Chapitre 18
Point de vue Sun :
Pratiquement tout est blanc.
Je tourne autour des tables, cligne des yeux, plisse le nez à cause de l'odeur de vieux, puis je tourne, encore, autour des chaises entourées d'un tissus en forme de nœud papillon ; tissus blanc, aussi. Sauf le parchemin ne l'est pas ; beige, qui tire sur le jaunâtre, au centre des tables.
J'observe le moindre recoin de cette décoration que je n'ai ni choisi, ni approuvé. J'aurai aimé des couleurs chaudes ; vivantes. Au moins le jour de mon mariage : du violet, du rose, pourquoi pas même du vert ? Mais on ne veut pas que je me sente vivante, même le jour d'un mariage censé être le mien et pourtant si loin. Non, tout est blanc, blanc et vide de sens. Mes doigts attrapent une fleure et je la tire de son encoche sans aucun scrupule, la regarde, longuement.
J'aurai voulu qu'elle soit rouge, rouge passion ; ça aurait eu un sens, cela, au moins. Rouge amour, couleur du sexe, du danger, de l'interdit, de la chaleur, de la sauvagerie. Rouge aurait bien été. Pas pour Gabriel ; pour Harry. Je la repose à sa place, me dit que de toute façon, c'est les envies de ma mère, qui sont prioritaires.
L'église, elle, n'est pas encore décoré : on attend la veille du mariage, prévu dans quelques jours. Quelques jours, à peine. Je ramène mes cheveux en arrière, pousse un soupir, me dit courage, Sun, courage. Lucie, Victoire, Constance et quelques unes de mes tantes sont là pour aider dans les préparatifs. A les regarder, elles semblent toutes heureuses, contentes, satisfaites : on va marier la petite dernière.
-Sun, tu peux t'activer ? Va dans la réserve et cherche les serviettes pour les tables. Sert à quelque chose, au moins.
Pas un regard et j'y vais, alors que j'aurai envie de répondre et de pas dire « oui je le fais ». Je devrais être heureuse, aujourd'hui ; jour important, les préparatifs, qui précède un jour qui l'est plus encore. Mais j'ai juste envie de partir, loin, loin d'eux, fous et faux. Je profite de l'occasion pour m'éclipser dans l'arrière salle, regarde le nombreux cartons disposés dans toute la pièce. J'en attrape un, prend un cutter, ouvre et vérifie l'intérieur. Mauvaise pioche. J'en essaye un autre, sur lequel est marqué « Eglise », mais il n'y a rien bien intéressant, j'aurai dû m'en douter ; juste des fleurs, des rubans, encore blancs, tout est blanc, blanc pure et je voudrais rire en leur avouant que pure, je ne le suis plus tant que cela et que la pureté, c'est nul. Le blanc me donne mal aux yeux. Je n'aime plus tant que ça le blanc.
-Sun !
Geste rapide, je prends le carton des serviettes et retourne à la salle. Toutes me regardent, secouent la tête.
-Quelle idiote cette petite.
Dédain et mépris dans les yeux, ils ont, alors je leur souris, l'air de dire c'est bon, elles sont là, vos fichues serviettes moches. Et je pose lourdement le carton sur la table. Lucie, ma mère il me semble, mais tout cela devient lointain aussi, au fond, on sait plus vraiment, écarquille les yeux, et mauvaise, me claque la main avant de le déposer au sol. Je hausse les épaule avec une nonchalance acquise dernièrement, lève les yeux quand je me rappelle que c'est Harry, qui fait comme ça. Je le refais, m'en fous, ça fait tellement de bien, de s'en foutre.
-Alors, vous avez trouvés la robe ?
C'est ma tante qui prend la parole, et comme c'est ma robe, c'est ma mère qui répond.
-Oh oui, et elle est très jolie.
-Bien couvrante, bien blanche ?
-Tu doutes bien que j'étais là pour l'aider à choisir et la freiner de temps en temps.
Discrètement, cela me fait serrer les dents. J'attrape une serviette, la plie à ma façon, me glisse entre les deux, la dépose sur la table, me retourne vers elles, surtout dos à ma mère.
-Couvrante ? Tu sais bien que oui, tante Charlotte, avec une robe transparente, on verrait bien trop mes cicatrices. Elle est opaque, ma robe ; on ne verra rien, que mon visage. Contente ?
Un coude s'écrase dans le creux de mon dos et je tressaille un peu, mais encore une fois je lève les épaules, j'en ai trop marre qu'elles soient affaissées à longueur de journée ; ça commence à tirailler.
-Qu'est-ce qu'il se passe ? Il y a quelque chose à cacher, encore ?
Je sais très bien que Charlotte est au courant, au courant de tout, des gestes, des coups, indécents, douloureux et infectes. Mais elle ne bronche pas et ne bronchera pas, et j'en viens à me demander ce que j'ai fait, pour mériter cela, une famille aussi pourrie. Ça commence à sentir le mort à la maison.
Lucie récupère la serviette que j'ai posée et l'arrange à sa façon. Je la laisse faire, à quoi bon, de toute façon ?
Après, je décide d'ignorer les regardes supérieurs de Victoire, jusqu'à dix-neuf heures, au soir, où on arrête enfin les préparatifs, qui ont commencés ce matin, sept heures tapantes.
Trois jours avant le mariage. C'est ici, qu'on se tient : trois misérable jour avant le mariage, et toujours avec l'impression que je serais assise parmi la foule sur un banc, et que c'est la main de maman, que Gabriel prendra pour lui glisser la bague au doigt.
Le soir même, on se retrouve tous autour de la table, toujours la même histoire ; mains sur les genoux, service, prière ; on mange. Il y a le silence, et le tête à tête avec la conscience. Avec le temps, le silence on finit par l'aimer, il est doux, pas comme les mots. Les mots des gens ici, ils sont durs et crus ; reprochent, humilient. Gabriel est là, Victoire et Simon, aussi ; on ne fait jamais sans eux. Je bouge le poignet en rond, remue ma cuillère dans la soupe trop épaisse de mon assiette. Je relève les yeux vers mon père quand il prend la parole, et je ne bois pas la soupe ; peur qu'elle soit comme du plomb qu'on avale.
