment, un moment durant lequel je sens quelque chose palpiter en moi, et j'aimerai que ça palpite aussi en lui.

-Ok. Très bien, idiot. Je vais le faire.
-Idiot c'est pas une insulte digne de ce nom, j'suis sûr que tu peux faire mieux.

Il pose la main dans le bas de mon dos ; le contact m'électrise, et il me mène dans une pièce. Je ne suis jamais allé aussi loin dans le salon et je découvre les murs noirs, la lumière rouge, des feuilles accrochés partout, ici et là, en haut, en bas. Il règle la lumière, me fait un signe de tête pour me dire d'aller vers la table de tatouage, au milieu de la pièce. Au centre. C'est moi qui suis au centre, cette fois. Je monte, grogne en remarquant que c'est trop haut. Je balance les jambes dans le vide, comme si j'étais au bord du précipice, fixe Harry comme on fixe le point en face quand on a le vertige. J'ai le vertige d'Harry, étrangement. Et je le regarde, prête à tomber pour lui. Il triture sa lèvre inférieur avec le pouce et l'indexe, les yeux rivés sur un carnet, son éternel pli entre les sourcils, l'épaule contre un mur.

-Bon.

Il pose le carnet, un peu brusquement, qui glisse sur le meuble, et attrape une machine dont je ne connais pas le fonctionnement.

-Quel tatouage tu veux faire ? Et où ?
-Je... - je commence mais il me coupe, les lèvres étirés.
-Tu sais pas ?
-Si, je sais. Je marmonne pour ne pas lui donner raison.
-Alors c'est quoi ?

Dans ma tête, je fais un dessin, le dessin de son torse, pour voir ce qu'il y a dessus, et je revois un de ses tatouages, quand hier, son tee-shirt blanc était transparent dans l'eau, que je pouvais tout voir, que pour une fois, oui, je voyais. Il attrape une feuille, un crayon en papier, s'assoit sur un tabouret, attends ma réponse et moi je réfléchis à travers les toiles dans mon esprit. Je me mordille la lèvre, n'ai jamais pensé à me faire tatouer. Mais quand j'y pense, il a raison, le tatouage c'est la fin, c'est le chemin vers la liberté ; on brise les fils et les lanières et on franchit la porte de sortie. Le tatouage c'est ça ; la sortie. Je me penche, tire sur le haut de son tee-shirt, le décale sur le côté, aperçoit son tatouage « 17BLACK » juste là où je le pensais.

-Black. Tatoue moi « BLACK ».

Ses sourcils se lèvent, air surprit mais on se sourit, moi plus détendue que lui, bizarrement.

-Je pensais pas à ça, mais ok.

Il hausse les sourcils et je lâche son tee-shirt. Il écrit le mot sur une feuille, et je regarde ses doigts autour du crayon. Il donne des petits à coup, et même un simple « black » devient magnifique, artistique et énergique, comme si ça allait pouvoir bouger et être vivant. C'est beau, et c'est beau comme Harry est beau. La feuille, il la fait passer dans la machine, et je fronce les sourcils quand elle ressort. Il y décolle une espèce de feuille de carbone et la découpe.

-Tu lèves ton tee-shirt ?
-Quoi ?
-Lève ton tee-shirt, t'attends quoi ?
-Où est-ce que tu comptes me tatouer ?

Regard de sa part ; silence de la mienne. Je gonfle légèrement les joues, lève mon tee-shirt jusqu'au dessous de ma poitrine, met le bras dessus pour ne pas qu'il remonte plus. Sa main passe dans mon dos, déclenche un milliers de frissons, et il dégrafe mon soutient-gorge avec seulement deux doigts. Ma main claque la sienne, et les yeux gros, je le regarde.

-Harry !

Deuxième regard de sa part ; deuxième silence de la mienne. Je frissonne, plisse le nez, quand un coton gelé passe sur ma peau, sûrement pour la désinfecter. Je le regarde faire, le visage et les joues qui chauffent sans raison, pense juste à la proximité de nos corps, nos âmes, nos têtes. Mon bras se lève quand il colle la feuille de carbonne contre ma peau, sur le côté de mon sein, et ses doigts passent dessus, la colle bien. Puis il la retire, et mon corps crie à l'aide au manque de sa peau contre la mienne. Je regarde le calque qui s'est transféré sur ma peau, en pensant à combien Harry s'est transféré dans mon cerveau. Je nous regarde dans le miroir, moi les yeux rivés sur la glace, Harry les yeux rivés sur mon visage. Je n'en reviens pas, qu'il va me faire un tatouage maintenant. Et je souris ; je souris vraiment.