-Vous avez l'air fatiguées, les filles. Vous avez bien avancées ?
-Nous, oui.
Victoire me jette un regard. Celui qui veut tout dire ; pas Sun, non pas Sun. Laissez moi rire.
Je ne dis rien, attrape plutôt un bout de pain. Et je le mange lentement, échappe à la soupe que tout le monde semble aimer. Même les bouts de pains, on en a pas beaucoup, ici, un petit pour le repas, un peu sec, qu'on ne doit pas manger d'une traite. Gabriel, assit à coté de moi, ne prend pas la parole, et je le regarde, manger, avaler, manger. Ses grands yeux bleus-gris, son sourire poli, tout ce qu'il y a de plus gentil, et sa coupe de cheveux de premier de la classe me rendent indifférente. Il est charmant. Mais tout le monde peut être charmant. Moi j'ai choisi quelque chose de plus différent, excitant, vibrant. Je me jette du côté obscur, le côté interdit.
Quelques minutes après avoir débarrassée, fait le ménager et raccompagné poliment tout le monde à la porte, je monte à la douche. L'eau chaude qui frappe contre mes épaules et mon crâne me détend ; je me détends plus facilement, en ce moment. J'ai appris à faire avec les picotements incessants de mon dos, au début on supporte pas le jet d'eau, puis après cela s'atténue et là oui, on supporte. J'éteins l'eau quand elle devient subitement froide ; le temps est écoulé, sans doute que Lucie veut en garder. Je sors, prend une serviette, puis croise mon regard dans le miroir recouvert de bué. Mes yeux semblent flous, mais ils ont retrouvés cette petite chose, celle que j'avais peur de perdre. Tout revient, Sun, tout revient. La vie va revenir.
Après, je suis de retour dans ma chambre, habillée. Pas en pyjama, habillée, comme si mon cerveau, pour la première fois, disait « Il faut réagir Sun, réagir avant qu'il ne soit trop tard ». Je m'assois simplement au bord de mon lit et guette ; automatisme robotique. Aucun bruit ; le danger un peu loin, tout à coup. Je glisse une main sous l'oreiller et attrape mon téléphone, l'allume, souris un peu, avec toujours l'impression de sourire, quand je vois « Harry » inscrit en haut de l'écran. Ça m'est déjà arrivé, de rester allongé dans les draps qui grattent, et d'oublier les picotements sur ma peau, juste de sentir ceux de mon cœur, de fixer le numéro. Et le numéro maintenant, je le connais par cœur. Puis ça fait du bien, de penser à lui, et de s'évader même en restant ici ; le temps passe un peu plus vite. Je mets le téléphone à l'oreille quand je l'appelle, et doit attendre avant qu'il ne réponde.
-Sun.
Il dit d'un air de dire tu me déranges. Alors je demande :
-Je te dérange ?
-Oui. Il répond simplement.
-Comme tout le temps.
Je réplique, un goût amer dans la bouche, les battements du cœur moins emballés, parce que j'en ai marre, de toujours le déranger. Je l'entends grogner alors je me reprends, avant qu'il ne me raccroche au nez.
-Tu peux venir me chercher ? Je peux t'attendre si tu veux, mais je suis déjà prête.
-On avait prévu un truc ce soir ?
Et je le devine, avec son pli entre les sourcils.
-Non. Mais je pense que cela pourrait te plaire.
Je souris et lui marque un petit temps de pause, sans doute des questions pleins la tête. Pendant tout ce temps qu'on a passé ensemble, lui m'a donné un peu de son attitude, moi je lui ai donné un peu de mes questions, même si des fois je l'entendais qu'il en avait déjà plus qu'assez. Mais dans le fond, on en a tous, mais peut-être pas vraiment assez.
-Ok. Ben je passerais peut-être, on verra.
Il dit le « on » comme si j'allais choisir avec lui, comme s'il n'était pas le seul à décider, puis il raccroche ; pas le temps de répondre, d'ouvrir la bouche, d'essayer de parler plus. Je voudrais toujours parler plus avec lui. Le silence revient après les sonneries de fin et engloutit en refrain. Et c'est avec le refrain du il viendra, sinon il aurait pas dit quelque chose comme ça, que je me laisse tomber à l'arrière sur les ressors du matelas plus que le matelas lui-même, et j'attends. Je repense à sa voix, me dit qu'elle était pas si ferme que ça, et qu'elle l'est, quand il a pas le temps, c'est plus rauque, la respiration un peu plus forte. Il a le temps, je suis sûre qu'il a le temps, sinon ça aurait été différent. Et j'attends toujours ; presque deux heures.
Deux heures où j'appelle Jelena, l'invite ; elle peut emmener Jek, si elle veut. Mais je sais qu'elle ne se serait pas gêné, de toute façon. Au téléphone, je n'arrive pas à savoir si ça va vraiment mieux, alors j'attends de la voir, là je verrais, à sa façon de regarder le monde qu'il l'entoure, de sourire, de rire, au regard de Jek. Je finis par me sentir un peu plus lourde, après avoir raccrochée. Mes yeux se ferment, mais je les rouvre brusquement, l'appel d'Harry comme un électrochoc qui ramène de la mort ; il est là, devant chez moi. Je mets des chaussures, m'enfuis de la chambre, de la maison, de l'ambiance perfide qui règne entre les cloisons. Je monte dans la voiture, le cœur gros et gonflé, sans me faire prier.
-On va où, alors ?
Il tourne la tête vers moi ; je lui offre le sourire que je retiens depuis tout à l'heure. Harry et moi on dit plus bonjour, au revoir des fois, mais plus bonjour. Comme si on avait pas assez de temps, et que les choses comme ça, sans importances, elles nous en faisaient perdre. Les bonnes journées, alors, on se les souhaite pas. Moi je sais que si je suis là, elle sera forcément bonne, et lui, je ne sais pas, mais je crois que ça ne change rien. Et les ça va, on les a un peu rayés depuis longtemps. Il ne veut pas savoir comment je vais, et moi non plus dans le fond, même si ça va mieux et que je pourrais répondre « bien et toi ? » avec un sourire rayonnant à la Jelena d'avant. Et pour lui, c'est simple : on demande pas à Harry comment ça va.
-Je vais te guider. Parce qu'on va à la salle de réception. Je ne veux pas me marier.
Je secoue la tête devant son regard vert perçant, la lumière des lampadaires qui lui éclaire seulement une moitié du visage, et on dirait deux Harry différents sur deux parties différentes. On dirait même qu'il a les yeux vairons, vert d'un coté, noir de l'autre, dans l'ombre.
-Ça me semble plutôt être une bonne idée. Tu choisis, si tu veux pas te marier, tu te marieras pas.
Et comme ça, il démarre, et le bruit du moteur redonne un peu de chaleur à mon cœur. J'acquiesce ; d'accord, si je veux pas me marier, je me marierai pas, et je le grave dans ma tête, pour ne pas oublier, ne pas me dégonfler. Ce soir, je choisis.
Toute la route je lui dit où aller, et quand il conduit, et que je n'ai plus rien à dire, je le regarde, lui au volant, lui et son air concentré, un peu fermé et sévère. Je pense un peu à tout ce qu'on s'est dit, depuis le début, le tout début, depuis qu'on se connaît. Je me dis que c'est pile ce qu'il me fallait : quelqu'un qui sait ce qu'il fait, avec qui on peut parler et rigoler. Il reste distant, c'est Harry, il est forcément distant, et je ne pourrais sans doute jamais l'approcher; c'est lui qui approche, parce que c'est moi le petit animal blessé. Mais il me donne la force de me lever, et de me mettre sur le coté pour ne pas me faire écraser.
Je saute hors de la voiture quand on s'arrête sur le parking de la salle, quelque chose qui me soulève le ventre, entre peur, excitation et frénésie, et je souris en voyant Jek et Jey. Ils ont l'air d'aller mieux, elle surtout, mais on a toujours pas retrouvé la Jelena du début, alors j'espère qu'on le fera ce soir, à quatre. Jelena, je lui dois beaucoup. Je lui dois d'avoir été là, de m'avoir poussé dans ce chemin de forêt, dans le buisson, de m'avoir fait regarder, ouvrir les yeux. Je lui dois d'avoir été elle, de m'avoir partagé son audace, sa perception des choses, de m'avoir fait rire et penser à autre chose.
Je m'approche pour les serrer dans mes bras, parce qu'avec Jek et Jelena, il y a du contact, toujours il doit y en avoir. Harry lui, fait juste un petit signe de tête, et je me souviens avoir oublié de lui dire qu'ils seraient là.
J'attrape son poignet, me dirige vers l'entrée, et je le sens se pencher à mon oreille.
-Tu voulais avoir ton modèle sous les yeux pour faire pareil ?
-Ça n'est plus vraiment... mon modèle. C'est juste mon amie, et je voudrais l'aider aussi, pour une fois.
-Tant mieux, parce que c'est ridicule, de vouloir ressembler à quelqu'un qu'on connaît pas vraiment, pas vrai ?
-Je la connais.
Je réponds un peu sur la défensive ; c'est lui qui ne la connaît pas. Moi, c'est ma meilleure amie.
-Ah ouais ? Tu vas tomber de haut. -et il sourit- Jelena c'est pas juste les sourires, les rires excentriques.
Je refuse de répondre, trop perturbée. C'est vrai, qu'avec Jey' on est amies, mais on se dit pas tout. Moi je ne dis rien à personne, de toute façon. Mais Harry, lui, il semble dire qu'il sait des choses sur elle que moi, je ne sais pas. Et quand je me rends compte qu'elle a peut-être un masque, elle aussi, et qu'elle l'avait juste laissé tomber, l'autre jour, et que non, celle que je connaissais, c'était pas Jelena, je me persuade qu'on a tous un masque, dans le fond. Moi mon masque il est dans mes cicatrices et dans les cris étouffés par mon oreiller. Je ne sais juste pas encore où sont ceux des autres.
Mais je pense rapidement à autre chose quand j'essaye d'ouvrir la porte, et que ça reste fermé, et la réalité me rattrape de plein fouet. J'ai oublié les clés. Je ferme brièvement les yeux, me tourne vers Harry quand il se met à rire.
-Tu es de bonne humeur, toi. Je remarque.
-Tu m'épuises, sérieux. On fracasse pas quand on peut rentrer. C'est louche, sinon, tu crois pas ?
Il parle tout en sortant des gants de sa poche, des gants noirs, épais, en balances deux paires à Jelena et Jek.
-Tu veux que je te les enfiles moi-même ?
Il a son sourire au coin des lèvres quand il parle, et je marmonne, lui prend des mains.
-Non, je peux me débrouiller.
-On voit ça, jusque là.
Il se fout encore de moi, alors je lui donne une tape sur le bras avec le gant que je n'ai pas encore enfilé. C'est vrai, je n'avais pas pensé au fait qu'on ne pourrait pas rentrer, ni au fait qu'on pourrait si je prenais des clés, ou qu'on y laisserait nos empruntes et qu'ils sauraient.
Harry, avec les gants noirs, les mêmes qu'il porte pendant ses séances de tatouages, me fait presque perdre pieds. Les gants sont épais, résistants, et lui semble plus impressionnant. Et comme il est impressionnant, il est imprévisible. Je sursaute quand, d'un coup violent, une pierre s'abat contre la vitre, la brise, et je regarde les bouts de verres voler en éclats avec satisfaction. J'ai un picotement dans la peau ; ça ressemble un frisson : on y est. Je suis en vie. Là, tout de suite, je respire, et ça fait pas mal, de respirer.