-Couche toi sur le côté.

Il enfile ses gants noirs, et je prends sur moi pour éviter de trop y penser, d'avoir à serrer les cuisses et d'être gênée. Puis je me tourne dos à lui. Avant de violemment me souvenir ; claque en pleine figure. Je me mords la langue ; il risque d'apercevoir quelque chose. Je me retourne sur le dos, alors, quand j'entends la machine se mettre en marche.

-T'aurais pas un truc à me mettre sur le dos ? J'ai un peu froid.
-Tu vas survivre Sun, ça va durer dix minutes putain.
-S'il te plaît.
-Bordel oh, toujours à faire des manières toi hein.

Pourtant il se penche, attrape une veste sur le dossier d'une chaise, me la donne et je la dépose. Je me remets bien, marmonne un « merci » qui le fait râler et une de ses mains vient tendre ma peau, l'avant bras qui s'appuie contre mes côtes. Je ferme les yeux et je la sens, sa peau chaude, puis les premiers picotement des aiguilles. Le gouffre entre la douleur et moi est grand, dans ce genre de moment. Je l'écarte, et je sens rien, parce que j'ai déjà senti pire.

-Chacun de tes tatouages signifient quelque chose ?
-Non, c'est juste pour faire passer le temps.
-Sérieusement ?
-Non Sun, ferme la maintenant, tu me déconcentres, et t'as pas envie que « black » se transforme en une tâche black.

Malgré moi, je lâche un rire, et je pourrais même l'imaginer sourire aussi jusqu'à ce qu'il siffle entre ses dents, et je me reprends. Je garde les lèvres pincés, et pendant quelques longues minutes, il continue de me tatouer. Il finit par se redresser, passer un morceau de sopalin imbibé de désinfectant contre ma peau irrité, et son doigt de vaseline soulage ma peau endolorie, avant qu'il n'y dépose un pansement.

-Tu peux m'aider ?

Je demande, les joues légèrement teintées, quand je me rends compte que je ne peux pas accrocher mon soutient-gorge moi-même.

-Tu sais, rien ne t'oblige à te rhabiller.

Et il tire le tee-shirt vers le haut, essaye de me le faire passer au dessus de la tête. Je lâche un petit gémissement qui traduit mon mécontentement, repousse sa main, marmonne quand il continue, jamais découragé. Mais soudain, il le fait plus fort, plus brusquement, toujours un peu brusque, Harry, en voulant m'embêter, sûrement. Mais mes cicatrices et ma vie se retrouvent à nues devant lui ; les armes déposés au sol, les vêtements aussi ; plus rien pour se défendre ; la cible offerte à l'ennemi. Il fronce les sourcils, lève la main, peut-être pour passer la main de ma clavicule jusqu'au haut de mon sein. Mais je lui repousse vivement, redescend le tee-shirt, passe moi-même les mains dans mon dos pour miraculeusement réussir à attacher mon sous-vêtement.

-C'est quoi ça ?

Sa voix me parvient comme un peu lointaine alors que je descends de la table, referme le gilet sur ma poitrine, ultime geste d'auto-défense et de protection. Quand je me retourne vers lui, je découvre sa mine curieuse, et je me dis bien sûr idiote, il ne s'inquiète pas, il veut juste savoir. Sauf que moi, je ne veux pas qu'il sache, juste m'échapper de cet endroit, fuir. Mais j'en ai aussi marre d'avoir à fuir, je voudrais que ça soit l'inverse ; qu'on me fuit et pas le contraire.

Il me fixe, de façon insistante, et je comprends qu'on ira nul part ce soir, ni lui, ni moi, si ce n'est au point de départ et pas à la porte de sortie, l'air de dire on sort pas avant d'être rentré, petite Sun. Je suis rentrée depuis bien longtemps moi, seulement je me suis perdue en cours de route. Il inspire quand il se rend compte que ce soir, on aura beau faire un bout de chemin ensemble, je ne parlerai pas, et il retire ses gants avant de tout ranger rapidement. Puis il quitte la salle sans regarder derrière lui. Je le suis, sourcils froncés, me dit qu'on échange peut-être les rôles ; vœu exaucé ; ce soir c'est pas moi, mais c'est lui ; il fuit.

-Je te propose un truc.

Il se retourne tout à coup, marche à reculons.

-Une petite vengeance, ça te dirait pas ?

Il donne un petit coup de menton vers mon corps pour me faire comprendre, et je reste là, les bras ballants, soupire de soulagement. Tous les morceaux de météorites qui tombent en pluie se reconstruisent et reforment une planète, bien en place au dessus de nos têtes. Et sur cette planète là, pour la première fois, je me sens comprise et soutenue par la seule personne qui avait toujours réussi à fermer les yeux sur tout. Je hoche la tête, il sourit, lâche un « je préfère ça » alors qu'il reprend sa veste, et on sort du salon ; on remonte à la surface et on retrouve une respiration plus régulière et moins soumise aux tempêtes.

Ce soir, il n'y a personne à la maison ; Luc travaille de nuit, Lucie a une réunion jusqu'à tard. Elle a dit qu'elle passerait à l'église avec une amie après pour se libérer l'esprit et se ressourcer, et dans le fond, elle et moi on le sait ; une soirée elle n'en aura pas assez.

Je reste silencieuse tout au long du trajet, patiente en me demandant ce qu'il va me réserver, mais ne m'attendais pas à ce qu'il ouvre finalement coffre pour en sortir deux battes de baseball. Il ne rit qu'une micro-seconde en voyant l'expression de mon visage, puis retrouve sa mine grave. Il me tend une batte, et hésitante, les doigts un peu tremblants de frénésie et d'appréhension, je la prends.

-Je vois que sa voiture est là, c'est cool.
-Oui... ll prend sa voiture de fonction pour aller travailler...
-Parfait.

Il s'y approche, et les mains moites, la batte semble me glisser des doigts. Pourtant, rien ne me donne plus envie de m'approcher, et le demi-tour me semble fade face à la possibilité de détruire comme on m'a détruite. Je sais ce qu'il va faire, je sais ce qu'on va faire, et l'adrénaline se réveille, fait bouillonner mon sang, et je retire ma veste pour être libre de tout mouvements. Ça boue, coule dans mes veines, bat dans mes tempes. Mon cœur se réveille, et mon cœur est en furie. Harry tourne autour de la voiture comme un lion libéré de sa cage, et je le rejoins, reste dans ma zone de sécurité. Il me lance un regard, tapote juste la batte contre le capot avant de se mettre à parler.

-T'aurais dû marquer qu'un seul truc sur la liste que je t'ai demandé d'écrire.

Il lève la batte pour me montrer la façade morne de la maison.

-Tes parents.

Je déglutis, ça retentit dans mes oreilles comme un coup de canon ; la vérité qui semble plus vrai prononcé à haute voix.

-C'est vrai. Mais quand on a commencé, je pensais pas qu'on allait réussir à faire tout ça.
-Tu t'es lancé dans tout ça sans y croire ?
-J'étais prête à tout pour passer du temps avec toi.

Et même si j'ai envie de baisser les yeux, je les gardes levés vers lui.

-Alors c'est pour ça que tu m'as demandé de t'apprendre à vivre ?
-Non.
-Alors pourquoi ?
-Parce que je pensais que tu pouvais être la bonne personne pour m'aider à combattre mes démons.
-Pas vraiment. On fait pas tous ça. Les démons tu peux les combattre, mais tu peux aussi les laisser vivre avec toi.
-Moi je veux les détruire.
-Tu crois avoir réussi ?
-Non.
-Pourquoi ?

C'est un questionnaire du tac au tac, et à chaque réponse, il s'approche de moi, et on se retrouve presque collé l'un à l'autre, les souffles qui se mélangent, le rythme cardiaque qui grimpe en flèche comme si on s'était engagé dans une course poursuite, mais sans savoir si c'est lui qui poursuit, si c'est moi, ou si on fuit tous les deux, et que c'est quelqu'un à la cagoule noir qui nous traque.

-Parce que j'ai encore peur.
-Tu veux continuer à avoir peur ?
-Non. Et un jour, je sais que j'aurai plus peur.
-Tu crois que ce jour est loin ?
-Non.

Il esquisse un demi sourire en coin.