Jek passe le premier, rattrape Jelena, je passe après, Harry me dit de me bouger, je suis jamais assez rapide, d'après lui. Je pose les mains sur le rebord, mais il souffle, me soulève par les hanches ; j'attrape ma lèvre entre mes dents, contente, je le voulais, ce contact avec lui, même sur la couche de vêtements. Il me fait passer de l'autre côté, et le fait qu'il me fasse passer de l'autre coté n'a jamais semblé aussi réel. On passe des enfers au paradis, parce que ce soir, cette salle, je compte bien la transformer en l'oeuvre de Sun. Et les œuvres de Sun, j'ai décidé qu'elles ne seraient pas noires, et je voudrais que Jelena me prête ses couleurs. C'est les mains de Jek qui remplacent les siennes, il me repose, et je me sens mal à l'aise, parce que Jelena est juste derrière, et que je vois bien sa tête.
-Merci.
-Tout le plaisir est pour moi.
Je souris, me tourne vers Harry, mes doigts qui jouent avec le tissus des gants trop grands pour moi. Quand je vois qu'il passe à son tour, je tends les bras, comme pour le réceptionner, un peu moqueuse. Il me lance un de ces regards dont il a le secret, et qui fait croire qu'il a plus aucun espoir en l'humanité. Le truc, c'est que j'ai appris, que même dans les regards les plus faux, y'avait un peu de vérité, et je voudrais savoir pourquoi Harry a plus foi en l'esprit humain. Dans un sens c'est pas grave ; la foi on la retrouve. Moi, je suis entrain de la retrouver.
Il dit quelque chose sans articuler, alors je comprends pas, mais j'entends bien son ton morose, et je ris toute seule, bientôt plus toute seule, mais avec Jek. Le rire de Jelena vient, mais seulement dans ma tête, et en souvenir, parce que là, dans la vraie vie, ses lèvres sont pincées. Je la bouscule un peu de l'épaule, Jek fait pareil, de l'autre côté, et elle se retrouve coincée entre nos deux corps. Elle me fait mal au cœur, Jey, elle s'est perdue, on dirait. Mais je m'inquiète pas, parce que dans le fond, on se perd tous.
« Commencez sans moi », je dis et je vais vers la réserve. Mais Harry attrape mon bras, et je tourne vers lui, l'impression de m'envoler tellement je suis légère.
-Commencer sans toi ? Moi je veux que t'ouvres le bal, pourtant.
D'une autre main il attrape un vase, avec les fleurs ; blanches. Prend le, il dit et je garde les yeux levés vers lui.
-Je te jure, c'est le meilleur truc au monde. Ça fait un bien fou, comme quand tu cries dans l'oreiller.
Mes sourcils se froncent un peu, et il me fourre le vase dans les mains, de l'eau qui tombe un peu sur mon haut : Lucie a noyer les plantes, et c'est pas tout ce qu'elle a fait.
-On cri tous dans l'oreiller un jour où l'autre, Sun.
Il hausse les épaules, et je voudrais lui demander pourquoi lui, il a besoin de crier. Je vois Jek et Jelena, du coin de l'oeil, qui hochent la tête, l'air de dire que oui, eux aussi, ils crient. Je souris.
-On pourrait crier tous en même temps ?
Son pouce passe au coin de son œil, comme à chaque fois qu'il est exaspéré, et bon dieu qu'il l'est souvent.
-Ouais, ok, on peut crier tous ensemble.
-Comme si on trinquait ?
-On trinque à quoi ? Jek demande.
-A nous quatre.
Je réponds du tac au tac, parce que ça me fait du bien, de les avoir tous ici, et je trouve qu'on fait une belle équipe. Et c'est au moment où on cri tous ensemble que j'éclate le vase au sol avec toute la force que j'ai, toute la rage, toutes ces choses à l'intérieur ; les mauvaises choses. Je me vide en même temps que l'eau se déverse au sol, et on a l'air de fous, tous ensemble là, à crier puis à rire parce qu'on se trouve ridicule et qu'on l'est sans doute. Le rire d'Harry bourdonne dans mes oreilles, tout bourdonne en moi, c'est l'euphorie, et tous on se met à tout détruire. Je cours dans la réserve, traîne les cartons d'église dans la grande salle, ouvre tout, jette tout ; les bouquets de fleurs, les décorations, les livrets de messe, tout. Je prends la robe, Jelena me jette un ciseau et Jek cri un « fait attention » qui nous fait rire, même quand je cri en ayant peur de pas le rattraper.
-Je la hais, cette robe.
-T'as raison, elle est moche.
Harry se met à coté de moi, et je peux sentir la chaleur de son corps même là ; il finit par tendre la main.
-Donne moi les ciseaux. J'ai envie de la couper en premier cette robe, après tout, sans moi, tu serais encore entrain d'étouffer dans tes cols roulés.
Il me fait un clin d'oeil et je pose ma main à plat sur la sienne, le métal froid du ciseau qui sépare juste nos peaux.
-Change de disque, Harry.
La main sur ma tempe, il me repousse le visage et je me laisse faire, trop amusée, et le cœur qui bat trop fort dans la cage thoracique. Le geste brusque et décisif, il arrache le tissus de la robe ; ça craque, et le craquement me fait un bien fou. Je veux l'entendre encore une fois, alors je continue à tirer. D'habitude le craquement des vêtements, il veut dire que mes plaies font trop mal, que le tissus est trop imprégné dans ma chair et dans mon sang, et qu'alors, il faut couper au lieu d'enlever. Après, avec les tissus déchirés et lavés, Lucie fait les poussières. Là, le craquement, il signifie bien plus. C'est un sentiment intense, qui fait que sur le coup, on croit qu'on est éternels, seuls, et qu'on le sera toujours. C'est un moment à sentir le vent dans les cheveux, l'air dans les poumons, la respiration.