-T'as déjà eu peur de moi, Sun ?
-Peut-être un peu. Mais pas autant que j'ai peur d'eux. Puis je te l'ai déjà dit, quand tu m'écoutais pas, que ma peur pour toi elle me faisait avancer plus loin que je croyais pouvoir aller.
-Je t'écoute toujours, Thérésa.

Il conclue en me lançant un petit clin d'oeil, et je comprends que c'est le moment où je dois le faire. Je lève la batte de baseball en l'air, et de toutes mes forces, l'abat contre le pare brise de la voiture. Ça craque, comme j'ai entendu mon cœur craquelé un million de fois. Mais cette fois, il va bien, il est entier, et je ne suis pas seule. Harry sourit, effet miroir de mon propre sourire, et plus puissant, plus violent, il abat la batte contre un far. Cette fois, tout éclate en milles morceau, et je ris, même si je me dis que si c'est comme moi, son cœur doit être sacrément en mauvais état. Puis je reproduis ce qu'il vient de faire, casse l'autre far, en essayant de faire en sorte qu'on ait le même cœur, et qu'on puisse se le reconstruire, les mêmes morceaux dans les mains, les mêmes endroits à remplir.

-Frappe plus fort, c'et encore en trop bon état.

Il fracasse toutes les vitres, moi je m'acharne sur le pare brise, respiration haletante, et j'imagine Luc assit sur le siège conducteur, à se prendre les bouts de verres dans le corps, le visage, les yeux, la bouche, surtout les mains. Ça brûle dans tout mon être, et j'ai l'impression de naître. Je me sens vivante, abat toutes les choses pourries et mortes à l'intérieur de moi ; j'y laisse que les plantes fleuries que j'ai laissé grandir ; adieu le sombre jardin de papa. Les doigts qui serrent la batte, je me sens forte. Je me sens invincible. Je me mets à rire, recule un peu quand le pare brise cède enfin, et que ça explose un peu comme le big bang, et je sens les larmes me monter aux coins des yeux.

La respiration forte, la gorge resserrée, je me sens vidée. J'y ai laissé la mauvaise énergie, l'ai détruite, et elle prenait une si grande place que j'ai l'impression de ne plus rien avoir. Harry s'approche, je me reprends, laisse la batte retomber au sol et rouler. Je m'approche à mon tour, lui saute un peu dans les bras, mais me sens glisser le long de sen corps. Il ne me rattrape pas, ne bouge pas, me fixe et mes doigts s'agrippent à ses boucles, et je réussis à au moins le faire grogner.

-Harry !

Je proteste et son rire rauque près de mon oreille réveille en moi un picotement constant dans des niveaux de mon corps inimaginables. Son bâton tombe au sol et roule dans la même direction que le mien, avant que ses mains ne se glissent sous mes fesses et ne me remontent le long de son corps. Son bassin frotte contre le mien avant que je ne sois appuyé contre le bas de son ventre, les sens en éveils. Je me mordille l'intérieur de la lèvre, et le visage un peu plus haut que le sien, je l'admire. Ses traits sombres sont étrangement chargés de lumière et curieusement, je passe le pouce sur sa joue, sous son œil, sur ses cernes. Il en a toujours, et je voudrais lui demander pourquoi autant.

Sentir sa peau sous mes doigts me retourne le ventre, parce que je me dis que c'est la première fois que je peux le toucher comme ça, et qu'il se laisse faire. Mais je le sens réticent, alors je glisse plutôt ma main sur sa nuque, rapproche mon visage du sien, cherche un quelconque contact que je pourrais rejouer éternellement. Un peu comme mon nez qui s'appuie contre le sien, son souffle chaud et mentholé contre ma peau, nos lèvres proches, qui se frôlent.

-Je veux pas que ça soit un rêve... Je murmure, et d'un air joueur, il réplique :
-Ca n'en est pas un, parce que je te jure que je rêve jamais de toi, moi.

Je râle, appuie un peu les lèvres contre les siennes, et un petit froncement de sourcils prend place sur son visage.

-N'y prend pas trop goût.
-Trop tard.
-Je m'en doutais. Tant pis pour toi.

Et il m'embrasse pour de vrai. Mes doigts serrent ses cheveux, la langue qui part découvrir la sienne, et nos lèvres ensemble étincèlent plus que les étoiles.

C'est notre façon à nous de refaire le monde.