C'est bête, d'avoir jamais ressenti ça, je me dis. Vraiment trop bête. Luc, lui, doit le sentir à chaque fois qu'il ferme la porte, enlève la ceinture et qu'il dit « Sun, idiote ». Je suis pas une idiote, papa. Le seul idiot, c'est toi. Il y a un jour, où tes ceintures, après les avoir nettoyés, je te les rendrais pas.
Je me redresse quand la robe est devenue méconnaissable, observe Jelena ; ses cheveux blonds qui volent dans tous les sens, la blancheur de son sourire qu'on avait pas vu depuis si longtemps, la lueur de ses yeux, quand avec Jek, ils envoient balader les tables. Elle brille. Sans doute à cause du clair de lune qui reflète sur sa peau de lait comme le soleil reflète sur l'eau. Je vais vers elle pour qu'elle m'entraîne dans sa folie rien que pour ce soir, juste quand Harry l'interpelle.
-Dis moi blondie, les trucs comme ça, ça te fait mouiller aussi ? Tu vas supplier à ce qu'on te baise, après ?
Je m'arrête ; pile, coup sec. Et je m'arrête, c'est tout. Jek tourne la tête, la main qui était encore levé, pour lancer à Jelena quelque chose qu'elle pourrait piétiner. Lui non plus, il ne comprend pas. C'est entre Harry et Jelena, et je n'aime pas me dire ça. Ses yeux s'assombrissent, les yeux de Jek pourtant habituellement si clairs.
-Mec.
Il dit ça d'un ton pas commode, l'air de dire ; attends, pause. De toute façon, tout est sur pause.
-T'entends quoi, par là ?
-Toi et moi on sait bien comment elle est quand elle vient pour se faire baiser.
Et Harry rit. Et le rire d'Harry raisonne dans la grande salle, raisonne juste ; plus un bruit, peut-être que si ; les battements de cœur. A l'unisson.
Boum.
Boum.
Boum.
Jek regarde Jelena, sa copine, et Harry, son ami. Moi, je regarde juste Jelena, peur de ne pas comprendre, d'avoir mal entendu, le cerveau trop agité, trop mouvementé. Je vois le pied de Jek, qui du bout de la chaussure, joue avec un cailloux qu'on a du faire rentrer avec nous. Cela me fait penser que les cailloux, certains cailloux, bien spéciaux, sont des petits bouts de météorites. Que des petits garçons les collectionnent. Que moi-même, je le faisais, pour me construire tout un Univers à moi, où moi seul je pourrais entrer. Ce petit cailloux là, il représente la fracture de l'Univers, la porte qui s'est ouverte et qu'on pourra plus fermer, un passage qu'on pourra pas reboucher. C'était ça, les boums ; l'explosion.
Jek n'est plus tendre. Moi, naïve, j'espère encore le mauvais sarcasme d'Harry.
-Tu veux rire, Jelena ? Même mon patron, t'arrives à te le faire ?
-Jek. Non, pas du tout, je te jure on peut en parler, tu veux toujours parler, toi. On peut.
-Ah tu veux parler, Jey ? T'es capable de le faire, au moins ? Sans mentir, ou sans paniquer ? Ce qui se passe dans ta tête Jey, je l'entends pas bordel, désolé je l'entends pas, et maintenant je veux même plus l'entendre.
Les voix se haussent et se heurtent, et je pourrais presque les voir se confronter en deux couleurs. Le noir et le rouge. Les démons, l'enfer, et le sang. Jelena semble être sur le point de se briser, Jek lui sur le point de la briser. Il est impressionnant, Jek, parce que même là, il parle bien. Il sait quoi dire, comme secouer.
-Calmez vous un peu là, puis t'as l'habitude de ça mec, c'est pas comme si qu'on était que deux à lui être passés dessus.
Les yeux de Jek sur Harry. Harry impassible. Mes yeux sur Harry, Jelena, Jek, Harry. Jek abandonne le regard, et les épaules d'Harry se détendent. Jelena, elle, ne dit rien, les mains tremblantes qui raclent contre le pied d'une table retourné, retourné comme mon ventre, mon cœur, mon cerveau. Les mains de Jelena arrêtent pas de trembler.
-Vous avez couchez ensemble ? Tu as couché avec Harry ?
Quand elle pose les yeux sur moi, elle n'a plus du tout le même regard, elle semble juste lassé, et je me dis oui bien sûr Sun, toi tu comptes tellement moins que Jek. Presque agacée, elle serait. En la voyant me regarder comme cela, je hausse les sourcils, naturellement, sans m'en rendre compte ; je les hausses, c'est tout.
-Oui. Et alors ? T'es avec lui ? Sun, putain, toi t'as le don de rêver même sans être bourrée.
Ma bouche s'entre-ouvre, lèvres sèches. Je me raidis sous ses mots, les articulations douloureuses, le cœur qui se remet à saigner trop. Rouge tristesse noire. Rouge colère.
-Comment tu peux me dire ça, après tout ce que je t'ai dit ? Tu m'as entrainé dans cette forêt, tu m'a poussé vers lui. Tout ça te donnait le droit, de coucher avec lui dans mon dos ? Tu respectes rien, et toi, que tu sois bourrée ou sobre. Dans ces cas là, peut-être que je devrais coucher avec Jek, tu crois pas ? -je reprends les tu crois pas de Harry aussi, un peu de tout, les mots et les mimiques- Le manque de respect serait le même.
Jelena ressemble à une panthère. Est-ce que je l'ai déjà dit ? Une panthère blanche. Et elle sort les griffes pour se jeter sur moi, agressive. Jek l'en empêche, bras au travers de sa poitrine. Jek ; le point sensible. Un peu comme le talon d'Achille.
Je ne bouge pas. Plus de mouvements de reculs. Plus de soumission. Elle a beau être la panthère, j'a refusé d'avoir encore le statut de biche. Amie ou non, je ne suis plus la biche. Jelena a dégoté la flèche et sans être cupidon, a quand même visé en plein cœur.