Son poing se fraye dans mes cheveux emmêlés, et je le sens mieux que jamais, son besoin de contrôler, son emprise se refermer. Je suis prise au piège. Je suis dans ses filets. Mais je ne veux pas m'en échapper. Alors je pose ma main contre le capot cabossé de la voiture, et il me dépose dessus, se faufile entre mes jambes, les bassins à nouveau unis, et je me sens faiblir. J'ouvre la bouche pour respirer contre ses lèvres, l'impression que ça commence à tanguer beaucoup trop fort autour de nous, et que bientôt on ne pourra plus tenir debout.

-On aurait dû faire ça bien avant.
-Je pense pas que ça aurait été possible.

Il grogne et mon pouce retrace sa mâchoire alors qu'il me fait redescendre. Je serre sa veste, l'air de dire reste encore un peu, mais on sait qu'il ne passera pas la nuit collé à moi. C'est Harry, et c'est ce qui le rend si enivrant et obsessionnel.

-Tu vas partir ? Je demande quand même.
-Ouais, j'ai des trucs à faire.
-On se revoit bientôt ?
-Ouais, de toute façon je dois surveiller ce tatouage.

Ses doigts frôlent ma poitrine et je voudrais vraiment le retenir.

-Bonne nuit ?

Je m'approche comme pour avoir un dernier baiser.

-Bonne nuit.

Et il me sourit avant de rajouter près de mon visage :

-Faut pas déconner.

Et juste comme ça, il me pince un peu la joue, repart, remonte dans sa voiture, et me laisse là avec la vieille et ancienne carrosserie de mon cœur. Mais j'en ai un nouveau, et je reste un moment dehors, à me dire que je laisserais plus personne le mettre dans un état pareil. Je lui promets qu'il ne finira pas comme l'ancien, que j'en prendrais soin.

Après j'examine quand même les dégâts ; j'en conclue qu'ils sont irréparables. Cela me soulage un peu ; pas envie de la revoir briller dans l'allée de garage. Je retourne vers l'entrée, mais j'entends un bruit, les buissons bouger, la barrière refermée grincer.

On m'interpelle et mon estomac s'entremêle en croyant entendre la voix de ma mère. Mais ce n'est pas elle, je veux me convaincre en avançant vers les haies blanches qui clôturent la propriété. Je sursaute et mon cœur me remonte dans la gorge quand je l'aperçois là, Madame Robert. Les pieds nus et abîmés, une chemise de nuit qui descend sous les genoux, blanc mais sale, sale et vieille. Elle a les cheveux ébouriffés, les yeux rouges, cernés, le teint terreux, verdâtre, et mon sang se glace. Je déglutis, mais reste là, attends d'écouter ce qu'elle a à me dire. Mais elle reste silencieuse un moment, tellement que je ne différencie plus le bruit de ma respiration emballée, et ses bruits qui sont intempestifs.

La main sur le cœur, j'essaye de faire en sorte qu'il reste à sa place, intacte, et me demande comment cela se fait, que tous les gens sains et présentables le jour deviennent si morne et sinistre sans la lumière qui fait désintégrer les masques. Il n'y a que quand la lune est plus basse, qu'ils sont ce qu'ils sont.

-Sun, approche, vient voir, Sun. Il faut que je te dise un secret...

Sa voix est cassée, peut-être à force d'avoir trop fumée, me confirme qu'il y a quelque chose d'étrange, un problème, et je me rappelle du moment passé chez elle, où je l'ai vu cacher quelque chose dans une boîte, et que je me disais que ça n'était pas mes affaires. Je m'approche lentement pour mieux l'entendre, le pas lourd et douteux. Elle se colle aux barrières pour être plus proche de moi, alors je m'arrête un peu avant, sans vouloir faire face à cette femme habituellement si gentille que je ne reconnais pas.

-Madame Robert ? Vous allez bien ?

Je fronce les sourcils quand elle passe ses bras à travers les barreaux, les tends, et que ses doigts fins et osseux se glissent dans mes cheveux, l'autre main qui glisse sur mon visage, le pouce qui passe contre ma pommette, efface la sensation des doigts d'Harry.

-Tu es une petite fille si pure et innocente...

Elle parle, les mots qui lui tombent du bout des lèvres, légers et inquiétants. J'ai un mouvement de recul, devant sa mine intéressée et captivée par mon visage qu'elle caresse de façon appliqué, avec les ongles, le bout des doigts, la paume de la main.

-Si saine... regarde toi... Sun...

Sa voix devient plaintive et pleurnicharde, alors mon corps se fige, j'attrape ses poignets et lui repousse, calme.

-Je crois que vous n'allez pas très bien Caroline... Rentrez vous reposer...

Puis elle se met à rire ; rire anormale qui me provoque un frisson désagréable dans le corps entier. Je grimace quand elle m'attrape par les bras, me colle contre les barreaux, moi aussi, et on se fait face comme jamais on ne l'a fait. Je lâche un « Eh ! » qui sort naturellement, et je me débats, veux la repousser, parce que j'en ai assez des gens qui veulent mon cœur. Celui-là je viens de l'avoir, et je veux le garder. Mais elle est ferme et coriace, et soudainement, elle vient appuyer son indexe contre mes lèvres, les yeux grands ouverts, et elle se met à dire chut, chut, chut, des chuts qui tombent de ses lèvres comme des canots qui tombent accidentellement des falaises. Proche de mon visage, je reconnais dans son souffle l'odeur du whisky, comme je l'avais senti dans le souffle d'Harry des semaines et des semaines plus tôt. Je m'arrête de bouger, me dit que c'est la meilleure des solutions, et son emprise se défait peu à peu, mais jamais elle ne me lâche complètement.

-Je viens pour te dire de faire attention avec le grand patron...

Elle chuchote, regarde autour, s'assure que personne n'écoute. Moi, je me mets à trembler dans ses bras, parce que rien ne va.

-Je vous ai vu... Devant la voiture de ton père.

Et le sang quitte tout mon corps.

-Tu ne sais pas ce que tu fais... Ce n'est pas quelqu'un de bien, de raisonnable pour toi. Il va te briser. Briser ton tout petit cœur adorable... oui il va te le briser.

Et pendant qu'elle parle, elle appuie les ongles contre ma cage thoracique, comme si de ses doigts, elle entourait mon cœur. Et je la sens qui force, et je grimace, le cœur qui semble battre sous ses ongles qui s'enfoncent. Mais je suis tétanisée. De la tête aux pieds. Et même si j'ai mal ; je ne bouge pas. Et même si j'ai peur ; je ne bouge pas. Je voudrais hurler de rage, parce que je voulais ne plus avoir peur ; plus jamais. On est loin d'être au bout du tunnel ; Harry j'ai besoin que tu reviennes, parce que j'y vois plus la fin.

Elle fait la moue, comme si elle en était triste, mais je la soupçonne, sa jalousie. On est toutes les deux rivales en même temps que voisines. Puis elle lève le bras, l'autre qui me tient toujours. Je regarde là où elle veut que je regarde ; les piqûres dans sa peau qu'elle me montre, dans ses veines.

-Regarde, ma jolie Sun, regarde. C'est lui qui fait ça. Qui me fait ça. C'est à cause de lui. Ils tuent des gens à coups d'aiguilles et de drogues, à coups d'overdoses. Il te fera pareil. -et elle pointe le chemin que j'ai si souvent emprunté pour rejoindre la forêt- Il se cache dans la forêt pour faire tout ça, comme le grand méchant loup qu'il est. Et il va te manger, toi, petit chaperon rouge.

Au dernier mot, je sens que son emprise se fait plus faible, alors je la repousse et je recule ; je me retourne et je cours. Ses rires macabres me suivent jusqu'à ce que je rejoigne ma chambre. Je pousse fortement la fenêtre que je laisse toujours ouverte et je tourne la poignée pour m'assurer qu'elle soit bien fermée. Je ne l'entends plus, mais son rire résonne encore dans ma tête, hante, et ma respiration agressive me donne envie de vomir. Je tourne en rond, sans comprendre et assimiler ce qu'elle a dit, avant de réussir à me calmer. Mais je passe la nuit à me retourner dans mon lit, à me dire : qu'est-ce que tu me caches, Harry ?


« Il faut parfois savoir se perdre avant de trouver quelque chose »


Coucou les filles :D
Voilà pour le chapitre 19 !
Désolée pour ce long retard... inutile de répéter toujours la même chose, vous en savez les raisons. On espère simplement que ce chapitre vous plaira, les choses avancent de plus en plus, et on est toujours aussi excitées de connaître vos réactions et de lire vos commentaires. C'est vraiment important pour nous, et aussi très motivant :P
Gris bisouuus à vous, on vous adores x

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