-Toi, vas falloir te calmer, t'en as déjà fait assez.
Jek la lâche subitement, décidé, la repousse en arrière, et moi j'en reste quand même un peu bouche bée.
-Rentre seule, tu sais quoi. Et enlève tes chaussures si tu veux. Ouais, fait ce que tu veux.
Mes cheveux me volent au visage, se coincent entre mes lèvres quand il passe en coup de vent à coté de moi, quitte la salle.
C'est à moi, mon tour, alors je me dis et je me tourne vers Harry qui a pas bougé depuis, et il semble même pas avoir comprit. Je voudrais lui chercher des excuses, c'est plus fort que moi ; je voudrais. Il ne me doit rien. Je lui dois des choses, moi, pleins, mais lui, non, rien. Alors il a le droit, il fait ce qu'il veut, peut-être qu'il savait pas. Mais c'est trop fort, la rage c'est trop fort, c'est plus fort que toi. Je prends un carton vide, lui balance dessus, aussi fort que j'ai explosé le vase sur le carrelage, si fort qu'il pourrait se briser et aller former les étoiles de cet univers brisé. Ses lèvres roses et charnues s'ouvrent, et il fait les gros yeux, surprit, autant que moi.
-T'es... juste... con ! Bordel, oui c'est ça, y'a pas d'autres explications, t'es con ! Tu peux pas faire les choses comme il faut, pour une fois ?! T'es aussi incapable que ça ?!
Et je quitte moi aussi la pièce, avec juste un regard chargé de colère. Les bouts de verres sous les gants me font grimacer, mais je finis par y arriver. Je suis Jek, cours pour le rattraper, parce que c'est le seul à qui j'ai envie de parler. Même pas parler. Juste être avec lui. Qu'on respire ensemble. Ou qu'on essaye de retrouver comment on fait, ensemble. J'enlève les gants, les balances par la vitre ouverte de la voiture, comme lui. Et on marche ; silence, silence, silence. Je n'ose même pas le regarder. Lui non plus. Je le comprends, je voudrais pas voir ma tête, ni la sienne.
Je fronce les sourcils quand il pousse un portail, celui de la piscine municipal. Je me retiens de dire qu'on a sûrement pas le droit d'entrer, mais c'est déjà ouvert, alors je le suis, pour une fois, me dit tant pis. Tous les deux, on s'assoit au bord de l'eau, et on regarde la surface lisse et endormie. Sûrement les vagues sont en dessous, comme en nous. Quand j'ose enfin le regarder, ça n'est pas la déception que je rencontre sur son visage, mais de la colère et de la rancoeur. Il est irrité, furieux, tape la chaussure contre l'eau, et les vagues se créent. Pour attirer son attention, je pose un instant ma main sur son bras, juste une caresse, pas un vrai contact brut, quelque chose de léger. Je la retire quand sa tête se tourne brusquement vers moi. Je l'aurai laissé, si ça avait été Harry. Mais ça ne l'est pas, toujours pas, et de toute manière, il ne mérite pas que je pense à lui de cette façon là. Jek est différent, mais sa façon à lui, de faire peur, est tout aussi frappante et saisissante.
-Désolé.
On parle en même temps, et son regard s'adoucit. Il inspire un bon coup, et je voudrais poser ma main sur sa poitrine pour voir à quelle allure son cœur tambourine. Ça m'aiderait à caler la fréquence du mien ; je suis trop perdue, j'en peux plus d'être perdue. Je me sens triste, parce qu'il mérite pas ça, Jek. Je le connais pas vraiment, c'est vrai, je le connais qu'à travers de Jelena. Mais j'en vois un peu plus de lui quand il est plus loin, tout seul, comme quand on était dans la voiture. Parfois, Jek, il semble malheureux. Comme moi avant. Pas pour la même raison, mais le malheur dans tous les cas il est là et il fait mal.
Je reporte mon regard sur l'eau, gênée de son regard, insistant, mais je le sais adorable, respectueux et brave.
-Je suis désolée, pour ce qui vient de se passer. -je prends une petite pause, je ne voudrais pas que ma voix tremble, je voudrais qu'elle se pose- Je ne pensais pas qu'elle te trompait. Je veux dire... Elle a l'air si... amoureuse. Je ne comprends pas. Ça n'est pas possible, si ?
Il secoue la tête, l'air plus convaincu que moi à l'idée de croire que c'est plus que possible.
-Ça va, je vais survivre sans doute, c'est pas la première fois, et je le sais. Je vis avec. C'est pas pour autant que ses sentiments changent. Elle m'aime. Tu peux pas savoir à quel point elle m'aime, Sun. Elle est juste comme ça, c'est elle, et ouais, c'est comme ça.
-Et toi, tu l'aimes ? Mais c'est normal, d'être comme ça ?
Il réfléchit un instant à la réponse.
-Ouais, je l'aime. Je peux pas faire autrement que de l'aimer, tu sais ? Puis non, sans doute que c'est pas normal, mais c'est Jey. On le sait tous, qu'elle est pas normal.
Je me rapproche, et son bras passe autour de mes épaules en réponse au mien. Je me sens mal de justement être mal, alors qu'Harry n'est pas mon copain. Jek et Jelena, ça doit faire des années qu'ils sont ensemble, à les entendre parler. Je sais, que moi, je ne supporterais pas. La tête dans le creux de son cou, je le serre, et son menton se pose contre mon crâne. Au début, cela me fait un peu bizarre. C'est tendre, et les contacts tendres que j'ai partagée avec des hommes sont à compter sur les doigts de la main. Avec Harry, ça n'est pas de la tendresse, jamais, juste du sexe, un contact, un rapprochement sexuel. Jek je le serre, parce que je l'aime bien, et que lui, l'autre soir, a été le seul à être là pour moi.
Quand le temps commence à paraître long, je nous fait tous les deux pencher en avant, nos visages au dessus de l'eau. On regarde nos reflets.
-Comment tu nous trouves ? Je demande.
-Je ne trouve vaguement triste, mais j'espère qu'on va s'en remettre.
-J'espère aussi, j'en ai tellement marre, d'être triste.
Et je plonge ma main dans l'eau pour briser mon visage. Jek fait pareil.
-Si j'étais pas sûr que Jelena soit triste et brisée à vie, je le serais sûrement beaucoup moins.
-Tu fais tout par rapport à elle.
-On peut pas dire que tu fasses pas tout par rapport à Harry.
-C'est vrai, on est un peu les mêmes. Je suis toi, et t'es moi. Mais c'est triste qu'on soit comme ça. Tu vois, tout est triste.
-C'est dur, de pas dépendre de quelqu'un.
-On a besoin des autres.
-Sûrement.
Je relève le visage vers lui en grognant, me dit qu'il serait peut-être temps de rentrer ; c'est trop lourd. Les épaules affaissés, le dos un peu courbé, je le laisse replacer une mèche de cheveux derrière mon oreille, puis son regard descend, et la proximité de nos visages se réduit ; il s'approche. Je déglutis en me rendant compte qu'il va peut-être faire ce qu'il ne devrait jamais faire. Alors je tourne la tête, comme si j'entendais du bruit, parce que je voudrais juste disparaître. Sa bouche se dépose contre ma joue, et je me détends automatiquement, me dit bon dieu Sun, comment t'as pu penser cela ? On est clair dans nos têtes ; pas d'arrières pensées. Je souris doucement, la joue qui remonte contre sa bouche avant qu'il ne se détache.
-Je comptais pas t'embrasser.
Il dit sur le ton de la rigolade, alors je ris, retient un soupire de soulagement.
-Peut-être que si on voulait paraître moins triste et être nous mêmes, on devrait parler d'autre chose ?
-Sans doute. Alors, les cours pour toi ?
-Euh, encore d'autre chose.
Et il rit. On finit par parler de tout et de rien, sans avoir une quelque notion du temps. On a enlevé nos chaussures, et les pieds dans l'eau, comme des enfants, on se balance de droite à gauche. Et oui, on rigole. Mais finalement, le sujet de conversation revient toujours à nos autres nous ; Jelena et Harry.
-Tu sais, c'est pas de sa faute, à Jey. Elle a vécue des trucs difficiles, et elle essaye juste d'avoir pieds dans un monde où on lui a pas apprit à nager.
Il se coupe net quand son téléphone sonne, sur le point de dire autre chose. Il grogne, décroche, et je crois entendre la voix d'Harry, mais je me dis que non, que c'est moi, qui doit trop penser à lui. Sa mine se ferme, sa main se resserre, et son corps se lève, et il semble faire des mètres, debout devant moi.
-Je dois y aller. C'était cool de parler avec toi, Sun. On remet ça à bientôt ?
Il se penche pour embrasser mon front et je m'appuie légèrement contre lui.
-Bonne chance. Il marmonne contre ma peau.
-Oui, on remet ça. Bonne chance à toi, surtout.
Je le laisse disparaître, un petit sourire sincère sur les lèvres.
J'inspire longuement, mais ne reste pas seule bien longtemps. Alors que je suis entrain de passer mes mains sur mon visage, je me sens projetée dans l'eau, et je crie, je crie parce que je n'ai pas le contrôle, et que je tombe. Je remonte à la surface en me poussant vers le haut, écarquille soudainement les yeux, me retourne. Harry. Et je n'y crois pas, pendant un moment, je le crois pas, qu'il soit là, au bord de la piscine, entrain de jouer avec mes chaussures, l'air amusé, mais l'air aussi sérieux. Je tape mes mains contre l'eau pour l'éclabousser.
-Harry ! Mais t'as vraiment rien à faire ?!
Je lui crie dessus, encore, et ma voix abandonne presque, elle aussi, mais il ne semble même pas l'entendre, et plonge la tête la première dans l'eau, un peu comme moi j'ai fait, en commençant à le connaître : on plonge tête la première, et surtout, surtout on regarde pas en arrière. Je tourne la tête, les cheveux trempées, et lui aussi, en ressort trempé, trempé mais habillé, le tee-shirt transparent, maintenant. On voit ses tatouages, facilement, et je voudrais dessiner les mêmes à l'identique et aux mêmes endroits sur moi. Je hais cette partie là, cette partie que je ne peux pas refouler, qui brûle, mais qu'on aime sentir ; on aime fondre. Il s'approche mais je le repousse, lui ses sourcils se haussent.
-On va jouer au chat et à la souris encore longtemps ?
-Je pense que oui. Et arrête de faire ça avec tes sourcils, tu vas attraper des rides.
-Ah, je vois, moi qui croyais qu'on parlait sérieusement.
Il sourit et continue, le corps qui s'approche, s'approche, et bientôt on se touche.
-Oui, on parle sérieusement.
-Bien, parce que tu vois, ça fait trois fois que tu me traites de con. Tu crois que y'en aura une quatrième ?
Il a la voix rauque, et je sais que c'est le moment où on ne rigole plus vraiment. Sa main glisse dans mes cheveux emmêlés, les doigts qui tirent un peu.
-Tu me menaces ?
-C'est juste une question. Je te préviens.
-Non, c'est une menace.
-Si tu le dis, alors. Et je suis quelqu'un qui menace sans agir, moi, tu crois ?
Je passe les mains entre l'air et l'eau, frotte mes doigts entre eux, sans le regarder, sans l'écouter, parce que je refuse de lui donner ce qu'il veut. Finalement, je lève la tête, en me disant que si je tiens tête à Lucie, je peux tenir tête à Harry, étant donné que c'est lui, qui m'a tout apprit.
-Je n'ai pas peur de toi.
-Parce que je n'ai pas encore décidé si je voulais que tu aies peur ou non.
Il passe les bras de chaque côtés de moi et ses mains se posent contre les rebords de la piscine. Je voudrais m'enfuir mais rester à la fois, toujours le combat entre le feu et la glace, le même. Son corps est stoïque, ne bouge pas, et même son torse se soulève assez lentement pour qu'on croit que non, il ne vit pas. Je tourne les yeux pour ne pas fixer son torse.
-Tu as couché avec ma meilleure amie. Je finis par dire.
-C'est toujours ta meilleure amie ? Tu m'impressionnes, Thérésa.
-Ce n'est pas le sujet. Qu'elle le soit toujours ou non, elle la été, et tu as couché avec elle. Je peux savoir quand c'était ?
Sa langue claque contre son palais, et le bruit me fait presque frissonner.
-Mais dit moi.
Et au ton de sa voix, je comprends qu'il ne compte pas présenter ses excuses, ni me dire quand c'était, où, pourquoi ?
-Est-ce que moi, je te dois quelque chose ?
L'amertume avait laquelle il parle descend le long de ma propre gorge et la langue me picote. Mais les picotements, j'ai toujours fait avec. Ses yeux sont sombres, je repense au miroir de l'âme, me demande de quelles couleurs sont les miens, n'ose pas lui demander, sur le moment : trop bizarre, ça serait. Il attend ma réponse, alors je me décide :
-Je sais. Tu ne me dois rien, on ne se doit rien. Alors maintenant, je vais rentrer chez moi.
Je me sens ridicule. Il me fait sentir ridicule d'être jalouse et blessée qu'ils aient osés faire cela. Comme si c'était normal de m'y faire croire pour finalement me laisse tomber.
-Depuis quand tu as envie de rentrer chez toi ?
-Depuis que je me sens pareil ici que là-bas.
Sa bouche forme une grimace qui traduit un « Oh très bien », mais non, ça n'est pas très bien. Ni pour lui, ni pour moi. Son corps se décale sur le coté, et c'est sans me quitter des yeux, qu'il le fait. Je décide d'avancer vers l'échelle de la piscine, les vêtements trop lourds, qui m'étouffent, je voudrais juste m'en débarrasser, et me débarrasser de cette soirée. Mais en une fraction de seconde, j'ai retrouvé ma place, et les yeux gros, je le regarde s'avancer. Son nez touche le mien d'abord, et sa bouche s'écrase contre la mienne ensuite ; ferme et coriace.
Je perds pieds et me rattrape à lui pour ne pas couler ; je m'accroche à ma bouée de sauvetage, parce que c'est ce qu'il est. L'Univers se reconstruit et la porte se referme. Cette fois, on y est seuls. Et on est mieux, seuls. Lui et moi. Ses mains agrippent mes hanches, et il semble me posséder complètement, corps et âme. Ce baiser là, n'est comparable à aucun autre. Ce baiser là est réel, mouillé, bon, mentholé. Sa bouche s'entre-ouvre légèrement avant que l'intérieur de ses lèvres ne se referment contre les miennes, douces et je goûte à sa salive. Je serre légèrement les cuisses sous l'eau, pensées malsaines, la sensation de plaisir, de douceur, mais aussi de brutalité qui fait tout remonter. Les souvenirs qui entrainent les envies.
Ma main se glisse dans son cou, sur son oreille, cherche où se mettre et veut le toucher partout, n'importe où. La sienne, elle, voyage sous mes cheveux trempés et attrape avec conviction ma nuque qu'il presse. Sa langue se faufile dans ma bouche, par reflex je serre les dents, et j'ouvre les yeux au même moment. Le voir de si près me fait sourire, et je remarque que lui n'a jamais fermé les yeux. Moi je le refermes et de façon étourdie et maladroite, suit les mouvements de sa bouche, de sa délicieuse bouche. Personne ne m'avait embrassé comme cela auparavant, pas même dans mes rêves les plus fous, les plus doux ou les plus malsains. Je pourrais mourir maintenant. J'aurai embrassé Harry, j'aurai connu ça, et ce ça, n'a pas de prix. Ce ça vaut beaucoup plus que les dix-huit dernières années de ma vie.
-Dégage, Hunter, dégage.
Sa voix semble lui échapper, alors soudain je rouvre les yeux. Le pouce qui passe sur sa mâchoire et la dessine, je tourne la tête pour regarder autour de nous, essaye de voir la silhouette qu'il aurait vu. Mais juste la vague lumière des phares de sa voiture allumés au loin, de la lune qui éclairent le carrelage beige du mur et du sol. Juste le bruit de l'eau qui frappe contre nous. Juste nous, et là ça me convient. Rien d'autre ; pas de Hunter. Je repose les yeux sur lui, ignore la pression de ses doigts qui se resserre sur ma hanche, les muscles tendus de ses bras sous mes doigts.
-Qui est Hunter ?
Mais aussitôt il se recule, et je regrette de lui avoir demandé. Je voudrais le tenir, mais il est plus fort et il m'échappe. Complètement et irrémédiablement. Quand il rouvre les yeux après les avoir fermé, ça n'est déjà plus le Harry qui m'a embrassé, et mon ventre se noue désespérément de déjà devoir oublier ce moment.
Je n'ai pas de réponse et on sort de la piscine sans un mot. Lui, moi, et peut-être ce Hunter quelque part dans les parages.
« Tu ne sais jamais à quel point tu es fort jusqu'au jour où être fort reste la seule option »
Coucouuuu les filles ! On espère que vous allez bien et que vous passez de bonnes vacances !! :DOn revient avec le chapitre 18 ahaha, le temps passe viteeeee, on à l'impression d'avoir posté le premier chapitre hier :P On espère sincèrement que ce chapitre va vous plaire ! C'est un chapitre important où comme vous pouvez le voir, les choses avancent, même si c'est encore looooin d'être finit vous vous en doutez bien On espère voir vos retours sur ce chapitre qui nous tiens tout particulièrement à coeur, et on se dit à bientôt pour la suite !!!
On vous adores, gros bisouuus xx ♥
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